(Musique) (Bruits de grésillements) LA RADIO Voici le signal horaire officiel du Conseil national de recherche du Canada. Au commencement du trait prolongé, il sera précisément midi, heure avancée de l’Est. ZOÉ À midi, je – L’HOMME ... Il est midi – autour de moi des gens toussent des alarmes din couloirs «Retournez dans vos chambres», disent les blouses blanches ZOÉ ... À midi me laver les mains jusqu’aux coudes. L’HOMME tout le monde parle trop fort – ZOÉ J’enfile des gants, je – SARA ... midi les téléphones sonnent et sonnent la radio crache des mots insensés – ÉRIC ... À midi SARA qu’est-ce qui – ÉRIC manger en vitesse entre deux réunions. Regarder la cloison de faux tapis qui sépare – près la fenêtre, quelqu’un tousse tousse une autre personne tousse une autre je – mal à la tête – j’ai juste mal à – (3 bips) LA RADIO Voici le signal horaire officiel du Conseil national de recherche du Canada. Au commencement du trait prolongé, il sera précisément minuit, heure avancée de l’Est. ÉRIC ... À minuit. À la maison, je la regarde dormir étendue là, elle – Valérie. Son souffle siffle et elle – tousse son front brûlant elle tousse et son corps ondule de spasmes elle – SARA ... Minuit délacer mes bottes et – mon lit est glacial. Le froid humide même sous les couvertures mal à la tête et vide je suis juste – L’HOMME Il fait jamais vraiment noir ici. SARA vide... L’HOMME Compter les tuiles du plafond – Plus loin des gens toussent et toussent et pas moi je – ÉRIC ... Collé sur elle L’HOMME moi, j’attends, je – ÉRIC sa peau moite son corps couvert de sueur elle tremble, elle – tout va bien, mon amour, tout – et elle dit des mots et des mots et je comprends pas – elle délire et – la fièvre, elle – ZOÉ Les machines qui sonnent, qui – code bleu au deuxième étage code bleu au sixième, je – qu’est-ce qui se – L’urgence déborde – LA RADIO Voici le signal horaire officiel du Conseil national de recherche du Canada. Au commencement du trait prolongé, il sera précisément midi, heure avancée de l’Est. ZOÉ À midi, un infirmer est à mes pieds brûlant de fièvre, il – ses yeux – il parle, il – essaie de parler je me penche pour entendre – il tousse et tousse et sa manche est couverte de sang son sang – noir – juste noir – je – ÉRIC ... Midi. ZOÉ À midi, je place des petits corps dans des sacs de plastique – je – ÉRIC Elle bouge plus je – non, non, non, non – Valérie? Je – réveille-toi, tu – ses lèvres sont – noires. Qu’est-ce qui se – ZOÉ ... Les couloirs de l’hôpital dans le noir pendant une, deux, trois secondes... les génératrices, les lumières d’urgence, les ombres bleues – des sacs partout – je – l’infirmier qui – lui aussi – mes gants sont couverts de – les enfants qui – la noirceur, puis – les génératrices qui démarrent – SARA ... Midi. Attendre dans des couloirs vides – la radio à ma ceinture qui – la panique dans la voix de – oui, lieutenant, je – il tousse dans la radio, il – L’HOMME ... Midi. SARA la panique derrière, la panique de ceux – L’HOMME Attendre le nez collé sur la vitre de ma chambre SARA les autres soldats à la base qui toussent toussent – tout le monde tousse – L’HOMME et soudain la pluie – une goutte puis une autre l’air est lourd la pluie pour laver tout – les néons du plafond clignotent clignotent s’éteignent – je suis fatigué mort mon père disait tout le temps ça – fatigué mort – LA RADIO Voici le signal horaire officiel du Conseil national de recherche du Canada. Au début du trait prolongé, il sera précisément minuit, heure