Bâtarde / Bastard

Laurence Dauphinais apprend à l’âge de 11 ans qu’elle est née d’insémination artificielle. Elle se demande ce qu’elle a hérité de son donneur, mais ne peut rien confirmer parce que le don est entièrement anonyme. Jusqu’à que quelque chose vienne changer la donne : les tests d’ADN.

Crédits :
Co-réalisation : Laurence Dauphinais et Julien Morissette / Narration : Laurence Dauphinais/ Invité.e.s : Diane Dauphinais, Josh Stone, Isabel Côté, Rabbin Adam Scheier / Recherchiste : Sophie Gemme / Montage et mixage : François Larivière / Conception musicale : Mathieu Bérubé / Production exécutive : Stéphanie Laurin
Un balado du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et du Théâtre Centaur en collaboration avec Transistor Média

Show Notes

Laurence Dauphinais apprend à l’âge de 11 ans qu’elle est née d’insémination artificielle. Elle se demande ce qu’elle a hérité de son donneur, mais ne peut rien confirmer parce que le don est entièrement anonyme. Tout ce qu’elle sait, c’est que sa mère a fait affaire avec le centre de fertilité de l’Hôpital Général de Montréal, en octobre 1982. La procédure vient de devenir légale au Canada. Il n’y a pas de banque de donneurs au pays et ce sont souvent de jeunes médecins qui donnent pour la science. 

Dans le flou entourant son identité, Laurence se met à fantasmer pour combler le vide. Ayant grandi dans une famille unilingue francophone du nord de Montréal, elle se demande qu’est-ce qui explique sa maîtrise de l’anglais et son appel vers l’ailleurs. Ses parents sont artistes, mais elle a une fascination pour les sciences. Pourquoi?

Elle s’amuse à tirer des conclusions sur l’origine du donneur. S’il est bel et bien médecin à l’Hôpital Général, il doit probablement être anglophone. S’il est anglophone, il se peut qu’il soit Juif. Cela sonne juste pour Laurence qui ira même jusqu’à Israël en espérant avoir une révélation concernant son identité.

Elle sillonnera dans le dédale des hypothèses jusqu’à que quelque chose vienne changer la donne : les tests d’ADN.

Laurence a soudain accès à une panoplie d’informations sur son donneur. Mais malgré tout, ses plus grandes questions demeurent.

Crédits :
Narration : Laurence Dauphinais
Invité.e.s : Diane Dauphinais, Josh Stone, Isabel Côté, Rabbin Adam Scheier 
Recherchiste : Sophie Gemme
Montage et mixage : François Larivière
Conception musicale : Mathieu Bérubé
Production exécutive : Stéphanie Laurin
Un balado du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et du Théâtre Centaur en collaboration avec Transistor Média

What is Bâtarde / Bastard?

Laurence Dauphinais apprend à l’âge de 11 ans qu’elle est née d’insémination artificielle. Elle se demande ce qu’elle a hérité de son donneur, mais ne peut rien confirmer parce que le don est entièrement anonyme. Jusqu’à que quelque chose vienne changer la donne : les tests d’ADN.
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Laurence Dauphinais learned at the age of 11 that she was born through artificial insemination. She wondered what she had inherited from her donor, but could not confirm anything because the donation was entirely anonymous. Until something changes : DNA testing.

LAURENCE : Je suis pas certaine, mais il me semble que j’ai lui que… Quand on est plus jeune, on ressemble plus à notre environnement, à ce qui nous entoure. Puis en vieillissant, c’est plus notre bagage génétique qui s’exprime. 

- LAURENCE : Allô!
- DIANE : Allô…
- LAURENCE : Allô Maman!
- DIANE : Allô Soleil…
- LAURENCE : Allô…Tu te souviens il y a plusieurs années, quand on avait fait la demande pour retrouver ton dossier médical, là, aux archives de l'hôpital général... pis qu'ils l'avaient pas trouvé.
- DIANE : Oui!
- LAURENCE : Bon, ben là je pensais refaire une demande…
- DIANE : Je sais vraiment pas si tu vas avoir des chances de ce côté-là amour...
- LAURENCE : Pourquoi?
- DIANE : Ben on nous a tellement dit que ça allait être… Anonyme... Et secret professionnel...

LAURENCE : Anonyme : chose dont le responsable n’a pas laissé son nom ou l’a caché.

