Les balados du CIRCEM visent à promouvoir la recherche interdisciplinaire sur la citoyenneté démocratique et les groupes minoritaires et minorisés, à partir de la tradition intellectuelle du monde francophone.
EPISODE 2:
[Musique de fond]
00:00:04 Sophie Théwissen-LeBlanc (S.T-LB.)
Les balados du CIRCEM visent à promouvoir la recherche interdisciplinaire sur la citoyenneté démocratique et les groupes minoritaires et minorisés à partir de la tradition intellectuelle du monde francophone. Vous écoutez un de plusieurs balados consacrés à une discussion sur le livre Faire l'expérience de la démocratie, les tiers lieux de l'éducation à la citoyenneté des jeunes au Québec, publié aux presses de l'Université d'Ottawa. Le livre présente les résultats d'un terrain ethnographique multisite, dans sept organisations partenaires, issues de la société civile québécoise, qui œuvre auprès d'enfants, d'adolescents ou de jeunes adultes. Il est co-dirigé par Stéphanie Gaudet, qui est directrice du CIRCEM et professeure d'études sociologiques et anthropologiques, à la faculté des sciences sociales de l'Université d'Ottawa, et par Caroline Caron, qui est professeure au département des sciences sociales de l'Université du Québec en Outaouais. Je m'appelle Sophie Théwissen-LeBlanc et je suis auxiliaire de recherche sur le projet et collaboratrice au livre. Les sept organisations partenaires du projet sont l'Institut du Nouveau Monde, Oxfam-Québec, le Y des femmes de Montréal, le Centre de Pédiatrie Sociale de Gatineau, Exeko, la Commission Jeunesse de Gatineau et le Forum Jeunesse de l'île de Montréal. Dans cet épisode, Stéphanie Gaudet discute avec Caroline Caron du deuxième chapitre du livre qu’elles ont coécrit, le chapitre intitulé « Une introduction concise au thème de la citoyenneté des jeunes en sciences sociales ».
00:01:29 S.G.
Bonjour, Caroline.
00:01:29 C.C.
Bonjour, Stéphanie.
00:01:32 S.G.
Je suis heureuse aujourd'hui de discuter avec toi autour du concept de citoyenneté des jeunes. Pour rappeler un petit peu à notre auditoire, nous avons organisé un symposium, en 2016, sur l'éducation à la citoyenneté des jeunes. On avait invité des chercheurs, des praticiens, des personnes qui travaillent auprès des jeunes dans des organisations de la société civile ou dans les milieux scolaires. Puis dans les forums ouverts, dans les groupes de discussion, on leur a demandé d'identifier leurs besoins en recherche ou quel type de question de recherche ils voulaient formuler, puis un des besoins qui a vraiment été unanimement, je dirais identifié, c'est celui de mieux définir la citoyenneté, la citoyenneté des jeunes, la participation citoyenne. Il faut comprendre que les organismes subventionnaires vont souvent demander aux initiatives de soutenir la participation citoyenne, mais qu'est-ce que ça veut dire la citoyenneté des jeunes alors? Puis, pourquoi c'est mieux important de la définir?
00:02:50 C.C.
Tu le dis, ça a été une demande du milieu de proposer une définition plus claire, ou en tout cas, de clarifier ce que ça signifie la citoyenneté. Puis, en fait, ce n’est pas étonnant que ça manque de clarté parce que c'est un concept, en fait, qui est vraiment polysémique. On pourrait dire même qui est politique d'une certaine manière. Puis, c'est un concept qui est empreint également de normes sociales et de représentations. Par exemple, T.H. Marshall, qui est un théoricien de citoyenneté très influent a décrit la citoyenneté des jeunes –c'était dans les années 1950– comme étant le droit de l'adulte, d'avoir été instruit, afin de pouvoir exercer adéquatement son rôle de citoyen. Donc, cette représentation-là des jeunes comme étant des citoyens non pas du présent, mais en devenir, ben les années ont passé, mais c'est quand même assez présent, encore aujourd'hui, dans nos représentations sociales. Puis, ça explique même pourquoi, pour plusieurs adultes, les jeunes, en fait, ne peuvent pas être vraiment pleinement des citoyens tant qu'ils n'ont pas atteint l'âge adulte et qu'ils peuvent voter.
