Les balados du CIRCEM




Descriptif : Cet épisode des balados du CIRCEM de la Série de conférences Mauril Bélanger est le second de quatre balados consacrés à l’immigration francophone. Luisa Veronis et Janaína Nazzari Gomes, chercheures en immigration, francophones et immigrantes, y entreprennent une réflexion sur la question de l'accueil et de l'intégration des immigrants en francophonie minoritaire appuyée par des données issues de leurs recherches. Après une mise en contexte des objectifs de l’immigration francophone et des avancées accomplies, elles abordent les discours entourant les pratiques d’accueil et d’intégration des immigrants d’expression française. Elles fournissent ensuite des recommandations et quelques pistes d’action pour les acteurs de terrain et les décideurs politiques, qui peuvent aussi renseigner les personnes qui souhaitent mieux comprendre les thématiques reliées à ces enjeux.

What is Les balados du CIRCEM?

Les balados du CIRCEM visent à promouvoir la recherche interdisciplinaire sur la citoyenneté démocratique et les groupes minoritaires et minorisés, à partir de la tradition intellectuelle du monde francophone.

[Musique de fond]

00:03 Marie-Hélène Frenette-Assad
Les balados du CIRCEM visent à promouvoir la recherche interdisciplinaire sur la citoyenneté démocratique et les groupes minoritaires et minorisés, à partir de la tradition intellectuelle du monde francophone. Le présent balado est réalisé dans le cadre de la série de conférences Mauril Bélanger.

[Fin de la musique de fond]

00:20 Janaína Nazzari Gomes
Tout d'abord, nous vous souhaitons la bienvenue à cette série de balados sur l'immigration francophone, qui est produite dans le cadre des conférences Mauril Bélanger, sous la direction du CIRCEM. Je m'appelle Janaína Nazzari Gomes, je suis chercheure postdoctorale en sociolinguistique à l’Institut des langues officielles et du bilinguisme de l’Université d’Ottawa et je vous présente ma collègue Luisa.

00:46 Luisa Veronis
Merci, Janaína. Donc, je m'appelle Luisa Veronis, je suis professeure de géographie et titulaire de la chaire de recherche sur l’immigration et les communautés franco-ontariennes à l’Université d’Ottawa. Donc, tout d'abord, on voulait vous présenter notre série de balados sur l'immigration francophone, qui cherche à approfondir et examiner de manière critique les questions en lien avec cet important débat au sujet de l'immigration francophone. Ceci est le deuxième balado d'une série de quatre. Dans le premier balado, nous expliquons quelle est la place de l'immigration francophone dans le contexte plus large de la politique canadienne de l'immigration. Nous offrons une analyse critique des problèmes et des enjeux liés avec cette politique, qui est pourquoi elle ne permet pas vraiment d'atteindre les objectifs. Nous avons aussi essayé d'expliquer le besoin d'une politique d'immigration francophone qui soit plus autonome, pour pouvoir mieux répondre aux besoins des communautés francophones.

01:49 Janaína Nazzari Gomes
Et dans ce deuxième balado, nous souhaitons entreprendre maintenant une réflexion sur les notions et les pratiques d'accueil dans les communautés francophones. Nous aimerions notamment revenir sur les discours qui entourent l'immigration francophone, ainsi que sur des questions en lien avec les pratiques d'accueil et d'intégration. Ce sont des enjeux qu'il faudrait surmonter pour assurer la réussite de cette immigration, tant pour les immigrants que pour les communautés francophones. En tant que chercheures en immigration, francophones et immigrantes nous-mêmes, nous démarrons nos réflexions à partir des données issues de nos recherches, afin d'approfondir des débats déjà entamés, mais qui à nos yeux doivent aller plus loin et qui nous semblent essentiels pour mieux assurer l'épanouissement des communautés qui ont le français en partage. Nous comptons ainsi fournir des recommandations et quelques pistes d'action pour des acteurs de terrain et pour des décideurs politiques, mais également pour renseigner les personnes qui souhaitent mieux comprendre les thématiques reliées à l'immigration.