avancée de l'Est (Musique) L’HOMME, à la radio. Allo? Il reste personne ici. Personne. LA RADIO, comme deux stations entremêlées. Mayday, mayday, mayday. We have an emergency. Mayday... Le son coupe, le statique reprend. SARA D’abord, il y a la panique. Le sang noir sur les lèvres pas rouge, pas normal – du sang noir la toux, les spasmes, le sang noir qui s’écoule des narines, de la bouche, les yeux vitreux, les étourdissements, les pleurs, les cris, les larmes, les supplications partout. ÉRIC Tout le monde est mort. C’est ce que j’ai entendu dire. ZOÉ Tout le monde est mort ici. ÉRIC Valérie est – Je l’ai laissée là, couchée dans notre lit. Parce que je savais pas quoi faire. Je pouvais pas – Son sang. Noir. Je mets mon visage sur le sien, je respire sa maladie, je veux être malade moi aussi. Valérie est morte. Et pas moi. ZOÉ Les enfants dans leurs lits, les enfants par terre, leurs parents dans la salle d’attente, mes collègues de travail – Par terre. Tous, les lèvres – le sang noir. Tout le monde est mort. Sauf moi. ZOÉ & ÉRIC Les nouvelles, la radio – ils disent que – ils disent – j’ai – pas vraiment compris. SARA Il y a elle qui essaie de m’arracher mon masque de le mettre sur son visage pendant qu’il est encore attaché derrière ma tête. Il y a lui qui me regarde me tend les bras. Il y l’autre là écrasé sur le corps d’un homme âgé, froid déjà. Il y a eux leurs sangs noirs leurs corps emmêlés et une vieille femme qui les regarde mourir. Il y a les cris, la panique, la toux – Ils tombent comme des mouches. Il y a plus rien à faire maintenant. Il y a nous en vert, en blanc, en bottes, en tunique de plastique écrasés par terre, le visage couvert de sang noir. Nous aussi. Ça nous arrive à nous aussi. Malgré les habits verts, malgré les habits blancs et les croix rouges sur nos bras. ÉRIC, ZOÉ & SARA L’électricité clignote clignote s’éteint longtemps revient une seconde deux secondes trois secondes puis s’éteint – Pour de bon. ÉRIC Mon cellulaire sonne. Juste un coup. C’est sa voix à lui. Mon père. Sa voix métallique, le téléphone comme écho. Des sifflements. J’entends rien, j'entends rien. Je crie. P’pa? P'pa? P'pa? ZOÉ J’essaie d’appeler. N’importe qui. Aucune réponse. Ça sonne un coup. Ça coupe. Ça sonne et sonne. ÉRIC & ZOÉ Puis la ligne coupe. Pas de tonalité. ÉRIC Ouvrir et fermer l’interrupteur de la cuisine. Rien. La noirceur dans toute la maison. La pluie sur les fenêtres. Dehors, un chien tourne en rond dans une cour clôturée en pleurant. Personne pour lui ouvrir. Il me voit le regarder. Il jappe dans ma direction. Puis il se recroqueville sous un arbuste, la tête sur les pattes. La pluie qui tombe de plus en plus fort. Il fait froid. Un froid humide. Dans les os. ZOÉ Les lumières d’urgence de l’hôpital s’éteignent une à une. Silence. Rien. Je suis ici depuis – dans le noir depuis des heures – ÉRIC Je joue avec mon cellulaire même si la pile est presque morte. Parce que je sais pas quoi faire d’autre. ZOÉ Une vibration dans ma poche. L’écran de mon téléphone – flash d’un message texte – ÉRIC & ZOÉ « Zoé? » ZOÉ Mon frère. SARA Quelqu’un tire en l’air. Pour calmer. Mais ça calme rien – ZOÉ Au bout du couloir, une fenêtre qui éclate. Et des voix... De l’aide – (Elle crie.) Ici, je suis ici! SARA À mes pieds, une très vieille femme et la foule l’entraîne loin et je la vois tomber ses cheveux blancs, son manteau gris, ses lèvres noires je la vois tomber les pieds, les pas de la foule sur son dos gris. Un autre coup en