« C’est une des belles choses de l’écriture : il y a quelque chose de thérapeutique quand on lit des livres. » - Véronique Grenier
Dans ce premier épisode de 2022, l’autrice et professeure de philosophie au collégial raconte à l’animateur Julien Morissette un témoignage touchant reçu après la parution de son premier livre jeunesse, Colle-moi (Courte Échelle). Celui-ci porte sur la séparation des parents, vécue par un jeune garçon.
La Sherbrookoise explique aussi comment elle a appris à écrire « en volant du temps dans la journée » et elle se plonge en toute intimité dans ses textes.
Après une lecture d’extraits d’Hiroshimoi, Véronique Grenier cède sa place au micro à la comédienne Elkahna Talbi, qui donne vie aux textes du recueil Carnet de parc. Les deux ouvrages sont parus aux Éditions de ta mère.
Chaque vendredi sur le coup de 22 h 00, Julien Morissette reçoit des artistes de partout au Québec, issus de la littérature, du théâtre, du cinéma et de la création sonore et musicale. Découvrez des entrevues passionnantes, des textes inédits, des performances intimes et des conceptions sonores envoûtantes. Une production de La Fabrique culturelle de Télé-Québec, en collaboration avec Transistor Média.
ID INTRO
Ce balado est une présentation de La Fabrique culturelle de Télé-Québec, en collaboration avec Transistor Média
BLOC 1 - CITATION + THÈME_____________________________________________
JULIEN MORISSETTE [NARRATION 1]
Marie-Hélène Voyer écrit :
« Il faut parler des rivières
comme on parle des lieux et des êtres qu’on a aimés,
sans les idéaliser, sans les effacer. »
Vous écoutez Signal nocturne
BLOC 2 - TEXTO INTRO_________________________________________________
JULIEN MORISSETTE [NARRATION 2]
C’est une nuit d’été.
Chaude, collante, humide.
Toutes les fenêtres sont ouvertes.
C’est comme ça depuis que l’air climatisé a rendu l’âme.
Les lits de camp gisent sur le plancher du salon.
Éventrés, fripés, épuisés.
On repousse l’heure du coucher parce qu’il fait trop chaud pour dormir.
sur la table,
il y a des légumes grillés
des bouteilles cernées qui claquent sur la table de vitre.
des brochettes calcinées
des bâtons de popsicle
des branches pour poker les bûches qui brûlent trop vite.
Les enfants jouent, crient, courent autour de la flamme.
Avec les grillons en arrière-plan et le son sourd de la rivière au loin,
J’écoute Véronique Grenier me parler de sa dernière session.
Depuis plus de 10 ans, elle enseigne la philo au CÉGEP de Sherbrooke.
Cette année, elle a utilisé des mèmes - ou memes - dans ses cours,
Ça me fascine.
La polyvalence et les idées de cette femme me fascinent.
C’est une autrice, conférencière, chroniqueuse, porte-parole et enseignante au collégial.
Depuis 2016, elle a publié trois recueils aux Éditions de Ta mère.
En 2020, elle a aussi fait paraître Colle-moi à La Courte échelle, dans une collection de poésie jeunesse.
J’aime la lire avant de coucher les enfants.
J’aime la lire dans la section « Idées » du Devoir, après l’avoir lue dans Urbania pendant quelques années.
J’aime surtout plonger et replonger dans les univers qu’elle a créé dans Hiroshimoi, Chenous et Carnet de parc.
Je suis curieux de savoir si, comme moi, Véronique est un oiseau de nuit.
BLOC 3 - ENTREVUE 1_ OISEAU DE NUIT? ÉCRIRE LE MATIN. FORMES COURTES + APPROCHE DE PROF
VÉRONIQUE GRENIER
Pendant longtemps, je travaillais vraiment bien la nuit parce que entre quand mes enfants étaient plus petits, tout le monde dormait, pis y'avait, y'avait pas de bruit. Fait que... J'aimais vraiment ça ce/avoir l'impression que le temps était arrêté, je pense c'était un de mes grands fantasmes à un moment donné que, soit d'avoir plus de temps ou que le temps cesse, pis que là je suis juste tout faire pis après qu'il puisse reprendre. Mais c'est ça. Depuis à peu près deux ans, je suis devenu juste très matinale, fait que c'est 4h30-5h, pis c'est là mes moments préférés de la journée, où je suis productive et qui, des moments qui sont à moi là.
JULIEN MORISSETTE
Donc t'écris le matin?
