Soigner jusqu'à se briser

🎙 Épisode 0.16 : « Des chaises, du temps… et notre âme de soignantes » – Dre Mélissa Prud'homme, psychiatre et cofondatrice du mouvement féministe Les Soignantes

À partir d’un geste simple (un local, des chaises, du temps) on parle de ce qui fait tenir une équipe pour de vrai. Dans cet épisode de Soigner jusqu'à se briser, avec Dre Mélissa Prud’homme, psychiatre, on aborde la relation d’aide, l’écoute qui rassure, le droit de dire « je ne sais pas », la fatigue de compassion et le trauma vicariant. On voit comment créer des cercles de parole entre collègues, sans budget, qui réduisent l’isolement et redonnent du sens au métier.

💡 Ce qu’on aborde dans cet épisode
  • Lancer un groupe de soutien à zéro budget : un lieu, une heure fixe, une rencontre mensuelle
  • Les règles qui protègent le groupe : respect, accueil, non-jugement, non-nominatif
  • Savoir quand dire « je ne sais pas » pour mettre l’équipe en confiance
  • Réduire l’écart de pouvoir dans la relation d’aide et mieux accompagner
  • Fatigue de compassion et trauma vicariant : se protéger, vider son tiroir émotionnel
  • Retrouver le plaisir de soigner, ensemble
📢 Citations marquantes

« Mon médecin a pris cinq minutes avec moi… »
« Il n’y a pas de ressources matérielles. C’est juste notre temps et notre âme. »
« Les gens font des choses pour des raisons. Ça leur appartient. »

👤 Invitée

La Dre Mélissa Prud'homme est psychiatre et à l’origine de l’organisation féministe Les Soignantes, une communauté, un groupe de soutien et une série balado engagée, qui milite pour un environnement de travail sécuritaire, tant sur le plan émotionnel que physique, pour les femmes œuvrant dans le domaine de la santé et des services sociaux.

🧭 Pour aller plus loin

Les Soignantes sur les réseaux sociaux :
Le balado Les Soignantes sur les plateformes d’écoute :
🆘 Ressources et soutien
  • 📞 1-866-APPELLE (277-3553) – Ligne québécoise de prévention du suicide
  • 📞 811, option 2 – Info-Social
  • 💬 535353 – Texter un·e intervenant·e
  • 💻 Suicide.ca – Service d'aide professionnel et confidentiel offert 24 h sur 24, 7 jours sur 7
  • 💡 PAMQ.org – Programme d’aide aux médecins du Québec
🎧 À propos du balado

Soigner jusqu’à se briser est un balado documentaire qui donne une voix aux soignant·e·s et à leurs proches, créé et animé par Steven Palanchuck, MD.

Une production de VociNova – La Nouvelle Voix des Soignant·e·s
Diffusée par @MedicaBot

🔔 Suivez-nous pour ne rien manquer

Le balado sur Instagram : @soignerjusquasebriser 💙
VociNova : Livre blanc | Facebook | LinkedIn
MedicaBot – Dialogue & Dx : Chaîne YouTube
TikTok : https://www.tiktok.com/@steven.palanchuck

🔎 Mots-clés

féminisme, relation d’aide, vulnérabilité, confiance, fatigue de compassion, trauma vicariant, engagement, groupe de soutien, système de santé, responsabilité collective, communication

Créateurs et invités

SM
Hôte
Steven Palanchuck, MD
Médecin et fondateur de VociNova – La nouvelle voix des soignants. Créateur du balado Soigner jusqu’à se briser et de MedicaBot - Dialogue & Dx, il met en lumière la détresse des soignants et les enjeux du système de santé.

Qu'est-ce que Soigner jusqu'à se briser ?

« Soigner jusqu’à se briser » est un balado documentaire francophone qui explore la détresse des soignant·e·s principalement du Québec à travers des témoignages bruts et des discussions avec des proches et des expert·e·s. Entre pression du métier, traumatismes accumulés et failles du système, nous posons une question essentielle : qui soigne celles et ceux qui soignent?

On a créé une communauté sur Instagram avec encore plus de monde.

On a créé un balado.

On est un groupe

qui se tient.

La force du nombre, il y a vraiment quelque chose dans briser l'isolement, briser les
tabous ensemble avec ces femmes extraordinaires qui croient ensemble à un objectif commun.

Ça amène beaucoup d'espoir.

Je pense que c'est ça la clé.

Bonjour et bienvenue à "Soigner jusqu'à se briser".

J'espère que vous allez bien.

Je m'appelle Steven Palanchuck, puis vous écoutez le 16e épisode hors série du balado.

Aujourd'hui, je pars d'une image relativement toute simple : un local, des chaises et du
temps.

Des fois, c'est tout ce que ça prend pour se dire les vraies affaires puis pour vider
notre tiroir émotionnel.