- LAURENCE : Est-ce que tu te souviens du nom du médecin qui t'as inséminé, toi?
- DIANE : Ben oui, je te l'ai donné!
- LAURENCE : Je m’en souviens pas! 
- DIANE : Je t’ai dit: « veux-tu avoir le nom du médecin, veux-tu avoir l'heure, veux-tu, tsé? »
- LAURENCE : Bin mon Dieu maman, je veux tout ça! 
- DIANE : Je dois aller rechercher mon agenda…
- LAURENCE : Je suis désolée… Fait que tu vas aller chercher ton agenda de 82... 
- DIANE : Oui…
- LAURENCE : Ok…
- DIANE : Ça presse? Est-ce que ça presse? … 
- LAURENCE : Ben écoute si t’as le goût d’aller le chercher là c’est super… 
- DIANE : Bon je vais y aller Laurence, je te rappelle… Je sens que c’est pressant… 
(Pause)
- DIANE : Dr Ackman, A-c-k-m-a-n et Dr Gardiner... Dr Jardinier. 
- LAURENCE : Ça a été quoi la chronologie?
- DIANE : Je sais que c'est Dr Sutto qui m'a envoyé là, j'ai dû avoir un appel, j’imagine, de l'hôpital, pour aller voir un médecin. Je suis allé le rencontrer avec François. 

LAURENCE : François, c’est mon père. Le seul. L’unique. C’est lui qui m’a élevé, éduqué, qui m’a aimé avec tout son amour. Mais c’est pas mon géniteur. On a pas de lien biologique, mais ça enlèvera jamais rien au rôle qu’il a joué dans ma vie. Il est et sera à jamais mon seul père. Mais, quand j’ai appris que j’avais un autre géniteur que lui, j’ai réalisé qu’il y avait une grande partie de moi qui était un mystère total.

- DIANE : Avec la lettre de Dr Sutto, ça a accéléré les choses. Et pis là ils nous ont demandé qu'est-ce qu'on souhaiterait comme couleur de yeux, couleur de cheveux, alors/
- LAURENCE : Hein, ils t'ont demandé ça?!
- DIANE: Oui...
- LAURENCE: Ok, ok... cool!
- DIANE : Oui, bin là j'ai dit : « Écoutez, vous nous voyez là, François est un peu plus foncé que moi, tous les deux on a les yeux bleus » alors ils prenaient ça en note... 
- LAURENCE : Mh-mh. Pis là ils ont donné un rdv plus tard...
- DIANE : Oui, en me demandant de prendre à tous les jours ma température... De surveiller si j'avais beaucoup de glaire à certains moments. Alors tout ça, c'est écrit dans mon agenda, à tous les matins... Donc première le 2 novembre à 9:30h et le 5 novembre à 9h.  Ça devait être la 2e, là je l'ai pas marqué. Attends.. Ah ok. Bon, je vois le docteur Ackman le 7 octobre et j'arrête de fumer.
- LAURENCE : Ah oui, ok!
- DIANE : Et le 8 octobre, première insémination. Le vendredi 8 à 9:30h, j'ai une première insémination.
- LAURENCE : Ok...
- DIANE : Là, j'ai écrit : « À part le côté merveilleux de l'espoir qui m’a drôlement gagnée, d'ailleurs c'est cette autre facette un peu triste mais surtout rigolote d'attendre à la file indienne et d'acheter, comme au Woolworth. » J'ai marqué ça.
- LAURENCE : Comme d'acheter ton... Peut-être ton futur enfant...?
- DIANE : Oui, ben oui, ben oui…

(Rires)

- LAURENCE : Il n'y avait pas un échange d'argent?
- DIANE : Non, pas du tout, non...
- LAURENCE : C'est ça... Faque c'était pas vraiment acheté, c'était plus comme obtenir...
- DIANE : Pis après l'insémination, j'écris aussi comment je me sens pis je suis tombé sur une page tantôt où j'ai marqué : « Aujourd'hui il s’est passé quelque chose dans mon ventre, il s'organise quelque chose. » Et pis ils m'ont téléphoné, euh… quelques jours plus tard pour me dire que je n’étais pas enceinte et puis je leur ai répondu: « Ça se peut pas... je le sais… je le sens. » Et ils ont rappelé deux jours plus tard pour me dire que c'était une erreur... que j'étais enceinte. 

- LAURENCE : Mmh… 

LAURENCE : J’ai appris que ma mère avait eu recours à l’insémination artificielle à 11 ans. L’effet que ça a eu c’est de me donner l’impression qu’une partie de mon monde s’effondrait. Quand les faits entourant ta conception changent drastiquement du jour au lendemain, deux choses peuvent se passer. Croire ce qu’on t’apprend pis douter de tes propres perceptions ou croire en tes perceptions pis douter de ce qu’on t’apprend. Te sentir trahi… Mais pour moi, à part le choc, ce qui était encore plus étrange, c’est que j’avais pas l’information nécessaire pour me reconstruire une autre réalité. Il y avait rien à faire… Le don était anonyme. Mais aucun secret est étanche pour toujours. Pis la chose qui est venue changer la donne, c’est les tests d’ADN.