03:05 Luisa Veronis
Donc commençons au début, avec une mise en contexte pour expliquer quels sont les objectifs de l'immigration francophone et aussi tout ce qui a déjà été accompli. La politique de l'immigration francophone actuelle est le résultat de revendications par les communautés francophones et acadienne depuis le début des années 90, pour surmonter le déclin de leur poids démographique relativement à la population canadienne totale. On parle beaucoup dans les médias que les pourcentages de francophones sont à la baisse. Les francophones représentaient 6% de la population canadienne en dehors du Québec en 1971, mais leur pourcentage est tombé à 3,3% au recensement de 2021, soit presque la moitié de cette proportion, et ce, bien que le nombre reste relativement stable, autour d'environ 1 million de personnes. Donc, leur nombre n'augmente pas vraiment, alors que la population canadienne totale augmente nettement, et ce, surtout par l'apport de l'immigration. Pourtant, au Canada, le poids démographique des communautés de langue officielle en situation minoritaire est important non seulement pour l'utilisation, la pratique de la langue au quotidien, par exemple, quelle langue on va parler quand on va dans les magasins ou quand on rencontre des gens dans la rue, mais aussi parce que le poids démographique permet de justifier, surtout d'assurer des services publics dans cette langue, par exemple des services fédéraux dans sa langue officielle, des services provinciaux en éducation, en santé, ça varie selon les provinces. En Ontario, au moins, nous avons la Loi sur les services en français qui assure l'accès à certains services publics dans la langue de son choix. Donc, pour ces raisons, à cause du déclin de leur poids démographique, les communautés francophones ont revendiqué le droit de bénéficier de l'apport d'une immigration qui soit francophone avec des locuteurs de français. Le fruit de ces revendications a été la mise en place en 2003 d'une cible annuelle pour admettre un certain nombre d'immigrants d'expression française par rapport à l'immigration totale. La cible a été fixée à 4,4%, ce qui représentait le pourcentage de francophones en dehors du Québec en 2001. Cette cible, malheureusement, n'a pas vraiment été atteinte. En fait, elle a été atteinte une seule fois, en 2022. Ce qui veut dire que pendant presque 20 ans, entre 2003 et 2022, on arrivait à peine à atteindre 2% d'immigrants francophones dans tous les immigrants qui arrivaient au Canada, ce qui en fait explique en partie le déclin de la population francophone les 20 dernières années. Les associations porte-paroles francophones, notamment la Fédération des communautés francophones et acadienne, a plaidé en 2022, pour une hausse significative de la cible : que l'immigration francophone représente 8% de toute l'immigration pour l'année 2023, puis augmenter à 12% pour 2024 et enfin arriver à 24% en 2030. Ces chiffres leur semblaient importants comme réparation pour rattraper le manque d'immigrants francophones qui n'étaient pas venus pendant 20 ans. En novembre 2023, le gouvernement fédéral a finalement annoncé qu'il augmentait la cible à 6% pour 2024, puis ensuite à 7% pour 2025 et à 8% pour 2026 donc, une hausse bien plus modeste que ce que la FCFA voulait, à sa grande déception et à la déception des communautés francophones.

07:14 Janaína Nazzari Gomes
Tout à fait Luisa, mais à dépit de cette de cette déception, il faut reconnaître qu'il y a eu des progrès très importants en termes d'immigration francophone. Donc, des plans stratégiques ont été mis en place et renouvelés tous les 3-4-5 ans depuis 2003. Le plus récent date de 2018. Et toujours en 2023, il a eu la modernisation de la Loi sur les langues officielles, laquelle reconnaît dans son préambule l'importance de l'immigration francophone pour l'épanouissement des communautés francophones et acadienne, un moment qui est d'ailleurs super important, car cela indique que l'immigration francophone est maintenant reconnue et inscrite dans la loi et elle est à la croisée des politiques d'immigration et des politiques linguistiques du Canada. Donc, les dispositions gouvernementales et les revendications de la société civile ont fait en sorte que de nombreux services d'accueil ont été mis en place. Nous parlons ici des services pré-départ, qui préparent les immigrants pour leur arrivée au Canada; des services d’établissement, qui les aident dans la quête de logement et d'école pour les enfants, par exemple; des services linguistiques, des cours de langues et de l'interprétation et traduction; des services d'intégration, pour trouver un emploi, par exemple; parmi de nombreux d'autres services. Donc, les 20 dernières années ont vu d'énormes investissements de la part du gouvernement fédéral et provinciaux pour développer des services en français, selon les principes « par et pour », des services qui visent à soutenir les immigrants francophones lors de leur installation au Canada et assurer ainsi leur participation, intégration, et les contributions sociales, culturelles, économiques, politiques à l'ensemble de la société canadienne.