Il y a aussi, dans cette conception, l'idée que les enfants et les adolescents sont des êtres inachevés, incomplets, pas entièrement rationnels, incapables d'agir en leur propre nom et de manière éclairée tant qu'ils n'ont pas atteint un certain stade de développement. Alors ça, ce sont des références à une norme adulte, évidemment. Puis, il y a, dans ça, une vision qui est restreinte de la démocratie, on pourrait dire, puisqu'elle est limitée finalement à l'idée de la participation électorale. Donc, nous avons constaté que le vocabulaire de la citoyenneté, en fait, est peu mobilisé par les organisations jeunesse avec lesquelles nous avons travaillé, mais nous croyons que mieux définir la citoyenneté des jeunes, ça comprend aussi l'idée de la redéfinir également, puis que c'est une occasion de réfléchir de manière critique aux conséquences qu'ont les présupposés adultes, notamment en termes d'exclusion des jeunes, des instances formelles et informelles, de la vie courante, dans une société démocratique. Donc, notre recherche montre qu'une conception de la citoyenneté, qui cherche à amoindrir le rapport hiérarchique, qui existe dans la société entre adulte et jeune, ça peut nous permettre de reconnaître les jeunes comme des participants égaux dans la démocratie. Égaux, mais différents.
00:05:23 S.G.
Merci beaucoup Caroline, je pense que tu as bien expliqué la question de la différenciation. Et je rappelle à nos auditeurs qu'en 2018, il y a un numéro spécial de la revue Lien social et politique qui a été publié, qui s'intitule Autour de l'objet de la citoyenneté des jeunes dans lequel tu as publié un article assez important, je dirais, sur la question des injustices épistémiques qui portent sur les jeunes. Qu'est-ce que ça veut dire les injustices épistémiques? Ça veut dire que, dans la production des savoirs, on choisit des objets ou on choisit des sujets, puis on en cache d'autres. On a beaucoup parlé des injustices épistémiques liées, par exemple, aux femmes. Souvent, on n’a pas parlé des réalités des femmes parce que l’on considérait que leurs paroles étaient moins intéressantes pour la production de la connaissance scientifique. Et, en 2018, toi tu as publié cet article-là sur les injustices épistémiques liées aux jeunes et à la citoyenneté des jeunes. Alors est-ce que tu veux nous en parler un petit peu, de cette question-là des injustices épistémiques?
00:06:38 C.C.
Oui, bien l'injustice épistémique, on peut la définir comme un tort à l'encontre d'un groupe social qui se traduit par un manque de reconnaissance de la crédibilité et de la légitimité que possède ce groupe pour s'exprimer en son propre nom et à renseigner les autres groupes sur sa situation. Donc, dans cet article que tu évoques, moi, j'explique que les jeunes font partie de ces groupes minorisés dont la société doute qu'ils puissent penser et agir par eux-mêmes. Donc, la conséquence c'est que les connaissances que possède la société sur ces groupes sont limitées par un certain nombre de biais et de stéréotypes, mais surtout, par l'absence d'un point de vue qui est pourtant essentiel, le point de vue des personnes directement concernées, qui n’est pas seulement en termes d'opinion, mais qui est vraiment une question de savoir, de savoir expérientiel, donc, pour contourner ce risque d'injustice épistémique, j'expliquais, dans mon article, que les chercheurs et les chercheuses peuvent faire plusieurs choses, mais je pourrais me limiter à en souligner 2 ici. D'abord, adopter un cadre théorique qui est différent, puis, dans notre cas, ça a été un cadre théorique qu'on a qualifié d'inclusif. Puis, deuxièmement, en concevant un devis de recherche qui va être spécifiquement axé sur la capacité de la démarche de recherche à pouvoir prendre en compte les savoirs expérientiels, des savoirs enquêtés. Puis ici, c'est les jeunes, alors on a voulu vraiment comprendre l'expérience vécue de la citoyenneté des jeunes au sein des différents contextes d'observation. Donc nous, dans notre démarche, au plan théorique, ce qu'on a fait, c'est qu'on a conçu un cadre qui allait nous permettre d'appréhender cette expérience vécue. Et, en plus des écrits sur la citoyenneté politique qui est axée sur la démocratie libérale et les institutions politiques, on a considéré aussi d'autres perspectives qui nous permettaient d'être plus sensibles à l’observation des expériences des jeunes. On s'est tournées, par exemple, du côté de la sociologie, de l'anthropologie, l'éducation, mais aussi des courants critiques comme les études féministes et les études postcoloniales. Puis, on a trouvé que, faire appel à cette multiplicité de cadres, de perspectives théoriques, ça nous a permis de développer une conception élargie de la citoyenneté. Donc, elles