VÉRONIQUE GRENIER
Bin j'écris un peu tout le temps là, on dirait que ma ma pratique formelle d'écriture depuis 2013 s'est vraiment fait alors que j'avais des, de très jeunes enfants avec moi, tsé j'ai le fantasme du du long moment où je vais écrire, pis les peu de fois où j'en ai, ça marche jamais. Mais...
JULIEN MORISSETTE
Pourquoi ça ne marche pas?
VÉRONIQUE GRENIER
C'est une bonne question, j'pense que mon esprit - faut que je l'accepte là - j'ai un esprit comme… comme quand t'as plein de tablettes là, de trucs d'ouvert sur ton ordi, pis tu switches de l'un à l'autre là, fait que un long stretch, pour moi, ça marche pas, faut toujours que je fasse plusieurs autres affaires en même temps. Pis c'est comme ça que j'avance. Euh... Ai-je un enjeu d'attention? Je le sais pas! Haha, mais..
JULIEN MORISSETTE
Est-ce que ça influence la forme de ton écriture?
VÉRONIQUE GRENIER
Bin peut être, tsé, j'ai vraiment la misère à me plonger dans des trucs qui sont super longs, mettons, justement, parce que, euh... J'pense que c'est pour ça que j'ai/j'aime le poème ou le fragment, parce que c'est un peu, un snap là, c'est quelque chose qui qui se jette rapidement, aussi, mais j'essaie quand même un peu là - en tout cas, pas tant que j'essaie que y faut, j'ai des projets plus longs en ce moment, pis y faut que j'y arrive mais - ça reste que c'est vraiment comme ça que, que j'travaille pis, j'ai vraiment appris à écrire en volant du temps dans la journée, c'était au travers des enfants, d'la job... Fait que j'ai rarement eu des journées dédiées là à l'écriture, fait que c'était toujours à coup de 10-20 minutes que j'avais à consacrer pis je le prenais, pis, une fois de temps en temps, fait qu'on dirait que j'ai de la difficulté à à travailler autrement maintenant, là.
JULIEN MORISSETTE
Est-ce que à un certain point ta, ton intérêt et ta démarche et ton travail d'enseignante, de, mais aussi de ton intérêt pour la philo finit par rejoindre un peu ta pratique?
VÉRONIQUE GRENIER
Ouais, vraiment beaucoup. Ça le fait même dans la poésie là. Y'a tout un des clins d'œil un peu partout là. Pis j'suis vraiment contente en fait. Je pense que le fait d'enseigner la philo, puis de lire des essais abondamment m'aident beaucoup là, je pense que... Ma capacité à problématiser, conceptualiser, argumenter, ça va, euhm… C'est juste que j'pense que ce qui est dur pour moi c'est que j'ai, j'ai toujours la pression de ma discipline aussi sur sur les épaules, pis de la représenter, pis d'être une femme dans cette discipline là.
JULIEN MORISSETTE
Ouin.
VÉRONIQUE GRENIER
Fait que j'ai toujours peur de faire des erreurs. Tsé j'peux pas me permettre de faire un un lien un peu louche ou un peu mou dans ce que j'écris, c'est comme y'a un... Je je me mets une pression, je pense, qui des fois est invivable là parce que, tsé en même temps faire un un long texte d'une pleine cohérence, bin ça se fait là, j'veux dire y en a, mais c'est vraiment exigeant pis c'est ça que je trouve difficile, quand il faut que j'écrive plus avec ma tête, tsé même quand j'écris des textes pour Le Devoir, par exemple, tsé c'est la même pression qui est là à ce moment-là. Puis, c'est c'est vraiment dur pour moi en fait de m'en départir, mais je pense que c'est au delà de la pression externe. C'est une pression interne aussi de, de là ton idée, tsé je le vois là, pis je le sais là, quand j'ai forcé un lien, fait que c'est juste de... C'est ça, de trouver des façons de de travailler avec ça, là.
BLOC 4 - LECTURE 2 : HIROSHIMOI 1 - p. 50 à 52___________________________
VÉRONIQUE GRENIER [lecture]
C’est un motel fade. Beige. Au tapis très ras. Les draps sont rugueux. C’est un motel avec des néons. Une chaise ronde en plastique vert à côté du numéro de la porte. 1512. Je m’assois dedans pendant que tu mets la clé dans la serrure. On est arrivés en même temps. Signe du destin pourrais-je me dire si j’étais une autre. T’as voulu remplir la paperasse. Je me dandine le corps à côté de toi. Tes doigts sur le crayon. Tes doigts qui pianotent le comptoir. Tes doigts, là, au plus bas de mon dos.