09:26 Luisa Veronis
Oui, donc c'est vraiment important de souligner ces avancées importantes et les efforts et vraiment des investissements énormes, mais nos réflexions dans ce balado concernent en fait quelques enjeux qui demeurent. Tout d'abord, en ce qui concerne les discours sur l'immigration francophone et aussi sur les pratiques par rapport à l'accueil et l'intégration de la population immigrante d'expression française. Donc ici aussi, nous nous intéressons au rapport entre les communautés francophones historiquement établies et les groupes de personnes qui sont plus ou moins récemment arrivés, aux tensions, aux contradictions dans ces relations, et nous faisons la distinction entre discours ‒ qui est un concept peut-être très académique et abstrait, mais c'est la façon dont on parle de ces choses ‒ et les pratiques, donc on fait la distinction entre discours et pratiques principalement à des fins de clarification, pour la discussion, mais dans les faits, les deux sont évidemment très interreliés, s'appuie mutuellement, se complémentent, s'imbriquent l'un dans l'autre.

10:38 Janaína Nazzari Gomes
Effectivement, Luisa. En plus, ces réflexions sur les notions et les pratiques d'accueil ne sont pas nécessairement nouvelles. La Fédération des communautés francophones et acadienne ‒ la FCFA, un acronyme qu'on utilise beaucoup dans les balados ‒ a déjà mis en place de nombreuses initiatives pour discuter du type et de la qualité de l'accueil et de l'intégration envisagés. On peut parler, par exemple, du projet des Communautés francophones accueillantes, lancé en 2018 dans le dernier Plan d'action, ou de la revue Symposium, dont l'édition d'automne 2023 portait justement sur la notion de Canada « Terre accueillante », qui était aussi d'ailleurs la thématique de la Semaine de l'immigration francophone de 2023. Mais nos recherches montrent cependant que la problématique de l'accueil et de l'intégration n'est pas encore résolue et qu'il y a des enjeux concrets qui continuent à s'imposer tant aux nouveaux arrivants qu'aux communautés d'accueil. Donc, si on se penche d'abord sur le côté discursif, comme nous l’avons expliqué, la mise en place d'une politique d'immigration qui cible spécifiquement des locuteurs de français répondait à des besoins concrets, c'est-à-dire la nécessité d'augmenter les ratios démographiques des francophones et contrer aussi le vieillissement de la population. Dans ce cadre, ce ne serait pas exagéré d'affirmer que l'immigration francophone a été conçue pour être au service des communautés francophones, tout comme l'immigration canadienne sert aux besoins de la société canadienne plus large. Mais la grande question, c'est que, après 20 ans de politique migratoire, donc presqu’une génération, nous n'avons pas encore avancé dans la manière de parler et de caractériser l'immigration francophone et les apports de celle-ci à la société et aux cultures canadiennes de manière générale. Par exemple, dans le Plan d'action de 2018, on dit que l'immigration joue un rôle essentiel dans ‒ et là je vais citer ‒ « la préservation de la vitalité des communautés francophones et acadienne partout au Canada ». Plus récemment, dans la nouvelle Loi sur les langues officielles, il est décrit que l'on « reconnaît l'importance de l'immigration francophone pour favoriser l'épanouissement des minorités francophones, notamment en assurant le rétablissement et l'accroissement de leur poids démographique ». C'est à dire, dans ces deux cas, qu’on parle de l'immigration principalement du point de vue des besoins des communautés francophones historiquement établies et pas du point de vue des immigrants. Donc, l'argumentaire sur lequel s'appuient tant les politiques que les pratiques d'accueil ne prend pas en compte le point de vue la voix des immigrants, ou bien leur envie et leur droits de se déplacer, de vivre ailleurs, de leur quête pour de meilleures conditions de vie, et du fait que les nouveaux arrivants, eux aussi, ils cherchent à s'épanouir dans la société qui les accueille. Donc, ce ne sont pas seulement les communautés francophones historiquement établies qui cherchent à s'épanouir, mais les immigrants aussi. Il s'agit donc d'une logique, d'une relation unidirectionnelle. L'immigration, après 20 ans, est encore de nos jours au service des communautés historiquement établies.

