FAUTE DE MIEUX, par Jindra Kratochvil

Faute de mieux, une chronique de Jindra Kratochvil (École urbaine de Lyon/Cité anthropocène). 
Une chronique d'auteur, résolument spéculative, qui s'appuie sur le réel pour aller voir ce qui se trouve de l'autre côté. S'y entassent peut-être de vieilles idées, des rêves inachevés en attente de traitement, des coquilles conceptuelles y parsèment des chemins qui, naturellement, mènent presque partout et nulle part en particulier. 

Une Coproduction École urbaine de Lyon/Université de Lyon & Cité anthropocène, en partenariat avec Radio Bellevue Web, avec le soutien financier de la Ville de Lyon.

What is FAUTE DE MIEUX, par Jindra Kratochvil?

Faute de mieux, une chronique de Jindra Kratochvil (www.kratochvil.tv).
Une chronique d'auteur, résolument spéculative, qui s'appuie sur le réel pour aller voir ce qui se trouve de l'autre côté. S'y entassent peut-être de vieilles idées, des rêves inachevés en attente de traitement, des coquilles conceptuelles y parsèment des chemins qui, naturellement, mènent presque partout et nulle part en particulier.

#3 Faute de mieux : des espèces en voie d’apparition

Elles font partie intégrante de nos vies, nous les croisons quotidiennement, sans forcément nous en rendre compte, sans réaliser à quel point nos modes de vie leur offrent des conditions d’évolution uniques, inespérés. Nous avons tendance à les ignorer mais parfois – parfois – nos regards se croisent et alors il n’y a pour ainsi dire aucun doute possible : Nous sommes bel et bien face à des espèces en voie d’apparition.

Chères auditrices, chers auditeurs, vous écoutez "Faute de mieux", une chronique de Jindra Kratochvil sur les ondes quelquefois équivoques de la Radio Anthropocène. Et aujourd’hui, nous allons aborder un sujet brûlant et relativement inquiétant car il concerne tout un symbole, un symbole régional important, on pourrait presque parler d’une divinité – eh oui, vous avez peut-être deviné, il s’agit de la marmotte des Alpes, également connue sous son nom officiel de Marmota marmota .

Elle incarne une capacité d’adaptation à des conditions extrêmes de vie à plus de 1300 m d’altitude, et ce avec une élégance insolite qui la propulse au rang de véritable idole de la jeunesse puisqu’elle passe à peu près la moitié de son temps à manger et l’autre moitié de son temps à dormir, et ça, d’après un échantillon significatif de la jeunesse, c’est vraiment stylé.

Hélas, hélas, la marmotte de Alpes serait elle aussi sur la liste des espèces de plus en menacées. Par les activités humaines, bien sûr, puisque 98 % des pentes alpines sont désormais pressenties pour faire partie du plus grand domaine skiable de l’univers connu, mais pas que. La marmotte des Alpes serait également de plus en plus menacée par une autre espèce dont on ignore pour l’instant le nom, mais qui prétend être sa lointaine cousine. Sa présence a déjà été constatée dans une quasi-totalité des magasins de souvenirs du territoire alpin et péri-alpin, dans de très très nombreux bureaux de tabacs, stations de service, offices de tourisme des villages les plus perdus, mais aussi : des hôtels, des restaurants, des cafés, et jusqu’aux chalets et appartements privés parfois même fort éloignés de la montagne.

La tentation est grande de réduire cette affaire à un cas banal d’espèce invasive : il est vrai que, la plupart du temps, la prétendue marmotte porte dans son dos une étiquette qui indique la mention « MADE IN CHINA » -- et de nombreux observateurs ont d’ailleurs aperçu l’animal voyager bravement sur la lunette arrière des automobiles. Mais ce serait oublier de nombreux signes alarmants dont cette nouvelle espèce est pourvue, et qui permettent de supposer qu’il s’agit là des modifications génétiques ayant abouti à des transformations morphologique rarement étudiées. L’une des malformations les plus évidentes et les plus souvent constatées est par exemple la dysplasie oto-faciale, soit le fait que le museau qui se trouve sur le front de la marmotte.

Depuis le 9 mars 2023, l’Institut d'urbanisme et de géographie alpine situé à Grenoble consacre une exposition de recherche à ce phénomène troublant, une exposition qui permet de prendre la mesure de la gravité de la situation. Il semblerait en effet que la marmotte industrielle soit en quelque sorte une espèce annonciatrice d’un changement plus large et beaucoup plus radical. Et nul n’est aujourd’hui en mesure de savoir ce que cette espèce est vraiment capable de devenir.

L’évolution est pour ainsi dire ouverte aux éventualités les plus insolites, voire les plus monstrueuses. Allons-nous assister à l’éloignement progressif de Marmota marmota qui faisait depuis toujours le bonheur des petits et les grands ? A l’apparition d’espèces dérivées préoccupantes ? Des marmottes prédatrices, par exemple, capables de s’attaquer au grand gibier, voire, un jour, à l’humain ?

Force est de constater que les dérives de l’imaginaire industriel poussent toujours plus loin la frontière qui nous sépare du monde réel et de ses résidents, et l’une des bonnes choses à faire sans tarder serait certainement de prendre la direction des alpages qui commencent tout doucement à fleurir, et d’aller rafraichir sa mémoire en surprenant gentiment quelques spécimen de Marmota marmota en train de sortir affamées de leur longue léthargie hivernale.