La porte s’ouvre, un infini plus tard. T’es allé chercher à boire parce que nous avons perlé toute l’eau que nous avions dans le corps. On a laissé un lac à la place du tapis. Pour la vie, les canards, les poissons. Des pieds s’y plongent. Nos voitures grondent.
Un jour, je t’ai demandé si tu allais me détruire, et ce n’était pas ton intention, il paraît. L’enfer était dans ma face pavé de ton vouloir, je me consumais, mais je le voyais pas. Des fois, les citations de Bukowski se trompent. Marcher au travers des flammes, tu peux pas bien faire ça. Ce qui te tue te tue. Tu sais.
Tu tiens un cône de barbe à papa. Rose. Tu l’as acheté pendant que je regardais un détail dans les fissures du bitume. Tu as dit : « Ferme les yeux, ouvre la bouche. » Le morceau que tu as déposé sur ma langue y a fondu aussitôt. Le sucre craquait contre mes dents. Je voulais enfouir mon visage dans ce qui te restait dans les mains.
BLOC 5 - ENTREVUE 2 : PRÉSENTATION CARNETS DE PARC._________________
JULIEN MORISSETTE [NARRATION 3]
Véronique Grenier nous a lu un extrait d’Hiroshimoi, avec la musique originale de KROY. C’est un extrait du livre audio paru en 2021, aux Éditions de Ta Mère.
Hiroshimoi a été un premier livre marquant pour l’autrice, qui a ensuite publié les excellents Chenous et Carnet de parc.
Véronique Grenier nous présente Carnet de parc, mis en lecture par la comédienne et autrice Elkahna Talbi.
VÉRONIQUE GRENIER
C'est vraiment drôle parce que c'est vraiment une image, pardon, un un ouvrage dans la, y'a une forme particulière là qui s'est vraiment imposée. Pis j'étais comme : « bin voyons, qu'est-ce que c'est ça » puis, parce que j'ai un premier texte qui revient sans arrêt et où je décris le parc, c'est juste que plus on avance, j'enlève des bouts, ce qui fait qu'on est, on reste juste un avec un petit bout à la fin. Après ça, j'ai des poèmes qui décrivent qu'est ce qui est en train de se passer dans ce parc-là. Puis après, j'ai des espèces d'extraits de journal intime. Puis tout ça, tout ça revient. Ce parc-là, ça a été un gros fantasme. Peut être encore aujourd'hui. Pour moi, c'est pas, on ne peut pas faire de métaphores, de ça là, pis penser que c'est autre chose que ce que c'est? J'aimerais vraiment ça qui existe pour vrai, très matériellement, bin oui mais non, parce que c'est facile là, donc un lieu où on est, on est plongés on est lancé, en fait pour quand on vit des crises existentielles pour aller s'éprouver. Pis là y a vraiment des épreuves. Y'a vraiment quelque chose de l'ordre du camp de vacances, à la limite, un peu là. Mais camp de vacances, un peu intense. Fait que j'pense que pour moi, ça a été juste vraiment un exutoire d'espérer que y'aile un lieu comme celui là.
Pis ça me permet de faire des clins d'œil à à pleins de choses aussi, là, entre autres, dans les premiers textes là, quand je parle la machine distributrice de coups de pied au cul, pis tout ça, c'est comme aussi tout un contre-discours sur tsé quand ça va mal, bin les gens qui disent « ça va bien aller » bin c'est vraiment le contraire du « ça va bien aller » qui est là, c'est non « on va plonger dans ce qui est difficile. Pis, quand on aura fait le tour, on pourra en sortir, pis on sera des êtres neux. » Fait que j'pense que c'est ça, Carnet de parc. Mais c'est vraiment un, tsé je je pour moi, il existe, il existe bin là je mets des guillemets là, je sais qui existe pas, mais il existe ce lieu là, y y est matériel. Pis il faut vraiment le lire très premier degré, en fait là. Collé sur, collé sur l'idée que ça existe, mettons là.
BLOC 6 - LECTURE 3 : CARNET DE PARC 1 ________________________________
ELKAHNA TALBI - TEXTE 2
C'est un lieu rond. On y arrive du dessus parce qu'on l’a ressenti. Un jour de trop. Il y a des arbres. Un plan d'eau. Des aires de jeux. De repos. Faut faire le tour.
Longer le bord.
Choisir la vie, le vide.
