KARINA Y’a quelques années, j’étais passée devant la maison de papier maintenant devenue un grand vide. Une femme âgée se tenait devant et m’avait interpelée d’une certaine façon, par le regard je crois, en soutenant mon regard trop longtemps. C’est comme ça que les gens font ici, on se salue, et ensuite il nous est impossible de quitter la conversation. Cette femme vivait une forme de solitude, celle de l’isolement, du repli sur soi, de l’incapacité de faire, d’accomplir quoi que ce soit; la solitude d’une vie fatiguée. Elle avait été attirée par mon nouveau-né, et s’adressait à lui directement, en mentionnant tout haut son ennui et son désir d’avoir des petits-enfants, mais que la maladie l’en empêchait. Son histoire m’apparaissait décousue, j’étais pas certaine qu’elle soit malade réellement, mais ce que je voyais c’est qu’elle ne serait plus en mesure de prendre soin à l’avenir, ni de sa demeure, ni d’elle-même. Quand j’ai balayé du regard le paysage, j’ai vu que le gazon ne serait pas coupé, que les fleurs sauvages s'empareraient du terrain, qu’elles franchiraient la limite entre la cour et l’entrée de roche, que l’arbre dans le pot prêt à être planté dans le sol, resterait là des années durant et que ses épines passeraient du vert à l'orange. J’ai vu que les fenêtres resteraient embuées, que la toiture ne serait pas refaite et que cette femme s’évaporerait en quelques saisons, trois tout au plus. Je l’ai observée un temps, le temps qu’elle se fane de regarder l’enfant. Je n’ai pas su faire mieux que de continuer ma marche vers nulle part avec un sourire vide je crois, mais qui se voulait empathique. ZOÉ La neige fondait, annonciatrice d’un printemps nouveau, Cette même saison qui rehausse les ventes dans le marché immobilier. KARINA Sur la porte de cette maison, maintenant néant, il était inscrit à la main, au sharpie - assez grand pour rendre l’écriteau lisible de la rue. ZOÉ Il était inscrit sur la porte de la maison-néant en lettres majuscules, noir sur carton mousse blanc : « Make your offer. Fais ton offre. ». KARINA Comme un appel à l’aide. ZOÉ L’offre a été acceptée. KARINA L’occupante a quitté aussi rapidement que le temps qu’il aura fallu pour que le nouveau propriétaire placarde la maison et la laisse pour morte. Un an plus tard, le temps avait fait suffisamment son travail pour qu’un avis public de démolition soit affiché et que personne dans le quartier ne s’y oppose.