Signal nocturne

En compagnie de l’animateur et réalisateur Julien Morissette, l’autrice, comédienne et militante innue Natasha Kanapé Fontaine retrace l’évolution de son écriture poétique. Elle revient aussi sur l’œuvre Kuei, je te salue : Conversation sur le racisme, coécrite avec l’auteur québéco-américain Deni Ellis Béchard. Au fil de la conversation, Natasha Kanapé Fontaine parle de timidité, de survivance, de silence et d’équilibre. On la suit, captivée, dans ce parcours à rebours jusqu'à ses origines.

L’entretien avec Natasha Kanapé Fontaine s’est tenu dans le cadre du Cabaret des variétés littéraires, un projet de la Maison des Arts littéraires et du Salon du livre de l’Outaouais.

Show Notes

En compagnie de l’animateur et réalisateur Julien Morissette, l’autrice, comédienne et militante innue Natasha Kanapé Fontaine retrace l’évolution de son écriture poétique. Elle revient aussi sur l’œuvre Kuei, je te salue : Conversation sur le racisme, coécrite avec l’auteur québéco-américain Deni Ellis Béchard. Au fil de la conversation, Natasha Kanapé Fontaine parle de timidité, de survivance, de silence et d’équilibre. On la suit, captivée, dans ce parcours à rebours jusqu'à ses origines.

L’entretien avec Natasha Kanapé Fontaine s’est tenu dans le cadre du Cabaret des variétés littéraires, un projet de la Maison des Arts littéraires et du Salon du livre de l’Outaouais.



Transistor Média, basée à Gatineau (Québec), est une boîte de création, de production et de diffusion d'œuvres audios. En plus de ses balados, l’organisme tient annuellement le Festival Transistor et le Kino-radio.

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Creators & Guests

Host
Julien Morissette
Co-fondateur et directeur artistique de Transistor Média, Julien Morissette a réalisé et animé plus de 200 épisodes de balados comme Synthèses, Daniel Bélanger : Rêve encore, Signal nocturne, L'heure de radio McGarrigle et Les amours extraordinaires.

What is Signal nocturne?

Chaque vendredi sur le coup de 22 h 00, Julien Morissette reçoit des artistes de partout au Québec, issus de la littérature, du théâtre, du cinéma et de la création sonore et musicale. Découvrez des entrevues passionnantes, des textes inédits, des performances intimes et des conceptions sonores envoûtantes. Une production de La Fabrique culturelle de Télé-Québec, en collaboration avec Transistor Média.

ID INTRO
Ce balado est une présentation de La Fabrique culturelle de Télé-Québec, en collaboration avec Transistor Média

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 1]
Joséphine Bacon a écrit :

Je vais au bout de la nuit
Pour trouver la meilleure version de moi

Depuis les berges de la rivière des Outaouais, vous écoutez Signal nocturne.

THÈME SIGNAL NOCTURNE

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 2]
Ce soir, c’est le début d’une saison nouvelle.
Avec François, le gardien du phare, on reprend du service pour traverser l’automne et l’hiver avec vous.
On ouvre grand les portes du studio pour des nuits blanches avec des poètes, des dramaturges, autrices, scénaristes, musiciens, réalisatrices…
Des discussions et des lectures,
Dans le halo rouge de cette ampoule qui m’indique qu’on est en ondes, avec vous.
Et j’espère, secrètement qu’elle ne s’éteindra jamais.

Pour bien commencer ce grand périple, on entre dans l’univers de l’écrivaine, poétesse, traductrice et actrice autochtone Natasha Kanapé Fontaine.

Natasha passe une nuit avec nous pour parler de son écriture et de son engagement qui prend plusieurs formes, depuis son premier recueil de poésie N'entre pas dans mon âme avec des chaussures.

Écoutons tout d’abord la comédienne Camille Paré-Poirier nous lire un extrait de ce recueil paru en 2012, chez Mémoire d’encrier.

