Soigner jusqu'à se briser

En 2025, Soigner jusqu’à se briser a donné la parole à des soignantes et des soignants de partout au Québec, et d'ailleurs.

18 épisodes diffusés.
15 heures 48 minutes de conversations.

Cette première partie de l’épisode spécial est un montage documentaire audio, composé uniquement d’extraits tirés de la saison 2025.

Sans narration.
Juste des voix.

On y entend la vocation, l’identité professionnelle, le choc du réel, la confrontation à la mort, la fatigue de compassion et les premiers signes d'épuisement.
Ce qui s’installe quand on soigne longtemps, intensément, sans toujours pouvoir s’arrêter.

Un épisode pour prendre le temps d’écouter ce qui a été dit…
et ce qui se répète d’une voix à l’autre.

💡 Ce qu’on aborde dans cet épisode
  • La vocation et l’identité des soignant·e·s
  • Le poids des responsabilités et la confrontation à la mort
  • La fatigue de compassion et le trauma vicariant
  • Les premiers signes d’usure et de perte de repères
  • Ce que le système demande, souvent sans le dire
🎙 Personnes invitées en 2025
  • Emilie Banse, doctorante en psychologie (Épisode 0.13)
  • Cloé Beaulieu, étudiante à la maîtrise et professionnelle de recherche (Épisode 0.14)
  • Bithiah Bemmi, IPS en soins aux adultes (Épisode 0.4)
  • Johanne Bernier, M.Ps., psychologue (Épisode 0.17)
  • Mélany Boucher, infirmière clinicienne (Épisode 0.15)
  • Dre Geneviève Brassard, médecin de famille (Épisode 0.5)
  • Dr Samuel Brassard, médecin de famille (Épisode 0.3)
  • Dre Marie-Pier Côté, médecin de famille (Épisode 0.6)
  • Catherine de Ravinel, infirmière en oncologie (Épisode 0.12)
  • Dre Isabel Filgueira, psychiatre (Épisode 0.1)
  • Dre Mélissa Généreux, médecin spécialiste en santé publique (Épisode 0.8)
  • Alice Gagnon, ex-résidente en médecine (Épisode 0.18)
  • Maude Gagnon, ex-résidente en médecine (Épisode 0.18)
  • Dre Hala Lahlou, médecin de famille (Épisode 0.11)
  • Jean-Marie Lapointe, animateur, acteur et conférencier (Épisode 0.9)
  • Dre Sonia Lupien, chercheuse en neurosciences (Épisode 0.10)
  • Dre Andréanne Plante, interniste (Épisode 0.2)
  • Dre Mélissa Prud’homme, psychiatre (Épisode 0.16)
  • Laetitia Jourdan, infirmière en oncologie (Épisode 0.12)
  • Pantxika Ostiz, infirmière en oncologie (Épisode 0.12)
  • Dre Chantal Vallée, interniste (Épisode 0.7)
🆘 Ressources et soutien
  • 📞 1-866-APPELLE (277-3553) – Ligne québécoise de prévention du suicide
  • 📞 811, option 2 – Info-Social
  • 💬 535353 – Texter un·e intervenant·e
  • 💻 Suicide.ca – Service d'aide professionnel et confidentiel offert 24 h sur 24, 7 jours sur 7
  • 💡 PAMQ.org – Programme d’aide aux médecins du Québec
🎧 À propos du balado

Soigner jusqu’à se briser est un balado documentaire qui donne une voix aux soignant·e·s et à leurs proches, créé et animé par Steven Palanchuck, MD.

Une production de VociNova – La Nouvelle Voix des Soignant·e·s
Diffusée par @MedicaBot

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Le balado sur Instagram : @soignerjusquasebriser 💙
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TikTok : https://www.tiktok.com/@steven.palanchuck

🔎 Mots-clés

médecine, santé mentale, soignants, identité professionnelle, fatigue de compassion, trauma vicariant, système de santé, vulnérabilité, humanité, témoignages, balado documentaire, revue annuelle, 2025

Créateurs et invités

SM
Hôte
Steven Palanchuck, MD
Médecin et fondateur de VociNova – La nouvelle voix des soignants. Créateur du balado Soigner jusqu’à se briser et de MedicaBot - Dialogue & Dx, il met en lumière la détresse des soignants et les enjeux du système de santé.

Qu'est-ce que Soigner jusqu'à se briser ?

« Soigner jusqu’à se briser » est un balado documentaire francophone qui explore la détresse des soignant·e·s principalement du Québec à travers des témoignages bruts et des discussions avec des proches et des expert·e·s. Entre pression du métier, traumatismes accumulés et failles du système, nous posons une question essentielle : qui soigne celles et ceux qui soignent?

Une gang de chevaliers qui partent défendre le roi.

Et là, mettons que notre chevalier le plus important de la gang reçoit un coup de lance

dans la côte et il s'effondre au sol.

On ne va pas dire qu'il est un "looser", on va dire : "Mon Dieu Seigneur, il est mort au
combat, il nous a défendus dans son courage." Mais quand on regarde quelqu'un qui fait une

dépression parce qu'il est professionnel de la santé pourquoi soudainement c'est un échec
Il a juste reçu un coup d'épée dans le C'est comme ça qu'il faut le voir.

Pourquoi est-ce qu'on a cette dissociation-là?

Bonjour et bienvenue à "Soigner jusqu'à se briser".

Je m'appelle Steven Palanchuck et vous écoutez la revue de l'année 2025, partie 1.

Quand on regarde un petit enfant, "Qu'est-ce que tu veux devenir?

Qu'est-ce que veux être dans la vie?".

C'est clair que quand on a notre diplôme et qu'on commence, on n'est pas infirmière.

On a de la théorie, on a fait des stages et des choses qu'on sait.

Mais il y a beaucoup de choses qu'on va apprendre au contact.

En fait, presque tout finalement.

On l'apprend au contact de nos patients, de nos patientes et de nos collègues.

Il y a plein de fois où on rentre dans des chambres et...

C'est dramatique ce qui se passe, qu'est-ce que vous voulez dire ?

Il n'y a rien à dire.

Il y a juste à être.

Et ça, ça ne s'apprend pas toujours.

C'est en nous.

On peut apprendre le savoir-faire.

Je peux apprendre à ma fille qui a 14 ans à faire une prise de sang.

Elle va savoir la faire, la prise de sang.

Ça ne fera pas pour autant d'elle une soignante.

Mais la façon dont elle va

se présenter, la façon dont elle va aborder la personne, la façon dont elle va la toucher.

Tout ça va faire qu'elle est une soignante.

Mais faire une prise de sang, tout le monde est capable de faire ça.

Puis quand on rentre en médecine à un moment donné, ça devient tellement identitaire que
c'est comme si tu t'en vas dans des parties de famille, puis c'est comme, qu'est-ce que tu

fais?

Je suis médecin, tout ça, puis c'est comme si c'est tellement collé à notre identité, puis
à notre fierté, puis tout ça,

Puis effectivement, ça prend tellement de place.

Puis t'as besoin que ça prenne la place.

Mais au niveau identitaire, je ne me définis pas, je ne m'identifie pas au travail.

Ce n'est pas linéaire le développement personnel, le développement professionnel : je
pense que c'est circulaire.

C'est tout à fait normal de se poser des questions, d'avoir des moments où on est plus un
moment plus d'expansion, que ça va bien, on se sent un peu plus aligné.

Comme bien des infirmières, on se sent comme des guerrières.

Écoute, on entreprend beaucoup de choses.

On est comme des super women,

cordonnier mal chaussé, Je donne, je donne, je donne, je donne, mais j'oublie de me donner
à moi.

J'avais cette vision-là pour les autres, mais quand il s'agissait de moi, on dirait que
là, je ne faisais pas partie de ça.

J'oubliais que bon, je devais prendre soin de moi.

Et je suis tombée.

Le 9 janvier 2020, deux mois avant la COVID, moi, je suis tombée.

Je suis tombée en épuisement professionnel.

Tout a lâché.

Et je suis retombée avec moi-même chez moi et En me posant vraiment la question, mais où
est-ce que je m'en vais maintenant?

Si je ne suis plus une soignante, si je ne peux plus aider personne, qui suis-je
maintenant?

Et ça, ça m'a...

Pour la première fois de ma vie, je ne savais plus où je m'en allais.

Ma vie avait perdu un peu son sens.

C'est très confrontant.

C'est très confrontant de perdre notre identité à un instant.

On va le dire comme ça.