ont été vraiment utiles pour penser la citoyenneté des jeunes au-delà de la participation électorale qui est souvent notre réflexe en recherche, puis chez les commentateurs, de penser la citoyenneté, donc égale participation aux élections, etcétéra. Donc, nous, ça nous a vraiment amenés à envisager l'exercice de la citoyenneté des jeunes comme étant un processus social et donc, qui implique l’agentivité et qui se fonde sur des capacités des jeunes. Donc, ça nous permettait, ce cadre-là, d'avoir un autre point de vue et d'aller chercher des observations qui étaient pertinentes au regard de nos questions. En termes méthodologiques, comment on s'est adapté? Notre ancrage théorique s'est traduit par la conception d'un devis de recherche qualitatif, qu'on a inscrit dans le paradigme de la théorisation ancrée. On a positionné le projet comme une quête de connaissances qui concernait l'expérience vécue de la citoyenneté des jeunes. Ça veut dire qu’on n'a pas cherché à savoir si les jeunes étaient de bons citoyens ou s'ils étaient des citoyens compétents. On a plutôt posé des questions du genre : de quelle manière les initiatives jeunesse observées amènent les jeunes à exercer une citoyenneté active? On s'est demandé, qu'est-ce qu'ils apprennent dans ces tiers lieux de l'éducation? Comment leur expérience participative enrichit-elle leur compréhension de la vie en démocratie ? Alors, ces questions nous conduisaient au besoin d'observer l'expérience d'apprentissage des jeunes dans les contextes et évidemment, l'approche ethnographique se trouvait à être la meilleure option pour répondre à ce besoin.
00:10:42 S.G.
C'est souvent une bonne option méthodologique aussi, quand on est dans un contexte où la parole n'est pas nécessairement ce que les personnes maîtrisent le mieux. Quand je pense, par exemple, aux observations au Comité des droits du Centre de Pédiatrie Sociale de Gatineau, les plus jeunes s'expriment moins par la parole que les plus vieux par exemple. Donc l'ethnographie, ça devenait très adapté pour ce qu'on observait.
[Début et fin de la musique de fond]
00:11:22 S.G.
Alors, dans nos 7 terrains, donc tu l'as bien expliqué, nous avons fait 7 ethnographies. En termes méthodologiques, on appelle ça des ethnographies multisites parce que notre objectif c'est de comparer, d'une certaine façon, un peu, ces sites-là avec un peu la même grille d'observation. Parce qu’on l'a déjà dit, il y a beaucoup de pratiques très diversifiées, toutes sortes de conceptions de la citoyenneté démocratique des jeunes qui est assez diversifiée, alors au sein de nos 7 sites d'observation, donc je vais les nommer pour les rappeler. Donc, nous avions l'École d'été de l'Institut du Nouveau Monde, la marche monde d'Oxfam Québec. Nous avions le programme « Force des filles, force du monde » du Y des femmes de Montréal, le Comité des droits du Centre de Pédiatrie Sociale de Gatineau et Exeko qui avait un projet de sensibilisation aux luttes sociales. Finalement, nous avions la Commission jeunesse Gatineau et le programme « Prend ta place » du Forum jeunesse de l'île de Montréal. Donc, c'était des sites d'observation très très très différents les uns des autres. Comment le concept de la citoyenneté des jeunes nous a-t-il aidées pour comprendre de manière transversale ces groupes très hétéroclites d'initiatives?
00:12:52 C.C
Oui, en effet, ces organisations et ces initiatives font des propositions tellement différentes et s'adressent à des jeunes différents, à un point où ça forme un ensemble plutôt hétéroclite. Ça peut paraître un peu paradoxal d'essayer, ou, en tout cas, très compliqué, de les comparer les unes par rapport aux autres. Par exemple, on a des organisations qui sont plus centrées sur les enfants, d'autres sur les ados, sur les jeunes adultes. On a des organisations qui offrent des projets vraiment de nature tellement différente. On a certaines initiatives axées sur la production médiatique, d'autres sur l'organisation d'événements, la découverte de l'histoire de son quartier. D'autres, ça consiste à participer à des manifestations. On a une initiative de simulation d'élections, ça vous montre un peu la panoplie de propositions. Puis, on a aussi des initiatives qui se déroulent sur du moyen terme, d'autres sur une très courte période, quelques jours, quelques semaines, quelques mois. On a même des initiatives qui se déroulaient durant une année complète. Donc, effectivement, c'est très hétéroclite, mais le concept de citoyenneté va vraiment nous aider à pouvoir permettre une comparaison justement de ces cas qui sont quand même distincts. Parce que le point majeur, le point de similitude, c'est que toutes ces initiatives-là offrent des expériences d'exercice de la citoyenneté, nous permettent