CAMILLE PARÉ-POIRIER [lecture 1]

Là-bas, au Nord! s’était-il écrié le ciel
les feuilles volent seules, avant de mourir
un feu, brûlant de l’intérieur
et je me mets à rire
te faire sourire
à l’intérieur
sur la toundra inhabitée
il vente, un cri étouffé,
la vie
s’étend dans l’espace
nos existences se croisent, en fil de capteur
je songe
les couleurs des boréales
soir, piqué de montagnes sacrées
fondues dans l’immensité des subconsciences

tes doigts sur ma peau
mes cheveux
perlés de nacre

pour toi faire entendre une folie bergère
la tendresse est un vent contraire

ENTREVUE 1

[00:00:01.160] - Julien Morissette
Kuei Natasha Kanapé Fontaine, Comment ça va?

[00:00:04.370] - Natasha Kanapé Fontaine
Kuei, ça va bien

[00:00:32.110] - Julien Morissette
Ça te fait quoi d'entendre des textes qui ont été écrits et publié il y a presque dix ans?

[00:00:37.920] - Natasha Kanapé Fontaine
Mais au début, je me suis demandé si c'était vraiment moi... Hahaha! Je fais comme « j'ai pas écris ça » hahaha! Puis après, j'tais comme « c'est vrai, mais oui » puis ensuite... Euh... C'est rare que/bin c'est rare, pas c'est rare mais quand ça m'arrive, c'est c'est pas souvent, c'est... Quand ça m'arrive d'entendre les mots, surtout du premier recueil, au début, justement, ça me fait tout le temps ça, comme « Ah j'ai écrit ça? » Ouais je suis pas sûre si c'est vraiment de moi, t'sais, puis tout d'un coup après, ça me rappelle quand j'avais 20, 21 ans, quand j'ai écrit ce livre là, puis euh...

[00:01:13.280] - Natasha Kanapé Fontaine
...toutes les images qui m'habitaient puis là j'étais comme « Oh mon Dieu, c'est... » Justement je suis pas rendue loin de ça, mais c'est vraiment quand/quand j'avais 20 ans, t'sais puis là j'ai 30 ans.

[00:01:23.320] - Natasha Kanapé Fontaine
Puis c'est... tout, tout autre... je sais pas comment dire - toutes/plein d'autres images qui m'habitent présentement, puis je me dis « Ah, j'me rappelle dans quelle espèce de... » Ce n'était pas une innocence ou une naïveté mais c'était vraiment comme, c'est ça qui m'habitait à ce moment là, c'est en ça que je croyais. Puis aujourd'hui, c'est sûr, en dix ans, j'ai beaucoup appris sur le monde dans lequel on vit puis justement, ces croyances là sont un peu plus loin, euh... ces espoirs là, ces espérances là, sont un peu plus loin mais euh... Aujourd'hui, j'essaie d'en fabriquer d'autres. Par la poésie, justement.

[00:01:57.810] - Julien Morissette
Mais comment ton rapport à la poésie a évolué ou changé en dix ans si/ si y'a évolué, peut-être que non mais... Est ce que ton rapport à cette écriture là évolue?

[00:02:08.640] - Natasha Kanapé Fontaine
Mais c'est comme présentement, je suis en train de travailler sur le cinquième puis... C'est comme euh... Ça fait déjà/déjà trois ans depuis le dernier, puis en trois ans, dans les trois dernières années, il y a beaucoup de choses qui se sont passées. J'ai l'impression, puis... Ces choses là, nous nous ont, j'pense, tous transformés, tous et toutes, toustes, puis... Puis, on est encore en train d'être transformés, on est - pour moi - on est dans une transition pis moi, c'est... J'essaie de rester la la, la poète, justement, dans son rôle de témoin du monde, de témoin des changements, puis justement, dans dans la poésie que/sur laquelle je travaille, c'est... c'est... C't'é avant la pandémie, c'était déjà une poésie de solitude, de retour dans le territoire et j'explore cette idée de de... Si je retournais chez moi, euh, comme j'arrive... Mettons, dans les faits, j'arrive pas matériellement à y retourner, j'ai/j'arrive pas/j'arrive pas physiquement à y retourner, puis si je devais y retourner, même en dedans/dans un lieu imaginaire, dans Nushimut, j'y serais seule de toute façon, puis donc je suis en train d'explorer cette idée et je sais que je suis vraiment comme influencée par tout ce qui se passe autour...Mais dans ma tête, je suis incroyablement seule avec le territoire et je suis en train enocre de... De tenter de mettre des mots dessus.