14:40 Luisa Veronis
Oui, absolument. Donc, par discours « utilitariste », on réfère au fait que ce discours montre les besoins des communautés et le rôle de l'immigration pour desservir ses besoins. L'impact de cette façon de penser et de conceptualiser l'immigration dans une logique utilitariste sont ressentis par les immigrants. Alors, les immigrants ne sont pas dupes, ils voient très bien ce qui est en train de se passer, ils entendent les discours, et dans nos recherches, ils nous en parlent parfois. Une fois en particulier, un participant nous a dit : il y a les « propriétaires » et il y a les « locataires » de la francophonie au Canada, faisant ainsi référence aux communautés que parfois on dit « de souche » et aux personnes immigrantes, respectivement. Donc, l'idée que les propriétaires sont les vraies communautés, qui sont ici historiquement établies, tandis que les immigrants, eux, sont des locataires. Ce type de réflexion de la part des immigrants nous montre qu'il existe encore des enjeux de légitimité par rapport aux différentes francophonies qui composent la grande francophonie canadienne. Un autre aspect associé à cette logique utilitariste concerne la cible en immigration. Donc, nous avons parlé de la cible ‒ si elle est de 4,4%, si elle l'augmente à 6% ou à 12% ‒ parce que c'est un outil nécessaire, donc la cible est importante pour pouvoir mesurer les avancées de recrutement, pour assurer qu'on atteint les objectifs, qu'on arrive à attirer et surtout à retenir les nouveaux arrivants desquels les communautés francophones dépendent pour leur bien-être. Mais la cible, clairement, réduit l'immigrant à un chiffre, l'immigration est quantifiée et ce chiffre sert au profit d'autrui. Donc, en quelque sorte, c'est un procédé qui mène à une certaine déshumanisation des immigrants, elle cache les trajectoires de vie diversifiées qu'ils peuvent avoir, leurs besoins spécifiques, leurs identités, même la pluralité linguistique qu'ils apportent, et tout ce qui façonne ces personnes qui décident de s'installer au Canada.

17:01 Janaína Nazzari Gomes
Donc, à cela, Luisa, j’aimerais rajouter encore une deuxième discussion par rapport au discours. C'est une discussion qui touche la notion de « communauté francophone ». Donc, quand on parle, quand on mentionne « communautés francophones », au pluriel, et acadienne, on fait souvent référence aux communautés historiquement établies, au service desquelles la politique d'immigration a été créée. Mais, la notion de communautés francophones au pluriel implique en fait une grande diversité et plusieurs couches de complexité que j'aimerais exploiter par la suite. Mais d'emblée, reconnaissons que pour les personnes nées au Canada, le fait de parler français représente bien plus que la maîtrise d'une langue, c'est en général un rapport à une identité et à une histoire commune. De plus, il y a des parlers régionaux qui renforcent ces identités et l'attachement des communautés à leur propre milieu. Donc, ces ancrages linguistique, identitaire, historique et territorial nous donnent en fait l'impression qu'il s'agit de communautés relativement homogènes dans leur nomenclature. Donc, on va parler de communauté franco-ontarienne, franco-manitobaine, communauté acadienne, chacune au singulier, et l'ensemble de ces communautés ferait, constituerait la notion de « communautés francophones et acadienne ». Pourtant, l'arrivée accrue de nouveaux arrivants francophones nous oblige à nous pencher sur cette notion pour plusieurs raisons. D'abord, parce que les immigrants parlent eux aussi une variété de français propre du milieu d'où ils viennent, ils ont des différents accents et des différentes manières de dire les choses. Souvent, d'ailleurs, ces variétés, elles sont forgées à la lumière du contact avec d'autres langues. C'est mon cas, par exemple, une francophone qui a le portugais comme langue maternelle. C'est le cas aussi pour de nombreux locuteurs francophones qui habitent dans des espaces avec une grande diversité linguistique, l'Afrique en est un superbe exemple. Donc, à cette supposée homogénéité linguistique des communautés francophones de souche, il faut ajouter la pluralité inhérente à la langue française. J'avais tout à l'heure parlé aussi du rapport entre langue et identité qu'entretiennent les communautés francophones historiquement établies au Canada. Chez l’immigrant, ce rapport ne se reproduit pas nécessairement de la même manière. Pour quelques-uns, le français, il peut représenter la seule langue officielle parlée; pour d'autres, le français peut représenter une langue coloniale; pour d’autres encore le français n'est qu'une parmi les plusieurs langues parlées; et enfin il y a ceux et celles qui entretiennent des rapports plus étroits identitaires avec le français, donc c'est leur langue. Donc, si la langue joue un rôle d'unificateur identitaire et communautaire au Canada, ceci n'est pas toujours le cas pour l’immigrant francophone. Et on ne peut certainement pas faire abstraction du contexte minoritaire, qui oblige l’immigrant francophone à apprendre et à maîtriser l'anglais sous peine de ne jamais s'intégrer socialement. Et on pourrait se demander, donc, en quoi ceci est différent de l'expérience des francophones nés au Canada? Bien, si l'immigration et l'accueil se passent généralement en français ‒ et je dit généralement, parce que parfois même les immigrants francophones n'ont pas accès à des services en français ‒, l'intégration sociale, donc, l'accès, par exemple, au marché d'emploi au Canada, se passe au moins en partie en anglais, ce qui place les immigrants à l'intersection entre la communauté francophone et la majorité anglophone. Donc le besoin de bâtir son réseau et de rebâtir un réseau professionnel et surtout personnel, situe l'immigrant, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de la communauté francophone.