ELKAHNA TALBI - TEXTE 3
bienvenue
bienvenue
fais le tour
jusqu'à ce que
tu comprennes
le sens des pissenlits
un pas après l'autre
dans le sillon creux
la ligne d'un monde
découpé au couteau
aucune corde ne marque le risque
t’es en visite au
parc du last call
pour se tester l'espoir
on nous a demandé de laisser nos affaires
dans des bocaux
transparents tes petits précieux
ce que tu veux pus
ce qui t’écharde te râpe le d’dans
mon coeur deux trois cossins
voici le musée de mes désagréments
le moment de l'arrivée
est souligné d'une encoche dans l'arbre du milieu
comme ça tu sais
tu sais où tu te situes
parmi les tiens
j'ai passé les doigts sur la mienne
assez longtemps pour qu'on me fasse sentir
que c'était louche
flatter du bois
les autres rôdaient autour
le bac à sable
l'étang
les bosquets
le jardin français
la machine distributrice de citations profondes,
celle de coups de pied au cul
la station musicale où s'alternent avec rigidité
what a wonderful world feeling good shine bright like a diamond
des couvertures douces jonchent le sol
j'ai commencé par m'en faire une cabane
les autres s'éloignaient
on m'a dit de sortir
que j'avais une mission
ELKAHNA TALBI - TEXTE 4
« chasse au trésor, mes champions »
on nous rappelle que nous sommes nés pour la réussite
il faut laisser les petits pains aux autres
les miettes à terre
manger ses croûtes
toujours se garder la mie pour la fin
« la vie, c'est le moelleux »
je prends des notes dans un calepin
« le bonheur est caché dans un coin
c'est votre première activité »
on nous donne des confettis à se lancer
petit party entre inconnus
« il faut commencer les choses en grand »
trouver le bon coin
ça semble facile facile
je cherche un angle
sans doute obtus
j'imagine le bonheur large
il doit prendre de la place
sauf que ce parc est rond
« c’tu ça
un jeu de l'esprit? »
à bout de patience devant la courbure des choses
je m'arrête deux secondes
mais mains font un bol
il est peut-être en leur creux
devant mes yeux depuis tout ce temps
fallait juste que je le prenne
une voix plus loin : « JE L’AI. »
marée humaine à sprint
pendant que j’haïs ma candeur
ça n'a pas exactement été du partage
Hobbes dans sa tombe a le pouce en l’air
des gens arrachent tordent piétinent leur salut
dans les haut-parleurs le son d'un lent clappement de main
le bonheur est mort
c'était notre seule chance
BLOC 7 - ENTREVUE 3_- RÉCEPTION DU TEXTE. SES ENFANTS VONT LA LIRE. RECHERCHE DU VRAI. _________________________________________________
JULIEN MORISSETTE
Est-ce que tu réfléchis souvent à, comment tes textes sont reçus, comment c'est lu, comment ça fait réagir?
VÉRONIQUE GRENIER
Euh oui, mais non. C'est-à-dire que pour moi, je trouve ça terrorisant à être lu là. Tsé quand un livre sort. Puis de plus en plus, je pensais que ça passerait mais non, ça. Quand j'sais que quelqu'un va mettre les yeux sur le texte, c'est c'est vraiment terrifiant. Pis là j'suis comme : « ben voyons, pourquoi tu écris? »
JULIEN MORISSETTE
(Rires)
VÉRONIQUE GRENIER
Mais... Mais. J'aime beaucoup, en fait, là le le fait d'être lu dans le sens où je pense que tsé le livre a différents moments, différentes vies, fait que toi, quand tu l'écris, c'est une chose. Après, tout le travail qui est fait avec l'éditeur ou l'éditrice, tsé - un livre, c'est une co-construction. Mais y'a après l'autre mouvement, qui est celui justement, où il existe dans les mains des gens qui qui apportent aussi quelque chose à l'œuvre. Fait que je trouve ça super intéressant de de voir tsé tout ce travail là. Souvent, les livres et les commentaires que j'ai restent que c'est des livres qui vont émouvoir les les gens ou qui vont les faire réfléchir, fait que tsé je suis vraiment émue de ça aussi, là - mais quand j'écris, je dirais que les premiers ouvrages, je... Je je me censurais comme pas vraiment, puis c'était, tsé j'assumais pleinement tsé ce qui était écrit, pis j'allais jusqu'au bout des choses. Là ce qui se passe en ce moment, c'est que mes enfants grandissent
JULIEN MORISSETTE
Oui.
