Signal nocturne

« On peut aussi s'accomplir dans la lenteur. »

À l’ombre du phare encore enneigé de Signal nocturne, la femme de lettres Chloé Savoie-Bernard rencontre pour la première fois le réalisateur et animateur, Julien Morissette.

Fille d’une mère acadienne et d'un père haïtien, Chloé remonte ses origines et témoigne de son rapport passionnel avec les différentes facettes de la littérature. À la fois écrivaine, universitaire, traductrice et éditrice, elle raconte qu’écrire est un geste politique.

Ayant vécu sa dernière décennie à un rythme effréné, Chloé affirme aujourd’hui être en quête de lenteur.

La comédienne Florence Blain Mbaye nous lit de magnifiques extraits du dernier recueil de poésie de Chloé, Sainte-Chloé de l’amour.

Show Notes

« On peut aussi s'accomplir dans la lenteur. »

À l’ombre du phare encore enneigé de Signal nocturne, la femme de lettres Chloé Savoie-Bernard rencontre pour la première fois le réalisateur et animateur, Julien Morissette.

Fille d’une mère acadienne et d'un père haïtien, Chloé remonte ses origines et témoigne de son rapport passionnel avec les différentes facettes de la littérature. À la fois écrivaine, universitaire, traductrice et éditrice, elle raconte qu’écrire est un geste politique.
 
Ayant vécu sa dernière décennie à un rythme effréné, Chloé affirme aujourd’hui être en quête de lenteur.

La comédienne Florence Blain Mbaye nous lit de magnifiques extraits du dernier recueil de poésie de Chloé, Sainte-Chloé de l’amour.



Transistor Média, basée à Gatineau (Québec), est une boîte de création, de production et de diffusion d'œuvres audios. En plus de ses balados, l’organisme tient annuellement le Festival Transistor et le Kino-radio.

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Creators & Guests

Host
Julien Morissette
Co-fondateur et directeur artistique de Transistor Média, Julien Morissette a réalisé et animé plus de 200 épisodes de balados comme Synthèses, Daniel Bélanger : Rêve encore, Signal nocturne, L'heure de radio McGarrigle et Les amours extraordinaires.

What is Signal nocturne?

Chaque vendredi sur le coup de 22 h 00, Julien Morissette reçoit des artistes de partout au Québec, issus de la littérature, du théâtre, du cinéma et de la création sonore et musicale. Découvrez des entrevues passionnantes, des textes inédits, des performances intimes et des conceptions sonores envoûtantes. Une production de La Fabrique culturelle de Télé-Québec, en collaboration avec Transistor Média.

ID INTRO
Ce balado est une présentation de La Fabrique culturelle de Télé-Québec, en collaboration avec Transistor Média

BLOC 1 - CITATION + THÈME__________________________________________

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 1]
Billy-Ray Belcourt écrit :

Alors chaque nuit, je fais l’amour
Comme on siphone l’essence d’une voiture abandonnée :
Comme si le temps me glissait entre les doigts

Vous écoutez Signal nocturne.

BLOC 2 - TEXTE INTRO _______________________________________________

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 2]
La glace fond autour des lucarnes.
La neige glisse et tombe devant notre porte,
Nous permettant le bardeau du toit du phare.

Y a plus de pêcheurs dans mon champ de vision,
La rivière se dégage de ses cabanes et de ses pick-ups

Il me reste quelques nuits à veiller au grain avec François et je compte bien en tirer le meilleur.

Ça doit être pour ça que j’écris un mot à Chloé Savoie-Bernard,
On ne s’est jamais parlé,
Elle me connait ni d’Ève, ni d’Adam,
Mais je la lis depuis des années.

Chloé est une femme de lettres québécoise, active dans presques toutes les sphères de la littérature.
Elle est écrivaine, poète, éditrice, chercheure et traductrice.
Elle fait présentement un post-doctorat recherche-création en littérature à l’Université de Sherbrooke et l’Université Concordia et elle vient d’obtenir un poste à l’Université Queen's de Kingston.