Si on a construit notre vie et notre monde à travers une identité qui s'appelle médecin,
psychologue, whatever, puis que là, on veut t'en enlever des bouts, puis t'as mis

tellement d'énergie, d'efforts...

Tu as mis tellement de toi-même là-dedans, c'est se perdre.

Donc ce moment-là de flottement où je ne pas qui je suis, puis où je suis, tu as besoin
d'être accompagné avec quelqu'un qui est à l'aise aussi dans le flou.

Puis ce ne sera peut-être pas ce qui va faire du sens pour l'autre.

C'est vrai qu'on a parfois oublié le sens de ce qu'on fait.

Quand j'entends nos dirigeants dire que tout le monde va avoir un professionnel de la
santé attitré, je me dis : mais dans quel but?

Ça veut dire quoi, soigner une population?

Je pense revenir à cette base, à cette définition-là.

Mais quand on revient vraiment à la base de : "Ça veut dire quoi, soigner?" Quand mon
patient est dans mon bureau, puis quand je lui annonce une mauvaise nouvelle,

que je l'accompagne à travers des épreuves comme un cancer, bien c'est bien sûr que je
veux être capable de prendre le temps et de donner à ce patient-là l'espace qu'il mérite

complètement d'avoir.

Mais je pense que le dénominateur commun, c'est qu'on a su trouver un certain bien-être
après tout ça.

Puis un sens aussi.

Un sens.

Fait que l'idée, c'est pas de dire, la bonne réponse est quitter ou non, mais c'est plus
de dire, toi, trouve ta propre réponse.

Mais pour ça, pose-toi les bonnes questions.

Puis de ne pas rester seul dans ces questionnements-là.

En parler, en parler à des professionnels des relations d'aide, se donner du temps comme
Maude disait.

Moi, je pense que ça passe par là.

Puis pour ça, il faut se donner le droit.

Il faut se donner droit de mettre un genou à terre et d'aller dans cette direction-là qui
est dans la vulnérabilité, dans l'écoute de soi, dans l'introspection.

C'est là qu'on trouve le sens.

Je dirais simplement que la médecine ne te définit pas.

C'est une partie de ton identité, mais ce n'est pas ton identité au complet.

De faire confiance que peu importe le choix que tu vas prendre,

t'as d'autres sphères à l'intérieur de toi qui te définissent pis faut juste que tu les
creuses pis tu les trouves.

Mais c'est faux de dire que t'es médecin ou t'es rien.

Complètement faux.

T'es une personne pis t'es une humaine comme une autre ou un humain comme un autre pis
t'as tes rêves, t'as tes qualités, t'as tes défauts, t'as tes projets, tes passions mais

c'est pas juste la médecine.

Quand je suis dans mon bureau one on one avec mes patients, je vais très bien.

J'adore être là, j'adore aider le monde, j'adore le travail intellectuel de trouver la
solution au problème.

J'adore

l'espèce de suivi longitudinal où tu comprends l'histoire de la vie des gens puis tu sais
que tu fais partie de cette histoire-là parce qu'ils te confient plein de choses puis tu

es capable de les aider à des moments critiques où ils viennent te dire des choses en
disant je te fais confiance, je te confie ça, qu'est-ce que je fais avec.

Fait que ça, ça va bien, mais c'est quand tu sors de tout ça et que tu vois le tout, comme
la somme est beaucoup plus grosse que

l'addition de tous ces petits morceaux-là, c'est les formulaires, c'est le «tu dois en
faire plus avec moins», c'est «tu rentres chez vous, t'écoutes la radio puis t'entends des

bêtises sur ta profession».

C'est «tu rentres chez vous puis tes enfants comprennent pas à quel point tu peux être
vidé de ta journée puis que t'as plus rien à donner».

Ça vient souvent avec beaucoup de culpabilité, ce que tu nommes.

Parce que justement des fois j'ai eu l'impression que j'étais même pas en mesure de donner
à mes proches ce qu'ils méritent, tu sais, puis que la qualité de mes relations...

s'est dégradée.

Je suis désolée.

C'est...

veux-tu comprendre une petite pause ?

Je pense que c'est ça le plus difficile au fond.

C'est de ne pas être capable de donner à ceux qui sont le plus important pour nous.

entre autres, nous-mêmes.

J'étais consciente de l'importance, je pense, oui, de lui montrer comment c'est important
de faire les choses qu'on aime, comme on les aime.

Ma fille, les enfants en fait, ont ça.

À cette période-là, son père travaillait moins et il était en train de faire d'autres
études, donc il pouvait être plus souvent à la maison.

Je me disais que j'étais capable d'être moins là et de prendre plus de temps pour le
travail, beaucoup de temps pour le travail, et qu'il pourrait compenser.

C'était le temps de partir

pour le travail un samedi matin très tôt, puis elle me dit...

Elle dit, "Maman, ce matin, j'aimerais ça aller travailler avec toi.

Je parlerai pas, je dirai rien, je ferai rien, je vais être dans le coin.

Je vais juste être là, mais t'auras pas besoin de me parler." Eh!

Seigneur!

J'ai dit : "Qu'est-ce Qu'est-ce je suis en train de faire?

Non,

non. Non, ça ne peut pas continuer

ça. Ça ne

réaliser à ce moment-là?

La première chose là...

C'est des questions qui se posent.

Pourquoi je fais ça?

Pourquoi je tiens tout le temps à faire le travail que je fais là en le faisant comme tout
le monde le fait?

C'est ça la norme, de travailler comme des fous, littéralement.

C'est-à-dire courir après sa queue tout le temps.

Il y a une partie de moi qui dit, c'est comme ça.

C'est comme ça que ça se fait, on va le faire.

Il y a d'être capable aussi d'en faire autant.

Justement, cette course-là, tout le temps faire plus aussi, puis comment ça vient pas
juste nourrir l'égo, mais nourrir aussi ce besoin-là de performer qui est très fort

actuellement, socialement.

Mais en même temps, en même temps,

J'étais pas moi-même.

C'est pas ça, prendre le temps avec les gens, les écouter.

Si je veux le faire, ça prend du temps, puis je ne peux pas le faire à long terme comme
ça.

Je ne peux pas faire ça.

Je ne suis pas une machine, puis je n'ai pas envie.

Il y a des bouts que ça peut être amusant, mais à longueur de journée, tu sais, tous les
jours, non, OK?

C'est pas ça que je veux faire tout le temps.

Puis...

Ma fille m'a aidée à prendre conscience de ce qui était le plus important pour moi : elle,
ma santé, notre relation, vivre, avoir le temps de s'amuser.

En fait, c'est assez intéressant parce que c'est assez simplificateur de penser que
l'épuisement, c'est simplement travailler trop.

En fait, c'est faux parce qu'il y a des médecins qui travaillent énormément, mais qui
trouvent énormément de sens dans leur métier et dans le fait de travailler autant et qui

ont toute une série de ressources qui font qu'ils ne s'épuisent pas et donc qui
compensent, par exemple, le nombre d'heures travaillées qui parfois est très, très

important.

L'épuisement, c'est bien plus que ça, c'est vraiment une perte de sens.

On ne trouve plus les raisons pour lesquelles on fait ce qu'on fait.

Et pour des professions vocationnelles comme la médecine, cette perte de sens est hyper
lourde de conséquences parce que la majorité des personnes qui choisissent d'étudier la

médecine et de pratiquer la médecine le font pour des raisons très précises, notamment
d'aide à l'autre.

Mais la réalité du terrain aujourd'hui fait que cette question d'aider l'autre, elle passe
parfois au second plan, derrière des enjeux plus institutionnels, parfois financiers, etc.

et c'est cette perte de sens qui va être centrale pour comprendre l'épuisement, pas
uniquement le fait de travailler beaucoup.

Et effectivement, quand on perd le sens de ce qu'on fait, il y a des mécanismes
d'adaptation, mettons, plus mésadaptés qui vont sortir.

Oui, en effet.

Ce que tu dis, je l'ai beaucoup observé aussi pendant mes entrevues.

C'est quelque chose que les infirmières et les infirmiers que j'ai rencontrés
rapportaient.

Que pour eux, ça ne faisait pas de sens, les conditions dans lesquelles ils devaient
travailler.

Comme tu dis, des fois, les soins étaient ramenés à la base.

La base de ce qu'il faut pour maintenir les gens en vie.

Ce n'était pas beaucoup de temps passé avec chaque patient parce

qu'ils étaient en manque de personnel.

Tout ça, ça venait vraiment porter atteinte au sens qu'ils donnaient à leur profession.

Ça ne correspondait pas du tout à ce qu'ils voulaient avoir comme pratique.