- JOSH: Salut.
- LAURENCE: Salut...
- JOSH: Ça va?
- LAURENCE: Ça va, toi?...
- JOSH: Ça va bien, très bien…
- LAURENCE: Oui?
- JOSH: Oui, je chill à la maison.

LAURENCE : Lui, c’est Josh. Il y a pas encore de terminologie spécifique pour mettre en lien les enfants nés de dons de gamètes comme nous, alors faute de mots, c’est mon demi-frère. Il est né d’un don du même homme, à quelque mois d’intervalle de moi.

- JOSH : Mais, je sais même pas...Parce que j’ai jamais été sur 23andme, j’étais sur Ancestry.com.

LAURENCE : Ça, c’est deux différents tests d’ADN commerciaux. C’est sur une de ces plateformes là que Leilani m’a écrit. Elle aussi a été conçue avec le même donneur et c’est elle qui m’a parlé de Josh.

- JOSH: Les choses se placent... Parce que moi, j’ai grandi sans famille.
- LAURENCE : Sans famille, mais ta mère?
- JOSH : Ma mère était là, mais j’ai grandi sans père, pis ma mère était pas capable de s’occuper de moi quand j’étais petit alors je me suis retrouvé dans des familles d’accueil pis dans des centres jeunesse, mais… Ouais… Ça fait que j’ai passé le test d’ADN, pis je trouve ça cool pis important d’avoir trouvé un genre de famille.
- LAURENCE : Oui, absolument. C’est ta fille que j’entends?
- JOSH: Ouais, j’imagine queue ça fait de toi une tante. Elle vient d’avoir six ans.
- LAURENCE: Wow. Une grande fille!
- JOSH: Pis, toi, t’as quel âge?
- LAURENCE: J’ai 37 ans.
- JOSH: Moi j’ai… je pense que j’ai 37 ans aussi, ouais. Et puis je pense que Chantal a le même âge aussi, mais elle est née un autre mois. Je pense qu’elle est née en août ou en septembre. Fuck... c’est quand même...
- LAURENCE: C’est assez intense, ouais...

LAURENCE: Elle préfère le nom de Leilani, mais porte aussi celui de Chantal. C’est pour ça que Josh l’appelle comme ça.

- JOSH : Toi, as-tu grandi avec une famille?
- LAURENCE: Je suis enfant unique, mais j’ai grandi avec deux parents. Mon père pouvait pas avoir d’enfant, c’est pour ça que ma mère a eu recours à l’insémination, mais les deux m’ont élevée. C’est un peu différent. Mon père est décédé il y a presque trois ans, puis il était un peu déstabilisé parce toute cette histoire de 23andme. Comme, quand j’ai rencontré la fille du donneur... Je la nommerai pas parce que ça a été un peu compliqué pour elle. Elle savait pas que son père avait donné, c’était un genre de secret dans leur famille.

LAURENCE: J’avais donné rendez-vous à la fille du donneur dans un salon de thé à côté de chez moi qui s’adonnait étonnamment à être à côté de chez elle. Elle avait grandi à Westmount, mais on habitait maintenant à deux coins de rue.

- LAURENCE : Elle avait fait 23andMe juste comme ça, par curiosité. Quand on a été mises en contact, elle était complètement sous le choc et en premier elle pensait que ma mère et son père avaient eu une aventure. JOSH: Oh mon dieu.
- LAURENCE: Parce que j’avais le même nom que lui. Le même prénom. Alors elle pensait que ma mère m’avait appelée comme ça en son honneur.
- JOSH: C’est fou, mais c’était juste une bizarre de coïncidence…
- LAURENCE : Oui, exactement.
- JOSH : Chantal, elle a commencé à investiguer, elle était dans des groupes de donneurs, sa mère lui a donné certaines informations et elle a réussi à trouver sa photo de graduation à lui.
- LAURENCE : Oh vraiment?
- JOSH : Et sa photo me ressemble comme deux gouttes d’eau.
- LAURENCE : Vraiment?!
- JOSH : Oui. Puis elle a suivi sa piste en ligne. 
- LAURENCE : Wow. C’est fou. J’adorerais ça voir cette photo-là, parce que c’est difficile de trouver une photo en ligne où il est pas vieux. Et en fait, quand j’ai rencontré sa fille la première fois, parce qu’il a trois enfants d’un premier mariage et un d’un deuxième, elle a dit que de tous ces enfants, j’étais celle qui lui ressemblait le plus.
- JOSH : Oh, mon dieu. J’imagine que moi aussi... Parce qu’on se ressemble pas mal nous deux...
- LAURENCE : Un peu han? C’est ce que je me disais aussi.
- JOSH : Les yeux et le nez... le nez juif.