l’air – des hurlements – un autre coup de feu – moi? c’est pas – non – c’est pas moi qui ai tiré - qui résonne entre les murs. ZOÉ Ici! J’entends des voix, des gens qui s’approchent. Puis du verre qui se fracasse. Des rires et des cris. Et je comprends : ils sont pas ici pour aider. SARA Je panique. Je cours. Mes bottes sur l’asphalte, je cours. ZOÉ Je cours. Dans l’autre direction. Les escaliers jusqu’à mon bureau. Deux marches à la fois. Courir. Verrouiller la porte. Pousser le bureau devant la porte, le classeur. Chhhuutt... SARA Il y a eux ZOÉ Les cris. SARA en vert, ZOÉ les voix. SARA en blanc, ZOÉ Ils – SARA en bottes, en tunique de plastique, ZOÉ Ils arrivent. SARA gantés jusqu’aux coudes, masqués jusqu’aux cheveux armes d’assaut au bras qui tirent sur la foule. Et il y a moi qui cours. (Musique) ZOÉ C’est le lendemain et le soleil se lève. Quand même. Par la fenêtre de mon bureau, je vois la lumière entre les nuages. Des flaques d’eau stagnent dans le stationnement. Les feuilles des arbres laissent tomber les dernières gouttes. Je monte sur le bureau colle mon oreille contre la porte. J’écoute. Rien. Le silence de l’autre côté. Pas prendre de chance. Ouvrir la fenêtre, me glisser par l’ouverture. Me laisser tomber sur le gravier qui recouvre le toit secondaire. La paume de ma main qui saigne. Rouge. Me relever. Courir d’une cheminée de ventilation à l’autre. Jusqu’à une échelle d’incendie. Je regarde en bas, dans le stationnement. Personne. La tête me tourne. Le sol est tellement loin. Partir. Partir d’ici. Je descends quelques degrés de l’échelle. Je les entends avant de les voir, sous mes pieds. Ils sont là. En bas. Et ils m’ont vu. J’essaie de remonter. De retourner à la fenêtre. De retourner m’enfermer dans mon bureau. Mais ils sont plus rapides. Et ils montent. M’agrippent les jambes. Me tirent vers le bas. Mes bras qui essaient de remonter. Sans succès. Et en bas, sur l’asphalte du stationnement. Ils m’encerclent. Leurs yeux qui – Je leur tends mon trousseau de clés. C’est au deuxième, que je leur dis. Au deuxième. La grosse clé pour entrer. La petite clé pour la porte intérieure. 83773 c’est mon code d’accès si le panneau fonctionne encore. Prenez tout ce que vous voulez et laissez-moi partir. Prenez tout ce que vous voulez et vous me reverrez plus. Un homme, le visage sale, les yeux absents, empoche le trousseau de clés, les lance à un autre qui entre dans l’hôpital en courant. L’homme au visage sale me regarde, longtemps, s’approche, trop, et tout bascule. Je reviens dans mon corps. Le soleil plombe sur l’asphalte du stationnement. Aucun signe de la pluie d’hier. Aucun signe de ce qui vient de se passer. Sinon le sang sur les paumes de mes mains. Séché. Et le corps qui hurle. Partir d’ici. Poser un pied devant l’autre. Marcher. Vers chez mon frère. Mes poches vides de clés. Mon corps vide de moi. (Musique) ÉRIC Zoé! Zoé, qu’est-ce que tu – ZOÉ Éric – ÉRIC Assieds-toi, t’arrives d’où? De l’hôpital? Qu’est-ce qui s’est – ZOÉ Valérie est avec toi? Est-ce que vous allez bien? Vous – Éric... On peut pas la laisser là comme ça. Elle peut pas rester dans la maison. La contamination – ÉRIC J’ai, j'ai essayé de t’appeler. J’ai essayé d’appeler plein de monde. Il y a pas de signal – ça sonne et ça coupe... Ça fait trois jours que – Valérie – Elle respirait, elle respirait et elle parlait, elle avait l’air bien – et là – Ça marchait pas. Tu répondais pas. J’ai appelé, j’ai laissé un texto. Je pensais pas que ça c’était