Mélissa, mon invitée d'aujourd'hui, je la connais depuis nos études médicales à
l'Université de Sherbrooke.

Quand j'ai vu passer son projet sur les réseaux sociaux, qui est le balado

"Les Soignantes" – qu'elle coanime avec Mia Laberge depuis 2023 et qui en est déjà à sa
troisième saison – je me suis dit que c'était exactement ce que ça nous prenait.

Donc, la Dre Melissa Prud'homme est psychiatre, puis elle est à l'origine de
l'organisation féministe "Les Soignantes" – qui est une communauté, un groupe de soutien

et une série balado engagée – qui milite pour un environnement de travail sécuritaire,
autant sur le plan émotionnel que physique, pour les femmes œuvrant dans le domaine de la

santé et des services sociaux.

Dans l'épisode d'aujourd'hui, on voit concrètement comment lancer un cercle presque sans
budget.

On voit

comment garder un rendez-vous fixe, quelles règles poser pour protéger le groupe.

Puis on parle aussi de ce que cinq petites minutes de vraie écoute peuvent changer, puis
de l'effet très libérateur de dire tout simplement des fois "Je ne sais pas".

Sur ce, je vous souhaite une bonne écoute.

Une chose qui a été très aidante dans le processus des Soignantes, donc on a monté ce
petit groupe-là de femmes qui travaillaient, qui travaillent toujours dans mon hôpital,

puis on a décidé de commencer à se rencontrer pour parler de ces choses-là qu'on vivait,

des choses qui nous travaillaient.

Tout le lien avec la patientèle, mais aussi les collègues, tous les commentaires sexistes
qu'on recevait, tous les enjeux féministes qu'on vivait finalement.

Depuis qu'on fait ça, ça fait plusieurs années qu'on se rencontre une fois par mois pour
vraiment s'aider et créer un safe space.

J'ai remarqué que justement en en parlant,

et en créant un espèce de tissu social autour de ça, nos réactions à toutes, quand ça
arrive, on se sent beaucoup plus outillées pour faire face.

Et justement, on essaie de trouver des solutions ensemble, de non seulement ventiler, mais
aussi "Qu'est-ce qu'on fait la prochaine fois?" Ça aide réellement.

Quand tu dis utiliser l'humour, des choses comme ça, on remarque

qu'avec le temps et l'expérience en en parlant, en brisant ces tabous-là, dans le fond.

De ne pas faire comme si ça n'existait pas, mais juste de le nommer, de dire "Voici ce que
j'ai vécu, voici les émotions, on reçoit mes émotions, je ne suis pas folle, c'est normal

que ça me fasse, que ça réveille des traumas." Là, la prochaine fois, on dirait que c'est
moins prenant.

Et non seulement c'est moins prenant, mais souvent nous on se dit, je vais en parler au
prochain groupe de ce qui m'est arrivé et je vais avoir le support.

On dirait qu'on n'est pas seule quand on en parle.

Je pense que c'est ça, briser les tabous.

L'objet de ton balado aussi, c'est comme on en parle, on ouvre les valves, on brise les
barrières,

puis on crée un tissu collectif pour qu'on ne se sente pas seule quand ça arrive.

À date, c'est beaucoup ça les commentaires que j'ai reçus de certaines personnes qui me
remerciaient.

Des fois, il faut partir le bal puis ouvrir la discussion, puis comme tu dis exactement,
de se sentir validé dans ce qu'on ressent.

Puis de se dire, "Ah mon Dieu, ce n'est pas moi qui est anormal, c'est normal de réagir
comme ça, je ne suis pas tout seul à vivre ce genre de situation-là." Déjà là, il y a une

partie de la solution qui a déjà débuté, de se rendre compte qu'on est tous dans le même
bateau.

Et puis c'est vraiment quelque chose, on dirait, je ne sais pas si c'est de par nos
personnalités ou de par

notre processus de professionnalisation dans les études médicales.

On est beaucoup en compétition avant d'entrer en médecine, on a ce culte du
perfectionnisme, puis de l'importance aussi, puis je vais parler pour moi, mais du regard

des autres sur moi, puis de l'opinion que les autres ont de moi.

On dirait que, après ça, de pouvoir se sentir vu, entendu, écouté par nos semblables, ça a
encore plus de valeur, je trouve.

Après ça, quand on traverse d'autres choses, je me sens moins seul.

Ça, c'est tellement fort, puis ça fait tellement du bien de ne pas se sentir seule.

Puis je pense que c'est ça, je pense qu'il y a comme un biais de sélection aussi, tu sais,
quand on s'en va en médecine, on est des ultra-performants...

On a été comme drillés.

Bon, on rentre en médecine, après ça on est en médecine.

Après ça on se compare.

