Faute de mieux, une chronique de Jindra Kratochvil (www.kratochvil.tv).
Une chronique d'auteur, résolument spéculative, qui s'appuie sur le réel pour aller voir ce qui se trouve de l'autre côté. S'y entassent peut-être de vieilles idées, des rêves inachevés en attente de traitement, des coquilles conceptuelles y parsèment des chemins qui, naturellement, mènent presque partout et nulle part en particulier.
#8 Faute de mieux, une zone de retournement de situation
Il nous arrive parfois d’en constater l’existence le long des axes routiers ordinaires mais c’est tout particulièrement lorsqu’on plonge un jour au fond d’une impasse d’un lotissement pavillonnaire que l’on apprécie très sincèrement à la fois le concept et la mise en œuvre de ce que nous appelons une « zone de retournement ».
Car c’est à ce moment que nous sommes gagnés par la certitude que quelqu’un – quelque part – il y a peut-être fort longtemps – a déjà envisagé notre situation désespérée, et pris des dispositions d’aménagement adéquates pour la rendre moins pénible.
Eh oui, ces petits ronds-points et ces placettes tout au fond des allées des rosiers et des allées des papillons sont parfois la petite lueur d’espoir au fond du tunnel.
Si seulement cela pouvait nous servir de leçon, et de source d’inspiration !
Dans les écrits parmi les plus anciens de l’humanité, l’existence est souvent comparée à un voyage. Il s’agit de traverser une forêt dangereuse peuplée de fantômes, ou alors de traverser le désert pour atteindre une contrée promises, ou encore d’affronter les tempêtes et les courants marins sur un radeau de fortune. Bref, cette idée de l’existence en tant que trajectoire est sans doute l’un des récits constitutifs de nos imaginaires.
Et c’est vrai que ça fonctionne étonnamment bien. Même dans l’univers urbanisé qui est le nôtre ! L’image d’une existence humaine comme tentative de traverser une zone pavillonnaire est tout à fait pertinente dans notre univers de référence.
Il semblerait bien que ce soit là notre destinée collective moderne.
Ou du moins notre « situation » historique.
Justement, à propos de nos chères « situations »… Comme nous, elles ont parfois du mal à se repérer dans l’univers moderne où toutes les allées ont tendance à se ressembler. Par conséquent, il arrive très fréquemment qu’elles n’évoluent pas du tout dans la bonne direction. Leur santé se détériore, elles deviennent mauvaises, voire catastrophiques.
Pourtant, des solutions existent, et elles sont littéralement à portée de nos engins de chantier. Dans chaque quartier de l’univers moderne, il suffirait d’aménager – faute de mieux – une zone de retournement de situation.
Ainsi, les situations pourrait s’y rendre afin de s’y retourner, et pouvoir par la suite évoluer dans une direction beaucoup plus souhaitable. Des situations dramatiques pourraient enfin faire demi-tour et s’améliorer petit à petit, des situations sans issue pourraient connaitre un nouveau départ…
Evidemment, de nombreux détails restent à régler : les dispositions et les dimensions précises, qui bien entendu conditionneraient la taille des situations susceptibles de se retourner, mais aussi les modalités mêmes du retournement. Est-ce que les situations sont suffisamment autonomes pour venir se retourner toutes seules ? Ou faut-il prévoir un accompagnement adéquat ? Un personnel formé pour amener les situations dans les zones de retournement et les aider à s’y retourner ? Y placer des appâts très précis afin d’attirer les populations de situations visées ? Tout en évitant des retournements doubles, par exemple, des volte-face déroutantes ainsi que d’autres revirement indésirables… ?
Quoi qu’il en soit, et malgré l’apparente familiarité que nous entretenons avec les situations, force est de constater qu’il s’agit d’un champ de recherches relativement nouveau. La situationologie reste en quelque sorte à inventer au croisement des disciplines fort variées.
Mais là encore, l’effort de tout un chacun sera fort bienvenu. Rien n’empêche d’expérimenter de son côté : carrément chez soi, par exemple, voire même - en l’absence de moyens - dans son propre esprit. Absolument ! Ouvrir un petit laboratoire imaginaire de retournement de situation, et de mettre sur pied un protocole personnel original.
Puisque rien, absolument rien !, n’interdit de penser que les situations qui se trouvent en ce moment même dans des impasse imaginaires ne pourraient être retournées grâce à des dispositifs purement imaginaires.
FIN