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 3]
En 2016, Natasha Kanapé Fontaine a co-écrit Kuei, je te salue. Conversation sur le racisme, un échange avec le romancier et reporter Deni Ellis Béchard. Cinq ans plus tard, Écosociété a publié une deuxième édition avec de nouvelles lettres qui nous permettent de constater l’évolution de la réflexion des deux artistes…
Natasha a noté un certain changement dans le rapport entre autochtones et allochtones depuis 2016.

[00:07:34.280] - Natasha Kanapé Fontaine
J'ai l'impression qu'on traverse un moment où euh... J'utilise souvent l'image, euh, t'sais quand on... On se met à brasser le tapis, puis y a toutes les bibittes qui sortent toutes, là.

[00:07:44.750] - Julien Morissette
Oui.

[00:07:44.900] - Natasha Kanapé Fontaine
Puis pourtant, ça fait longtemps qu'on marche sur le même tapis puis on le trouve bin beau puis on est comme « Ah, bin, un moment donné on va laver » t'sais, mais maintenant qu'on le lave, y a tout ça qui sort... (rire) Puis j'me dis, euh... On traverse vraiment un moment charnière qui était presque quelque chose qu'on qu'on, je pense qu'on a pu/qu'on aurait pu prévoir, puis qui est très logique, dans le sens que pendant longtemps, on, on... On s'est fait raconter une histoire du continent, une histoire de la colonisation où il y avait/ oui, il y avait des gens au début, puis finalement, au moment/pendant qu'on racontait l'histoire, on s'est dit « Bin on va effacer le début, t'sais, on on va effacer le monde qui sont là. On a fait croire à la population en général qu'il n'y avait que des Blancs sur le territoire puis on a fait croire qu'il n'y avait pas d'autres cultures meilleures que (tout ça) - en tout cas pas meilleure - mais je veux dire c'est/la culture qui est ici est la meilleure, est meilleure que d'autres, t'sais puis ça c'est toujours le même schéma, dépendamment des lieux où il y a eu la colonisation, le peuple dominant se crée un discours ou une histoire où c'est lui le vainqueur et donc réécrit l'histoire, efface toutes les versions des des vécus, des expériences de ceux qui sont là, euh...

[00:08:48.860] - Natasha Kanapé Fontaine
Et, et je me dis c'est sûr qu'on est en train de tout déconstruire, de toute faire tomber. C'est sûr, c'est la panique, c'est la... C'est de d'avoir/aussi, l'idée de la domination, je pense que pour certains qui ont grandi, là-dedans, c'est, c'est dur quand même à faire tomber parce qu'on a construit l'ego, l'arrogance,

[00:09:08.840] - Julien Morissette
Les privilèges aussi...

[00:09:09.680] - Natasha Kanapé Fontaine
/Oui les privilèges mais la société en général, la... L'idée que/juste d'aller au travail, c'est une hié/une hiérarchisation puis ça fait partie intégrante de, de, de... De la construction, du colonialisme et de la colonisation et du discours du, du, du peuple qui a réussi à arriver ici, donc c'est...

[00:09:29.320] - Natasha Kanapé Fontaine
En ce moment, les, les/justement, tous ceux qui ont pu être opprimés, sont en train de, de... D'avoir une voix puis ça fait une dizaine d'années, environ, où on donne vraiment de plus en plus la parole à/à tous ceux qui ne l'ont jamais eue, et c'est sûr que ça vient brasser les, les, les constructions du monde, euh puis... Dans lesquelles beaucoup ont été longtemps confortables, euh... Et, et, et donc, tout ce qui vient avec ça, c'est justement quand l'ego tombe, y a toutes les réactions possibles qui se peuvent, mais ce ne sont que des mécanismes très humains et donc on est vraiment, j'trouve, on est rendu dans, dans, dans la pureté même de l'humanité, qu'elle soit bonne ou mauvaise, t'sais qu'elle soit euh justement euh... Extrêmement belle ou, ou même euh horrible, t'sais.

[00:10:17.100] - Natasha Kanapé Fontaine
Et je trouve ça assez spécial quand même, de voir justement c'est/comment que ça ressort, comment l'humain lui-même, ressort dans ses extrêmes, euh...

[00:11:03.520] - Natasha Kanapé Fontaine
Et c'est sûr, même la colonisation, a été possible t'sais mais j'ai l'impression que, euh, il n'y a pas nécessairement une reprise de pouvoir, mais plutôt une reprise de possession de, de... D'un équilibre qui avait ici, même si aujourd'hui on pourrait dire les anthropologues ou les historiens diront qu'il n'y en avait pas... Mais notre conception des équilibres était différente

[00:11:26.290] - Julien Morissette
Ouais.

