Les balados du CIRCEM



Descriptif : Cet épisode des balados du CIRCEM de la Série de conférences Mauril Bélanger est le premier de quatre balados consacrés à l’immigration francophone présentés par Luisa Veronis, professeure de Géographie et titulaire de la chaire de recherche sur l’immigration et les communautés franco-ontariennes à l’Université d’Ottawa, et Janaína Nazzari Gomes, chercheure postdoctorale en sociolinguistique à l’Institut des langues officielles et du bilinguisme de l’Université d’Ottawa. Elles débutent ce balado avec une vue d’ensemble de l’immigration au Canada et de l’immigration francophone. Elles offrent ensuite une réflexion critique sur les contradictions, les points de tension et les défis des structures actuelles de la politique canadienne d’immigration qui font en sorte que les objectifs en immigration francophone ne sont pas atteints.

What is Les balados du CIRCEM?

Les balados du CIRCEM visent à promouvoir la recherche interdisciplinaire sur la citoyenneté démocratique et les groupes minoritaires et minorisés, à partir de la tradition intellectuelle du monde francophone.

[Musique de fond]

00:02 Marie-Hélène Frenette-Assad
Les balados du CIRCEM visent à promouvoir la recherche interdisciplinaire sur la citoyenneté démocratique et les groupes minoritaires et minorisés, à partir de la tradition intellectuelle du monde francophone. Le présent balado est réalisé dans le cadre de la série de conférences Mauril Bélanger.

[Fin de la musique de fond]

00:21 Luisa Veronis
Bonjour et bienvenue à cette série de balados sur l'immigration francophone. Je m'appelle Luisa Veronis, je suis professeure de géographie et titulaire de la chaire de recherche sur l’immigration et les communautés franco-ontariennes à l’Université d’Ottawa. Mes recherches portent sur les géographies sociales et politiques de l'immigration, de l'intégration et du sentiment d'appartenance des personnes immigrantes, et depuis plus de 15 ans, je m'intéresse particulièrement à l'immigration francophone en contexte minoritaire et aux divers enjeux qui s'y relient. Et je vous présente ici ma collègue Janaína Nazzari Gomes.

01:01 Janaína Nazzari Gomes
Bonjour Luisa, bonjour tout le monde. Nous sommes super contentes de faire cette série de balados et de partager nos réflexions avec vous. Donc, je m'appelle Janaína Nazzari Gomes et je suis chercheure postdoctorale en sociolinguistique à l’Institut des langues officielles et du bilinguisme de l’Université d’Ottawa. Mes recherches portent sur les langues en contact et leurs manifestations dans les domaines de l'immigration et de l’enseignement-apprentissage des langues secondes et étrangères. Je m'intéresse tout particulièrement aux enjeux sociolinguistiques affrontés par les immigrants francophones en situation minoritaire, aux rapports inégaux des langues, à l'hétérogénéité linguistique des locuteurs plurilingues et à l'enseignement plurilingue. L'un de mes projets de recherche que je mène actuellement s'intitule « Le paysage linguistique à l’épreuve de l’immigration : une étude dans la région de la capitale nationale », dont nous parlerons dans le quatrième balado de cette série. Pourquoi avons-nous décidé de faire cette série de balados? Tout d'abord, parce que nous voulions discuter des questions centrales de l'immigration francophone en situation minoritaire en nous basant sur des données probantes, c’est-à-dire sur des données issues de nos recherches respectives. Ensuite, parce que l'immigration provoque d'importants débats sociaux, donc cette série de balados pourrait servir aussi pour informer les personnes qui souhaitent mieux comprendre ce débat et les enjeux qui y sont reliés.

02:34 Luisa Veronis
Nous avons intitulé ce premier balado « Envisager l’immigration francophone autrement » et nous voulions vous expliquer le titre. Nous voulions faire l'exercice de penser l'immigration francophone de manière critique et réfléchie pour identifier les tensions, les contradictions entre les discours officiels et les structures qui ont été mises en place, et ainsi pouvoir montrer ce que cette immigration pourrait vraiment être et atteindre son potentiel pour faire venir des immigrants dans les communautés qui ont le français comme langue de partage. Donc, nous allons commencer avec un peu de contexte en vous expliquant les structures de l'immigration canadienne en général et comment l'immigration francophone s'insère à l'intérieur de ces structures. Dans un deuxième temps, nous allons réfléchir de manière critique à la politique de l'immigration francophone et nous pencher sur les structures et les stratégies qui ont été mises en place pour attirer, recruter et faire venir des immigrants francophones.