donc d'observer la l'expérience vécue de la citoyenneté. Ce qui est intéressant dans cette diversité-là, c'est que dans chacune des initiatives, on constate que les organisations s'adaptent justement à leur clientèle, s'adaptent aux capacités et aux compétences et aussi aux intérêts qu'ont les jeunes. Donc, c'est très intéressant d'observer cette adaptation-là dans chacun des milieux. Chacune des initiatives aussi, malgré toutes les différences, elles mettent en œuvre ce que nous, on appelle une conception inclusive de la citoyenneté, du fait même qu'elle valorise et encourage la participation des jeunes. Donc, la diversité des initiatives nous permet, en fait, d'arriver à produire un portrait vraiment très riche de ce qui se fait en termes d'éducation à la citoyenneté dans la société civile québécoise. Cette diversité nous permet aussi d'observer et d'apprécier, je dirais, les différences d'expériences vécues en termes de type de participation. Depuis l'adoption de la Convention relative aux droits de l'enfant, en 1989, il y a plusieurs chercheurs et praticiens qui ont créé des outils et des typologies pour analyser ces différents types de participation qui existent dans différents milieux. Ces outils mettent en garde contre le risque d'instrumentalisation de la participation des jeunes qui ne correspond pas à un exercice authentique de la citoyenneté et parmi les formes véritables de participation, il existe aussi une panoplie de variations dans le degré d'implication qui est offert aux jeunes et le degré de prise de décision. Donc, les différents chapitres de notre ouvrage rendent compte, également, de la diversité des types de participation qui sont offerts aux jeunes parmi les différents terrains qui sont observés. Et, nous croyons que le vocabulaire de la citoyenneté, qui n’est en fait pas tant utilisé que ça, par les organisations jeunesse, mais il est plus utilisé en fait dans la littérature savante, et nous on pense qu'il présente vraiment un intérêt pour les praticiens, les praticiennes, les adultes qui travaillent dans les différents milieux observés et qui ont exprimé le besoin de pouvoir se référer à un vocabulaire commun pour penser et analyser la participation des jeunes dans les organismes jeunesse.
00:16:50 S.G.
Caroline, tu parlais des différents degrés de participation, puis je tiens à souligner que les jeunes sont tout à fait sensibles à l'instrumentalisation et sont très, très conscients et très lucides à l'égard des initiatives où des adultes qui voudraient les utiliser pour bien paraître devant les médias, etcétéra. Puis ça, on l'a observé quand même avec eux et une chose que je retiens, moi en tout cas, c'est que quand on organise des événements avec les jeunes, si on dit « on fait une consultation », c'est une consultation. Si on dit « on prend des décisions ensemble », ce n'est pas une consultation. Il faut prendre des décisions ensemble, donc c'est important que le monde adulte aussi fasse attention aux promesses et au vocabulaire qu'ils utilisent avec les jeunes parce qu'ils sont très au courant de tous ces différents types de participation, ces différents degrés de participation que tu as nommés justement.
00:17:57 C.C.
Oui. Puis, c'est d'autant plus important que ça va affecter justement la qualité de leur expérience et donc, la qualité de leur apprentissage aussi, donc on aura l'occasion d'en reparler. Grâce à l'observation de ces différents types de participation, on a pu tirer, en fait, un certain nombre d'enseignements et on propose justement que ça puisse servir de référence à d'autres organisations dans la conception justement d'initiatives jeunesse.
00:18:25 S.G.
Merci beaucoup, Caroline,
00:18:27 C.C.
Ça fait plaisir.
00:18:33 S.T-LB.
Vous venez d'écouter un épisode de la série Les balados du CIRCEM de l’Université d'Ottawa. L'invitée était Caroline Caron, animation par Stéphanie Gaudet, scénario et narration par Sophie Théwissen-LeBlanc. Réalisation par Marie-Hélène Frenette-Assad. Le livre Faire l'expérience de la démocratie, les tiers lieux de l'éducation à la citoyenneté des jeunes au Québec est publié aux Presses de l'Université d'Ottawa. Les autres auteurs qui ont contribué au livre sont Brieg Capitaine, Hérold Constant, Alexandre Cournoyer, Emilie Drapeau, Mariève Forest, Maxime Goulet-Langlois et François Marchand. Nous remercions la quarantaine d’étudiants, de chercheurs et de représentants de la société civile qui ont contribué de près ou de loin au projet de recherche. Nous remercions aussi le Conseil de recherches en sciences humaines qui a permis la réalisation de la recherche et la production de ce balado. Pour en savoir plus sur le projet de recherche partenariale, vous pouvez visiter le site web educationetdemocratie.ca.