21:47 Luisa Veronis
Oui, Janaína, tu as vraiment bien expliqué la complexité de cette notion de « communautés francophones », et ce que l'immigration vient faire là-dedans. Donc, pour donner une vue d'ensemble, ce que tu essaies de nous dire, c'est que quand on parle des communautés francophones, au pluriel, il faut aussi les penser à deux formes plurielles, donc la pluralité des différentes francophonies canadiennes en tant que telles, donc parler des Franco-Ontariens ou des Franco-Manitobains, des Acadiens et ainsi de suite, mais aussi penser aux nouvelles diversités qui résultent de l'immigration et qui apportent en fait une complexité supplémentaire à cette notion de communautés francophones, tout en la façonnant autrement. Donc, bien qu'il y ait encore des « propriétaires et des locataires » de la francophonie canadienne, comme le participant dans notre recherche, nous pouvons conclure que ces communautés francophones, au pluriel, « sont encore à bâtir ». En fait, on est en train de bâtir les communautés francophones de plus en plus plurielles, et on peut voir que ça commence vraiment, que la petite graine commence à germer, par exemple, dans le fait que certains organismes porte-parole ont reconnu le problème et ont changé leur nom pour être plus inclusif. Un des exemples qui nous vient en tête ici est l’ancienne Société franco-manitobaine qui, en 2017, est devenue la Société de la francophonie manitobaine, donc n'importe quelle francophone au Manitoba peut se voir inclus là-dedans et qui, en fait, représente des actions face à la compréhension de ces enjeux et le souhait que les communautés francophones ont d'être plus inclusives et de mieux représenter les francophones d'origine diverse.

[Transition musicale]

