Soyez à l’écoute du balado Hé-coutez bien! pour faire la connaissance des personnes derrière les données et découvrir les histoires qu’elles révèlent. Soyez des nôtres alors que nous rencontrons des experts de Statistique Canada ainsi que de partout au pays pour leur poser les questions qui comptent pour les Canadiens et entendre leurs réponses.
Annik : Bonjour, pourriez-vous vous présenter avec votre nom et vote fonction.
Tahsin : Mon nom est Tahsin Mehdi et je suis économiste de recherche à Statistique Canada.
Annik : Qu'entendons-nous par intelligence artificielle ou IA et pourquoi est-ce que tout le monde en parle?
Tahsin : L’intelligence artificielle désigne la théorie et le développement de systèmes informatiques capable d'effectuer des tâches nécessitant normalement l'intelligence humaine.
En d'autres mots il s'agit de la capacité d'un ordinateur ou d'une machine à imiter l'interaction, la prise de décision et le processus de réflexion humain. Le terme automatisation est peut-être familier, mais l'IA n’est pas exactement la même chose que l'automatisation et donc c’est important de faire la distinction entre les deux concepts.
L'automatisation est l'utilisation de la technologie pour effectuer des tâches simples, routinières et non cognitives et l’IA est l'utilisation de la technologie pour effectuer des tâches complexes et non routinière et cognitives. Ce qui distingue L’IA c'est qu'elle peut être entraînée sur de grandes quantités de données, ce qui lui permet d'apprendre, de s'améliorer et de s'adapter au fil du temps.
Annik : Selon vous, combien de travailleurs pourraient être affectés par l’IA et quelles sont les différentes façons dont ils pourraient l'être?
Tahsin : L’IA se développe très rapidement. Nous ne savons donc pas vraiment quelle sera sa puissance à l'avenir.
Nous ne savons pas non plus comment les travailleurs, les entreprises et même les gouvernements pourraient réagir ou s'adapter à l’IA mais une étude récente de Statistique Canada apporte un éclairage sur les effets possibles de l’IA sur le marché du travail canadien.
Cette étude particulière est basée sur une méthode développée par la recherche universitaire ainsi que par le Fonds monétaire international.
Cette méthode est appliquée aux données canadiennes en combinant les données du recensement de 2021 sur les travailleurs avec les données d'un site web américain appelé Occupation information Network.
La méthode utilisée dans cette étude permet de mesurer dans quelles mesures différents emplois peuvent être exposés à l’IA. Les résultats montrent qu'environ 60 % de la main d'oeuvre canadienne pourraient occuper des emplois fortement exposés à l’IA.
Aussi, ce qui est vraiment intéressant, c'est que contrairement aux vagues de transformation technologique du passé qui touchaient principalement les travailleurs peu instruits qui effectuaient des tâches routinières l’IA est plus susceptible d'affecter les travailleurs plus instruits qui effectuent des tâches cognitives, car contrairement à l'automatisation, l’IA ne se limite pas à l'exécution de tâches répétitives.
Par le passé, les travailleurs des chaînes de montage et de l'industrie étaient donc les plus touchés, mais maintenant avec l’IA les emplois nécessitant une formation supérieure comme des technologies de l’information, l’éducation, les soins de santé, les affaires, l’ingénierie, pourraient également être touchés.
Cependant, un emploi fortement exposé à l’IA ne veut pas dire qu’Il y aura nécessairement un risque plus élevé de perte d'emploi, au minimum cela pourrait signifier un certain degré de transformation de l'emploi.
Lorsqu’on pense à l'automatisation ou à l’IA on imagine souvent des robots et des machines qui prendraient le relais de nos emplois mais on oublie que les nouvelles technologies pourraient également profiter à certains emplois. Par exemple avec l'invention d'ordinateurs numérique, c’est vrai que les ordinateurs ont remplacé certains emplois, mais ils ont également créé des emplois liés à la technologie numérique. Alors, même si 60 % des travailleurs pourraient être fortement exposés à l’IA, environ la moitié de ces 60 % occupent des emplois qui pourraient être très complémentaires, par exemple, les enseignants, les infirmières, les médecins et les ingénieurs. En général, ces emplois nécessitent un degré élevé de compétence en communication. Certains de ces emplois impliquent également d'assumer la responsabilité d'autres personnes. Par exemple, les médecins prennent constamment des décisions importantes sur la santé d’autres personnes. L’IA peut être utilisé par les médecins pour les aider à diagnostiquer des maladies et à pratiquer des opérations chirurgicales mais en fin de compte, la supervision humaine sera toujours nécessaire dans ces emplois où la marge d'erreur est si faible. Les enseignants peuvent aussi utiliser l’IA pour les aider à créer des plans de cours et du contenu personnalisé pour les élèves en fonction des styles d'apprentissage individuel.