Après ça c'est contingenté.

Puis là après ça, on fait les stages, puis on se compare encore.

Puis on est ultra dans la performance tout le temps.

Je pense de moins en moins.

Puis c'est extrêmement rassurant, je pense, de voir ça.

Mais oui, je pense qu'il y a quelque chose dans...

"On a été formé de même." Puis là, on est quelques-uns, quelques-unes à faire genre...

"Il y a quelque chose.

C'est pas juste ça, la médecine, c'est plus.

C'est l'humain." Puis moi, j'ai choisi la psychiatrie parce que je trouve que la santé
mentale, c'est la plus belle santé.

Puis je pense que ce faisant, j'ai appris beaucoup

de choses différemment, ou j'ai désappris peut-être certaines choses.

Je pense que c'est ça, qu'on se retrouve entre nous et qu'on réinvente la médecine qu'on a
le goût de faire, mais que je pense qu'au final est vraiment plus positive pour les

patients et les patientes.

J'ai l'impression que quand on les écoute réellement, c'est ce qu'ils vont dire.

Ils vont dire

"Mon médecin a pris cinq minutes avec moi..." Ils ne vont pas dire, "Mon médecin, il ne
savait pas la réponse à telle question, il m'a dit qu'il allait aller chercher les

réponses de ses collègues puis me revenir." Ce n'est pas ça qu'ils disent.

Ils disent "Il n'a pas pris suffisamment le temps, il a été bête, je ne me suis pas sentie
considéré."

Ça a toujours été pour moi très payant de me donner la permission d'être vulnérable avec
des patients.

Alors, comme tu dis, on est très drillé pour faire exactement l'inverse, de montrer une
façade professionnelle, toujours en contrôle.

Souvent, le médecin, est appelé à jouer le rôle de leader.

Moi, je fais en partie des soins aigus, de la réanimation.

Je m'en vais sur des codes qu'on s'entend que si le médecin perd le contrôle ou panique,
ça risque de contaminer l'équipe.

Alors que quand je m'avoue tout simplement humain, imparfait, que non, je ne sais pas
tout, que des fois, juste de le dire, comme "Écoutez, je ne sais pas ce qui se passe,

pouvez-vous m'aider?"

On dirait que tout le monde se sent déjà un peu plus en confiance, autant pour les
collègues que pour les patients aussi, puis leurs familles.

De me donner la permission d'être vulnérable avec des patients puis leurs familles, j'ai
l'impression que je l'ai reçu en double par la suite.

Tout à fait, tout à fait.

Puis ça a une grande valeur d'être capable de faire ça.

Puis on parlait d'humilité tout à l'heure, bien ça en prend pour arriver à faire ça.

Je suis vraiment d'accord avec toi que c'est quelque chose de rassurant, c'est quelque
chose de positif, c'est pas quelque chose de négatif.

Puis encore une fois, on n'apprend pas vraiment ça,

de se montrer vulnérable, donc de se montrer humain, qu'on n'a pas toutes les réponses,
puis qu'on peut avoir des émotions difficiles, ça fait partie de l'affaire.

Puis je pense que justement, c'est ça qu'on apprend avec l'expérience, d'être sur le
terrain.

À l'école, on apprend beaucoup les connaissances, puis après ça, sur le terrain, on
apprend

par l'expérience, comment on se façonne dans notre style de pratique.

Puis d'avoir une pratique qui est humble, je trouve que ça diminue peut-être l'anxiété de
performance aussi parce que le sentiment de panique dont tu décrivais l'origine tout à

l'heure, juste de dévoiler, "Écoute, là, je suis un peu perdue ou je vis telle telle
émotion..."

Ça peut enlever le sentiment de panique, ça regroupe les gens, on se sent moins seul·e·s.

Moi, ça m'a beaucoup aidé dans mon syndrome de l'imposteur parce que c'était beaucoup
quelque chose que je ressentais non seulement en médecine, mais au début de pratique.

Les premières années, on dirait que c'est une grosse adaptation, mais j'avais l'impression
qu'il fallait que je me prouve encore.

Alors que quand je me suis donné la permission d'être vulnérable, je veux dire, quand tu
es vulnérable, tu ne peux pas être un imposteur.

C'est moi.

Vous me voyez tel quel.

Puis, ça a toujours été gagnant.

Après ça, ça a beaucoup calmé cette anxiété-là, comme tu dis, de performance, mais aussi
de me dire que je ne suis pas à ma place.

Non, je suis exactement à la place où est-ce que je dois être.

De juste

me laisser porter par la qualité des connexions.

Parce que comme tu dis, c'est de prendre le temps de se donner la permission de le
prendre, ce qui n'est pas toujours facile dans le système avec lequel on doit composer.

Tout à fait.

Puis tu sais, les gens le sentent.