23:57 Luisa Veronis
Passons maintenant en fait au volet des pratiques d'accueil, et là, nous avons pas mal de choses à dire, surtout parce que nos recherches nous ont montré qu'il existe encore des tensions, des discriminations, divers enjeux à l'intérieur des communautés francophones, donc dans les relations entre différents groupes qui ont le français comme langue commune. Dans nos recherches, par exemple, on a identifié différents types de discrimination, qui ont lieu au quotidien. Et un des grands enjeux de discrimination dont on parle beaucoup, c'est évidemment l'insertion dans le marché de l'emploi des immigrants et les difficultés qu'ils confrontent. Mais dans un contexte d'immigration francophone dans les communautés, on note par exemple des expériences de discrimination face aux variétés de français que parlent les immigrants, les différences de français, d'accent et le fait que on entend qu'ils « ne sont pas d'ici ». Dans une de nos études, par exemple, une participante a dit qu'elle avait vu un poste, la description d'un poste qui demandait quelqu'un avec un « français canadien », donc elle, elle a désisté de postuler parce qu'elle savait que son français n'était pas « canadien ». Nos études ont aussi révélé que les immigrants et leurs enfants subissent des fois des préjugés ethno-raciaux dans la vie quotidienne, quand ils fréquentent des groupes ou des associations francophones, ou à l'école, quand on juge par exemple la nourriture qu'ils apportent pour leur dîner. Alors, en plus des discriminations, il y a aussi des tensions identitaires, surtout, encore une fois, cette légitimité par rapport à l'identité francophone. Certains nouveaux arrivants dans nos recherches nous ont fait part du fait que des fois, leur vécu, leur expérience de la francophonie internationale compte moins ou n'est pas valorisée, ou n'est pas considérée, par exemple dans le milieu scolaire, parce qu'il est attendu une approche culturelle de l'éducation en français qui reflète la culture francophone d'ici. Donc eux, ils viennent avec une culture francophone différente et ça ne correspond pas aux attentes. Une autre tension identitaire concerne aussi la méconnaissance des différentes luttes auxquelles les francophones dans différentes régions du monde ont fait face, soit historiquement, soit personnellement dans leur vécu individuel. Donc, tant que les immigrants francophones ne connaissent pas forcément les luttes des Canadiens d'ici, les francophones Canadiens ne connaissent pas non plus les luttes des francophones immigrants qui arrivent ici. Il y a vraiment une méconnaissance, ou des fois juste un manque de reconnaissance mutuelle, qui rend le dialogue entre francophones difficile, parce qu'on on arrive à la francophonie d'expériences différentes. Donc, il y a encore de nombreux défis d'insertion professionnelle et ici, on aimerait en fait parler d'un double standard, d'une part on déplore le fait que les francophones sont parfois assimilés à l'anglais, ou les risques de l'assimilation, mais on oublie de reconnaître que les francophones d'ici parlent anglais dans le quotidien, travaillent en anglais, vivent en anglais. Et donc, pour l'immigrant, il lui faut aussi l'anglais ‒ comme le disait tout à l'heure Janaína ‒ pour opérer dans la société canadienne. Et d'autre part, les employeurs francophones ne donnent pas forcément une chance aux immigrants francophones. Donc, on ne veut pas qu'ils s'assimilent à l'anglais mais on ne leur permet pas non plus vraiment de s'insérer en français dans la communauté francophone. Donc, il y a ces petites contradictions, qui se sont améliorées mais qui restent des réalités de l'expérience des immigrants. Et puis bon, on peut aussi revenir à la question de l'éducation et de la santé, deux points très sensibles pour les communautés francophones, parce qu'on sait qu'il y a des limites dans l'accès, la qualité, la quantité, par exemple, de programmes d'éducation, mais on remarque peut-être un manque de diversité dans le personnel enseignant qui ne reflète pas l'arrivée de toutes ces familles immigrantes francophones. Il y a aussi des discontinuités culturelles, les attentes des parents issus de l'immigration peuvent être différentes parce que dans leur pays, l'éducation fonctionne différemment que les pratiques courantes à l'école au Canada. Pour le domaine de la santé, encore une fois, il y a des barrières. On ne veut même pas parler de l'accès à des services en français, en santé, mais aussi des discontinuités culturelles où les attentes, la relation dans le système de santé est différente dans chaque pays et donc les immigrants doivent s'adapter. Mais on devrait aussi être à l'écoute de ces besoins avec lesquels ils viennent.