LAURENCE : À l’adolescence, j’avais développé une grande curiosité envers la culture juive. J’avais l’étrange impression que mon donneur était juif. Peut-être parce que j’étais fascinée par le côté prolifique de cette communauté-là… Peut-être parce que j’avais l’impression que tous les plus grands artistes étaient juifs… Peut-être parce que mon inconscient communiquait… Je sais pas trop pourquoi, mais en tout cas ça sonnait juste pour moi. À 23 ans, je m’étais même arrangée pour participer à un voyage à Israël organisé pour la jeunesse Juive. Imposture totale… Mais quand j’ai reçu les résultats de mon test d’ADN, vers 32 ans, j’ai été étrangement validée… J’étais génétiquement à 50% juive ashkénaze. 

- LAURENCE : Quand est-ce que t’as appris que t’avais été conçu avec l’apport d’un donneur? À quel âge?
- JOSH : Bien, depuis le début...
- LAURENCE : Oh, oui, parce que ta mère a dû t’expliquer comment t’étais venu au monde…
- JOSH: Le petit gars bizarre, tu sais, qui était pas normal, pis c’est comme ça que je me suis senti toute ma vie et je suis vraiment pas d’accord d’être un produit de ça. Je suis pas d’accord que le monde fasse ça. Je me base sur ce que j’ai ressenti en grandissant, et être un produit de ça, sans figure masculine, tu sais, mais au final, ça a fait de moi la personne que je suis aujourd’hui…
- LAURENCE: Oui.
- JOSH: Et c’est super... Mais, c’était très difficile de grandir comme ça. C’était seulement il y a quelques années que ma mère m’a dit, j’ai pris l’avion pour Montréal, on habitait à Winnipeg, mais elle m’a dit qu’elle a pris l’avion pour Montréal pour prendre part à la procédure.
- LAURENCE: Est-ce que ça se faisait seulement à Montréal à l’époque?
- JOSH: Je sais pas. Ou elle voulait un docteur juif et c’est là qu’elle l’a trouvé et qu’il avait sa clinique…
- LAURENCE: Mais je serais vraiment curieuse de savoir pourquoi Montréal. Est-ce que ta mère est juive?
- JOSH: Oh oui...
- LAURENCE: Ok, Ok, alors il y a sûrement une connexion-là, je comprends, parce que le docteur qui a inséminé ma mère était juif. Dr. Ackman. Oh, wow, je sais pas si t’es confortable de demander ça à ta mère, mais je me demande si elle a spécifiquement demandé un donneur juif?
- JOSH: C’est sûr!
- LAURENCE: Oh, wow! Oh mon Dieu, c’est fascinant!
- JOSH: Ça c’est sûr! Je pense que ça devait être sa seule exigence, en fait. 

(Rires)

- LAURENCE : Moi, je suis née de procréation assistée. Ma mère a été inséminée artificiellement en 1982. Je suis née en 1983. Elle a reçu un don de sperme d'un donneur, évidemment anonyme, et je l'ai appris à l'âge de 11 ans. Mon père n'était même pas capable d'en parler. Il regardait ses mains, comme ça, sur la table de la cuisine, puis... Ma mère me l'a appris, puis je pense que soudainement, j'ai senti : « Oh, mon père a peur, il a peur que je le rejette. » Alors j'ai voulu le rassurer. Je l'ai pris dans mes bras. J'ai dit : «Je t'aime, papa. » Et je suis retournée regarder la télé. Ça a été pas mal ça. Puis, des années plus tard, j'ai commencé à me poser quand même des questions sur ce que ça voulait dire. Puis j'ai même consulté une psychologue, à genre 12-13 ans puis on en a parlé, mais c'est drôle parce qu'en fait, c'est toujours les autres qui m'ont fait réaliser que ce n'était pas banal. Parce que moi, je banalisais énormément, énormément, probablement pour protéger mon père. Puis je me rends compte que c'est très commun.
- ISABEL CÔTÉ: En fait, dans un contexte où les enfants naissent dans des familles hétéro parentales, évidemment le don de gamètes, que ce soit un don d'ovules pour la mère ou un don de sperme pour le père, effectivement, ça crée un peu ce genre de relation là, d'autant plus que les personnes de ta génération, leurs parents, dans les années 80, on disait grosso modo : « Dites le pas. Et en ne le disant pas, votre enfant va grandir, va s'attacher par exemple à son père et ça ne causera rien. » De toute façon, l'enfant s'en rendra jamais compte. Or, un secret c'est pas étanche. Les recherches ont démontré que les mères ne vivent pas très bien avec ça, en fait. 