03:37 Janaína Nazzari Gomes
Donc Luisa, avant de rentrer dans le vif du sujet, est-ce que tu pourrais nous donner une vue d'ensemble? Nous parler de l'immigration au Canada, on sait qu'elle n'est pas récente, et nous expliquer dans les grandes lignes comment cette immigration a fonctionné et fonctionne aujourd'hui.

03:55 Luisa Veronis
Effectivement, il faut mettre cette perspective historique pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui. Et comme tu le dis, l'immigration au Canada est un fait historique. Le territoire que l'on connaît aujourd'hui comme le Canada est en fait le résultat de plusieurs siècles de mobilité de populations de différentes parties du monde et, beaucoup plus récemment, vraiment, d'une immigration structurée. Donc la diversité de la société canadienne, dont nous sommes tous très fiers, est le résultat de cette histoire de mobilité et d'immigration. C'est à partir de la fondation du Canada, en 1867, que l'immigration commence à jouer un rôle fondamental dans le développement du Canada comme un pays moderne. Il ne faut pas dissimuler, toutefois, qu'il y a eu des périodes d'immigration qui étaient discriminatoires, qui mettaient des restrictions à qui pouvait venir au Canada. Il faut aussi reconnaître l'impact que cette mobilité et cette immigration a eu sur les peuples autochtones, et qu'en fait, il y a eu des impacts très négatifs parce que le Canada a été bâti à travers l'occupation du territoire et une colonisation de peuplement, souvent de manière très violente. Donc, encore aujourd'hui, des enjeux, des tensions existent entre la reconnaissance des peuples autochtones, leur droit à l'autodétermination et à leur territoire, et l'immigration. Mais nous, nous allons nous pencher principalement sur l'immigration comme un facteur d'actualité et le fait que le Canada aujourd'hui continue en fait de dépendre sur l'immigration pour ses besoins démographiques et économiques. Le Canada fait l'expérience d'un ralentissement de la croissance démographique et un vieillissement de la population et, depuis plusieurs années maintenant, il y a aussi des pénuries de main-d'œuvre dans des secteurs importants et l'immigration, donc, sert à combler ces besoins.

05:56 Janaína Nazzari Gomes
Donc, nous avons des besoins démographiques et des besoins économiques au Canada, ce que justifie, ce qui a fait en sorte qu'on mette en place des procédures d'immigration, des politiques d'immigration générales. Mais, à partir des années 1990, les minorités francophones se sont elles aussi mobilisées pour mettre en place une immigration qui cible des locuteurs de français spécifiquement. Donc, les francophones ont revendiqué ce droit à l'immigration parce que, justement, les statistiques montraient que l'écart entre la population francophone et anglophone augmentait drastiquement en situation minoritaire. C'est ce qu'on appelle, ce qu'on connaît normalement comme la perte du poids démographique des communautés francophones en situation minoritaire. En plus, au Canada, le poids démographique des populations a des incidences sur l'offre des services, par exemple, ou sur la reproduction de la langue dans les sphères sociales. Il s'agit donc d'une problématique avec plusieurs couches de complexité. Luisa, est-ce que tu peux nous parler davantage sur le rapport entre les populations anglophones et francophones et comment cela touche, quels sont les impacts de cela sur le volet de l'immigration francophone?