Et l'autre moitié de ces 60 % de travailleurs fortement exposés à l'IA occupent des emplois qui pourraient être moins complémentaires avec l'IA ce qui signifie qu'il est possible qu'une part relativement plus importante de leur tâche quotidienne soit remplacée par l’IA dans le futur. Il peut s'agir d'emplois dans le commerce, la finance et l'informatique et bien d'autres mais cela ne signifie pas nécessairement que ces emplois disparaîtront. Cela pourrait simplement signifier que l’IA pourrait changer la nature de leur travail et de leur tâche quotidienne et peut-être les libérer pour effectuer un nouvel ensemble de tâches comme la supervision et la maintenance de l'infrastructure.
Nous devons toutefois garder à l'esprit que ces résultats comportent de grandes réserves. Une exposition relativement plus élevée à l’IA n'implique pas nécessairement un risque plus élevé des pertes d'emploi. Les entreprises ne remplaceront peut-être pas les travailleurs humains par l’IA même si cela est technologiquement possible en raison de contraintes financières. Les estimations reflètent une vision étroite de l’IA qui inclut l’IA générative comme ChatGPT mais elles ne tiennent pas compte de l’IA plus avancée.
Les capacités de l’IA vont se développer et les tâches que nous effectuons dans le cadre de notre travail pourraient évoluer au fil du temps. Les individus et les entreprises s'adapteront différemment aux changements.
Annik : Dans notre dernier épisode on a discuté du fait que le Canada a un problème de productivité. L’IA pourrait-elle être ce qu'il nous faut au Canada pour stimuler la productivité?
Tahsin : La croissance, la productivité du Canada, en particulier de la productivité du travail est depuis un certain temps derrière les pays comparables comme les États-Unis.
Naturellement, de nombreuses personnes se demandent si l’IA peut être considérée comme une nouvelle forme de capital, peut être une force positive pour stimuler la productivité. C'est certainement possible que l’IA ait des répercussions profondes sur la productivité et par extension sur le revenu des gens Mais il n'y a pas de réponse simple. Il n'y a pas de consensus clair sur la façon dont l’IA pourrait affecter la productivité. Certains analystes qualifient l’IA de révolution industrielle et la comparent à l'invention de l'ordinateur mais d'autres analystes affirment que la bulle de l’IA pourrait éclater et que l'IA est tout simplement surfaite et qu'elle pourrait ne pas entraîner d'augmentation significative de la productivité.
Nous n'avons pas encore une vue d'ensemble de la situation, car l'adoption de l’IA par les entreprises canadiennes en est encore à ses débuts, moins d'un dizième d'entre elles déclarent utiliser celle-ci. Nous devons également nous rappeler que notre croissance de la productivité dépend en partie de la performance des autres pays. L’IA pourrait avoir des impacts différents sur différentes économies, car les taux d'adoption varieront sans aucun doute à travers le monde. Par exemple, le boom informatique a entraîné une croissance considérable aux États-Unis pendant les années 90, mais son effet était moins prononcé dans d'autres pays et on pourrait donc se retrouver dans une situation similaire avec l’IA.
Alors, même si l’IA n'a pas d'impact sur la productivité globale, elle pourrait quand même avoir des effets distributifs sur certains segments d'économie en bénéficiant certains plus que d'autres.
Annik : D’accord. On a étudié une autre question récemment, celle du changement climatique. Selon vous, qu'en est-il du changement climatique et des emplois durables?
Tahsin : L’IA a l'opportunité de jouer un rôle essentiel non seulement dans l'économie, mais aussi dans les questions sociétales et environnementales, comme le changement climatique. Par exemple, l’IA pourrait être capable d'optimiser les pratiques agricoles en analysant les données sur les sols, la météo, les cultures, pour recommander les meilleurs moments pour planter, irriguer, récolter et ainsi de suite.