Aussi, ne pas sentir d'avoir la confiance ou la compétence de donner les soins qu'ils
devaient donner parce qu'ils n'avaient pas l'occasion d'être formés comme ils l'auraient

voulu.

Il n'y avait pas d'aide pour le faire.

Tout ça, c'est venu vraiment contribuer aussi à la perte de sens, à la perte de confiance
envers l'employeur et aussi à des gens qui ont décidé de changer de métier.

Carrément, que ces conditions-là, ça ne leur correspondait pas et que ça avait blessé leur
amour de la profession.

Ça, c'est sûr que ça a été observé.

C'est quelque chose que j'ai vécu aussi en tant que travailleuse sociale parce qu'on a

qu'on a vu une augmentation des gens sur les listes d'attente, puis là on devait prioriser
qui on va rencontrer versus qui on ne va pas rencontrer et qui va être en attente pendant

plusieurs mois, semaines.

Moi aussi, ça venait heurter mes valeurs dans ma profession.

C'est la même chose pour le personnel en centre hospitalier, c'est sûr, de devoir diminuer
la qualité perçue des soins qu'ils

voudraient ou qu'ils devraient donner pendant des périodes de crise comme ça.

C'est sûr que ça a un impact à long terme sur la santé mentale, la santé physique, tout ça
laisse des traces, ça transpose.

Il n'y a pas eu de pause après, il n'y a pas eu de pendant et de après.

après.

Moi, personnellement, je ne serais pas capable de dire quand est-ce qu'on peut dire que la
crise était derrière nous, parce que la crise a mené à d'autres sous-crises, si on veut,

ou des changements profonds dans notre système de santé, mais aussi dans l'état de santé
de notre population.

Inévitablement, ça vient changer la nature des soins et des services qu'on offre.

Il y a comme une transformation sociétale à laquelle on doit aussi s'adapter.

Donc c'est comme si on est toujours crise par-dessus crise.

Moi, je sens que notre monde est essoufflé.

Je ne peux pas dire que c'était pire pour les deux premières années qui ont suivi la
pandémie et qu'après ça, on est sur une pente ascendante.

En tout cas, du moins, de manière qualitative ou de manière de ce que je reçois comme
commentaire.

Les gens ont plus que jamais besoin qu'on reconnaisse le chemin parcouru et les efforts
qui ont continuellement été délivrés

pour toujours essayer de minimiser un peu les impacts de ces crises-là sur la population.

C'est la fatigue de compassion parfois aussi qu'on subit.

Moi, je dis souvent qu'on a des batteries d'empathie.

Puis éventuellement, quand les batteries sont vidées, elles sont vidées.

je trouve que c'est en plus très sournois, en fait.

On ne s'en rend pas compte que les batteries, elles se vident.

Et parfois quand on s'en rend compte, c'est presque trop tard en fait.

Il y a comme quelque chose qui fait que je ne peux plus en fait.

Je ne peux plus, je n'y arrive plus.

Moi j'avais toujours dit le jour où j'arrête d'être émue par une situation...

Il faut que j'arrête ma carrière parce que je ne serai plus dans l'empathie justement.

Et c'est le contraire qui est arrivé.

Au plus les années ont passé, au plus j'ai été émue, de plus en plus émue, jusqu'au point
où finalement ça m'atteignait trop.

Il faut faire attention parce qu'en tant que soignant·e, on est dans des positions qui
sont très sujettes à la fatigue de compassion ou au trauma vicariant parce qu'on en entend

des histoires qui n'ont pas de bon sens.

Puis cette fatigue de compassion-là aussi, je l'ai ressentie parce que comme tu dis, on
reçoit beaucoup.

Puis comme soignant·e, on a toujours tendance à accueillir ça, même quand
émotionnellement, on ne serait pas en mesure ou apte à le faire.

Mais on absorbe quand même, mais à un moment donné, ces batteries d'empathie-là, elles
sont à zéro, là.

C'est ça.

Il faut faire notre vidange émotionnelle à nous aussi.

Puis peu importe la façon, il faut juste trouver la nôtre.

Qu'est-ce qui fonctionne pour nous?

D'être, j'aurais envie de dire, autant consciencieux pour soi-même que pour nos
patient·e·s.

Parce que si on ne fait pas pour nous, notre caisse de résonance va être trop pleine pour

aider et accompagner pleinement l'autre.

On nous apprend à être forts, même quand je te disais, on nous apprend à dissocier.

On nous apprend à déconnecter de nos émotions pour accueillir l'autre, pour être capable
de faire notre travail.

Mais on ne nous apprend pas à vider le tiroir.

Parce que dans le tiroir, quand on se coupe, on met à quelque part cette expérience-là.

Cette expérience-là s'accumule.

Si on ne prend pas le temps de vider ce tiroir-là, il commence à devenir très lourd, très
encombré.

C'est là le pépin, ils nous apprennent à déconnecter, ils ne nous apprennent pas à vider
le tiroir, à prendre soin de ce corps qui accueille la souffrance.

Je crois que si on regarde même au plan neuroscientifique, nos cellules miroirs dans le
cerveau.

C'est quoi l'empathie?

Il faut qu'on connecte avec une partie de la souffrance de l'autre pour pouvoir
l'accueillir, pour pouvoir être à l'écoute.

On peut être vulnérables tout en n'étant pas faibles.

Exact!

Moi je pense qu'être vulnérable ce n'est pas du tout être faible.

C'est même être très fort que de reconnaître sa vulnérabilité.

C'est être conscients qu'on est des êtres humains, c'est être conscients qu'on peut se
blesser.

Dans ma conception, c'est comme s'il y avait une incompatibilité entre le statut de
médecin et le statut de patient.

C'est comme si ces deux identités étaient mutuellement exclusives.

Donc dès le départ, ce discours est transmis.

Les patients bénéficient de cette image de ce mythe du médecin invulnérable.

Et puis il y a aussi, et ça il faut le souligner, les réalités du travail qui participent
à ça, la responsabilité légale et morale que les médecins ont envers les patients, mais

aussi envers leurs collègues.

Si je tombe malade, ma charge de travail retombe sur le dos de mes collègues.

Et comme je sais qu'ils sont aussi déjà en difficulté, et par solidarité, par
collégialité,

je n'ai pas envie d'imposer cette charge de travail en plus, donc je vais tenir bon.

Le problème, c'est qu'en adoptant ces mécanismes de coping, on continue à tirer sur la
corde jusqu'à ce que ça lâche et parfois, malheureusement, qu'on se retrouve dans des

situations en termes de santé beaucoup plus graves qui auraient pu être prises en charge
beaucoup plus tôt et même parfois de manière préventive pour éviter ensuite toute une

série de conséquences néfastes à plusieurs niveaux.

Je ne peux pas en faire plus, mais je ne peux pas en faire moins.

Puis ça, ça demande aux autres d'en faire plus.

Ça contribue définitivement à la culpabilité à prendre soin de soi finalement, parce que
tu sais que si toi t'as de la misère, peut-être que les autres ont de la misère aussi avec

la quantité actuelle de travail.

Tu te dis, mais si moi j'ai de la misère, c'est moi qui suis faible et qui n'est pas
capable.

Si moi j'en fais moins, qu'est-ce qui se passe avec les autres?

Il n'y a pas moins de patients, il n'y a pas moins de jours dans une année, il n'y a pas
moins de jours dans une semaine, puis il n'y a pas moins de tâches à remplir.

Ça fait partie un peu, je trouve, de la culpabilité de demander de l'aide ou de s'avouer
vulnérable parce que, comme tu dis, des fois on entend des choses à la télévision, à la

radio, on lit des choses sur les réseaux sociaux, puis on essaie de se forger une
carapace, mais à un moment donné, quand toi tu sais que t'as donné tout ce que tu avais à

donner et plus, puis que là...

On te dit que tu n'as pas encore assez donné, que tu es paresseux, tu profites du système,
etc.

Ça vient avec la culpabilité de se dire que mes autres collègues aussi sont dans la même
situation.

Si je ralentis, eux vont devoir en faire plus.

C'est moi qui vais se faire traiter de paresseux.

Où est la fin de ça?

C'est de la culpabilité par rapport aux patients, c'est de la culpabilité par rapport aux
collègues, c'est de la culpabilité par rapport à nos familles, nos conjoints, etc.

C'est une culpabilité qui commence puis qui n'arrête pas.

Des fois après ça, c'est de la culpabilité envers nous.

Est-ce je prends assez bien soin de moi, de ma santé?