Chloé a une énergie débordante, une sensibilité désarmante et une intelligence qui m’épate.

En 2016, elle a publié le recueil de nouvelles Des femmes savantes, finaliste au Prix littéraire des collégiens. Elle a publié trois recueils de poésie, Royaume Scotch Tape en 2015, Fastes en 2018, et tout récemment, le sublime Sainte Chloé de l’amour, paru en 2021 à L’Hexagone,

La comédienne Florence Blain Mbaye nous lit un premier extrait de Sainte Chloé de l’amour.

BLOC 3 - LECTURE 1 __________________________________________________

FLORENCE BLAIN-MBAYE

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 3]
Pour bien situer l’écrivaine Chloé Savoie-Bernard, j’avais envie de lui parler un peu de son parcours de vie.
Sa mère est acadienne et son père est haïtien : on a donc discuté de ses deux voyages en Haïti.

BLOC 4 - ENTREVUE 1__________________________________________________

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
J'suis allée en Haïti deux fois. La première, j'étais assez jeune, j'avais... J'étais au primaire. J'pense que j'avais 8-9 ans, quelque chose comme ça. Puis. C'est ma mère qui nous avait envoyé en Haïti parce que heuu elle voulait que moi et ma sœur on on arpente de ce pays là, tsé, puis, qui avait une importance aussi dans l'histoire de mon père et de ma mère parce que mon père était au Québec quand qui a rencontré ma mère, puis y'ont été construire une école en Haïti. Donc, c'est comme ça que se sont rencontrés parce que était dans un projet humanitaire puis ma mère était volontaire pour aller contre cette école là puis mon père était prof de créole. Donc y a une école quelque part en Haïti que mes parents ont aidé à construire. Donc, euh… C'était aussi, c'était pour ça par rapport à l'histoire, mais évidemment par rapport aussi à nous là, essayer de se faire des racines choses, pis juste d'aller à la rencontre de ce pays là. Donc, c'était, c'était très particulier pour moi de, d'aller en Haïti à ce moment là parce que évidemment, je suis métisse donc je, dès que, dès que j'arrive en Haïti, tout le monde sait que je suis pas haïtienne pis c'est aussi pas seulement à cause de la couleur de la peau, parce que y a des Haïtiens qui ont la couleur de ma peau. Mais c'est aussi par rapport à comment je me déplace dans l'espace, comment je m'habille, donc j'me sentais à la fois très très étrangère, puis à la fois y'avait quelque chose que que je reconnaissais d'avant moi, j'pense. Je me rappelle quand je suis descendue de l'avion, pis c'était la première fois que je prenais l'avion. L'air, qu'est-ce que ça sentait, la lourdeur de l'air, les couleurs. Tsé, y'avait quelque chose de bizarrement très familier. Fait que ouais, c'est c'est un rapport diasporique j'pense. Pis, j'pense que beaucoup de gens de la diaspora ressentent - pas la même chose parce que tout le monde est différent - mais des sensations un peu similaires à ça.

JULIEN MORISSETTE
La deuxième fois que tu es allée, c'était dans quel cadre?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
J'suis allée faire une tournée en Haïti comme écrivaine. J'avais été invitée par des gens des associations françaises en Haïti là, c'est comme un drôle de truc colonial! Ces associations françaises… Y'en a un peu de partout dans le monde, là. C'est des alliances française en fait. J'disais « associations » mais c'est des Alliances françaises d'Haïti qui m'avait invitée. Pis j'pense qui savaient même pas que j'étais moitié haïtienne, mais pour moi, c'était vraiment une occasion en or finalement de me faire payer un un voyage gratuit en Haïti. Puis on a parcouru j'pense 6 ou 7 villes. Puis c'était très particulier, en fait, parce que j'étais la seule écrivaine qui avait comme des racines en Haïti. Y'avait un écrivain africain, une écrivaine allemande avec des origines africaines aussi. Donc heu. Pis là, d'être là, de parler du Québec, c'était beaucoup de couches, en fait, superposées.