VÉRONIQUE GRENIER
Et il y a clairement des sujets que je me sens pas capable d'aborder aujourd'hui parce que je sais qu'ils vont, ils vont peut-être être en contact avec ça ou qui vont peut me lire éventuellement aussi. Pis on dirait que tant que j'ai pas dénoué certains nœuds ou discuter de certaines choses avec eux, je je me sens pas capable, vraiment, à cause d'eux en fait, de... D'aller à certains endroits. Fait que, pis ça affecte vraiment en ce moment là mes choix de de, d'écriture, des des choix de sujets. Je, quand y'étaient petits on dirait que je me posais pas la question. Pour moi, c'était très loin, mais là, c'est très proche. Mais, euh... Bin les les choses que je disais dans Chenous, par exemple, ou des choses que je vais nommer dans Carnet de parc, tsé t'as besoin d'un travail préalable là... Avec eux, avant que je les mettre en contact avec certaines des choses que je dis là-dedans. C'est surtout ça, en fait, tsé pis que oui, ça pourrait les ébranler. Pis je me suis toujours dit que mais en même temps c'est correct, tsé ça fait partie de mon parcours, c'est... C'est normal de, ces enjeux là sont vécus. Fait que tsé c'est sûr que je vais trouver les mots, on en parle déjà de ces enjeux là, mais c'est une différence d'en parler.
JULIEN MORISSETTE
Bin c'est sûr.
VÉRONIQUE GRENIER
... « ça existe » versus « ma mère » tsé. Mais reste que quand je choisis euh, de d'aborder quelque chose, tsé je le vais, je le fais vraiment de manière comme pleine et authentique en fait, fait que c'est pour ça, mes objets d'écriture, quand j'y vais, bin j'y va puis euh... Tsé je je j'assume pleinement là tout ce qui y'a dedans là.
JULIEN MORISSETTE
Fait que tu cherches la vérité, tu veux pas juste effleurer quelque chose et ne pas plonger en plein cœur?
VÉRONIQUE GRENIER
Ouais, je pense qu'on est un gros mot là, mais je pense que oui, c'est ça en fait. Tsé c'est pour ça aussi que... euh, je pense que même tsé ma manière d'écrire a à voir avec avec cette préoccupation là, tsé c'est pas pour à rien que chez moi souvent la, la forme ou la manière de dire est souvent vraiment proche de ce qui est dit, c'est comme si pour moi, il faut que ce soit, ça aille ensemble, pis j'pense que ça a a vraiment avoir avec ce souci là, justement de quelque chose de vrai mais... Mais faudrait que j'explore plus ou peut être que des gens qui étudient en littérature pourraient faire cette job là à ma place et mieux.
JULIEN MORISSETTE
Tu pourrais écrire un essai là-dessus. Ça serait très autoréférentiel.
VÉRONIQUE GRENIER
Oui, c'est ça, hahah. « Véronique Grenier lit Véronique Grenier », non!
JULIEN MORISSETTE
Hahaha!
BLOC 8 - ANIMATION________________________________________________
JULIEN MORISSETTE [NARRATION 4]
En 2020, Véronique Grenier a publié un premier recueil destiné à un jeune public : Colle-moi. Le livre a remporté plusieurs prix littéraires.
On y suit les réflexions et émotions d’un jeune garçon dont les parents se sont séparé. C’est sincèrement très touchant.
BLOC 9 - ENTREVUE 4_- COLLE-MOI. SES PROPRES SOUVENIRS DE SÉPARATION. SES ENFANTS.
JULIEN MORISSETTE
Colle-moi est paru en 2020. Le livre a une vie fabuleuse, aussi. T'as eu des contraintes d'écriture pour Colle-moi?
VÉRONIQUE GRENIER
Bin c'était... Je m'étais quand même dit que j'écrirais pas pour la jeunesse.
JULIEN MORISSETTE
Pourquoi?
VÉRONIQUE GRENIER
Je sais pas. J'pense. Je me sentais peut être pas capable, j'vais dire ça comme ça, j'pense que... Euhm, faut vraiment une, y a une finesse dans les textes, pour pour la jeunesse, faut s'adresser à leur intelligence. Faut être capable de tout, tsé de faire des images particulières. Pis j'avais pas l'impression que c'était un lieu qui qui serait bon pour moi, tout simplement.