On a plein de collègues qui tombent malades puis...

et tu te dis écoute, cordonnier mal chaussé, tu dis qu'est-ce que tu as fait pour prendre
soin de toi?

Tu avais des symptômes, tu les as négligés, c'est quoi?

Mais c'est juste encore là cette espèce de culpabilité.

On se met des œillères puis on continue, on avance.

Je ne sais pas qu'est-ce que ça va prendre pour changer cette culture-là, sincèrement.

Le problème, définitivement, il est culturel.

La culture dans laquelle on a étudié la médecine, le concept qu'on appelle le curriculum
caché, qui n'est pas enseigné directement aux étudiants, mais qui est sous-entendu dans

les études en médecine.

J'avais une amie qui utilisait une analogie quand on était en médecine.

On est tous des canards.

On glisse de façon vraiment paisible, délicate et gracieuse en surface, mais en dessous,
on pédale, on pédale, on pédale, puis personne ne le voit nécessairement.

Puis on est tous un peu comme ça, puis on entretient ça.

Le fait qu'il faut travailler un certain nombre d'heures pour être dévoué aux patients,
soutenir ses collègues, travailler en équipe.

Si tu prends une pause, c'est mal vu.

Il faut tellement que tu te dédies.

Puis ça, un moment donné, au long terme, tu ne peux pas soutenir ça.

C'est important, je pense, de reconnaître qu'il a un problème par rapport à comment est-ce
qu'on voit le bien-être, comment est-ce qu'on voit la santé des médecins, ou si le fait

que quand il y a une détresse, c'est tabou de demander de l'aide, alors qu'on est
nous-mêmes des aidants.

C'est vraiment un paradoxe qui ne fait aucun sens.

Quand j'étais étudiante infirmière, comme tu dis, on ne nous enseigne pas à prendre soin
de nous, on nous enseigne à prendre soin des autres et déjà on a ce penchant-là instinctif

d'être tourné vers les autres.

Je me souviens qu'on s'encourageait aussi entre nous à se dépasser, à se donner, jusqu'à
se vider.

C'était même valorisé.

Exactement.

On est vu comme quelqu'un d'exceptionnel et on aime ça.

Cette littérature-là, elle m'a amené à voir à quel point – en tout cas à développer cette
intuition – que le problème n'était pas uniquement d'une part d'ordre individuel ou

d'ordre

structurel ou organisationnel, mais qu'il y avait quelque chose de beaucoup plus latent,
beaucoup plus pesant, mais sur lequel on mettait beaucoup moins de mots, qui venait aussi

jouer.

À savoir, toute une série d'attentes implicites de croyances, d'attitudes envers la
gestion de sa propre santé en tant que médecin qui sont inculquées progressivement et de

manière super implicite finalement dès les études de médecine et qui vont faire que les
médecins s'épuisent littéralement.

C'est ce qu'on appelle le curriculum caché.

Oui, tout à fait.

C'est vraiment un concept très important qui a été développé en éducation médicale et qui
en fait nous dit que quand on apprend la médecine aux étudiants en médecine, on apprend

bien plus qu'uniquement ce qui est dit formellement.

Et ça, c'est le cas pour n'importe quelle formation.

Il y a vraiment une différence entre ce qui va être transmis formellement typiquement, ce
qu'on va voir comme étant décrit comme les objectifs d'apprentissage sur les sites des

facultés de médecine, par exemple.

Ça, c'est ce qui est formellement transmis.

Mais c'est rarement ça, uniquement, que les étudiants vont retenir derrière ce curriculum
formel, il y a toute cette couche informelle, cachée, beaucoup plus latente et tacite, où

on parle vraiment finalement de toutes les attitudes, les normes, les croyances qui vont
être transmises progressivement aux étudiants par des discours cachés et par la manière

dont la formation médicale est organisée.

La première fois que ça m'est arrivé en tant qu'externe quand j'ai commencé à faire une
dépression...

Ça a été une mauvaise première expérience qui a mené vers mon année sabbatique.

Mais la première personne avec qui j'avais été en parler était une superviseure.

Je me suis dit que ça ne fonctionne pas, je ne me sens pas bien.

Je pleure le matin en me réveillant, je pleure le soir en revenant de l'hôpital.

Tout ce que je fais, c'est dormir et aller à l'hôpital.

J'ai été la voir et elle dit "Écoute, c'est ça ta vie maintenant, il faut que tu t'y
fasses ou sinon t'es pas dans le bon domaine."

Ça a été la première chose qui m'est arrivée.

Ça m'a complètement chamboulé.

Probablement que je ne suis pas dans le bon domaine.

n'ai pas d'affaires ici.

Ce n'est pas ça que je veux que ce soit, ma vie.

En fait, moi j'ai développé une aversion pour le mot résilience en tant que tel, pour les
individus, parce que je trouve tellement que ça a été mis un peu à toutes les sauces

durant les tragédies ou durant la pandémie.

On sait qu'on travaille dans un système qui est souvent décrit comme étant dysfonctionnel,
mais au lieu de changer le système, on demande aux individus de s'adapter.

Mais totalement, c'est pour ça que moi, jamais je ne parle de résilience individuelle
toute seule.

C'est sûr qu'on ne peut pas déresponsabiliser les individus.

On ne peut quand même pas dire que tout est imputable aux systèmes, aux organisations et
aux communautés.

Mais en même temps, l'inverse est totalement vrai.

Si c'était si simple que ça, de dire "Voici les outils pour te sentir bien, pour prendre
plus soin de toi, pour évoluer positivement et faire face à l'adversité...

Voilà, je te les donne, utilise-les et tout va bien aller".

Comme je le dis souvent, je serais au chômage.

Moi, comme médecin de santé publique, en fait, on serait tous au chômage parce qu'on
pourrait aussi partir de cette prémisse-là pour dire que, bien voilà, les saines habitudes

de vie, voici, vous ne devez pas fumer, vous ne devez pas trop boire d'alcool, faites de
l'activité physique tous les jours, ne mangez pas de fast-food, plein de fruits et légumes

et pas trop d'exposition soleil.

Puis là, la liste continue.

Si c'était si simple que ça de penser que

d'informer les gens et leur donner certaines ressources accessibles qui nécessitent des
changements de comportement et une prise en charge individuelle, si ça s'arrêtait à ça, on

serait en échec total sur plein d'enjeux de santé publique.

Ça inclut la santé mentale et le bien-être au sens large.

Pour moi, c'est indéniable qu'on doit être cohérents et agir aussi à l'échelle des
organisations et à l'échelle des communautés.

Je vais vous donner une analogie visuelle, des fois ça peut aider les gens.

Il faut toujours se souvenir qu'entre le corps, que vous vous traitez, et le cerveau qui,
moi, m'intéresse, il y a juste un cou...

C'est la même affaire, cette patente-là.

Il n'y a pas deux choses différentes.

Le cerveau s'occupe de générer des émotions, de les interpréter, etc.

Puis le corps s'occupe de faire vivre tout ça, n'est-ce pas?

Là, tout le monde prend soin de son corps.

Les gens se font des jus verts, du lait au curcuma, puis ils font des triathlons et ils
sont bien contents de mettre ça sur Facebook.

Pourtant, personne ne s'occupe de son cerveau, encore plus chez les professionnel·le·s de
la santé.

Et là, quand ils tombent au combat avec leur cerveau, là ils s'imaginent dans un état
d'échec, etc.

Je vous donne un exemple.

Une gang de chevaliers qui partent défendre le roi.

Et là, ils sont invincibles, ils se sont pratiqués, etc.

Puis ils partent au combat, puis là on les voit se battre.

Et là, mettons que notre chevalier le plus important de la gang reçoit un coup de lance

dans la côte et il s'effondre au sol.

On ne va pas dire qu'il est un "looser", on va dire : "Mon Dieu Seigneur, il est mort au
combat, il nous a défendus dans son courage." Mais quand on regarde quelqu'un qui fait une

dépression parce qu'il est professionnel de la santé et qu'il en a sauvé 14 la semaine
d'avant, pourquoi soudainement c'est un échec ?

Il a juste reçu un coup d'épée dans le flanc...

C'est comme ça qu'il faut le voir.

Pourquoi est-ce qu'on a cette dissociation-là?

je me rappelle aussi que j'ai été longtemps comme ça aussi à projeter une image de moi sur
mon meilleur jour.

Que j'étais la femme forte, j'étais la femme brillante et sur qui on pouvait compter, qui
était capable de prendre tout le sort des autres sur ses épaules et allez-y suivez-moi.

On va y arriver.

