KARINA La famille s’est réunie dans le sous-sol de la maison d’ma tante. Nous regardons des vieux VHS qui nous mettent en scène, des décennies plus tôt. Des vidéos des années 90, quand nous étions enfants, mes cousins-cousines, mon frère et moi. Du temps où on vivait au lac David près de Chibougamau, chez mes grands-parents maternels. Les images défilent à l’écran : On voit un pédalo rose accosté sur le bord de l’eau, Ma mère qui envoie la main à la caméra, Princesse, le caniche de ma grand-mère. Et en arrière-plan, une serre immense construite à l’intérieur d’un garage tempo. C’est le début de l’été. Y’a mon grand-père qui sort des outils de la shed, Ça fait longtemps que je l’ai vu se mouvoir de la sorte, animé sur un écran cathodique, avec vigueur et force. Les muscles de ses bras et de son ventre se contractent pour hisser le bateau jusqu’au lac. J’entends sa voix, tout ça m’émeut et me surprend à la fois. J’impose à ma famille élargie une nouvelle cassette intitulée « Rang Ste-Madeleine, 1992. » Ma tante, 30 ans plus tôt, caméra à l’épaule improvise une visite guidée de sa nouvelle maison en se déplaçant d’une pièce à l’autre. Et là, la maison dans laquelle on est rassemblés pour visionner les films se retrouve à l’écran. Ma tante descend l’escalier qui mène au sous-sol. Je la vois capter des images mouvantes de la pièce où nous sommes. Rien n’a changé. Tout est identique et le décalage me frappe. Son présent se confond au mien, 30 ans plus tard, lorsque le lieu, celui du sous-sol, reste sensiblement le même et que j’imagine ma tante se diriger vers moi. J’imagine que je pourrais entendre le bruit de ses pas dans l’escalier ; qu’elle passerait le cadre de la porte, et que son présent se superposerait au mien, dans une forme d’interférence frôlant l’ésotérisme. Que le temps ne serait plus linéaire, mais malléable, Une boucle infinie de chevauchements Que j’aurais à la fois quatre ans et trente-quatre ans Que je serais à la fois mère et enfant Amoureuse et veuve