[00:11:26.290] - Natasha Kanapé Fontaine
Et, et je pense que c'est cet équilibre là qui qui a, qui appelle à revenir et on devient les vecteurs de ça, on devient les, les, les canaux - C-A-N-A-U-X (rires) - de, de, de de cet équilibre là qui veut revenir et pour moi, encore, par la poésie, si... Si le territoire sur lequel on habite, qui, qui, qui crée ces mouvements là, euh qui, qui demande à ce qu'on revienne, à ce que l'être humain est capable du plus beau, justement, de, de, de... De ces relations entre cultures euh, et les cultures sont les manifestations du territoire aussi, à mes yeux, donc, c'est, c'est, c'est tout ce qui revient tranquillement et les narratifs sont les vecteurs les plus importants, euh, des manifestations du territoire.

[00:12:15.830] - Natasha Kanapé Fontaine
Et si justement, on reprend nos cultures, donc on ramène ces narratifs là, on ramène ce que le territoire veut de nous dans l'espace public, dans tout ce qui circule, eiuh, dans l'air, sur les ondes entre nous et et, c'est là je trouve qu'on va vraiment finir par, euh, trouver un équilibre, mais c'est un long chemin. justement, l'ego de l'être humain a encore beaucoup à à à apprendre pour revenir à quelque chose de moins démesuré.

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 3]
Natasha Kanapé Fontaine nous lit un extrait du chapitre 18 de Kuei, je te salue, et elle nous parle ensuite de la forme épistolaire de l'œuvre.

NATASHA KANAPÉ-FONTAINE [lecture]

[00:00:29.900] - Natasha Kanapé-Fontaine
Depuis qu'on a eu cette conversation... Bin au départ, en plus, on imaginait comme pouvoir échanger, euh... Peut-être (rire) trop simplement sur le racisme, t'sais... D'échanger un peu nos, nos réflexions, nos savoirs, euh, mais on s'attendait pas à tomber aussi rapidement dans nos expériences personnelles pour raconter le racisme, en fait. Et on s'est rendu compte, finalement, que sss... On veut bien théoriser sur le racisme ou la discrimination puis aller chercher les s/les chiffres, puis les statistiques, mais en fait le, le racisme, quand on en parle, surtout pour ceux qui le vivent, bin justement c'est une expérience qui est intrinsèque à leur quotidien, à notre quotidien, pis...pour moi, je vois encore trop tout ce qui est rattaché justement au colonialisme, puis y'a, y'a aussi le néo-colonialisme qui qui habite, sans qu'on le sache, toutes les structures puis/et toutes les structures de pouvoir, je veux dire puis, qui, qui, qui font des choses dont on/on n'en/on n'entend jamais parler, dont on ne saura jamais quelque chose, t'sais, et et donc, en-arrière du décor, il y a tout, tout ce qui se passe, qui fait en sorte que, justement, encore, il y a une majorité qui bénéficie de/des rapports de force entre, entre ceux qui ont la bonne couleur de peau et ceux qui ont pas la bonne.