Je veux dire, ça met bien plus en confiance quelqu'un qui peut dire, "Hé, c'est vraiment
une bonne question ou c'est vraiment une situation complexe, il comme va falloir en parler

ensemble puis trouver une réponse ensemble..." Que de tricoter quelque chose où la
personne ne va pas se sentir comprise, va se sentir invalidée.

C'est vraiment plus rassurant pour tout le monde en fait, même pour la patientèle.

Je me souviens même des fois au début des situations cliniques où des patient·e·s
ouvraient des portes et commençaient à parler d'un problème.

Visiblement, je sentais que la direction dans laquelle ça allait, n'était pas quelque
chose avec lequel j'étais à l'aise.

Malheureusement, j'en suis conscient, j'essaie de ne pas faire ça, mais je changeais de
sujet.

J'essayais d'amener la/le patient·e ailleurs.

Alors que finalement, son besoin dans cet instant-là, c'était de parler de ça.

Oui, tout à fait.

Je pense que pour s'asseoir dans une position d'écoute réelle des besoins de l'autre, il
faut justement se...

Comment je pourrais dire ça?

Il faut justement se mettre dans une position plus vulnérable.

Puis il y a comme quelque chose qui est inhérent à la relation d'aide, de l'aidant et de
l'aidé.

Il y a comme déjà une position d'inégalité qui est là, obligatoirement.

Puis je pense que de tenter consciemment de la réduire par des interventions comme ça,

de partage, de...

"On va travailler ensemble, on va trouver les réponses ensemble." Puis parfois, il n'y a
pas de bonnes ni de mauvaises réponses.

Il y a des choix, des choix parfois qui sont difficiles.

Mais je pense que d'être conscient de ces inégalités-là, c'est important pour qu'on fasse
bien notre travail puis que justement, les gens se sentent écoutés puis validés.

Parce que ça ne doit pas être facile de se dévoiler comme ça à un individu que tu ne
connais pas ou peu.

La relation se développe avec le temps, mais nos patient·e·s connaissent peu de choses de
nous, alors que nous, on connaît plein de choses très intimes sur elles et sur eux.

Donc de prendre conscience de ça, c'est ça, puis d'être humble, puis d'accepter

notre part de vulnérabilité, je pense que ça peut contribuer à ce que notre patientèle
soit plus confortable avec nous.

Moi, je te dirais que quand j'ai été mis par la force des choses dans la position du
soigné, j'ai été beaucoup confronté à cette peur que j'avais de perdre le contrôle.

Puis justement, quand on est dans la position du soignant, c'est qu'on est en contrôle de
ce qui se passe, puis de la relation d'aide, puis de la direction dans laquelle on s'en

va.

Mais quand on renverse les rôles et qu'on est mis dans la position du soigné, il faut
nécessairement faire confiance.

C'est toujours

difficile, en tout cas au début, d'accepter d'être vulnérable mais non seulement de le
reconnaître, mais d'aller vers l'autre.

Puis de demander de l'aide, puis d'aller finalement répondre aux besoins qui sont à
l'intérieur.

Je me souviens des moments où j'allais moins bien, puis les gens me demandaient "Mais...

reconnecte à tes passions, fais ce que tu aimes."

Mais j'avais tellement basé mon identité sur le fait que je suis un soignant, que je suis
un médecin, que quand je perdais ça, je perdais pied complètement, puis je me retrouvais

totalement sans contrôle.

Puis ça, cette peur-là de perdre le contrôle, c'était très anxiogène.

En tout cas, surtout au début, c'est dur d'apprivoiser ça.

Oui, ça prend beaucoup de place.

Puis on consacre énormément de temps à ça.

On a consacré beaucoup temps à ça dans une période de temps quand même assez charnière.

La construction de notre identité s'est faite beaucoup à travers ça.

Puis c'est...

Je pense que c'est une leçon d'humilité justement

de changer de siège.

Puis on a tendance à se protéger beaucoup, je pense.

Moi, les fois où j'étais dans le siège de la soignée, c'est là que tu réalises des
affaires.

Tu réalises c'est quoi les bonnes qualités d'un médecin.

Tu sais, d'un médecin

"compétent" et médicalement, biologiquement, mais émotionnellement et socialement aussi.

Puis d'être dans la position de proche aidant aussi, j'ai l'impression que moi je suis
rapide sur la gachette de me protéger dans mes connaissances, puis dans justement

l'intellectualisation de la chose pour ne pas

connecter avec la souffrance que ces positions-là de vulnérabilité peuvent faire vivre.

Je pense qu'il faut faire attention parce qu'on apprend beaucoup de choses dans ces
positions-là.

En tout cas, moi je pense qu'on est des meilleur·e·s médecins si on a vécu soi-même des
choses pas faciles, être en connexion avec ça.