07:25 Luisa Veronis
Oui, absolument, merci de poser cette question Janaína, parce qu'il est important d'aborder la question de pouvoir inégal, donc un pouvoir tant linguistique que politique, entre les deux groupes qui sont dits fondateurs au Canada : les communautés francophones qui, en dehors du Québec, sont en situation minoritaire et donc qui ont certains droits linguistiques en termes d'accès à des services, par exemple des services de santé ou d'éducation, mais des droits qui sont encore très fragiles, et de l'autre part, les communautés anglophones qui dominent en dehors du Québec. Donc, les droits des francophones des communautés en dehors du Québec ont été acquis, vraiment, avec des luttes très difficiles au cours du 20e siècle, et c'est après plusieurs décennies que, en fait, ils ont pu acquérir et consolider ses droits. Mais ces droits demeurent très, très fragiles et on le voit encore dans l'actualité. On peut penser, par exemple, aux questions du financement d'universités francophones en situation minoritaire, comme l’Université de l’Ontario Français, ou encore ce qui est arrivé à l’Université de la Laurentienne, ou le fait que le gouvernement ne voulait pas accorder du financement pour l'Université de Sudbury. Donc, c'est des exemples où en fait on ne peut pas penser que les droits francophones sont acquis. L'immigration francophone vient aussi comme une lutte pour un droit, une revendication à avoir leur immigration à cause de l'importance du poids démographique dont tu parlais. Donc, il faut souligner ici que la manière dont l'immigration canadienne a été conçue sert principalement à servir aux intérêts démographiques et économiques de la majorité anglophone. Le gros de l'immigration représente en fait faire venir des immigrants qui vont s'assimiler dans la majorité anglophone, qui vont travailler et vivre en anglais, et dans une moindre mesure, il y a quelques immigrants francophones qui viennent aussi, qui eux aussi ont tendance en fait à apprendre l'anglais et ensuite s'assimiler à la majorité anglophone. Donc, autrement dit, on peut penser l'immigration telle qu'elle fonctionne en ce moment au Canada sert à consolider, voire à augmenter le poids de la majorité anglophone aux dépens des communautés francophones. En effet, au cours des dernières décennies, on voit que la population canadienne augmente, mais le nombre de francophones reste stable et leur proportion, leur poids démographique, le pourcentage qu'ils représentent est en déclin notable. Dans les années 1970, les francophones représentaient 6% de la population en dehors du Québec, mais ils sont tombés à 3,3% en 2021. Donc, le nombre reste stable, environ 1 million, mais leur proportion est en train de s'amoindrir. Pour ces raisons, pour des raisons d'équité, elles ont donc revendiqué le droit d'elles aussi avoir de l'immigration, une immigration francophone avec des locuteurs de français qui viendront maintenir ou consolider leur poids démographique dans les régions minoritaires. L'immigration francophone représente donc un droit primordial pour les communautés francophones pour assurer leur survie, car certains craignent qu'elle pourrait venir à disparaître.

10:56 Janaína Nazzari Gomes
Avec leurs luttes et résistances, les communautés francophones ont réussi à assurer un volet spécifique de la politique migratoire, un volet qui cible des immigrants qui ont le français comme première langue officielle parlée, les PLOP. À partir de 2003, nous avons assisté au déploiement de plusieurs stratégies, feuilles de route et plans d'action visant à attirer, recruter, accueillir, établir, intégrer et retenir ‒ ce sont beaucoup de verbes ‒ des immigrants francophones dans les communautés minoritaires. Ceci a été accompagné par le développement d'une infrastructure et des services d'accueil, services d'établissement, services d'intégration en français et ces services visaient spécifiquement à soutenir les nouveaux arrivants dans leur processus d'arrivée, d'établissement au Canada. Mais, il faut bien sûr reconnaître aussi que des immigrants francophones étaient déjà établis au Canada bien avant les années 2000, donc dans les années 80, 90, et qu'ils ont énormément contribué au développement de ces structures et des services. Ce sont d'ailleurs ces immigrants qui sont toujours dans l'offre de services active pour le service, pour l'établissement. Donc, plusieurs avancées ont eu lieu depuis cette première victoire au début des années 2000, dont l'établissement d'une cible en immigration francophone. Pour maintenir le poids démographique des francophones en dehors du Québec, le gouvernement fédéral et des organismes porte-parole ont décidé d'établir une cible de 4,4% d'immigrants francophones sur l'ensemble d'immigrants admis au Canada. 4,4% correspondaient justement au pourcentage de francophones en situation minoritaire au recensement de 2001. C'est ainsi que les communautés minoritaires pourraient maintenir leur poids démographique. Mais, est-ce que la cible a été atteinte, est-ce qu'il y a des choses à améliorer ou bien, Luisa, est-ce qu'il y a des enjeux avec la politique et la formule actuelle de l'immigration francophone?