[00:02:44.080] - Natasha Kanapé-Fontaine
Euh... Et et dans cette conversation là, euh, justement, par rapport à maintenant, tout ce que je sais, je relis ça puis j'me dis « Mon Dieu, j'ai écrit ça » alors que je savais pas encore grand chose, entre guillemets (rires), pourtant, c'est... J'en savais un peu, dans le sens que j'avais mon expérience, justement, du racisme puis tout ce que je pouvais observer dans les milieux dans lesquels j'évoluais, j'évoluais pis tout, tout ce qui a qui a forgé ma vie, finalement mon adolescence, en étant quelqu'un qui a grandi en ville, surtout dans dans une Côte-Nord des années 90/2000 où il y avait encore qu'une dualité, en fait : les Innus et les Québécois, euh... Les Indiens, puis les Blancs, t'sais c'état...Et j'ai été forgée par ça, et en plus, sans savoir, c'était tout ce qui était post-la crise d'Oka, t'sais en 90-2000, on était encore dans les effets de ça et, et/
quand j'arrive à comprendre les effets pis comment est-ce que moi, dans les années fin 2000-2010, j'évolue dans un monde où quand j'arrive à l'école, je dis que je suis Innue puis on sait même pas qu'est ce que ça veut dire, puis moi même, je ne sais pas encore exactement qu'est ce que ça veut dire, t'sais quand... Il y a comme une/une amnésie, euh, qui est/qu'on nous a... donné, ou est-ce/ou est-ce que c'est peut être une amnésie qui est traumatique, t'sais qui est en/qui est une réponse traumatique à la crise d'Oka, je ne sais pas, t'sais y'a/je pense qu'il y aurait tellement de choses à aller euh, rechercher là dedans. Mais je me dis, euh... C'est sûr, ça forge, encore même aujourd'hui, ma façon d'être et ma façon de réfléchir, même dans un monde où, où... Vraiment, Je pense, beaucoup de choses commencent à s'ouvrir et et et c'est drôle comme des fois encore, j'me dis, est-ce que dans mes réactions, je suis encore justement en... en, en réponse traumatique à tout ce que j'ai vécu pi que j'amène ça avec moi, à quel point est-ce que je/je transporte mes traumatismes avec moi et que je risque peut-être de les transmettre à d'autres t'sais c'est, c'est... Euh, mais je m'éloigne (rires).

[00:05:53.340] - Julien Morissette
Non, mais c'est, c'est super intéressant. Je me demande est-ce que c'est par... Survivance que tu le fais?

[00:06:00.830] - Natasha Kanapé-Fontaine
Je pense que oui, je pense que y'est/j'ai passé une grande partie de ma vie rien qu'à survivre, puis à faire ce que je faisais par survivance, euh puis, en ce moment, justement, je suis dans cette réflexion là, t'sais, comment est-ce que j'arrive à un moment de ma vie où je ne suis plus en survie puis je suis vraiment rendue dans, dans un certain équilibre, où je ne suis plus dans cette dynamique là. Et pourtant, le, le trauma colonial et le trauma intergénérationnel qui vient des pensionnats y est toujours en arrière-plan.

[00:06:32.990] - Natasha Kanapé-Fontaine
Et donc, j'apprends en ce moment à mettre des mots dessus puis pouvoir raconter cette expérience-là parce que je pense que... Pour beaucoup, on est, on est dans la survie simplement parce que c'est traumas-là sont juste derrière nous pi on veut faire comme s'ils n'étaient pas là. On, on, on élabore des stratégies d'adaptation, comme on appelle en psychologie, pour, pour faire un moment donné, comme si ça existait pas.

[00:06:57.070] - Natasha Kanapé-Fontaine
Il y a aussi la génération de nos parents qui sont les enfants des survivants des pensionnats, qui qui veulent vraiment mettre encore ça derrière et et pourtant si nous, on ne sait pas que ça vient des pensionnats, on peut pas avancer... Euh, je pense, parce que sinon, on fait juste comme être en déni, peut-être, ne jamais savoir comment prendre soin de soi, puis être justement dans le self-care, puis justement comment euh... enseigner ça à nos enfants qui, eux, seront ceux qui vont porter encore la trace des pensionnats, mais peut-être si on fait rien, puis si on dit rien, ne sauront pas dans leur façon d'être, qu'est ce qui vient de ça, t'sais, alors qu'ils méritent, on mérite tous de, de connaître, j'pense chaque partie de soi, euh...

[00:07:40.760] - Natasha Kanapé-Fontaine
Mais la conversation, pour revenir, pour moi, euh... Souvent, on veut parler de dialogue ou de réconciliation, déjà ce que j'ai/ce que moi j'établis, c'est qu'y a pas de réconciliation s'il n'y a pas de réparation. Puis, dans une époque où on vient de vivre ce qui s'est passé avec Joyce Echaquan, ce qui est, ce qui est arrivé à Joyce Echaquan, on en est loin encore, j'pense, de comprendre comment est-ce qu'on peut réparer ce qui s'est passé.