LAURENCE: Je parle à Isabel Côté qui est professeure au département de travail social de l'Université du Québec en Outaouais. Ses projets de recherche portent principalement sur les familles qui sont créées grâce à l'apport d'une tierce personne. Moi, en parlant à des gens nés de dons de gamètes, j’ai réalisé que beaucoup d’entre eux avaient la sensation plus jeune d’être des enfants différents. Je me demandais si c’était une fabrication de l’esprit ou s' il y avait quelque chose de fondé là-dedans. 

- LAURENCE : Je me pose la question, parce que moi, enfant, j'ai très très très rapidement été intéressée par le non-familier. J'étais tout le temps en train de vouloir aller ailleurs, partir, voyager, apprendre d'autres langues, me sortir. C'est comme si j’étouffais un peu dans ma langue, dans ma culture, dans ma province. Avec le recul, j'ai continué à me poser la question est ce que c'était à cause de cette part d'inconnu là en moi, de ce mystère là que je voulais comme me plonger dans plus de mystères? 
- ISABEL CÔTÉ: C'est très immatériel, la question des origines, comment on y réfléchit, l'impact que ça peut avoir sur nous, la recherche qu'on peut faire un lien avec ça. Parce qu'il y a certaines personnes qui sont nées d'un don de gamètes qui intègrent ça, sans que ça ait de changement dans leur trajectoire de vie ou même de curiosité, il y a beaucoup de personnes que c'est comme ça, d'autres personnes au contraire qui sont plus à la recherche de quelque chose ou d'autres personnes qui se demandent : « Est ce que moi, j'ai le goût des langues, parce que la personne qui est génétiquement liée à moi est polyglotte? » Par exemple. Mais ça, on ne le sait pas vraiment, donc on ne sait pas ce qui est la part de ce que tes parents t'ont transmis dans la découverte ou dans le désir d'aller vers les autres ou peut-être même dans la différence qui t'a amenée à vouloir te dépasser, par exemple, qu'est ce qui appartient à ça? Qu'est-ce qui aurait appartenu ou qu'est ce qui pourrait appartenir à des fragments d'ADN, par exemple? Ça, on ne peut pas répondre à ces questions-là, on le sait pas.

LAURENCE :
Ce dont je suis certaine…
Je suis née le 18 juillet 1983 à l’hôpital Notre-Dame.
J’ai grandi au 9135 Foucher dans Ahuntsic, à Montréal.
J’ai été élevée par deux parents extraordinaires: Diane et François.
J’ai grandi en français. 
Quand j’étais petite, mon père m’amenait à la garderie du cegep Ahuntsic, pis souvent il pointait le drapeau du Québec pis il disait : « Vive le Québec libre! »
J’étais en secondaire 1 l’année du référendum de 95.
Mais c’était le non qui avait gagné, à l’école.
Quand j’étais petite j’étais épouvantable en anglais.
Personne parlait anglais à la maison.
Souvent l’été on allait à Old Orchard avec mes parents en vacances.
On partait à 4 heures du matin en voiture pis moi je dormais derrière.
Pis je me réveillais systématiquement quand on arrivait aux douanes juste pour rire de l’anglais de mes parents.
Ce dont je suis pas vraiment certaine…
Pourquoi est-ce que je parle anglais comme ça…
En 82, il y avait pas de banque de sperme ici…
La plupart des donneurs étaient des jeunes médecins…
Le mien était probablement un jeune médecin…
Mais je pouvais pas être certaine…
Le Dr Ackman était probablement un bon ami de mon donneur…
Mais je pouvais pas en être certaine…
Qui est-il?
Quelle langue parle-t-il?
Il est bon dans quoi?
Il vient d’où?
Est-ce que c’est un artiste?
Est-ce qu’il aime la musique?
Est-ce qu’il croit en Dieu?
Est-ce qu’il est sensible?
Est-ce qu’il est intelligent?
Il vit où?
Il est bon dans quoi?
Est-ce que tiens ça de lui?
Est-ce qu’il est angoissé?
Est-ce qu’on se ressemble?
C’est quoi son nom?

- LAURENCE : Ok, alors j’ai grandi à Montréal, j’ai grandi à Ahuntsic, et j’ai découvert à 11 ans que j’avais été conçu par d’insémination artificielle avec l’aide d’un donneur. Parce que mon père pouvait pas avoir d’enfant.

LAURENCE : Je parle au Rabbin Scheier de la congrégation Shaar Hashomayim, à Westmount.