Je ne sais pas, toi,

comment tu te sens par rapport à ce que tu as appris depuis?

Je suis totalement d'accord avec toi.

Ça a complètement transformé ma manière de percevoir mon rôle de soignant, puis mon
approche.

J'ai vécu des pertes ou des deuils, je te dirais, qui ont été plus difficiles à vivre que
d'autres.

Des gens

avec qui j'ai travaillé, étudié, qui sont décédés.

Ça m'a beaucoup confronté.

Je te dirais que c'était même des questions plus existentielles, la recherche de sens,
puis de me dire, "Bien, si des choses insensées comme ça peuvent survenir, mais donc quel

est le sens de la vie, puis donc quel est mon rôle comme soignant dans cette trajectoire
de vie-là?"

Ça a été très confrontant.

Après ça, de revenir dans la position du soignant, en ayant vécu ce parcours-là, ça a
complètement changé mon approche parce que là, je me suis revu de l'extérieur dans cette

relation-là.

Je me suis dit, bien c'est ça le sens de la vie, finalement.

Pour moi, c'est la connexion.

C'est pour ça que je suis ici.

C'est pour accompagner les autres humains, mes semblables, dans la souffrance.

Ce n'est pas juste médical.

Puis on met beaucoup l'accent sur l'expertise, les connaissances, les compétences, mais la
relation

humaine, c'est beaucoup plus que ça.

Et c'est très difficile à définir, tant qu'on ne l'a pas vécu.

Tout à fait.

Il faut faire attention parce qu'en tant que soignant·e, on est dans des positions qui
sont très sujettes à la fatigue de compassion ou au trauma vicariant parce qu'on en entend

des histoires qui n'ont pas de bon sens.

On dit ça à l'école, il faut tolérer l'impuissance.

C'est comme un concept.

C'est genre "OK, bien oui, on n'aura pas toutes les réponses." Puis là quand on le vit par
exemple, il faut faire attention à nous, parce que ce n'est pas facile de, à longueur de

journée, voir des gens malades de toutes sortes.

Puis parfois il y a des belles victoires, puis ça c'est super stimulant.

Puis parfois, bien...

C'est ça, c'est cette fameuse impuissance.

On peut trouver sens là-dedans justement quand tu disais accompagner.

Accompagner, c'est un soin.

Le résultat, on a une obligation de moyens.

Puis je pense que de bien accompagner les gens, ça peut faire énormément de sens.

Dans mes lectures, moi, ce n'était pas un concept que je connaissais, le trauma vicarian.

Je me suis reconnu beaucoup dans l'expérience de la maladie justement qui ne fait pas de
sens en voyant des patients mourir de cancers métastatiques très jeunes.

Et puis, donc, de me dire, bien, à ce moment-là, moi, dans ma vie, quand je suis confronté
à des situations comme ça, le réflexe que ça me donnait, c'est qu'il faut profiter de la

vie, qu'il faut donc...

Mais à la place, je suis tombé dans des mécanismes de défense qui sont plus dans les
excès, puis de tomber dans les autres extrêmes.

Mais c'est

d'accepter d'un, le reconnaître, ça, puis de travailler dessus.

Puis cette fatigue de compassion-là aussi, je l'ai ressentie parce que comme tu dis, on
reçoit beaucoup.

Puis comme soignant·e, on a toujours tendance à accueillir ça, même quand
émotionnellement, on ne serait pas en mesure ou apte à le faire.

Mais on absorbe quand même, mais à un moment donné, ces batteries d'empathie-là, elles
sont à zéro, là.

C'est ça.

Il faut faire notre vidange émotionnelle à nous aussi.

Puis peu importe la façon, il faut juste trouver la nôtre.

Qu'est-ce qui fonctionne pour nous?

D'être, j'aurais envie de dire, autant consciencieux pour soi-même que pour nos
patient·e·s.

Parce que si on ne fait pas pour nous, notre caisse de résonance va être trop pleine pour

aider et accompagner pleinement l'autre.

Ce qui me fait penser un petit peu au sujet des solutions, puis tu as abordé le sujet
quand tu parlé de votre groupe de soutien, mais je pense que ça, c'est une belle occasion

de vider ce bagage-là, puis de ne pas avoir tendance à l'accumuler.

Comment vous avez réussi à rester dans l'action?

Ça, ça serait une de mes questions parce que souvent,

on est plein de belles intentions, on a des projets, on veut organiser des choses, mais
c'est difficile de trouver la motivation.

Comment vous en êtes venues à maintenir ce rythme-là?

C'est une excellente question.

Je pense que c'est l'espoir, puis de croire en ce qu'on fait réellement, puis de voir ça
s'appliquer, les petits changements progressifs qui font du bien, de voir ces

résultats-là.