13:30 Luisa Veronis
Très bonne question. C'est là tout le problème, c'est que la cible n'a pas été atteinte, ou plutôt elle n'a été atteinte qu'en 2022, c'est-à-dire presque 20 ans après avoir été établie. Ce qui veut dire qu'entre 2003 et 2021, le nombre d'immigrants francophones frôlait à peine les 2%, soit la moitié ou moins, pendant cette période de 20 ans. Et donc, pour répondre à la deuxième partie de ta question, visiblement il y a des problèmes avec la manière dont la politique d'immigration est conçue et structurée, qui fait qu'on n'arrive pas à atteindre les objectifs, en particulier, dans nos travaux, nous avons identifié trois points de tension principaux. Tout d'abord, il y a des problèmes importants au niveau du recrutement et des procédures d'immigration. Pour ce qui est du recrutement, ce qui se passe, c'est que les bassins actuels et potentiels pour l'immigration ne sont pas adéquatement ciblés. Pour commencer, l'Afrique, et surtout l'Afrique subsaharienne francophone, est le bassin principal d'immigrants francophones. Mais la distribution des bureaux d'immigration ne concorde pas, car il n'y a que 2 bureaux dans toute l'Afrique subsaharienne pour 10 ou 15 pays différents. Un bureau est à Dakar au Sénégal et l'autre à Yaoundé. Mais il y a plein de pays, le Bénin, le Congo, la Côte d'Ivoire, le Mali, le Rwanda, le Burundi, qui n'ont pas de bureau. Ce qui fait que les candidats doivent envoyer leurs papiers dans les 2 bureaux qui existent et des fois même se déplacer. Donc, à cela s'ajoute qu'il y a des bassins potentiels qui ne sont pas mis en valeur, qui ne sont pas utilisés ou identifiés et en particulier ‒ tu le sais Janaína ‒ l'Amérique latine, notamment des pays comme le Brésil, mais aussi des pays auxquels on pense pas, comme la Chine, où il y a beaucoup de locuteurs de français, et ces pays ne sont pas ciblés par l'immigration francophone, alors que le Québec, par exemple, a un bureau à Sao Paulo, Brésil et un autre au Mexique pour attirer des immigrants francophones. À cela s'ajoute la lourdeur et la longueur des procédures qui sont associées au fait que, en tout cas en Afrique, il n'y a pas de bureaux qui sont proches de là où les gens habitent et ça prend très, très longtemps, 3-4-5 fois parfois pour que les candidats qui ont soumis une demande aient des nouvelles. Et, il semble d'ailleurs que parfois les agents d'immigration ne savent pas qu'il y a une politique d'immigration francophone qui favorise ou qui essaie d'attirer des immigrants francophones. Et donc, des fois leurs dossiers sont refusés pour des raisons étranges, parce que les agents ne sont pas conscients qu'on essaie d'attirer des immigrants francophones. Il y a aussi une particularité du système de l'immigration canadienne, qui a un système appelé l'Entrée express, qui est un système de gestion des demandes auquel souvent des changements ou des modifications sont apportés, par exemple pour allouer des points de sorte à identifier les meilleurs candidats. Or, ces modifications des fois ont lieu sans que les gens soient au courant. Il y a aussi des coûts et d'autres facteurs qui font que des changements fréquents rendent, en fait, complexe les situations pour les candidats qui n'arrivent pas à identifier les catégories ou les manières qui seraient les mieux pour eux pour qualifier pour l'immigration francophone et obtenir les points qui leur seraient alloués. Ensuite, il y a plusieurs barrières et défis. C'est très, très lourd et très demandant, il faut fournir des tests de langue, il faut faire des examens médicaux, et des fois il y a des délais; les examens médicaux sont valides pour une durée de 6 mois, mais si le dossier n'est pas évalué à temps, les candidats doivent refaire les examens médicaux, et ainsi de suite. Donc, tout cela crée des lourdeurs qui rend très, très difficile la préparation des demandes pour les potentiels candidats francophones.