29:12 Janaína Nazzari Gomes
Tout à fait Luisa. Donc, avec ce tour d'horizon, tu nous as permis de mieux comprendre les enjeux pratiques, qui se conjuguent en fait avec les enjeux discursifs dont je parlais tout à l'heure. Donc, il y a des défis par rapport aux pratiques et à la manière dont on conçoit ces pratiques d'accueil. Ce balado, il est en dialogue avec ‒ comme on l'a mentionné auparavant ‒ une série d'initiatives qui ont comme objectif de repenser ces notions et ces pratiques d'accueil. Donc, nous avons beaucoup réfléchi ensemble ‒ et c'est ce que nous partageons avec notre audience aujourd'hui ‒ sur l'importance de penser à l'accueil et de penser l'accueil, l'intégration selon une approche bidirectionnelle et dialogique. Mais qu'est-ce que c'est ça? Donc, dans cette perspective, pour nous, accueillir signifie non seulement l'action de recevoir l'autre et de lui fournir les moyens matériels pour son établissement, nous avons de nombreux, de nombreux programmes et services mis en place pour cet accueil, mais accueillir signifie un exercice, il implique un exercice, l'exercice conscient de se penser en tant que société changeante, en tant que société en constante évolution, en raison de l'immigration. Donc, si on attend des personnes immigrantes qu’elles fassent preuve d'adaptation, et on s'attend à ce qu'elles fassent preuve d'adaptation, la communauté francophone historiquement établie aurait aussi un devoir d'adaptation : se réimaginer en relation à ce nouveau membre, repenser sa culture, ses façons de faire et de vivre à la lumière de ces cultures et habitudes nouvelles que les immigrants apportent avec eux. D'autre part, les immigrants ont aussi un exercice à faire, un exercice d'accueil. Donc, chercher à comprendre l'histoire de la communauté francophone dans laquelle ils s’insèrent, chercher à comprendre ses valeurs, ses luttes et, dans la mesure du possible, en devenir un allié. Donc, accueillir dans cette logique bidirectionnelle, donc de double voie, impliquerait aller au-delà de la simple réception, installation et le fait de fournir des moyens matériels pour l'établissement, pour englober l'exercice du dialogue mutuel et un mouvement d'échange entre les uns et les autres pour apprendre à se connaître, pour chercher à se comprendre, c'est déjà une autre couche, et peut-être, idéalement, élaborer un projet de société qui mène à l'épanouissement de tous et chacun, donc pas seulement l'épanouissement des communautés francophones historiquement établies, mais l'épanouissement des communautés immigrantes aussi.

32:45 Luisa Veronis
Oui, absolument. Donc vraiment, tu as essayé de souligner que l'enjeu ou le problème, c'est cette conception unidirectionnelle par rapport aux communautés, aux besoins de passer en fait à une notion et des pratiques bidirectionnelles, qui vont dans les dans les deux sens ou à double sens. Je crois qu'on s’en vient, qu'on est là, il y a déjà des initiatives mises en place, mais on aimerait en fait aussi offrir quelques pistes d'action pour arriver à une notion renouvelée de l'accueil qui soit vraiment bidirectionnelle. Donc, pour nous permettre de repenser les francophonies canadiennes avec tous les pluriels possibles, il faut favoriser encore plus l'exercice du dialogue inter- et transculturel. Donc, vraiment être conscients des différences culturelles, que parler le français veut dire des choses différentes, mais aussi qu'on a besoin de comprendre le français de l’autre. Et là, la médiation culturelle peut s'avérer en fait un outil utile prometteur pour faciliter ce dialogue, ces échanges, surtout dans un contexte local, comme dans les écoles, dans les conseils, dans le milieu du travail, dans les associations. La médiation peut servir, justement, à s'ouvrir, peut-être à être un peu plus relax par rapport à la crainte de l'autre et ses différences et aussi nous aider à identifier, à reconnaître l'existence encore de potentielles exclusions, de discriminations quand on ne se rend pas compte qu'on fait des gestes ou on a des réactions qui sont peut-être gênantes. Donc, la médiation culturelle peut aussi servir comme instrument pour favoriser de nouvelles compréhensions, en fait, faciliter l'échange, la compréhension de l'autre, de la diversité linguistique, de la pluralité identitaire, cette relation qu'on a au français ou non et qui en fait, maintenant font partie des francophonies canadiennes qui continuent de s'élargir et de se pluraliser, et ainsi déconstruire des préjugés qu'on pourrait avoir et qui, en fait, continuent à produire des insécurités, que ce soit linguistique ou identitaire, de la part des uns et des autres. Alors, une autre piste d'action, cette fois pour répondre aux importants défis d'insertion économique auxquels font face les personnes nouvellement arrivées, on pourrait imaginer dans les communautés d'accueil, surtout par rapport aux employeurs francophones, de venir jouer un rôle nouveau, essentiel en embauchant des nouveaux arrivants. Donc, faire l'effort vraiment de cibler, d'accueillir un nouvel arrivant francophone et ainsi leur permettre d'obtenir l'expérience canadienne. Donc là, les bénéfices ne seraient pas seulement pour le nouvel arrivant, qui lui ou elle aimerait beaucoup, évidemment, obtenir un emploi, mais ce serait aussi gagnant pour les employeurs, ce serait gagnant pour les communautés qui viendront, en fait, arriver à une diversification de la main d'œuvre, et ces personnes pourraient ensuite vraiment s'insérer dans les communautés et participer à leur plein potentiel, que ce soit économiquement, donc, dans le cadre de leur milieu du travail, mais aussi dans la communauté plus largement.