C'est ça, on se rencontre

tous les mois encore.

D'évoluer, aussi.

Le projet s'est transformé.

On a créé une communauté sur Instagram avec encore plus de monde.

On a créé un balado.

C'est de se transformer, d'évoluer.

Puis on en revient à ça, mais le tissu social, je ne suis pas toute seule là-dedans.

On est un groupe

qui se tient.

La force du nombre, il y a vraiment quelque chose dans briser l'isolement, briser les
tabous ensemble avec Ça, je pense que ça fait que le projet est pérenne dans le Ce sont

ces femmes extraordinaires qui croient ensemble à un objectif commun.

Ça amène beaucoup d'espoir.

Je pense que c'est ça la clé.

Si on est capable de créer des choses ensemble dans le système de la santé, je pense que
ça pourrait vraiment changer une couple d'affaires.

Bien, tu rejoins quelque chose que je dis depuis longtemps, c'est que le changement va
venir de la base, puis c'est aux soignantes, aux soignants de prendre soin d'eux-mêmes,

entre eux.

Puis on a souvent tendance à se plaindre, parfois avec raison, mais des fois, il ne faut
pas déresponsabiliser non plus les individus, puis la place qu'on peut jouer

autant sur nous-mêmes, mais comme force du nombre, comme tu dis.

Puis comme groupe, on est plus forts que la somme de chacun des individus.

Je trouve ça difficile, par contre, des fois, d'avoir l'impression qu'on...

C'est pas tout le monde qui a le temps ou l'énergie de s'impliquer.

Il y a beaucoup de gens qui croient

dans la cause, mais qui vont passer à l'action, c'est une autre étape.

Je suis rendu à cogiter sur comment aller chercher ces personnes-là qui ont des besoins,
qui l'expriment.

Puis, la démarche du balado, c'est juste un petit exemple, mais il y en a plein d'autres.

Mais il y a des gens qui viennent me voir, puis qui me disent, "Hé, ce que tu fais c'est
le fun.

Tu mets des mots sur des réalités qu'on vit." Mais après ça, d'aller plus loin et de dire
qu'on se met à l'action tous ensemble, ce n'est pas évident.

Oui, c'est super bien dit là Steven.

Je pense que c'est super complexe là, Moi moi je dis souvent une phrase et ça fait bien
rire les gens quand je dis ça, mais c'est super banal, mais moi ça m'aide.

Je me rappelle : je me dis, les gens font des choses pour des raisons.

Ça leur appartient.

Les gens sont occupés, leur espace mental, ils sont occupés par plein de choses qu'on
ignore de l'extérieur.

Ça revient à dire que c'est la même chose pour nos patient·e·s, c'est la chose pour les
soignants, pour les soignantes.

Quand on n'est pas prêt·e

à s'investir, je pense que ce sont des coups d'épée dans l'eau.

Le but, c'est peut-être de semer des graines où quand la personne va être prête à changer
le statu quo, elle va savoir où aller et à quelle porte.

cogner.

Quand on est militant, quand on est militante,

que nous on est prêts, qu'on est dans une belle force de changement, on est comme "Let's
let's go, let's go, c'est le moment", on voudrait que tout le monde nous suive.

Et les gens sont à différentes étapes.

Il y en a qui vont foncer tête première, il y en a qui vont dire "Ah, ah c'est intéressant
le balado." Point.

Après ça, on ne sait pas ce qui se passe.

Mais les gens font des choses pour des raisons.

Mais c'est vrai, puis ça me fait penser à quel point parfois on n'a aucune idée de ce qui
se passe dans la tête de nos collègues.

Puis après ça, de me dire, bien, je contrôle ce que je peux contrôler.

Je me contrôle moi-même.

Je contrôle ce que j'accepte dans ma vie.

Oui, bien, puis c'est pas toujours facile.

...

juste de réussir à faire ça et à me concentrer là-dessus.

C'est pour ça qu'avant, j'étais très affecté par le regard des autres.

Puis, je fondais une partie de ma valeur, mon estime sur le regard des autres.

Maintenant, j'ai compris que ma valeur ne dépend pas du regard des autres.

J'étais beaucoup dans la réflexion par rapport à ce projet-là, le balado et d'autres
projets.

J'avais de la difficulté à passer à l'action parce que j'avais peur de l'échec, j'avais
peur de l'opinion des autres.

À moment donné, je me suis dit que je vais commencer.

Je me suis mis dans le premier pas, puis ensuite le deuxième pas.

Je me suis dit que si les gens sont intéressés, ils regarderont.

Si ça ne les rejoint pas, qu'ils regardent d'autres choses.

C'est Bien, tout à fait.

C'est de même partout.

C'est une très bonne solution contre l'anxiété de performance.

De faire les choses pour soi, puis de croire en ce qu'on fait, déjà là, ça y est.