Cela peut potentiellement conduire à une utilisation plus efficace des ressources et à une réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’IA peut également analyser de grands ensembles de données provenant de satellites pour surveiller la déforestation, la fonte de la calotte glacière et d'autres changements environnementaux.
Elle peut également aider à prédire les tendances climatiques futures, ce qui aiderait les gouvernements et les organisations à réagir aux événements liés au climat. Il faut garder à l'esprit que les algorithmes à grande échelle peuvent être très gourmands en puissance et en énergie. Donc, même si l’IA offre de nombreux avantages potentiels pour atténuer l'impact du changement climatique, elle nécessite également une réflexion approfondie sur sa propre consommation d'énergie pour assurer qu'elle contribue positivement aux efforts de durabilité.
Une autre question intéressante liée aux changements climatiques est de savoir si l’IA peut créer des emplois et favoriser le développement d'emplois durables en accélérant l'innovation dans des domaines liés aux panneaux solaires et d'autres sources d'énergie propre. C'est possible, mais comme elle est encore à ses débuts, nous ne savons pas encore quel sera l'impact net sur l'emploi.
Annik : le dernier type de problème que je vais vous lancer est celui de l'inégalité des revenus. Comment l’IA peut-elle nous aider dans ce domaine?
Tahsin; Oui là, je pense qu'on a peut-être une meilleure idée. Dans le passé, l'automatisation touchait principalement les travailleurs les moins instruits et les moins bien payés, mais l’IA pourrait être différente car elle est plus susceptible d'affecter les travailleurs les plus instruits qui gagnent également plus.
Cependant, les travailleurs les plus instruits et les mieux payés sont également plus susceptibles d'occuper des emplois très complémentaires à l’IA. Ainsi, si quelques travailleurs situés au haut de l'échelle des revenus récoltent les effets positifs de l’IA et augmentent leur potentiel de revenu, cela peut éventuellement accroître les inégalités de revenu si la croissance des salaires reste stagnante en bas de l'échelle.
De plus, si seuls quelques entreprises adoptent l’IA et sont en mesure de conquérir une plus grande part du marché, en conséquence des revenus du capital pourraient être concentrés entre quelques individus et les actionnaires, ce qui pourrait également accroître les inégalités de revenus et de richesse
Annik :
Je comprends. Donc, en ce qui concerne l'avenir, évidemment, vous n'avez pas de boule de cristal, mais on peut quand même faire de notre mieux pour essayer de deviner. Donc, les nouvelles technologies bouleversent constamment notre façon de travailler.
Il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup d'emplois qui n'existent plus à cause des nouvelles technologies. On s'est amusé si à parcourir les ces exemples et à trouver des emplois intéressants qui existent plus, comme les conducteurs de calèche, les opérateurs d'ascenseur, les conducteurs de Pony express, les scribes, les crieurs publics, les allumeurs de réverbères. Ou en est, selon vous, l'échelle potentielle de l’IA si vous deviez classer les technologies perturbatrices d'une manière générale, quelle est l'importance de l’IA à l'heure actuelle? Et si vous pouviez réfléchir à son potentiel futur?Qu'en pensez-vous?
Tahsin : Pour l'instant, l’IA en est encore à ses débuts et les entreprises commencent seulement à l'utiliser. L’IA peut certainement être une force disruptive et a également le potentiel d'être révolutionnaire dans certains secteurs comme l'éducation et la santé. Elle peut façonner l'avenir de manière à la fois prometteuse et stimulante et je dirais qu'elle a déjà suscité beaucoup d'enthousiasme en même temps qu’elle suscite des inquiétudes. Alors ce mélange d'opportunité et d’incertitude continuera d'être au centre des discussions dans le monde de la technologie des affaires et au-delà. À l'heure actuelle, lorsque la plupart des gens pensent à l’IA, ils pensent probablement à l’IA générative comme Chat GPT qui a un système qui prend vos entrées et vous répond, il ne s'agit cependant que d'un type. À l'avenir il pourrait y avoir d'autres types d’IA comme l’IA général, qui est une forme plus avancée d'IA capable de penser et d'agir de manière autonome, sans intervention humaine.