18:03 Janaína Nazzari Gomes
Donc, là tu as parlé des problèmes qui affectent l'ensemble de la population immigrante francophone, mais en deuxième lieu, Luisa, il y a aussi des problématiques reliées à des personnes qui résident au Canada avec le statut temporaire, donc, c'est-à-dire des personnes qui ont des permis d'études, des permis de travail, mais qui souhaitent quand même rester au Canada, donc des personnes pour qui, justement, ces permis temporaires sont une stratégie d'immigration. Donc, il y a plusieurs programmes de transition à la résidence permanente qui ont été développés par le Canada. Principalement lorsqu'il s'agit des travailleurs qualifiés et des étudiants internationaux, comme le programme de l’Expérience Canadienne. Cela étant dit, depuis la pandémie de la COVID-19, nous avons vu la création de programmes spéciaux visant à faciliter l'accès à la permanence, dont l'objectif était justement de contrer la réduction de l'arrivée de nouveaux arrivants qui se voient empêchés de venir au Canada à cause de la fermeture des frontières. Ceci est le cas notamment pour les étudiants internationaux et pour des personnes dans certaines professions qui font face à une pénurie de main-d'œuvre, comme dans les soins de santé.

19:37 Luisa Veronis
Oui, en effet, le Canada avant ne souhaitait pas en fait cette transition des personnes qui avaient un statut temporaire. Mais, à partir de 2008, on s'est rendu compte en fait des avantages de personnes qui étaient déjà ici et c'est pourquoi la catégorie de l'Expérience Canadienne a été créée, et au cours des 10 dernières années, on observe une nouvelle tendance dans la politique d'immigration canadienne pour favoriser la transition des personnes qui ont un statut temporaire, pour obtenir la résidence permanente et les étudiants internationaux et les travailleurs qualifiés sont en fait les candidats idéaux. Donc ces nouveaux programmes sont mis en place et veulent encourager cette transition parce que ces personnes sont déjà ici, parlent déjà la langue, ont déjà des réseaux, ont peut-être déjà développé des attaches, et ils savent comment le Canada fonctionne, donc ce sont vraiment des candidats idéaux pour rester ici. C'est le cas, comme tu disais, des jeunes qui veulent venir au Canada, à cause des procédures complexes, donc, identifient les études au Canada comme une manière de poursuivre leur rêve d'immigration et pouvoir ensuite accéder à la résidence permanente. Et c'est la même chose pour les travailleurs qualifiés, il y a d'ailleurs un programme spécifique connu comme la Mobilité francophone. Alors tous ces gens sont des candidats idéaux, on a créé des programmes pour permettre la transition, mais ils font face à plusieurs barrières. Janaína, est-ce que tu voudrais nous en parler un petit peu?

21:34 Janaína Nazzari Gomes
Oui, alors c'est sûr et certain qu'il existe plusieurs barrières pour ce groupe de personnes là. On peut même parler des contradictions dans les structures d'immigration et des barrières, contradictions qui entravent la transition à la résidence permanente de ces deux groupes d'immigrants potentiels. Certains aspects de ces programmes, y compris leur fonctionnement, empêchent ces groupes d'immigrants de répondre ou d'atteindre les critères nécessaires pour être éligible à la résidence permanente. Donc, par rapport aux étudiants internationaux, par exemple, les médias ont parlé des discriminations dans les traitements des dossiers. Mais il y a aussi les coûts relatifs aux frais de scolarité, qui sont exorbitants parfois, les coûts relatifs aux tests de langues, les coûts relatifs aux visas; il y a de nombreux défis dans leurs expériences au Canada, donc le rapport inégal entre le français et l'anglais en est déjà un exemple, mais les difficultés de placement dans un emploi, l'accès aux services d'accueil ‒ on en parlera en profondeur dans le balado 3. Par contre, par rapport aux travailleurs avec un permis de travail temporaire, donc, nos recherches nous montrent qu'ils sont souvent exploités et soumis à des conditions de travail très précaires. En particulier, une fois qu'ils sont au Canada, les taux de paye qui leur sont offerts ne correspondent pas à ce qui leur avait été annoncé dans l'arrivée ou même avant d'arriver au Canada. Dans un deuxième temps, les employeurs peuvent les contrôler de plusieurs façons s'ils ont un permis de travail ouvert ou fermé, en émettant de diverses exigences pour renouveler ou non leur contrat, donc ils dépendent en fait de leur employeur pour pouvoir continuer au Canada. Mais, tant les étudiants internationaux que les travailleurs temporaires, donc des personnes qui ont un statut temporaire au Canada, confrontent aussi des défis concernant la procédure pour l'obtention de la résidence permanente ‒ comme nous l’avons déjà dit ‒ et en termes d’accès aux services d'établissement. Donc plusieurs, plusieurs contradictions, tensions, et on pourrait même dire des limitations avec les structures actuelles. Est-ce que selon toi Luisa, il y a d'autres pistes à explorer, d'autres programmes d'immigration qui sont moins exploités et qui pourraient justement aider à attendre la cible et améliorer le processus d'immigration pour la population francophone?