Puis, dis-moi, dans ton groupe de soignantes, est-ce que vous vous êtes bâti une méthode
que vous suivez ou une recette gagnante que vous avez découverte avec l'expérience?

En fait, c'est vraiment, nous, quand on se rencontre de manière mensuelle, c'est vraiment
comme un groupe de paroles ouvert, libre.

Donc, si quelqu'un

amène une situation qu'elle a vécue dans le dernier commence par ça.

C'est vraiment comme on écoute nos élans du moment, puis c'est sans pression.

S'il y a une soignante qui veut juste cette fois-là assister et écouter, mais qui est plus
en retrait parce qu'elle se sent moins disponible pour dévoiler des choses à ce moment-là,

c'est bien correct.

Donc on n'a pas de recette.

C'est sûr qu'on a les bases de respect, de non-jugement, d'accueil, aussi pour se protéger
c'est non-nominatif.

Quand on partage des choses vécues, on ne nomme pas les gens avec qui ça arrive.

Mais on n'a pas de recette.

Je pense que la seule recette, c'est ça, c'est d'être

constantes dans la fréquence de nos rencontres.

Puis après, libre à chacune, c'est de faire leur partage puis leur témoignage selon
comment elles se sentent sur le moment.

Ce que je trouve bien de votre initiative, c'est qu'elle est prospective, c'est-à-dire que
vous êtes plus dans la prévention et que vous allez vider votre tiroir émotionnel au fur

et à mesure plutôt que d'être dans la réaction et de dire qu'on a vécu une situation, donc
on se réunit et on va en parler.

De savoir qu'il y a une réunion qui s'en vient à une date prévue d'avance, à un lieu prévu
d'avance, puis qu'on sait qu'on va être avec des gens dans un safe space tout cas, de mon

point de vue, je trouve ça très beau, très rassurant de savoir qu'il y a des initiatives
comme ça qui existent.

Ce que je trouve dommage, par contre, c'est que

dans plein de milieus, y a des initiatives comme ça qui existent, mais les gens ne sont
pas au courant.

C'est très difficile.

Moi, c'est ce que j'ai constaté avec les Soignantes.

Ça revient un petit peu à ce que tu as nommé tout à l'heure, Steven, la force de
changement.

C'est plus difficile qu'on pourrait le croire de partager ces initiatives-là d'endroit en
endroit.

C'est un petit peu ce qu'on a essayé de faire avec le balado, c'est de diffuser ces
discussions-là qu'on avait dans les petits groupes à l'ensemble des gens qui veulent bien

l'écouter.

Pour que peut-être dans d'autres établissements de santé, il y ait des femmes qui se
disent "nous nous aussi on va se regrouper, on va s'organiser et on va en partir un

nous-même."

Mais c'est ça, je pense que ça prend beaucoup de volonté, puis la vie va vite.

Ce sont des choses qui prennent du temps.

Je pense que de cultiver ça aussi, c'est important.

Nous, on ne lâche pas, puis on le fait parce que ça nous fait du bien, mais oui, c'est...

C'est sûr que dans un monde idéal, il pourrait y avoir des petites initiatives comme ça
partout, puis les gens pourraient s'inspirer les uns les autres.

Il y a quelque chose, je pense, de l'ordre de...

il faut construire ça ensemble.

Mais juste de le nommer et de se donner l'occasion de s'inspirer entre nous des bonnes
initiatives qui se font ailleurs.

Des fois, je pense que ça peut être la petite étincelle qui manquait pour qu'il y ait une
ambassadrice dans un autre établissement qui se dise, bien, c'est une cause dans laquelle

je crois.

Puis, à la limite des groupes de soutien comme ça, ça prend zéro ressource.

Ça prend un local, des chaises, puis c'est tout.

Ça prend des gens qui sont motivés, qui sont unis autour d'une même situation, puis qui
acceptent d'en parler entre personnes qui vivent des situations similaires, mais ça ne

prend pas grand chose, ça ne coûte rien.

Il Il n'y a pas de ressources matérielles.

C'est juste notre temps et notre âme, j'ai envie de dire.

Je pense qu'un coup, c'est un train qui avance depuis des années, qui est en marche, qui
est peu autosuffisant.

Il y a un moment, il y a un lieu, les gens se présentent.

Il y en a qui sont absentes parce qu'elles sont en vacances, XYZ, mais le train continue
d'avancer.

Puis ça, c'est très rassurant.

Puis moi, je trouve que ces initiatives-là font en sorte que tu t'attaches à ton milieu de
travail aussi.

Puis on parlait de sens tout à l'heure, bien pour moi, ça, c'est un ingrédient où je me
sens à ma place où je travaille parce que j'ai créé cette communauté-là.