- LAURENCE : Et vous savez, je pense que pour la plupart des gens conçus comme ça, il y a un grand mystère, une grande curiosité autour de l’identité du donneur. Et pour une raison que j’ignore, au fil du temps, j’avais développé une forme d’intuition qui me disait que mon donneur était probablement juif. Et quand j’ai passé mon test d’ADN il y a quelques années, j’ai découvert que j’étais à 50% juive ashkénaze génétiquement. Et je me suis sentie validée, mais même avant ça et depuis ça, j’ai une grande curiosité pour la culture juive. Et j’avais envie de vous parler pour vous poser certaines questions. Je sais que le judaïsme est traditionnellement transmis par la mère. J’aimerais vous entendre là-dessus.
- RABBIN SCHEIER  : Oui, absolument. Dans le judaïsme, il y a deux aspects de l’identité, chacun transmis par un parent. Le coeur de l’identité religieuse est transmis par la mère et l’identité tribale est transmise par le père. Mais le prérequis de l’identité tribale est l’identité religieuse juive qui est transmise par la mère. Et aussi, il est important de mentionner qu’il y a plusieurs types de judaïsme.
- LAURENCE : Alors si le judaïsme est transmis par la mère, c’est à dire le coeur religieux, et que l’aspect tribal est transmis par le père, ça veut dire que je suis quoi moi?
- RABBIN SCHEIER  : Ça veut dire... Bien il faut mentionner que le judaïsme... L’identité juive n’est pas faite ou défaite par l’ADN. Alors, si une personne juive, par exemple, reçoit des résultats d’ADN disant qu’elle n’a aucun pourcentage juif, ça ne veut pas dire qu’elle n’est pas juive. Et si quelqu’un qui n’est pas juif vient nous voir avec un bagage génétique à 100% juif, si c’est possible, nous dirions que non, l’ADN ne détermine pas son statut. Nous aurions besoin d’un document. D’un certificat de naissance disant que sa mère est juive ou d’un certificat de conversion au judaïsme. Ce sont les deux seules façons d’établir l’identité juive.
- LAURENCE: Alors c’est vraiment quelque chose qui se vit dans la communauté. Une de mes grandes surprises quand j’ai fait le test d’ADN, ça a été de voir que j’étais à 50% juive Ashkénaze et seulement à 13% française. Ça m’a démontré qu’il n’y a pas eu beaucoup... Que les gens ne se mélangeaient pas. J’aimerais vous entendre là-dessus.
- RABBIN SCHEIER : Absolument. La communauté. Et puisqu’on parle de conversion, une de mes exigences quand j’ai un candidat à la conversion est qu’ils vivent au sein de la communauté juive. Une importante partie de la culture juive est de se rendre au moins une fois par semaine à la synagogue et les samedi matin, de faire véritablement partie de la communauté en interagissant avec les gens, en faisant du réseautage et en trouvant du support auprès des gens. Et ce sont les gens, vous savez… Si vous vivez différemment du reste de la communauté, vous avez besoin de support pour ça, et ça peut être un défi parce que vous voudriez faire partie de la société. Alors avoir une communauté de gens semblables, partageant vos valeurs, votre éthique, et qui se supportent, c’est une importante part de l’expérience humaine.
- LAURENCE: J’ai quelques amis dans votre communauté et je suis allé quelques fois à votre synagogue pour une bar mitzvah, entre autres. À chaque fois que j’y vais, je suis très impressionnée. J’ai grandi catholique et j’allais pas mal à l’église. Et plus jeune, je lisais même à l’église. Et quand j’ai assisté à mon premier service juif, j’ai senti que vous vous adressiez à mon intelligence. J’ai senti que vous parliez à mon intelligence et je n’avais jamais vécu ça dans un lieu de culte.