Alors à l'avenir, l’IA facilitera-t-elle notre vie? Notre travail? Aurons-nous tous des voitures autonomes? On ne sait pas. Ce que nous pouvons faire, c'est de continuer à suivre l'adoption de l’IA et son potentiel sur les travailleurs, les entreprises, l'environnement, mais seul le temps nous dira quel sera son impact.
Annik : Pour beaucoup d’entre nous, notre travail représente une partie importante de notre identité alors que l’IA est de plus en plus capable de prendre en charge une part croissante de nos tâches professionnelles. Pensez-vous que nous perdrons ce sentiment d'appartenance à notre travail ou est ce qu'il s'agit simplement de s'adapter et de trouver un sens à ce paysage émergent de l’IA?
Tahsin : L’IA pourrait avoir un impact considérable sur la mesure dans laquelle les travailleurs trouvent leur travail significatif. Et pour vous donner un exemple concret, prenons les chercheurs comme moi. Les chercheurs peuvent passer beaucoup de temps à réfléchir aux questions de recherche, à découvrir ce qui existe déjà et à rassembler des sources de données potentielles.
Ces tâches peuvent nécessiter une bonne dose de créativité, mais si quelque chose comme chat gpt devait devenir meilleur que nous dans ces tâches et finalement prendre le relais de cet aspect de la recherche certains chercheurs qui valorisent ce processus créatif pourraient trouver leur travail moins significatif tandis que d'autres pourraient accueillir ce changement avec plaisir, car cela pourrait potentiellement leur faire gagner du temps et ils pourraient se concentrer sur d'autres tâches,
Annik : Comment les systèmes éducatifs peuvent-ils s'adapter pour préparer les étudiants et les futurs travaillants à un marché du travail axé sur l’IA?
Tahsin : Je dirais qu’une éducation centrée sur les compétences générales est essentielle. L’IA peut effectuer de nombreuses tâches techniques, mais des compétences comme la communication, la résolution de problèmes, l'intelligence émotionnelle, l'adaptabilité sont plus difficiles à reproduire pour les machines. La littératie numérique demeure importante. Évidemment, l’IA devient de plus en plus performante dans l'écriture de code et dans d’autres tâches que nous pourrions effectuer sur un ordinateur, mais elle est toujours susceptible de faire des erreurs et donc, il est de plus en plus important, de comprendre les bases de la technologie numérique, son rôle dans la société et d'apprendre à considérer d'un point de vue critique. Le rythme rapide des changements technologiques signifie que l'apprentissage peut être important après l'éducation formelle, que ce soit sur le lieu du travail ou dans le système scolaire formel. En fait, il est essentiel que les étudiants, comme tout le monde, apprennent les implications éthiques de l’IA. Apprendre à utiliser l’IA de manière responsable est donc une compétence en soi.
Annik : Pourquoi est-ce que les résultats de cette étude sont importants?
Tahsin : L’IA pourrait être le prochain grand perturbateur du marché du travail, même si nous ne pouvons pas prédire les effets de l’IA dans le futur, il est important de fournir une vue courante de l’IA afin de pouvoir éclairer les discussions liées à des sujets tel que la planification de carrière.
Annik : merci beaucoup, Tahsin, d'avoir partagé votre expertise avec nous.
Tahsin: Tout le plaisir était le mien. Merci.
Annik:Vous venez d’écouter Hé-coutez bien!
Vous pouvez vous abonner à cette émission à partir de n’importe lequel des sites où vous obtenez habituellement vos balados. Vous y trouverez également la version anglaise de notre émission, intitulée Eh Sayers. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez surtout pas à la noter, à la commenter et à vous y abonner. Merci de nous avoir écouté!
Si vous vous intéressez à l'avenir de l'IA et à son impact potentiel sur la main-d'œuvre de demain, consultez l'article publié le 3 septembre intitulé Estimations expérimentales de l'exposition professionnelle potentielle à l’IA au Canada. Un article de suivi a été publié le 25 septembre sous le titre « Exposure to artificial intelligence in Canadian jobs : Experimental estimates. » Vous pouvez trouver les deux articles sur le site web de StatCan.
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