rendu. Mon téléphone est mort. ZOÉ Le mien aussi. J’ai eu ton message puis plus rien. As-tu vu dehors? Il y a des morts dans les rues, des gens, juste morts, comme ça, partout. C’est – ÉRIC Qu’est-ce qui t’es arrivé? ZOÉ Il y a des hommes qui sont entrés dans l’hôpital. C’était le soir, le deuxième soir... peut- être le premier... je sais même plus... Des hommes – Leurs yeux étaient – je comprends pas – Leurs yeux étaient... sauvages. Ils avaient des bâtons, des barres à clous, des masses. Ils ont tout cassé. Je me suis cachée dans mon bureau. Je suis sortie ce matin, par la fenêtre, par l’échelle d’incendie et le toit. Ils m’attendaient dans le stationnement. ÉRIC Qu’est-ce qu’ils t’ont fait, Zoé? ZOÉ Je leur ai donné les clés de la pharmacie. Ils m’ont laissé partir. Ils m’ont laissé partir. ÉRIC J’ai parlé à p’pa. ZOÉ Quand? ÉRIC Je sais plus. Avant que je perde le signal complètement. ZOÉ Il disait quoi? ÉRIC Il disait rien. J’entendais rien. Viens. Tu as besoin de dormir. ZOÉ Une première nuit une journée une autre nuit tous les jours qui se fondent un dans l’autre on dort on se parle pas on se regarde même pas. On se terre chez Éric. On attend – on attend quoi? Dans le miroir de la salle de bain, ÉRIC Il fait noir partout dans la maison. ZOÉ je me regarde et je me vois pas. ÉRIC Il fait noir partout dans la maison. On laisse les rideaux fermés. Je garde une chandelle allumée dans la chambre. Je m’étends à côté de Valérie. C’est un rêve Val, juste un mauvais rêve. Ouvre les yeux, s’il-te-plaît. J’approche la flamme tout près de son visage. Ses lèvres sont couvertes de croûtes de sang noir. Je les touche du bout des doigts. ZOÉ Je dors sur le plancher de la salle de bain. ÉRIC Les jours passent. ZOÉ C’est la seule pièce pas de fenêtre. La seule pièce où je suis capable de dormir. Quand je croise Éric, j’arrive pas à le regarder dans les yeux. SARA J’entends mon cœur qui bat. Mon cœur qui bat trop fort. Je marche et l’écho de mes pas me hante, me suit pas à pas, à pas, à pas... Je marche. la nuit seulement Parce que je suis pas toute seule. Il y a eux ceux qui restent, ils sont dangereux, eux : les loups. L’HOMME La nuit, je fais des rêves. Ma tête qui éclate Mes dents qui grincent. La nuit, je suis à l’extérieur de moi. Derrière les murs se cachent les loups de tous les contes de cauchemars. Ils guettent quelque chose. Ils les guettent, eux. Ils me regardent moi aussi. Leurs yeux. Ils ont de l’obscurité dans les yeux. SARA Les loups s’arrêtent au milieu du pont ils lèvent la tête au ciel et hurlent, après ils rient. Je rase les murs jusqu’à une de mes cachettes. Je compte jusqu’à cent, jusqu’à ce qu’ils passent leur chemin. Ils donnent des coups de pied dans les débris de la ville des coups de pied dans les cadavres. Et ils rient. ZOÉ Éric? ÉRIC Il y a des gens dans la rue. Juste là, juste en bas. ZOÉ Qu’est-ce qu’on fait? ÉRIC Chhhut. ZOÉ Ils s’en vont. ÉRIC On peut plus rester ici. Ils vont revenir. C’est trop dangereux. ZOÉ Portland. ÉRIC On sait même pas si – ZOÉ On est encore vivants, nous deux. Peut-être que c’est génétique? Peut-être que toi et moi on est immunisés, donc lui aussi. ÉRIC Le Maine, c’est trop loin. ZOÉ On peut pas rester ici. Alors, pourquoi on essayerait pas d’aller à Portland? Il est encore vivant, je le sens. ÉRIC Zo... ZOÉ Moi j’y vais. ÉRIC Je vais quand même pas te laisser y aller toute seule... J’ai encore de l’essence dans l’auto. Mais on part demain, seulement. Dès qu’il fera clair. (Musique)