- RABBIN SCHEIER : C’est très gratifiant. Merci.
- LAURENCE : J’ai été mise en contact avec un homme qui a été conçu avec le même donneur que moi.
- RABBIN SCHEIER : Oh wow.
- LAURENCE : Oui, il vit à Vancouver, a grandi à Winnipeg. Et sa mère a pris l’avion jusqu’à Montréal à l’époque parce qu’elle voulait un donneur juif. Ça soulève beaucoup de questions chez moi à cause de ce que vous avez affirmé plus tôt au sujet de l’ADN, que ce n’est pas une question d’ADN. Alors je me demande pourquoi elle a voulu ça. Pourquoi c’était si important pour elle. Et je ne sais pas si vous avez une idée, je sais que vous n’aimez pas parler pour les autres…
- RABBIN SCHEIER : Écoutez, je ne peux pas…. Nous ne sommes pas... Les juifs ne sont pas génétiquement supérieurs d’aucune façon. Ce n’est pas… Ce n’est pas notre... Nous ne nous voyons pas de la sorte, que génétiquement il serait préférable ou moins désirable d’être une chose ou une autre. Je, je, je... je ne sais pas...
- LAURENCE : Et cette chose qu’on entend souvent, c’est peut-être une question très ignorante à poser, c’est peut-être un mythe… Mais on entend parfois que les juifs sont le peuple choisi. Qu’est-ce que ça veut dire?
- RABBIN SCHEIER : C’est un concept biblique, le mot hébreu est Sigula, ça veut dire la nation choisie. Et nous croyons avoir été choisis pour recevoir la loi de Dieu, pour recevoir la Torah. Ce n’est pas un concept de supériorité. C’est le concept d’avoir ces responsabilités, alors c’est choisi dans ce sens-là et c’est quelque chose que nous prenons au sérieux, mais ça ne devrait jamais être interprété comme de la supériorité. Ce n’est pas que… Ce n’est pas que nous sommes plus près de Dieu. Ce n’est pas que nous sommes mieux. Ou plus intelligents. Ce n’est pas que notre nourriture est meilleure. Ce n’est rien de ça. C’est seulement que nous avons des responsabilités et que nous sommes reconnaissants pour ces responsabilités.
- LAURENCE : Et comment expliquez-vous que vous soyez une communauté aussi prospère, que vous ayez tant de succès partout en Amérique du Nord et on pourrait dire partout dans le monde?
- RABBIN SCHEIER : Oui, je, hmm… Je, je ne sais pas. Je crois que nous tentons... Je peux dire qu’à l’intérieur de nos communautés, il y a des choses dont nous sommes très fiers comme… notre taux d’alphabétisation, 100% de taux d’alphabétisation et ça, ça remonte à des siècles. Si on retourne au 19e siècle en Europe de l’est, lorsque le taux d’alphabétisation se situe à 40% dans la population générale, au sein de la communauté juive il est de 100%, parce que notre éducation nous définit. Pour utiliser une analogie de boxe, quand tu es contre le ring, tu frappes le plus fort. Vous savez, c’est une existence qui comporte ses défis, bien qu’elle soit désormais plus facile qu’elle ne l’ait jamais été, mais si on recule de quelques dizaines d’années, être juif au Québec c’était être un citoyen de seconde classe et c’était ne pas avoir accès à certains lieux, certains hôtels et certains restaurants et ça, c’est extrêmement motivant. Et nous sommes très fiers que notre communauté soit venue ici, qu’elle se soit construite et qu’elle fasse des choses extraordinaires.
- LAURENCE : Merci beaucoup Rabbin Scheier.
- RABBIN SCHEIER : Si vous voulez faire ça de nouveau, ça nous ferait plaisir, si vous voulez un suivi, n’hésitez pas.