Mais ce dont je me suis rendu compte, c'est que aussi à la longue, je ne sais pas, toi, si
c'était comme ça, mais à la longue, c'est que ça use de sorte qu'on est obligé après de

maintenir cette image-là.

Essayer de la maintenir même dans les moments difficiles, que c'est là que moi je perdais
pied.

C'est pas possible de maintenir ça tout le temps.

Des fois, je veux dire, l'effondrement, ça fait partie de la vie.

On va tous et toutes vivre des expériences.

Je pense que le fait d'être humain vient avec le risque de se blesser au sens large du
terme.

Il faut juste, je pense, accepter ça.

Quand je dis accepter, n'est pas de refouler non plus, c'est de juste se dire, constater
avec une,

envers soi-même, une bienveillance.

Bien de dire, bien OK, j'ai vécu ça, ça a donné telles conséquences.

Mais c'est là, puis juste de t'en rendre compte, puis de le nommer, tu es moins attaché à
ça.

Là, je vis ma vie, puis je continue, puis je fais un pas en avant.

Tu sais, ça fait preuve de connaissance de soi, dans le sens de "J'ai cette réaction-là.

Ah, j'ai ce pattern-là".

Parce qu'on fonctionne dans des patterns, dans des autoroutes mentales parce que sinon ça
serait bien trop compliqué.

Puis on a des façons de faire ou des réactions qui viennent plus rapidement, surtout quand
on a eu un traumatisme ou quand on a eu quelque chose qui nous a marqué, ça vient créer la

réaction de compensation.

Je pense que c'est la base du pardon de soi Parce qu'une fois qu'il est fait ou entamé, on
comprend beaucoup de choses de la part des autres.

qui nous attaquent consciemment ou inconsciemment avec leurs blessures.

Évidemment, je ne peux pas ne pas penser à la dépendance de mon père, de ma mère.

Quand tu es jeune...

Je me rappelle avoir eu des réflexes de jugement, que je jugeais leurs comportements.

disais "Mais pourquoi?".

Surtout ma mère, je dirais.

Après avoir vécu l'enfer à cause d'un homme alcoolique, elle tombe dans le même piège.

J'ai même pensé quand j'étais adolescent : "Mais elle fait exprès ou quoi?

Elle fait-tu exprès pour faire chier papa?" Puis finalement, tu réalises que bien non,
premièrement, la maladie de l'addiction, il n'y a personne qui la choisit, cette façon-là

de s'autodétruire.

C'est beaucoup plus tard que j'ai compris la douleur de ma mère.

Le problème, ce n'était pas l'alcool.

C'était, c'est quoi sa douleur?

Et pourquoi l'alcool?

Pourquoi avoir choisi ce médicament-là?

Pourquoi prendre ce médicament-là, qu'elle l'ait choisi ou pas?

Oui, c'est quelque chose que j'ai observé.

L'augmentation de la consommation d'alcool pendant la pandémie, consommation de drogues,
médicaments, aussi consommation excessive de réseaux sociaux ou de jeux vidéo.

Ça, ce sont des choses aussi que j'ai vues, que moi, j'appelle dans mon projet de maîtrise
des stratégies d'évitement mental ou de désengagement, des gens qui avaient besoin de se

couper de ce qu'ils vivaient,

en fait, pendant la pandémie.

Fait que oui, c'est quelque chose que j'ai observé donc les gens qui ont été réaffectés,
les gens qui ont été réaffectés pour démissionner, mais il y a eu une augmentation

peut-être des stratégies qu'on pourrait considérer comme étant mésadaptées.

J'ai des gens qui m'avaient déconseillé d'en parler, entre autres sur les troubles de
dépendance, pour un paquet de raisons qu'on connaît,

entre autres les enjeux de déontologie.

Cette déconnexion-là de soi-même, je pense que c'est très insidieux.

Même sans aller dans le trouble, combien de fois on rentre du travail et on dit "Ah, Ah,
j'ai besoin d'un verre de vin" ou

de dire "Je veux bien dormir, je veux éteindre mes pensées." Les substances peuvent
devenir un espèce de raccourci pour atteindre un état.

Éventuellement, il faut réussir à court-circuiter ces raccourcis-là pour aller plus dans
des comportements sains et d'essayer de trouver de la dopamine

autrement.

Mais l'autre chose que j'ai répondu aux proches qui émettaient des réserves, c'était que,
oui, le rôle des ordres professionnels comme le Collège des médecins, la première mission,

c'est la protection du public.

Mais ce que je disais, c'était que si on veut vraiment protéger le public, il faut faire
en sorte que les soignants se soignent, qu'ils soient en santé, puis donc, qu'ils

demandent de l'aide professionnelle quand c'est nécessaire, puis qu'ils

puissent se sortir de la honte qui fait en sorte qu'ils restent dans des comportements
destructeurs.

Puis le fait d'en parler, ça n'invente pas la réalité.

Ça fait juste lever le voile sur quelque chose qui est déjà là.

Qu'on le veuille ou non, actuellement, il y a des soignants qui consomment puis qui sont
peut-être même rendus à l'étape du trouble.

Oui, ça peut mettre les gens inconfortables de nommer ça.

Que vous soyez confortable ou inconfortable à entendre ça, c'est la réalité.

mais je pense que de soigner nos soignants puis de faire en sorte que les gens sortent de
la honte, il ne devrait pas y avoir de honte à ça, justement.

Vraiment.

parlait du tabou d'aller chercher de l'aide.

Quand tu regardes, 80 % des médecins ne se sentiraient pas à l'aise de parler de leur
détresse ou de ce qu'ils vivent à un autre collègue.

À cause du tabou puis tout ça.

Mais 80 % des médecins se sentiraient très à l'aise qu'un autre collègue vienne leur
parler de qu'ils vivent.

Ça ne fait aucun sens quand tu penses à ça.

Quand je suis arrivé à la résidence, j'étais déjà plus affirmé comme personne.

J'avais trouvé un peu plus ma place là-dedans et je savais que je voulais faire ça dans la
vie.

Mais là, j'ai frappé un deuxième mur, peut-être un peu moins violent que la première fois,
quand j'ai commencé à faire des soins critiques, de l'urgence, des soins intensifs.

Parce que ça se passait super bien, mais dans ma tête ça se passait vraiment pas bien.

Je faisais des crises de panique avant d'arriver à l'hôpital le matin.

Quand je faisais des réas, je paniquais, ça tournait.

Comme tu disais, on est bon pour le cacher, mais c'était exactement ça que j'avais appris
à faire.

Les patrons avec qui je travaillais étaient comme, tu as l'air en contrôle, tu as l'air
calme, détendu.

On dirait que tu sais où tu t'en vas.

J'étais rendu bon pour le faire paraître,

mais dans ma tête, je paniquais.

Le patron me demande c'est quoi mon objectif de la journée.

Puis j'ai répondu : survivre.

J'ai aimé ça parce que la personne avec qui j'étais a reflété et dit,

"Parce que ça te stresse d'être ici?

Tu te sens stressé par rapport à ta journée aux soins?"

Juste le fait de prendre ce petit 30 secondes d'ouverture de la journée, ça a été super
positif et ça a calmé le niveau d'anxiété x 1000.

La majorité des gens vont être super réceptifs et compréhensifs, mais c'est le faire qui
est extrêmement difficile.

On ne sait pas ce qui se passe dans la tête de l'autre la majorité du temps.

de se montrer vulnérable, donc de se montrer humain, qu'on n'a pas toutes les réponses,
puis qu'on peut avoir des émotions difficiles, ça fait partie de l'affaire.

Puis d'avoir une pratique qui est humble, je trouve que ça diminue peut-être l'anxiété de
performance aussi parce que le sentiment juste de dévoiler, "Écoute, là, je suis un peu

perdue ou je vis telle telle émotion..."

Ça peut enlever le sentiment de panique, ça regroupe les gens, on se sent moins seul·e·s.

C'est pour ça que l'humilité est une arme, une arme spectaculaire contre le stress.

Pourquoi?

Parce que la journée où on décide d'être humble, puis juste se dire, mettons que ça avait
de l'allure, juste pour le fun.

Mettons, seul dans l'auto, pas besoin de dire ça au souper avec les collègues, seul dans
l'auto.

Qu'est-ce que ça ferait?

Qu'est-ce que ça me dirait?

Mettons que je décidais de lâcher le couteau entre les dents, là.

Deux minutes.

Qu'est-ce que ça ferait?

Juste voir.

Puis ensuite, soyez à l'affût de comment votre corps va réagir.