Mais quand on m'a proposé ce projet là, bon c'est la poésie fait que j'étais comme : « OK. » J'avais, c'était à la courte échelle, j'ai dit : « OK ». Je veux dire, j'ai appris à lire avec la courte échelle, comme toute une génération, pis encore aujourd'hui. Fait que pour moi, y avait quelque chose de de de l'ordre de l'accomplissement que la maison d'édition me demande quelque chose. Je trouvais que c'était un beau mandat aussi, parce que je pense que si les gens détestent, c'est ça le bon mot, ou sont indifférents à la poésie aujourd'hui, c'est parce que peut-être qu'ils en n'ont pas eu d'la suffisamment près d'eux - pis je dis prêt d'eux dans le sens que Baudelaire et Rimbaud, c'est loin de nous, d'une certaine façon - pis ça prend une motivation pour aller lire ça, faut que t'aimes la poésie pour le lire avec tsé toute la joie du monde ou un méchant bon prof, fait que je je me disais : « bin peut être que, en fin, cette collection là va donner le goût à des gens d'en lire », fait que que je me trouvais juste chanceuse.
Tsé j'ai, ma mes volontés pédagogiques dépassent toujours là « Véronique Grenier dans sa classe de philo », je pense que je suis pédagogue, comme un peu partout, pis même avec ce que je fais avec la littérature. Fait que je voyais juste une occasion là de l'être encore, fait que d'intéresser. Pis ça, ça a été peut être trois périodes d'écriture pour faire l'ensemble du recueil. Je me suis beaucoup inspirée de, moi, j'ai gardé tous mes journaux intimes à partir de l'âge de 6 ans. Fait que j'avais des textes de quand mes parents se sont séparés. Fait que j'ai vu comment j'avais vécu la chose la-dedans, bin même si je me rappelle pas mal. Mais c'était quand même intéressant d'avoir mes mots de 1991.
JULIEN MORISSETTE
Est-ce que tu repassais déjà dans ces carnets là et cahiers là avant le processus d'écriture de Colle-moi, ou c'était...?
VÉRONIQUE GRENIER
J'ai les ai relus mais ça faisait longtemps là. Tsé y'ont, y'ont du parfum dedans, y puent là, fait que c'est pour ça que je les ouvrent pas si souvent que ça. Fait que y'avait vraiment ça. Pis y'avait après ça toute la perspective de la maman qui s'est séparée du papa de ses enfants. Fait que tsé. Pis ça on le sens aussi dans le livre aussi là, cette cette ce segment là qui qui est quand même là. Puis puis j'avais, mais je me suis pas tant inspirée de ça. C'est sur que j'ai vu mes enfants vivent des choses, mais sauf que mon enjeu en ce moment dans l'écriture, c'est que je ne peux pas emprunter de leur vécu, tsé, à eux. Je je me refuse de faire ça, parce que c'est leur vie, c'est leurs émotions, fait que, si j'avais mis ça dans mon livre, j'aurais eu l'impression, du moins, pis même avec leur autorisation, j'veux dire, ils comprennent pas les implications de ça, c'est trop gros. Fait que là c'était de trouver la « fine line » entre ce que j'ai pu voir, mais que j'avais pu voir chez d'autres aussi, pis qui faisait aussi partie de mon récit, fait que les choses qui me semblaient très communes, ça je me suis dit : « Ok, c'est ça j'peux aller comme piger là-dedans » ce qui a fait que, bin oui mes enfants se sont retrouvés quand ils ont lu livre, mais tous les enfants que j'ai rencontrés se sont retrouvés quand ils ont lu le livre. Puis pour moi, ça, c'était fondamental.