C'est pas du travail, c'est comme du

"paratravail", mais il faut trouver des choses qui font que ça fait du sens pour nous de
travailler.

En tout cas, ça m'inspire beaucoup à me dire qu'il y a de l'espoir dans notre système,
s'il y a des gens comme toi qui sont capables de porter des projets et des initiatives

comme ça.

Et me dis, étant donné que ça ne prend rien, c'est quelque chose qui peut naître n'importe
où.

Absolument.

Absolument.

Des initiatives comme les tiennes aussi.

C'est rassurant qu'on se fasse notre réseau et qu'on dise que Steven fait ça, que tel·le
collègue fait ça.

Qu'on ait conscience qu'on existe et qu'on veut le meilleur pour notre système.

Qu'on ne lâche pas et qu'on continue.

C'est un peu de co-construire un monde meilleur dans lequel on a le droit de se donner la
permission de rêver à des idéaux qui, si on met le temps et l'effort qui est nécessaire,

le train peut se mettre en marche et on peut briser cette inertie-là et d'initier

un mouvement.

Un train une fois qu'il est en marche, je veux dire que c'est difficile d'arrêter.

Dans mes dernières questions pour toi, si tu avais une baguette magique pour changer notre
système de santé, qu'est-ce que tu aimerais faire?

C'est une question difficile.

On la pose aussi dans notre balado.

C'est plus facile à poser qu'à répondre.

Plusieurs choses, j'imagine.

Une des choses qui me vient en tête dans l'ère du temps, serait peut-être que notre
système de la santé soit un peu plus woke, qu'il soit plus conscient des inégalités, puis

d'évoluer vers briser des tabous qui sont ancrés, puis de se remettre en question.

Puis à toutes les sphères, tous les niveaux, les soignants, les soignantes, les
gestionnaires, le ministère, les patients et les patientes aussi.

Donc, oui, de peut-être rendre ça plus humain, puis moins comme une machine ou une usine.

Il y a des soignantes, des soignants qui vont écouter ce balado-là, des proches.

Qu'est-ce que tu aimerais leur dire personnellement?

Qu'on a une responsabilité collective, puis qu'on s'influence tout le monde.

Puis que c'est en travaillant ensemble, je pense qu'on va faire changer les choses, autant
dans les professionnel·le·s, mais autant chez les non-professionnel·le·s.

Ce que j'aurais envie de dire, c'est d'ouvrir les communications avec les soignants puis
les soignantes

et de ne pas oublier que ce sont des humains en arrière.

Il faut se parler, il faut se dire les vraies affaires.

C'est ça que j'aurais envie de dire à tout monde.

Puis ma dernière question pour toi, si tu pouvais parler à Mélissa d'il y a 15-20 ans.

Qu'est-ce que tu aimerais lui dire?

Qu'est-ce que tu aurais aimé comprendre avant?

Tu te mettrais en garde de quoi?

Bien je pense que je me dirais...

Aie du fun, puis...

accepte de ne pas tout savoir, puis accueille ça, puis c'est beau, tu sais.

Puis c'est correct.

C'est correct.

Parce que c'est pas ça qui va faire que tu vas être une bonne médecin.

tu sais.

Donc je pense que c'est ça,

D'être dans la bienveillance finalement.

Je pense que des fois on a un discours interne qui est très difficile ou très dur.

On dit souvent qu'il ne faut pas être dans le jugement vers les autres, mais on a souvent
tendance à oublier de ne pas se juger soi-même.

Puis on oublie le plaisir.

C'est une job magnifique qu'on a.

On a la chance d'entrer en connexion avec beaucoup de monde, puis il y a quelque chose de
super beau là-dedans aussi.

Je pense que si on connectait plus avec le plaisir de la chose...

des grosses responsabilités.

Mais il y a toute une partie et une façon de voir ça comme étant quelque chose de beau
profondément.

Ça revient un petit peu à ce que je disais tantôt, c'est de réaliser le privilège qu'on a
de soigner et d'entrer en relation avec les gens de la manière qu'on peut le faire.

Donc, de prendre le temps de l'apprécier, ce moment-là, parce que c'est vrai que je trouve
qu'on est très chanceux et c'est très beau de pouvoir soigner.

Tout à fait.

C'est un super métier.

Merci beaucoup pour la conversation et de reconnecter après toutes ces années.

Je trouve vraiment vos initiatives très inspirantes et j'invite les gens à vous écouter et
à voir sur vos réseaux sociaux parce que je trouve que le travail que vous faites est

important.

Bien merci, puis je te renvoie la balle.

Je trouve que c'est une mission qui est vraiment essentielle.

Puis je pense que là, en 2025, on est rendu là.

Il est plus que temps qu'on s'organise nous aussi pour faire avancer les choses.

Merci beaucoup et à bientôt.

À bientôt.