Vous allez être étonné.

Ça va commencer à ouvrir.

Pour moi, c'est important de me recentrer, de prendre une pause et de me requestionner.

Parce que depuis le jour 1, que j'ai travaillé comme je me suis fait une promesse que
j'essaie de garder pour le reste de mes jours :

je dois être bien dans ce que je fais.

Si ça nécessite que je fasse des modifications au sein de mon travail, que ça nécessite
que je change de travail, dans mon parcours, je ne suis jamais restée au point où j'ai

commencé.

J'ai toujours évolué.

Et moi, c'est ça qui me rend heureuse.

Et si je ne pas capable de changer les choses qui me rendraient heureuse, je change ma
façon de penser.

J'ai aussi changé de milieu parce que des fois, mon milieu ne correspondait pas à mes
attentes.

Le mot peut-être, je te dirais, pour résumer tout ça, c'est de s'écouter et d'être capable
de dire "Je passe à l'action".

Pas juste s'écouter et se plaindre, mais aussi prendre l'étape suivante : de passer à
l'action.

Parce que ce ne sont pas des modèles qu'on voit souvent, des réorientations de carrière,
alors que les études médicales sont terminées, que la résidence est débutée.

Comme vous dites, on dirait que c'est peut-être tabou.

Je ne sais pas, c'étaient quoi les sentiments qui vous habitaient, peut-être qui vous
bloquaient à en parler au début.

Ah mon Dieu, ben la honte, la honte là vraiment moi aussi.

C'est comme si, c'était comme le feeling de faire un marathon, un marathon de 42.2 km pis
t'en as fait 40 pis là tu vas dire OK je sors du marathon.

Fait que c'était vraiment la honte associée à ça, t'as tellement mis d'efforts pis t'as
décidé volontairement de te retirer

de ce processus-là, puis qu'est-ce que les autres vont penser.

Il y a quelque chose de très glorifiant en médecine de dire c'est tellement dur rentrer.

Il y a tellement de monde qui se font rejeter plusieurs fois au processus d'admission que
toi t'es rentré, tu as fais ton parcours quasiment jusqu'à la fin, puis tu décides de

quitter.

C'est ça que je me disais, mon Dieu, les gens vont...

Ma famille va avoir honte, les gens autour de moi vont avoir honte, mais je pense que
c'est une honte qui m'habitait que je projetais sur les autres.

Je m'intéresserais à savoir qu'est-ce que vous aimeriez dire aux personnes qui ont envie
de quitter ou qui ont quitté?

Si vous avez envie de quitter, quittez, quoi.

Spontanément, c'est ce qui me viendrait.

Quittez, quitte à revenir plus tard.

Mais si vous vous posez la question, je pense qu'il faut vous écouter.

Parce qu'il y a quelque chose qui ne marche plus.

Mais il faudrait voir quelle est l'origine en fait de ce désir de vouloir quitter.

Parce que ça se peut que ce soit parce qu'on est arrivé au bout de quelque chose...

et puis surtout n'hésitez pas, je veux dire qu'il ne faut pas avoir peur, la peur elle est
là, mais derrière c'est beau aussi.

Mais c'est sûr que si on quitte parce qu'il y a une usure, un burn-out ou quelque chose,
il faut savoir s'arrêter, se faire aider pour peut-être pouvoir mieux revenir ou mieux

quitter aussi.

Écoutez-vous, prenez soin de vous d'abord et avant tout.

Aimez-vous profondément.

Peu importe les messages qui viennent à l'extérieur, je pense qu'il reste qu'on est
capable.

Puis des fois, c'est ça, ces crises-là qui arrivent dans notre vie individuelle ou
collective.

C'est grâce à ces expériences-là qui, des fois en surface et même qui vont nous affecter
profondément si on y résiste longtemps à s'écouter, vont nous amener là où on veut aller

le plus.

Ce que je dis souvent à mes clients, c'est que, les pires juges envers nous, c'est bien
sûr nous-mêmes.

Puis de se parler comme on aime se faire parler par les autres, par quelqu'un qu'on
apprécie, bien c'est ça.

Parlez-vous, offrez-vous ce que vous avez envie le plus, puis c'est parfait parce que je
pense à nous rejoindre tous.

En fait, point principal, c'est de faire soi-même des time-outs, des temps
d'auto-évaluation, de comment on se sent, comment répertorier en soi quand ça ne pas bien.

De prendre le temps de faire comme un scan corporel de son état, des dernières semaines,
de faire au moins une fois par...

deux semaines, une fois par mois, et minimalement.

C'est-à-dire, là, là, comment ça se passe?

Ma santé.

Si je me...

Si je me...

Je sors de ma personne et j'observe sans critiquer.

Ce n'est pas...

L'exercice ici, ce n'est pas d'être dans la critique.

"T'as pas encore fait ça".

Non, ce n'est pas ça.

C'est de se permettre d'être un observateur.

Observer.

J'observe que...

J'ai pas été en mesure de prendre une pause ou d'aller prendre un café avec une amie cette
semaine ou pendant le dernier mois.

Je n'ai pas eu d'interactions avec mes proches.

Je n'ai pas appelé quelqu'un.

Je pense que c'est là où le mouvement pour l'autocompassion, c'est quand même quelque
chose d'important.

Je pense que ça, c'est un exercice très important pour soi-même parce que, dans le fond,
on a le répertoire de comment identifier quand ça ne pas chez quelqu'un d'autre, mais chez

soi, on ne l'a pas.

Je pense que ça se développe.

On parle toujours de dépression comme étant un dérèglement biologique ou d'épuisement
professionnel ou d'anxiété.

Mais en stress, on pas si sûrs de ça, nous.

Et pour beaucoup, beaucoup de mes collègues en évolution, revenons à une dépression.

C'est quoi une dépression?

Une dépression...

c'est...

Votre corps et votre cerveau qui vous disent quelque chose depuis des mois, mais que vous
ne voulez pas l'écouter.

Et puis vous ne voulez pas l'écouter.

Et puis vous ne voulez pas l'écouter.

Puis à moment donné, vous allez atteindre votre résistance, et le cerveau va dire : "Bon,
ben là, il y a de quoi que tu n'as pas compris, fait que là, je vais t'arrêter, sinon on

va péter au frette tous les deux." Et là, vous allez tomber justement pour ne pas péter au
frette, comme on dit.

Et souvent, ça va être, je sais pas...

T'aimes pas ta job et vous ne voulez pas vous l'avouer.

T'aimes pas ta femme et

vous ne voulez pas vous l'avouer, etc.

Et ce qu'on voit, c'est que ceux qui font des dépressions, ceux qui font des grands grands
changements dans leur vie – je change d'emploi, je deviens coiffeuse, j'ai toujours voulu

faire ça, je suis devenue médecin parce que je voulais juste fait plaisir à mon père par
exemple – eux ont beaucoup moins de rechute que ceux qui ont eu des dépressions et qui

n'ont rien changé.

Donc, il faut toujours voir ça justement comme des messages que notre cerveau nous envoie,
qu'il y a un nœud et qu'il va falloir qu'on en parle.

Souvent,

c'est même pas d'en parler aux autres, je trouve, le problème.

C'est de se l'avouer à soi d'abord et avant tout.

Puis je dis souvent aux gens, si vous avez de la misère parce que c'est stigmatisé d'en
parler aux gens, quand vous êtes pris dans le trafic, dites-le à voix haute une fois.

Juste une fois.

Faites juste ouvrir la porte.

Juste ouvrir la porte, puis regardez comment vous vous sentez.

Vous allez voir, ça va ouvrir parce que là le système dit : "Bon, il vient de finir
d'allumer lui-là." Et à partir de là, peut-être que ça va ouvrir d'autres portes, mais ça

va pas se faire tout d'un coup.

Je pense qu'il finit toujours par y en avoir des signes que quelqu'un va moins bien.

Quelqu'un qui commence à être plus sec, à être irritable, à perdre patience sans raison.

Moi aussi, ce sont des choses qui me sont arrivées quand je commençais à ne plus me
reconnaître.

Je faisais une activité que j'aimais et je me fâchais pendant cette activité-là.

Je perds patience sans raison.

Je pense qu'il finit toujours par y avoir des signes.

C'est juste, est-ce que les gens sont attentifs?

Ça c'est une autre histoire.

Ou est-ce que les gens osent les aborder?

Puis le fait de ne le faire dans l'action amène ça aussi.

Parce que là on repart à la maison, on le réfléchit, on le décortique un peu.

