ZOÉ Au départ, je me suis aménagé un matelas simple au sol, parce que je ressentais le besoin de démontrer physiquement mon désir de dormir seule pour un moment indéterminé. Ma chambre s’est vite retrouvée au rez-de-chaussée dans un espace ouvert, mais que je trouvais convenable. J’ai toujours aimé ne pas avoir de chambre. Il faut dire que j’ai vécu la majeure partie de ma vie à partager l’espace du lit avec une autre personne, que ce soit un partenaire amoureux ou mes propres enfants avec qui j’ai pratiqué le cododo pendant une décennie : concept horrible à long terme. Je dormais jamais seule et ça m’épuisait à m’en rendre malade. J’ai donc opté pour un matelas simple au sol, question que personne n’envie mon espace de vie et n’ait l’idée de se joindre à moi pendant la nuit. Lorsqu’ils étaient assoupis, je baissais la garde. J’ai choisi la pièce de choix pour les récalcitrants, un solarium mal isolé : glacial par temps froid et qui sent fort la pisse de chien par temps chaud. Et avec le temps et les saisons, et la solitude qui revenait au galop, l’espace de la chambre s’est dessiné, j’ai ajouté une commode pour ranger les vêtements, certains jouets des enfants se sont retrouvés au sous-sol, le matelas simple s’est transformé en matelas double, Surélevé sur une base en teak wood trouvée sur Kijiji. Le tout agencé à une table de chevet, ornée par une lampe dépareillée et magnifique. Après plusieurs mois à dormir à découvert, j’ai créé une cloison; quelque chose qu’on nomme intimité. Des rideaux laissant passer la lumière le jour. Et la nuit, les ombres chinoises de nos corps enlacés. Plus tard, le vieux prélart qui recouvrait le sol et qui sentait fort la pisse de chien, ce vieux plancher vert forêt, a été remplacé par du bois franc offert par l’ami de l’homme avec qui je pratique les ombres chinoises affectives. Cet ami est un agent immobilier, un vrai, contrairement à moi, et possède plusieurs immeubles en plus de tapisser les autobus de la ville entière de son portrait. Je ne le juge pas, j’observe simplement. J’ai su plus tard que cet ami au prénom convenu vivait dans une maison estimée dans les sept chiffres dans un quartier prisé d’Aylmer qui abritait à l’origine des chalets modestes. Le plancher qu’il m’a refilé était pour lui des restants. Une façon charmante de dire que je mangeais dans ses poubelles. J’ai toujours su que j’étais déchétarienne.