36:27 Janaína Nazzari Gomes
En plus, Luisa, je pense qu’il faut se pencher aussi sur le plan linguistique, il y a deux pistes à creuser. Donc, on oublie parfois qu'au-delà d'avoir le français, de parler le français, l'immigrant francophone parle aussi d'autres langues, et souvent, ils partagent avec nous dans les entrevues leurs craintes de perdre leur langue maternelle ou leur langue d'héritage, qui sont parfois les langues à travers lesquelles ils peuvent communiquer avec leur famille qui est resté dans leur pays d'origine. Donc, de la même manière dont on cherche à garder le français au Canada, ces immigrants cherchent eux aussi à garder leur langue d'héritage. Français et langue d'héritage pourraient être des alliés. Donc, c'est à mon avis le temps d'entamer cette discussion : Comment français et langue d'héritage peuvent se soutenir mutuellement, pour être capable de se préserver et assurer leur valeur identitaire? Et enfin, sur le plan culturel, on pourrait certainement penser à célébrer les héritages et les cultures des uns et des autres et comprendre que les cultures immigrantes, en fait, elles deviennent des cultures canadiennes. Donc, ce n'est pas une culture de l'autre, ça devient une culture sur place, une culture qui appartient à cette grande famille francophone. Pour cela, c'est super important de connaître les histoires des immigrants et de les intégrer à l'histoire canadienne. Tu avais d'ailleurs un exemple super intéressant que tu as vécu pour le Salon du livre afro-canadien, non?

38:27 Luisa Veronis
Oui, oui, effectivement, c'était très nouveau, ça fait quelques années qu'ici, à Ottawa, est organisé le Salon du livre afro-canadien, et puis cette année, j'ai eu l'occasion d'y aller. J'avoue que j'ai été vraiment épatée et emballée, il y avait donc des auteurs issus de l'immigration qui y étaient, qui présentaient leurs livres, leurs travaux. J'ai vu des choses fascinantes, d'une part, par exemple, une une dame qui écrit des livres pour les enfants, des livres qui sont plurilingues, ces livres sont écrits en français, en anglais et en créole, et elle mélange des histoires et des proverbes des différents pays francophones avec les proverbes et les habitudes dans le contexte canadien. Donc, c'est une façon pour les enfants d'apprendre la culture d'ici et d'ailleurs. Il y avait aussi donc, bon, des auteurs issus de l'immigration, qui sont francophones et ici et qui présentaient leurs travaux, mais aussi des maisons de publication qui ont été créées et ils ciblent des auteurs francophones d'ailleurs, mais aussi qui disent les histoires ou des romans d'ailleurs, mais aussi des auteurs qui sont établis ici. Donc, c'était vraiment un mélange fascinant de ce que pourrait être, et ce qui est en train de devenir la francophonie canadienne. Donc, c'était un très bel exemple, et le salon est en train de vraiment s'agrandir. Et donc, avec ces pistes d’action, nous arrivons à la fin de ce deuxième balado dont l'objectif était justement de réfléchir aux perspectives d'accueil et d'intégration afin de favoriser l'épanouissement de chaque personne francophone, qu'il soit en fait, issu de l'immigration où historiquement établi ou un mélange des deux, et en fait, s'ouvrir à cette diversité francophone. Nos recherches nous ont permis d'avoir accès à des expériences qu'on combine avec nos propres vécus comme immigrantes et francophones. Et on espère en fait, on voit déjà le début des communautés francophones au pluriel, il est possible d’apprendre à mieux se connaître mutuellement, et vraiment bâtir une société où les diversités ne se côtoient pas mais se mélangent et sont en fait des motifs de célébration et de reconnaissance. Donc, un grand merci pour votre écoute, et on vous encourage à venir écouter nos autres balados sur l'immigration francophone.