[00:11:49.110] - Julien Morissette
Tout à l'heure, tu parlais des survivance et de... De cette notion, peut-être de silence, et j'ai le goût qu'on... Qu'on termine sur cette note-là, même en en citant un passage moi qui m'avait vraiment happé en lisant ou tu écris « Ne pas savoir dire, ne pas savoir parler. Cela engendre bien des conflits, beaucoup d'incompréhension, beaucoup de silence. »

[00:12:11.400] - Julien Morissette
Je veux te poser cette dernière question là : « Qu'est ce qui te permet l'écriture »

[00:12:15.540] - Natasha Kanapé-Fontaine
De parler. (Rires). C'est, c'est euh... j'étais quelqu'un qui a été très timide et même quasi muette pendant des années. Euh, puis quand j'ai commencé à écrire comme les gens me posaient de plus en plus de questions, mais j'ai... Des fois, quand je n'arrivais pas à répondre, mais c'est sûr, des fois, c'était frustrant, euh... Mais j'/j'allais comme chercher le plus d'informations possible puis je, je, j'ai été faire du théâtre parce que je voulais vraiment sortir de ce cocon là puis maintenant, je comprends d'où ça vient et justement puis je suis comme « Ah, c'est correct » t'sais, (rires), j'me prends dans mes bras puis j'tais comme « Ah, c'tait correct, c'est normal » de, d'être quelqu'un comme ça, puis finalement justement, de de de parler, puis de, de/d'avoir aussi j'pense la passion d'écrire, de faire la recherche, de, d'apprendre, de voir le monde, tout ça, ça... J'étais comme, j'ai... J'étais insatiable par rapport à ça, t'sais, puis encore aujourd'hui, je, je, je le suis, mais c'est euh...

[00:13:18.440] - Natasha Kanapé-Fontaine
Mais c'est drôle parce que comme je disais dans le recueil, sur lequel je travaille, je suis beaucoup dans le silence puis les poèmes viennent, mais sont, sont pas très longs, puis je suis comme « Mon Dieu » (rires). « C'est pas beaucoup! » (Rires)

[00:13:32.480] - Natasha Kanapé-Fontaine
Mais on dirait que justement c'est, le silence est en train de changer, de, de de forme, finalement, avant c'était un silence de quelqu'un qui était oppressé et maintenant, c'est plutôt le silence de quelqu'un qui/qui a tellement réussi à tout dire, que là c'est comme la réflexion puis c'est comme aussi, peut-être un moment où la méditation rentre puis c'est le moment où je peux enfin, comme même dans l'imaginaire, retourner dans mon territoire, puis me dire que j'ai réussi à faire beaucoup.

[00:14:04.310] - Natasha Kanapé-Fontaine
Il y a encore du chemin à faire, mais juste retourner chez moi, ça va être le... Le, la, le La fin, la plus belle fin que je pourrais avoir.

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 5]
On se laisse avec la poésie de Natasha Kanapé Fontaine, lue par la comédienne Camille Paré-Poirier

CAMILLE PARÉ-POIRIER [lecture 3]

Sous tes ongles
grains de sable
Il y a l’asphyxie
Il y a toi

Les animaux traversent
les océans à la nage

Territoires occupés
Utopies liquides.

/

Je jette mes pieds
à la vague qui les dévore
Ma peau, asséchée, digérée par les corbeaux

Les algues recouvriront nos dépouilles
au lendemain de la houle.

La plus lente
respiration,
étendue,
flotte sur les vagues sinueuses

épouse le large.

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 5]

Avant de vous dire au revoir, j’veux remercier notre invitée Natasha Kanapé Fontaine qui est venue nous rendre visite dans le Vieux-Aylmer.

Je tiens également à remercier toute l’équipe de Signal nocturne :

Pour Télé-Québec
-La coordonnatrice Nadine Deschamps, coordonnatrice
-La technicienne de production Erica Coutu-Lamarche
-La chef de contenu Ariane Gratton-Jacob
-L’édimestre Sophie Richard
-Et la directrice de La Fabrique culturelle et des partenariats, Jeanne Dompierre

À Transistor Média
-François Larivière au montage, mixage, à l’habillage sonore et musical
-Steven Boivin à la musique originale
-Sophie Gemme à la recherche
-Claire Thévenin, chargée de production
-Louis-Philippe Roy aux communications
-Stéphanie Laurin à la production exécutive

Abonnez-vous dès maintenant à Signal nocturne dans l’application de balado de votre choix ou écoutez-nous sur lafabriqueculturelle.tv, on vous propose un nouvel épisode chaque vendredi soir.

Je m’appelle Julien Morissette, bonne nuit.