KARINA Le trou est béant, bien plus grand que la maison qui était érigée la veille. La maison, sans vie depuis deux ans, se fait plier en deux sous le poids d’un bulldozer qui passait par là. J’dis bulldozer, mais c’est que j’ai aucune idée. Mon enfance a pas été bercée par la machinerie lourde jaune de carré d’sable. Quand je fouille un peu, je réalise que dans le jargon, celui des personnes qui construisent et démantèlent, on parle d’une excavatrice, d’une pelle mécanique, d’un long bras articulé avec beaucoup de potentiel ravageur. Au volant du poids lourd, l’homme, étrangement jeune sans uniforme, sans même un indice de la compagnie qui l'emploie, se tient au volant de ce géant, dans une allure quasi banale alternant entre la lecture de ses notifications et la démolition d’une maison, post-habitée. En le regardant, mon corps se heurte, s’immobilise. Dans la rue, les voitures circulent dans les deux sens avec aisance et j’observe la scène surréaliste, figée par la grandeur du paysage. Devant moi, je fais face à une scène préhistorique : un brontosaure s’avance au sol et engloutit les plantes, végétaux et arbustes qui se trouvent sur son passage. La bête se déplace avec lenteur, mais aussi de façon saccadée, à la manière de micros convulsions, elle étire son long cou au-dessus du toit, toujours en place, se repositionne bien au centre, évalue la hauteur, monte légèrement la tête pour saluer le ciel et laisse retomber son poids sans retenue, sur le toit qui se plie, à la façon de l’origami. Les vitres tombent en éclats, les murs se déchirent, et la tête de l’animal enfonce la survivance dans le sol, à répétition. Jusqu’à plus rien. La poussière des débris s’élève dans le ciel et se confond à la brunante du paysage automnal. Quinze minutes, c’est le temps qu’il aura fallu pour plier la maison de papier et ne laisser qu’un grand vide dans le sol.