Euhm... Pis ce que je trouve étonnant avec ce livre là au final, c'est que j'ai beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup de commentaires de parents qu'ils trouvent assez, bin qui fait mal, mais du bien en même temps, le livre pour eux. J'pense c'est juste que les émotions qui sont nommées là sont des émotions souvent sur lesquelles, comme parent, quand tu te sépares, tu essaies de juste tasser ça un petit peu parce que tu sais que tu les as blessés, tu les as blessés pour la vie là. Pis souvent on aime ça se dire : « Bin non, ça va aller, ils vont se reconstruire, tout-, tout leurs amis sont séparés », tsé on se dit pleins d'affaires quand on se sépare, mais la blessure que eux ils ont, souvent qu'ils vont pleinement nous nommer parce qu'ils voient ben que nous aussi on rush, bin ça reste que au final, on en prend, on en a pas tant, peut être pris à soin. Fait que je pense que c'est une des choses qui est abondamment nommé, tsé dans le livre, fait que c'est pour ça que ça fait mal, parce que les parents sont obligés de se rendre compte que l'enfant peut-être a eu mal, puis peut être, qui faut qui adresse la chose, pis des fois, on n'a pas toujours les mots, mais ce que j'ai su, c'est que le livre a permis beaucoup de discussions parents-enfants puis ça, ça m'a vraiment touchée. Tsé y'a un un papa qui m'a écrit sur Instagram. Vive les réseaux sociaux. Pis c'est ça qui m'avait dit, que sa fille c'était l'enfer, là, depuis la séparation, pis elle pleurait tout le temps, puis tout ça. Pis y ont lu le livre ensemble. Pis c'est ça qui a comme permis en fait à l'enfant de vraiment nommer tout ce qu'elle sentait, puis après ça, elle s'est mis à juste mieux aller. Pis là moi, j'ai pleuré pendant des jours parce que j'étais comme : « bin voyons donc. » Euhm... Fait que ça c'est une des choses belles, en fait, de l'écriture c'est que y a quelque chose de thérapeutique à, quand on lit des livres, littéralement pis euh... Je suis vraiment heureuse de participer en fait à ça.
JULIEN MORISSETTE [NARRATION 5]
Elkahna Talbi nous lit un deuxième extrait de Carnet de parc.
BLOC 10 - LECTURE 3 : CARNET DE PARC________________________________
ELKAHNA TALBI - TEXTE 5
j'ai vu ma première chute
un corps qui fait l'étoile
et tombe
avec le sourire.
certaines ont lancé des cordes un peu après
pour rien elles pendaient raides longtemps
j'espérais un tressaillement
n'ai reçu que la confirmation de l'étendue vers le bas
que le vide du panneau des profondeurs près des chaussures
abandonnées avant le saut
ne mentait pas
me suis demandé pourquoi en avoir mis
tout le tour du parc
j'écris ma conclusion en gros traits :
dans le fond y a pas de fond
on n'a même pas cette chance
la lumière est un switch cachée
dans un arbre jamais le même
pour l'instant il fait noir
quelqu'un en a eu assez de sa lucidité
sans voir clair
ça devient tout un défi de continuer
de se promener les bras en avant
les souliers butent contre des racines
des branches des corps des roches
à la première débarque les genoux en sang
j'aimerais que ma mère me badigeonne
de Mercurochrome des pieds à la tête
question de prévenir les écorchures à venir
celles faites qu'elle a oubliées
les mères oublient
portent le déni en peau de secours
je m’étends dans le carré de sable
sweet spot pour se refaire le derme
attendre après un semblant de soleil
pause bien méritée
même si tout ça
vient juste de commencer
ELKAHNA TALBI - TEXTE 6
C'est un lieu rond. On y arrive du dessus parce qu'on l’a ressenti. Un jour de trop. Il y a des arbres. Un plan d'eau. Des aires de jeux. De repos. Faut faire le tour. Longer le bord.
ELKAHNA TALBI - TEXTE 7
Cher Journal.
La vie vaut-elle la peine d'être vécu, on se le demande. On dit que oui. On dit qu'il faut. Se battre. À chaque jour sa résistance. Sa révolution. Son grand oui. Sisyphe. Roule ta pierre and be merry. Au moins, t’as une roche. À toi. Paquet de joie à traîner dans le fond de ta poche. Pour les jours de rivière. Les jours de fleuve. Les jours de bain trop plein. Coule avec le sourire de celui qui a les moyens de sa gestion de crise.
BLOC 11 - ENTREVUE 5_- LA SOUFFRANCE COMME MOTEUR DE CRÉATION.___
LE MYTHE DE L’ARTISTE TORTURÉ. ______________________________________
JULIEN MORISSETTE
En parlant de Colle-moi, tu disais que dans, pour certains parents, ça avait permis d'identifier et de nommer et de discuter de... De points sensibles, de sentiments qui ne sont pas toujours heureux. Est-ce que pour toi, la souffrance c'est encore un un moteur d'écriture?
VÉRONIQUE GRENIER
J'pense que je suis vraiment en transition. Tsé dans mon écriture, pis une chance, ça veut dire que j'va mieux. Ça a été un matériau facile. Un, parce que excessivement présent. Pis tsé la douleur, bin tsé quand on se cogne pis que ça pulse, j'veux dire c'est quelque chose qu'on/c'est tangible là la douleur, beaucoup plus que le bonheur, ultimement. Qui lui a pas, à moins qu'on soit tsé y'a des des état de fébrilité particuliers, mais c'est plutôt plat, j'ai envie de dire, le bonheur, alors que la douleur, c'est ça, elle a sa propre pulsation. Pis j'trouve que c'est c'est vraiment facile à circonscrire de trouver des images, de la mettre en mots. Puis, j'veux dire on est originaux, mais pas tant, les archétypes tsé reviennent, fait que y'a quelque chose qui fait que on peut, on peut se rejoindre pis créer des communautés. Puis, pour/pis j'trouve que c'est c'est fécond pour l'écriture.