Ou des fois on fait juste le balayer en dessous du tapis parce qu'on veut juste pas
prendre la peine de l'analyser, de l'écouter, de le ressentir.

Puis demain se lève avec son lot d'événements, de sonneries, d'appels.

Puis finalement on n'y revient pas.

Et puis c'est cette accumulation-là en bout de ligne qui devient problématique à moment
donné.

À force de reporter, à force de ne pas adresser, à force de ne pas analyser en temps
opportun, c'est là qu'à un moment donné le presto peut sauter.

C'est ça qui nous menace si on n'y prend pas garde.

Moi, quand on parle d'exploser sans le vouloir au mauvais moment, au mauvais endroit, dans
les mauvaises circonstances...

Pendant 15 ans, j'ai pratiqué en soins palliatifs et j'ai su que je devais arrêter le jour
où j'ai perdu patience.

J'étais dans une unité de soins puis je pense que c'était juste trop cette journée-là.

Normalement, je suis

très polie, très gentille, très respectueuse de tous mes collègues, très proche des gens
sur l'étage, les infirmiers et les infirmières.

Et je pense que ça faisait peut-être la dixième fois que j'essayais de m'asseoir.

pour écrire mes notes et que quelqu'un me demandait quelque chose puis qu'il fallait que
je me lève.

Il y a une famille dans le corridor qui veut me parler, il y a quelqu'un qui appelle, il
faut répondre au téléphone.

La pagette qui sonne et tout à coup je m'assois pour écrire et là y a un de mes collègues
infirmier qui vient et qui veut juste m'interpeller et là j'étais comme...

Non!

Non!

Une réaction complètement absurde maintenant que j'y pense...

Démesurée, absurde, non professionnelle selon les standards.

Je pense qu'il ne m'avait jamais vu comme ça et moi non plus.

Et à ce moment-là je me suis dit, qu'est-ce qui se passe?

C'était vraiment, c'était tellement

minime comme demande.

Il n'y avait rien là, Mais je pense que c'était trop pour cette journée-là, c'était trop
pour cette année-là, c'était trop pour les 15 ans.

Je pense que c'était la micro-goutte qui avait fait déborder mon vase, qui était déjà
plein depuis des années.

...

C'est vraiment à la résidence que je me disais en médecine familiale quand je vais être
rendue dans ma résidence, ça va être mieux parce que je n'aurai plus la pression

d'évaluation, qu'on a à l'externat, de rentrer dans ton GMF, dans ta spécialité.

Puis en arrivant à la résidence

je me rends compte que je vais pas mieux, tu as encore plus de pression, tu as des
patients à t'occuper, t'as tes gardes, et dans tes gardes t'as beaucoup plus de

responsabilité que quand t'es externe, ton horaire dans le fond, il est encore plus chargé
parce que tu reviens le soir, faut que tu gères tes labos et tout ça.

On dirait que l'image que je m'étais créée de la résidence, c'était pas vraiment ça.

Puis c'est là que le cynisme est embarqué, les premiers signes d'épuisement.

Je me rappelle, j'allais au GMF, Maude me disait, t'as donc bien l'air cynique ou éteinte.

J'étais juste fatiguée, j'avais pas beaucoup dormi.

Mais le cynisme est embarqué.

Je me rappelle, en te voyant, ça m'inquiétait, je me disais...

Oh my god, faut pas que tu me lâches parce qu'on se tenait beaucoup ensemble et on était
un peu...

on se motivait beaucoup et bref ça m'a vraiment...

Ben oui, on voulait comme...

On voulait affronter les derniers kilomètres ensemble mais on sentait que les deux on
commençait à traîner de la patte.

C'est vraiment...

on dirait que c'était comme...

je faisais mes journées pis je n'avais plus de fun, plus aucun fun, je voyais les
patients, j'avais pas de fun.

Je me sentais tout le temps comme pressée dans le temps, tu n'as pas beaucoup de temps
pour voir tes patients, tu clenches ou tu fais du débit, tout ça.

Puis l'insomnie est embarquée, l'anxiété faisait juste monter.

Fait que c'est vraiment les symptômes de dépression qui ont embarqué, la tristesse
constante, l'anhédonie.

Je ne me sentais plus moi-même.

Puis je me disais tout le temps, c'est juste parce que

mon stage est difficile, ça va passer, tout ça, mais plus ça allait, plus ça empirait.

Puis j'ai vraiment arrêté quand je n'étais plus capable de me lever le matin sans pleurer.

Dans le fond, je faisais juste pleurer, pleurer, pleurer constamment.

C'est là que je me suis dit, il faut vraiment que je prenne une pause.

Savez-vous, c'est quoi, Steven, le premier signe d'un épuisement professionnel chez un
humain?

C'est le cynisme.

Soyez très à l'affût de ça.

Chez quelqu'un qui ne l'est pas de nature.

Alors, chez quelqu'un qui n'est pas cynique, quand le cynisme commence à arriver.

"Ça ne sert à rien de toute façon." Là, c'est là que le cerveau commence à avoir son petit
nuage noir.

Donc, soyez à l'affût de ça d'abord.

Deuxième chose que je voulais vous dire, les gens ont tendance à oublier ça.

Vous êtes en stress chronique et vous n'êtes pas encore tombé au combat avec une
dépression, mais ça s'en vient.

Mais avant de tomber, vous avez la brillante idée de dire "OK, il que je fasse de quoi."
Voici l'information importante.

Ça prend autant de temps à un cerveau humain de déstresser que ça lui en a pris pour
stresser.

Elle est là l'erreur des humains.

Les humains pensent que la journée où ils lâchent le couteau entre les dents et ils disent
"ça y est, ça ne va pas bien" qu'en quatre semaines avec du jus vert, ça va bien aller.

Mais non!

Pourquoi ?

Parce que le cerveau, c'est un détecteur de menaces.

Sa job, c'est de détecter des menaces pour nous faire survivre.

C'est pas parce qu'un jour, quand ça fait sept ans qu'on est en stress chronique et qu'on
lui dit qu'il y a de la menace partout, qu'on n'est plus capable de dormir, qu'on prend

trop d'alcool et qu'on a mal à la tête à temps C'est pas parce qu'un jour on dit "OK, là,
cerveau...

ça va.

Il n'y a plus de menaces" qu'il va dire "OK"...

Ben non!

Il va dire "Ne prends pas de chance!"

Et donc, si ça vous a pris sept ans stresser, bien ça va vous en prendre sept à déstresser
graduellement.

Donc, on est trop impatients, puis on dit "Ben, ça marche pas." Ben là, donnez-y une
chance, il est encore en train de chercher des stresseurs lui-là, il n'est pas fou, lui,

sa job, c'est d'assurer la survie de l'espèce.

Ça, c'est la première chose importante.

Deuxième, mettons que vous êtes en stress chronique, vous tombez au combat.

Et là, vous tombez à genoux, pris dans le flanc.

Vous avez une dépression, un burn-out, un épuisement professionnel.

Deuxième chose que je veux vous dire, sachez que

quand vous allez revenir au bureau, vous n'aurez plus jamais la même résistance au stress
que vous aviez avant.

Jamais.

Vous ne plus jamais capable de tout faire ce que vous faisiez et ce ne sera pas un échec.

C'est votre cerveau qui vous sauve la vie.

Pourquoi?

C'est comme si le cerveau disait : "Bon, mon espèce de nono...

Pendant des années, tu as stressé, je t'ai envoyé plein d'indices pour te dire que tu
étais stressé, et tu n'as rien vu.

Tu n'as rien vu, tu as tout mis ça en dessous du tapis.

Et évidemment, tu es tombé au combat.

Moi, ma job, c'est d'assurer ta survie.

Fait que là, tu n'auras plus jamais la même résistance, c'tu clair ?

Tu ne seras plus jamais capable.

Je vais faire en sorte qu'à mi-chemin, tu vas tomber à genoux.

Tu ne pourras plus jamais te rendre jusqu'où tu es allé.

Les gens voient cette diminution-là de la résistance comme un échec.

C'est un cerveau qui dit : "Je vais t'aider parce que tu n'as pas l'air d'allumer."

Et c'est une merveilleuse réponse pour assurer la survie de l'espèce.

Et donc, ce qu'on pourrait voir comme échec, c'est la beauté d'un système merveilleusement
bien organisé pour nous aider quand on n'a pas l'air d'allumer qu'il faudrait le faire

nous-mêmes.

C'est ça, puis c'est ça, quand la personne elle s'arrête à ce moment-là, ça prend
énormément de temps de se remettre de ça.

C'est tellement rendu profond, c'est ça qui est triste, moi, c'est ce que j'observe.

