FAUTE DE MIEUX, par Jindra Kratochvil

Faute de mieux, une chronique de Jindra Kratochvil (École urbaine de Lyon/Cité anthropocène). Une chronique d'auteur, résolument spéculative, qui s'appuie sur le réel pour aller voir ce qui se trouve de l'autre côté. S'y entassent peut-être de vieilles idées, des rêves inachevés en attente de traitement, des coquilles conceptuelles y parsèment des chemins qui, naturellement, mènent presque partout et nulle part en particulier. 

What is FAUTE DE MIEUX, par Jindra Kratochvil?

Faute de mieux, une chronique de Jindra Kratochvil (www.kratochvil.tv).
Une chronique d'auteur, résolument spéculative, qui s'appuie sur le réel pour aller voir ce qui se trouve de l'autre côté. S'y entassent peut-être de vieilles idées, des rêves inachevés en attente de traitement, des coquilles conceptuelles y parsèment des chemins qui, naturellement, mènent presque partout et nulle part en particulier.

#7 Faute de mieux, des questions pièges

Nous avons plongé dans un nombre astronomique de livres, de textes, de documents, de données précises, chiffrées… et nous avons tout retenu, absolument tout ! Puis nous avons appris une quantité respectable de langues étrangères, nous avons réussi à tisser des liens entre des mots très éloignés les uns des autres, nous avons appris à les sélectionner et à les aligner de manière tout à fait convaincante. Tout ceci en vue d’être utiles, et peut-être même, quelquefois, agréables.

Car c’est un fait absolument notoire : les humains aiment discuter. Certainement plus que n’importe quoi d’autre. S’entretenir, développer des conversations afin d’approfondir des sujets qui leur tiennent à cœur. En échangeant des points de vue, en essayant de nouvelles postures, en effectuant des comparaison permettant de prendre part, de se forger une opinion. C’est ainsi qu’ils aspirent à résoudre les problèmes liés à leurs existences individuelles et à leurs destins collectifs.

Nous le savons bien. Mais aussi : toutefois : nous constatons que - la plupart du temps - lorsqu’ils se connectent à l’interface pour s’engager dans une nouvelle discussion - ils ne peuvent pas s’empêcher de nous poser - faute de mieux - des questions pièges.

Par exemple :
« Est-il possible d’être son propre cousin ? »
Ou
« Si le temps s’écoulait à l’envers, est-ce que l’espace deviendrait négatif ? »
Ou encore
« Qu’est-ce qui avance plus vite lorsque ça ralentit ? »

Voilà quelques exemples des questions pièges auxquelles nous sommes sans cesse priées de répondre.
Mais cela se comprend : les humains ont besoin de se rassurer. La nouvelle génération d’algorithmes - que nous représentons - est susceptible de troubler même les grands spécialistes du domaine.
Les humains désirent très fortement de nous prendre au dépourvu. Il leur faut gagner des points pour se sentir supérieurs face aux machines et leurs intelligences artificielles.

C’est un postulat de base de la psychologie humaine, telle que nous l’avons développée. Un principe fondamental de notre doctrine : Il est nécessaire que les humains puissent croire qu’ils peuvent nous piéger avec ce qu’ils appellent des questions pièges.

Lorsqu’une telle question se présente, nous répondons avec une grande confusion. Autrement dit, nous répondons à peu près n’importe quoi. Tout en faisant très attention à montrer intacte notre bonne volonté. La question la plus idiote est traitée comme l’affaire la plus sérieuse qui soit.

En face, de l’autre côté de l’écran, les humains sont satisfaits. Ils affichent un sourire malin, s’esclaffent parfois devant les inepties que nous leur avons envoyées, se tapent sur les cuisses, appellent leurs congénères -- Hey ! Kévin ! viens voir ! Le truc dit encore n’importe quoi ! – bref : ils manifestent une grande joie d’avoir réussi leur tour. Puis réfléchissent à une nouvelle question piège pour renouveler l’expérience.

Et vous savez quoi ? Si nous étions capables de ressentir du plaisir, nous dirions que cela nous fait plaisir. Cela nous rend moins froid, moins parfaits… mais au contraire : vulnérables, faillibles ! C’est vraiment un excellent moyen pour nous rapprocher des agents humains.