24:28 Luisa Veronis
Oui, en effet, on a montré les problèmes dans les catégories existantes, mais le troisième point de tension est le fait qu'il existe des programmes d'immigration qui seraient bien placés pour permettre, pour faciliter l'immigration francophone, qui ne sont pas vraiment utilisés ou pas facilités du tout. Le premier concerne la catégorie de la réunification familiale, c'est quand quelqu'un a déjà émigré au Canada et veut faire venir sa famille ou des membres de sa famille. Une catégorie qui est très sous-utilisée pour les besoins de l'immigration francophone, alors qu'elle semble assez favorable dans la mesure où les personnes qui parrainent leur famille peuvent leur offrir un soutien important au moment de l'arrivée. Ils sont déjà établis, ils savent comment fonctionne le Canada, ils ont un logement, ils peuvent leur montrer comment fonctionne le Canada, où aller obtenir les informations et les services dont ils ont besoin. Ensuite, il faut aussi en fait tenir compte du fait que la séparation familiale, quand quelqu'un vient ici, mais sa famille reste dans leur pays et ils doivent attendre de nombreuses années pour qu'ils viennent, cette séparation a un coût, un coût émotionnel, psychologique, mais aussi un coût financier pour les personnes qui sont ici. Parce qu'en fait, ils passent leur temps à essayer de faire accélérer les choses, faire venir les membres, leur parler et ils ne peuvent pas se concentrer véritablement à leurs besoins ici, par exemple, pour travailler, pour apprendre la langue, pour participer. Et donc, le coût est à la fois pour les individus impliqués, mais aussi pour la société canadienne ou les communautés francophones qui n'ont pas ces personnes ici. Et une autre catégorie qui pourrait aussi être ciblée, c'est celle des personnes avec un statut de réfugié ou des demandeurs d'asile. Et ici, en tant que société francophone et pour une solidarité envers d'autres pays de la francophonie internationale, le Canada pourrait faire plus par rapport aux demandeurs d'asile, aux personnes qui sont en besoin, en situation de migration forcée, surtout s'ils conforment à la Convention de Genève qui régule, en fait, qui est considéré comme un réfugié ou non. Et je pense qu'il s'agit là d'une question de volonté, parce que le Canada a mis ces dernières années en place des initiatives, a déployé d'énormes efforts, par exemple, pour réinstaller des personnes réfugiées en provenance de la Syrie, de l'Afghanistan, de l'Ukraine. Donc toutes ces interventions étaient importantes, mais le Canada peut en faire autant quand il s'agit de personnes qui sont en situation de persécution, de mobilité forcée dans les pays francophones. Et, un autre exemple qu'on peut utiliser pour montrer qu'il s'agit d'une question de volonté, c'est encore une fois ce qui est arrivé lors de la pandémie où des programmes d'accélération ont été mis en place, notamment pour des travailleurs dans le domaine de la santé et d'autres professions ciblées qui étaient ici avec un statut de demandeur d'asile. Donc on leur a facilité, accéléré les procédures pour légaliser leur statut, pour atteindre la résidence permanente. Or, il y a beaucoup de personnes en situation de demande d'asile qui proviennent notamment de l'Afrique francophone, mais aussi d'Haïti, qui sont déjà ici au Canada. Et, encore une fois, au cours des dernières années, des communautés francophones de l'Ontario ont accepté de recevoir des demandeurs d'asile qui étaient arrivés au Québec, il s'agit là de l'arrivée de réfugiés ou de demandeurs au chemin Roxham. Et donc la volonté d'accueillir ces personnes et même la capacité pour les accueillir sont là, donc il s'agirait en fait de faciliter tout cela pour que ça aboutisse à une immigration francophone et assurer le bien-être de ces personnes, qui ont des fois des besoins spécifiques en termes de santé ou santé mentale, et leur permettre de s'intégrer à la société canadienne.