Mais, euh... Pis je pense qu'à certains égards, j'ai peut être par moment eu peur d'arrêter de souffrir parce que j'avais, je pensais que ça allait être l'arrêt de mort de ma capacité à écrire des choses. Pis non. Fait que voilà, pour celles et ceux qui nous écoutent et qui écrivent et qui ont peur de perdre leur douleur, il y a autre chose après. De même, plus mieux. Fait que c'est ça, mon écriture, elle, en ce moment elle morphe, elle change beaucoup, elle se nourrit pas des mêmes lieux. Fait que c'est un peu tremblotant pour moi. J'trou-, je suis encore un état d'adaptation aussi par rapport à ça. Mais je trouve ça vraiment le fun aussi parce que je pense que ça aurait été très facile de ne faire que du Véronique Grenier pendant tout, bin tout le monde se serait écoeurés pendant toute ma carrière littéraire, mais c'est intéressant de voir, c'est ça le renouveau. Pis j'trouve ça le fun aussi de de lire les textes un après l'autre pis de dire : « shit ce qui se fait maintenant, c'est vraiment loin de ce qu'il y avait là » fait que tsé je, bin j'évolue pis je progresse. Fait que ça c'est le fun aussi.
JULIEN MORISSETTE
Pourquoi on s'attache autant au mythe de l'artiste torturé, selon toi?
VÉRONIQUE GRENIER
Heille, ça c'est une bonne question. Je pense qu'il y a quelque chose de romantique là-dedans. Y'a quelque chose de, de beau à se dire aussi qu'on peut faire du beau à partir de la, de la douleur, pis j'pense que c'est c'est espérant aussi, ça veut dire qu'on n'est pas pogné à subir, dans le fond, quand tu arrives à créer à partir de ce qui te fait mal, c'est que tu prends quand même, t'as une pogne d'une certaine façon sur ça, pis j'pense que c'est… C'est ça, ça c'est rassurant de dire qu'on peut faire ça pis qu'on peut transcender aussi la douleur fait que j'pense que ce mythe là de l'être constamment tourmenté, c'est celui aussi qui qui réfléchit et qui voit dont l'existence avec beaucoup de lucidité puis on aime ça de nos artistes, en fait là, j'pense qui voient l'existence avec une pleine lucidité. Mais je pense qu'en même temps, ça peut être intéressant de d'avoir d'autres regards puis qu'on puisse se faire un nouveau mythe d'autres/autrement, parce que c'est c'est c'est lourd, en fait, de de de vouloir peut être plus se rattacher à la souffrance qu'autre chose là.
BLOC 12 - GÉNÉRIQUE________________________________________________
JULIEN MORISSETTE [NARRATION X]
Avant de vous dire aurevoir, je vous invite à vous rendre sur le site des Éditions de Ta mère pour écouter l’intégralité du livre audio d’Hirshoimoi, une réalisation de Louis-Philippe Roy avec la musique originale de KROY et la conception sonore de François Larivière.
Merci à toute l’équipe de Signal nocturne :
Pour Télé-Québec
-La coordonnatrice Nadine Deschamps
-La technicienne de production Erica Coutu-Lamarche
-La chef de contenu Ariane Gratton-Jacob
-L’édimestre Sophie Richard
-La directrice de La Fabrique culturelle et des partenariats, Jeanne Dompierre
Merci également à l’équipe de Télé-Québec Estrie-Montérégie pour l’accueil chaleureux.
Pour Transistor Média
-Tenaga Studio à la musique originale et à l’habillage sonore
-François Larivière au mixage
-Sophie Gemme à la recherche
-Claire Thévenin, chargée de production
-Louis-Philippe Roy aux communications
-Stéphanie Laurin à la production exécutive
Abonnez-vous dès maintenant à Signal nocturne dans l’application de balado de votre choix ou écoutez-nous sur lafabriqueculturelle.tv, on vous propose un nouvel épisode chaque vendredi soir.
Je m’appelle Julien Morissette, bonne nuit.