LAURENCE : Quand tu sais que tu trouveras pas de réponses à tes questions les plus profondes, tu peux soit embrasser le mystère ou le combattre. En m’acharnant avec les archives de l’Hôpital Général pour retrouver le dossier de ma mère, je combattais. En me rendant à Israël, je combattais. Je cherchais des réponses. Et je savais que les réponses étaient pas là où j’étais. Alors je trouvais des moyens pour quitter le familier, parce que peut-être que dans le non-familier, il y aurait ce que je cherchais.

- LAURENCE : Le gars qui est né du même donneur, lui il vient de Winnipeg. Et Josh, lui, en fait, est en grande rébellion par rapport à sa création. Lui il dit: « Moi je pense que ça devrait pas être permis ». Mais j'ai l'impression que ça, c'est souvent quand ça va mal pour toi, tu projettes tous les maux sur ta création. Est-ce que c'est possible?
- ISABEL CÔTÉ : C’est… c’est pas la seule personne qui pense comme ça. Il y a un courant quand même assez fort en Angleterre, qui est porté par une chercheure qui elle-même est issue d'un don de gamètes et qui dit: « C'est non-éthique de faire des enfants de cette façon-là, ça devrait tout simplement ne pas être permis. » Alors, il y a beaucoup d'opposition à l'idée, par exemple, d'avoir des donneurs qui puissent être anonymes, comme c'est le cas pour les donneurs canadiens. Il y a très peu de donneurs maintenant au Canada, mais si on prend un donneur canadien, forcément il va être anonyme. Et pis ça, c'est plutôt contesté. Mais cela dit, la majorité des personnes qui sont issues d'un don de gamètes, elles vont bien et puis vivent bien avec la situation, ont intégré ça. Pour certaines personnes, c'est vraiment intéressant. C'est une plus-value dans leur façon d'être ou dans leur identité, d'avoir un peu cet élément-là. Donc, je pense que c'est surtout relié à la façon dont les parents ont pu transmettre ce récit et ont pu normaliser le vécu des enfants. L'idée, c'est l'absence de mots pour expliquer son vécu qui est plus problématique. Alors à partir du moment où tu as des mots et que tu peux explorer suite à ça, évidemment, ça ouvre des portes.
- LAURENCE : Moi au primaire, je suis allée à l'école de quartier, en première année, puis là mon prof a dit à mes parents assez rapidement : « Il faut la sortir d'ici, elle s'ennuie. Elle finit avant tout le monde et ça n'a pas de sens », mais moi je savais pas, je pensais que c'était ça l'école; attendre. Ma mère a fini, elle ne voulait pas parce qu'elle avait peur que si elle me sortait et qu'elle m'envoyait dans une école spécialisée, je devienne un peu snob et tête enflée fait qu’elle a beaucoup résisté, mais finalement, elle m'a sortie de là, et je suis allée dans une école de douance. Pis t’sais, ça, ce n'est pas chez mes parents, alors c'est sûr que cette affaire là, ça m'a beaucoup amenée à me questionner sur mon donneur. Et quand j'ai, donc, après avoir rencontré par le test d'ADN une de ses filles, j'ai été contactée par une autre femme qui est née d'un don de gamètes comme moi du même donneur, qui m'a rencontrée sur 23andMe. Et elle m'a appris il y a deux semaines qu'elle est Asperger, elle a été diagnostiquée très tard dans sa vie. Et je capotais quand elle m'a dit ça et puis donc je peux comprendre pourquoi elle c'était d'autant plus important d'essayer de comprendre parce que ça vient pas du tout du côté de sa mère. Et puis je lui ai écrit il y a quelques jours : « Est-ce que ton asperger est venu avec de la douance? » Et elle dit : « Ben plus jeune, oui, un médecin m'avait dit que j'étais surdouée. Puis je lui avais dit merci et il m'avait dit non, remercie-moi pas trop vite, ça peut être très très très douloureux, en fait, la douance. C'est plus comme un curse. » Puis elle dit : « Je pense qu'il avait raison ». Mais elle vit avec de l'asperger donc son niveau de stress, d'hypersensibilité est vraiment vraiment vraiment beaucoup plus grand. Puis elle m'écrit: « J'ai l'impression que t'as pigé le bon numéro dans tes gènes. » 

LAURENCE : En 1982, les donneurs ne passaient même pas de tests de santé. Aujourd’hui, il y a des tests plus poussés mais la majorité de l’information est transmise par des questionnaires remplis par les donneurs eux-mêmes. C’est pas nécessairement plus précis, surtout pour la santé mentale, mais de toute façon, rien aujourd’hui nous permet d’avoir la certitude que quelqu’un est porteur d’un gène relié à un problème de santé mentale.

- LAURENCE : Ce que je trouve vraiment particulier par rapport au fait que, en fait, je sois génétiquement, à 50 % juive ashkénaze, c'est que c'est une communauté tellement tellement tissée serrée, à travers les siècles, ils n'ont fait que des bébés entre eux. Question aussi de survie, etc. J'ai parlé à un rabbin pour comprendre un peu, puis lui m'a dit que non, pour eux, l'ADN avait rien à voir là-dedans. En fait, ce qui faisait de toi un juif, c'est si tu nais dans une famille juive et que tu es élevé par des parents juifs. Donc c'est vraiment le rapport à la culture, euh… Que le cœur religieux était transmis par la mère. Le rapport à la tribu était transmis par le père. Mais la tribu pour moi, en même temps, c'est comme ADN. On dirait que j'ai de la difficulté à séparer ces notions-là. Et quand je lui ai demandé, oui, mais pourquoi alors la mère de Josh a pris l'avion jusqu'à Montréal pour se faire inséminer par un donneur juif? Il ne pouvait pas me répondre.
- ISABEL CÔTÉ : En fait, ça me surprend qu'il t'ait dit ça, parce que les femmes juives qui ne sont pas capables d'avoir d'enfants, qui ont besoin d'un don d'ovules, d'un don de gamètes, elles vont avoir une donneuse juive elles-mêmes. Donc, les donneuses juives sont souvent assez en demande par rapport à ça, parce que l'identité juive se transmet par la mère. Et la même chose en Israël, c'est l'État qui a le plus régulé, encadré la GPA. Et c'est vraiment dans cette optique-là, en fait, d'éviter que les parents aient, par exemple aux États-Unis, avec des personnes qui n'auraient pas l'identité ou la culture juive. Et donc, c'est l'endroit où on a le plus régulé ça, à travers le monde. Donc ça me surprend un peu, ce que tu me dis.

LAURENCE : Je vais très rarement à Westmount… Mais quand j’y vais, c’est en général parce que je m’en vais quelque part d’autre puis je passe par là parce que c’est beau. Pis à chaque fois je me surprends à me demander c’est laquelle est sa maison. Je regarde les grosses maisons et je réalise à quel point c’est improbable, c’est improbable qu’un médecin juif anglophone de Westmount rencontre une femme artiste francophone de la classe ouvrière de Villeray, pis fasse un bébé. Puis je trouve ça cool.