La personne est tellement maganée, elle s'est tellement maganée, elle s'est tellement pas
écoutée.

C'est fou à quel point j'ai des patients qui se rendent à un certain point leur corps
lâche, C'est comme si le corps s'enflamme.

Il réagit.

Dès qu'il est question de reprendre le travail, d'augmenter le rythme, le corps, il casse.

Il casse.

Il laisse pas la personne reprendre un plus grand rythme.

C'est ça, en tout cas, de ce que moi, j'observe.

Quand tu dis, mettons, les traumas qu'on met de côté, face auxquels on se coupe, c'est
comme si...

on déconnectait de plus en plus le corps et la tête, puis là, on reste dans nos fonctions,
dans nos tâches, puis le corps assume cette lourdeur, cette...

angoisse, cette souffrance, c'est le corps qui l'avait vu, puis là, soudainement, quand ça
casse, c'est comme si la personne se sentait complètement vulnérable,

complètement... Tu sais, la perte de contrôle

Mon corps ne me répond plus.

Mon corps ne veut plus accueillir ce que moi je souhaite dans ma tête.

Moi je veux continuer.

Moi je veux

poursuivre. Puis le corps il ne veut plus, puis c'est là que la personne se sent de moins
en moins

compétente. C'est drôle parce que ça rien à voir là, c'est pas une question de

compétence. C'est une question

T'abuses de ton propre corps, t'abuses de toi-même.

Je réalise qu'en tant que médecin, on est souvent beaucoup plus dans notre tête que dans
notre corps.

On néglige tellement nos besoins physiques, on est tellement connectés à notre tête et pas
nécessairement connectés à notre corps, au moment présent, à ce qui se passe en dedans de

nous, à nos émotions.

On est tellement dans l'action de "qu'est-ce qu'on doit faire" que...

On ne réalise pas c'est où, la limite?

C'est quand que ton corps est vraiment épuisé?

Je pense que pour plusieurs, c'est quand ils ne sont vraiment plus capables de fonctionner
qu'ils arrêtent.

On a beaucoup de médecins qui travaillent, qui sont en dépression, qui travaillent avec
des maladies chroniques sévères, mais qui continuent à pousser parce que

c'est ça qui est attendu d'eux, c'est ça qu'ils attendent d'eux-mêmes.

Et il y a cette espèce de déconnexion qui se fait pour juste survivre.

J'appelle ça le syndrome de la tête au-dessus de l'eau.

Tant que ma tête est au-dessus de l'eau, tout va bien.

Je ne sais pas ce qui se passe avec mon corps, mais tout va bien.

Puis en médecine, on est forts là-dedans.

On garde la tête au-dessus de l'eau puis on continue...

On est souvent assis du côté du bureau du soignant.

Mais d'être du côté du soigné, ce n'est pas facile.

Ça demande beaucoup de lâcher prise.

De l'autre bord du bureau, tu as le contrôle.

Quand tu passes du côté du patient, tu as moins le contrôle.

Tu t'en remets beaucoup à celui qui est justement de l'autre côté du bureau.

Tu n'as pas le choix.

Ça fait partie des expériences de vie qui nous marquent, je pense, cette expérience
patient-là.

Je pense pas que c'est essentiel à devenir un bon médecin que d'avoir une expérience à un
moment donné où tu es assis dans la chaise de celui que normalement tu accompagnes.

Mais c'est clair que ça change la vision des choses un peu.

Moi, ça a changé mon approche, définitivement, parce qu'il y a des nuances que je me suis
mis à comprendre, en fait.

En ayant vécu de l'autre côté de quoi ça pouvait avoir l'air, je réalise le poids des mots
maintenant que je choisis, parce que j'ai été affecté beaucoup par les mots, par la

façon...

dont j'ai été vu, considéré.

Donc là maintenant, j'en suis davantage conscient.

c'est pour la première fois de ma vie, j'avais 19 ans à l'époque, je m'étais assise dans
un bureau de travailleur social et j'ai fait part de ma détresse parce que j'aidais

beaucoup ma mère et elle était en train de m'entraîner avec elle.

Et pour la première fois, on me disait, et toi, Mélany, comment te sens-tu dans ça?

Je me suis effondrée.

Je me suis effondrée.

J'ai dit pour la première fois de ma vie, il y a quelqu'un qui me demande comment je vais.

Excusez, ça me touche encore.

Comment je vais?

Et ça, a été un tournant dans ma vie.

J'ai pris conscience que, mon Dieu, je suis importante.

Je suis importante.

Il y a de l'espoir.

Et ça, ça m'a donné une force immense, une force de vivre, une force de continuer.

Et c'est ce qui est arrivé.

J'ai pris ma vie en main.

Moi, je te dirais que quand j'ai été mis par la force des choses dans la position du
soigné, j'ai été beaucoup confronté à cette peur que j'avais de perdre le contrôle.

Puis justement, quand on est dans la position du soignant, c'est qu'on est en contrôle de
ce qui se passe, puis de la relation d'aide, puis de la direction dans laquelle on s'en

va.

Mais quand on renverse les rôles et qu'on est mis dans la position du soigné, il faut
nécessairement faire confiance.

C'est toujours

difficile, en tout cas au début, d'accepter d'être vulnérable mais non seulement de le
reconnaître, mais d'aller vers l'autre.

Puis de demander de l'aide, puis d'aller finalement répondre aux besoins qui sont à
l'intérieur.

Je me souviens des moments où j'allais moins bien, puis les gens me demandaient "Mais...

reconnecte à tes passions, fais ce que tu aimes."

On est très souvent mal à l'aise quand on a des collègues qui visiblement ne vont pas bien
parce qu'ils vivent des choses qui parfois on ne pourrait jamais se douter qu'est-ce qui

se passe quand on retire le stéthoscope, qu'on retourne à la maison et qu'on n'a plus
notre masque de soignant.

Quand on retire ce masque-là, des fois, c'est difficile de...

comme tu dis, de s'écouter, de reconnaître les signaux.

Puis quand on est confrontés à des collègues qui vivent aussi des situations difficiles,
on a de la difficulté à intervenir ou à savoir quoi dire.

Et puis on ne nous apprend pas à "être" avec l'autre.

On nous apprend à intervenir justement.

de la corégulation émotionnelle, donc être avec l'autre.

L'autre n'a pas besoin que tu lui donnes des conseils.

L'autre a besoin que tu sois avec.

Pas de lui, pas de tasser la souffrance, pas de dire « ça va bien aller », Non, ça se peut
que ça aille pas bien, mais regarde, moi je suis là puis je t'écoute.

Je te réflète !

"Ça n'a pas l'air d'aller".

Tu peux le dire autrement, mais "Je te sens comme, tu soupires plus.

C'est pas une critique".

C'est juste, puis c'est ça, c'est juste de pointer.

"Tu fais ça, j'ai observé ci", dans la délicatesse.

Puis de juste dire, "Moi, je critique pas.

Je fais juste observer ça, puis si t'as besoin, moi je suis là".

Moi, je porte aussi, tu sais, une charge lourde.

J'observe que ça va moins bien".

De reconnaître chez l'autre et d'aller de l'avant et de dire "Va chercher de l'aide, va
chercher de l'aide avant que ça devienne encore plus lourd, parce que je te sens perdre,

je te sens dépérir et je m'inquiète".

De le nommer comme ça, c'est important.

Il ne faut juste pas s'oublier là-dedans.

Pour être bien, il faut avoir du temps pour faire autre chose.

Il faut être capable de pouvoir s'occuper de soi, de s'occuper de ceux qu'on aime.

Ils ont aussi besoin de nous autres, cela dit.

Il faut être capable de prendre du temps pour réfléchir à ce qu'on fait et pourquoi on le
fait.

Parce que c'est ça qui fait qu'on est capable de continuer après.

Il n'y aura pas d'autre moyen que de le nommer, ça, pour que les gens comprennent bien
qu'à un moment donné, on ne peut pas tout faire.

Ce système-là a actuellement bien besoin d'amour pour être capable de continuer d'avancer.

Une des choses que j'ai réalisées en faisant ce balado-là et en discutant avec des
collègues, c'est que c'est rarement un problème de connaissance de notre côté.

C'est souvent plus un problème de passer à l'action.

Qu'est-ce que vous pensez qui fait que les professionnel·le·s de la santé ont de la
difficulté à se mettre en action?

Merci d'avoir écouté la première partie de la revue de l'année 2025 de "Soigner jusqu'à se
briser.

La suite et la fin dans la partie 2.