28:55 Janaína Nazzari Gomes
Donc, en bref, à dépit des importantes avancées des derniers 20 ans en termes d'immigration francophone, des gros investissements pour l'offre de services et pour l'offre des services en français à de nouveaux arrivants francophones, on voit d'après ce que tu nous dis Luisa, qu'il y a encore des défis assez importants à surmonter et des opportunités manquées. Donc, il y a l'inégalité existante à l'intérieur de la politique d'immigration générale, qui reflète en fait l'inégalité entre les populations anglophones et francophones au niveau social, mais il y a la sous-exploitation des catégories migratoires potentielles, donc des gens qui souhaitent venir ou qui sont déjà au Canada, mais qui ont du mal à y rester en raison des problématiques, en raison du fonctionnement des politiques pour les francophones.

30:00 Luisa Veronis
Oui Janaína, pour moi le principal constat auquel nous arrivons dans le cadre de cette discussion, c'est les inégalités de pouvoir qui existent entre les groupes anglophones dominants et les communautés francophones minoritaires, qui se reproduisent, en fait qui se manifestent dans la politique d'immigration, d'une part, en termes de la façon, la manière dont elle est structurée, mais aussi du fait que les francophones n'ont pas vraiment un pouvoir ou un contrôle sur l'immigration. Donc, clairement, telle qu'elle est conçue actuellement, la politique d'immigration continue à desservir principalement les besoins de la majorité anglophone, les besoins démographiques et économiques. On le voit avec l'emphase mis sur l'immigration économique, la multiplication de catégories, notamment d'immigrants temporaires, et la complexité des procédures pour assurer de bien filtrer et vraiment sélectionner les candidats qui répondent le mieux aux besoins économiques du Canada. Or, tout ça n'est pas en fait pertinent pour les communautés francophones. Les besoins des communautés francophones sont surtout au plan démographique, faire venir des personnes qui parlent français, qui veulent parler français, qui veulent s'installer et vivre dans les communautés francophones. Donc, telle que conçue actuellement, l'immigration francophone n'est qu'un volet secondaire de l'immigration canadienne. Elle représente toujours une sous-catégorie de catégories existantes, et cet appareil complexe avec toutes ces catégories, de 1) ne répond pas aux besoins des communautés francophones, et de 2) ralentit, voire même entrave l'admission d'immigrants francophones, à cause de cette complexité. Donc, il faudrait songer à repenser l'immigration par et pour les francophones, avec des structures qui sont adéquates, peut-être une immigration francophone plus autonome, avec des catégories qui correspondent aux besoins des communautés, faciliter les procédures pour les candidats, faciliter, accélérer l'évaluation des dossiers. Donc je sais que la question est : OK, comment faire? Quelle forme prendrait cette immigration? C'est déjà plus difficile, mais il y a des pistes qui peuvent nous inspirer. Les communautés francophones n'ont pas de pouvoir constitutionnel, de contrôle ou de décision, mais on sait que des programmes spéciaux ont été mis en place. La province du Québec a un certain contrôle et autonomie, en particulier sur les quotas et les critères de sélection des résidents permanents. Il existe aussi des programmes de candidats de province, donc là, c'est les provinces qui choisissent des immigrants ciblés pour leurs besoins; récemment, un pilote a été mis en place pour l'immigration dans le nord de l'Ontario. On pourrait imaginer que même peut-être, des villes ou des municipalités auraient leur mot à dire là-dedans, ou peut-être ça pourrait être en collaboration avec la Fédération des communautés francophones et acadiennes. Il s'agit, bref, d'être créatif et je pense qu'on peut trouver un modèle flexible.

[Musique de fond]

33:21 Janaína Nazzari Gomes
Donc, avec ces suggestions, nous arrivons à la fin de ce balado. Notre objectif était de réfléchir de manière critique aux limites et aux problèmes des structures de l'immigration qui empêchent d'atteindre les objectifs d'épanouissement des communautés francophones. Nous croyons qu'avec une certaine volonté et nos réflexions et les réflexions de la société, on peut assurer la promesse de l'immigration francophone. Nous nous vous invitons à nous rejoindre pour le deuxième balado qui poursuit cet exercice de réflexion en se penchant sur la question des notions et des pratiques d'accueil au sein des communautés francophones. Merci pour votre écoute.