JULIEN MORISSETTE
Ouais.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Puis on a été dans la ville de mon père aussi. Fait que c'était, la ville d'origine de mon père c'était, c'était chargé, mais c'était un cadeau pour moi quand même là. De de faire ça. Pis, mais je suis repartie avec plus de questions encore, j'crois que ouais.

JULIEN MORISSETTE
Est-ce que c'est une bonne chose pour toi de repartir d'un lieu avec plus de questions que de réponses?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Heuu, oui, sans doute. Mais tsé, c'était en 2019, fait que c'était un moment vraiment chargé politiquement en Haïti. On est revenu, les ressortissants canadiens avaient déjà été appelés en fait, c'était un moment autour du prix de l'essence, y'avaient des manifestations dans Port au Prince. Fait qu'on était là, pis on était là pour parler littérature. C'était absurde de parler de littérature en ce moment, mais on parlait des amphithéâtres. Les amphithéâtres étaient plein. Les les jeunes voulaient tellement écrire. Tsé, moi j'étais fascinée parce que justement venaient du Québec. J'venais de lieux où comme, tsé je je fais souvent des tournées et des tournées et des conférences dans les écoles secondaires. Pis tsé les les étudiants s'en s'en foutent souvent. Pas toute, pas toute.

JULIEN MORISSETTE
De littérature?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Oui, oui, de la littérature ou de nous. Tsé j'veux dire, quand qu'on s'adresse à des jeunes, y'en a souvent deux ou trois qui sont allumés, qui sont intéressés pis c'est super le fun de parler à.. Mais tsé, c'est Happy few.

JULIEN MORISSETTE
Ouais.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Tandis qu'en Haïti c'était, tsé j'veux dire, on partait là, pis il y avait des line up devant nous. Puis à un moment donné on était comme : "Bon, là faut faut que ça arrête, faut faut qu'on s'en aille ou faut qu'on aille manger, on a un trai-, on a, un autobus".

JULIEN MORISSETTE
Ouais.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Tsé faut qu'on s'en aille. Mais on aurait pu parler pendant vraiment, vraiment longtemps que les jeunes nous écoutaient. Pis j'étais comme : « Mon dieu, c'est fou qu'ils soient tellement désirant. » J'trouvais la générosité d'écoute tellement grande. Puis je me disais ; "Mon dieu, à leur place je sais pas si je voudrais tellement entendre parler de la littérature". Mais comment se mettre à leur place ? Tsé c'était, c'était beaucoup de questions que j'avais pis c'était, c'était vraiment riche. Pis heu. Ouais.

JULIEN MORISSETTE
Est-ce que tu sens un rapport aussi engagé avec les les jeunes écrivaines et écrivains avec qui tu travailles, à qui t’enseignes? Est-ce que tu sens que ce, cette volonté là, ce geste là derrière l'écriture ?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Hmmm.... Ça dépend. Je pense que y en a plus pour plus, tsééé, y a toujours deux ou trois ou quatre courants, mais un de ces courants là y'a c'est de de ceux qui disent que, justement, la littérature n'est pas politique, pis c'est un lieu d'imagination qui a rien à voir avec le réel. Pis ça je le trouve toujours un peu dangereux ce ce propos là. Puis, c'est sûr que chez les jeunes aussi. Mais, tsé, je sais pas comment dire, quand t'as 20, 21, 22, 23, 23 ans, tu commences à écrire, j'pense pas que c'est tout le monde qui sont au courant, qui sont en train de faire de quoi de politique. Par contre, je vois beaucoup chez les jeunes filles un désir féministe de de travailler avec des écritures du réel, de travailler avec leur existence et de travailler avec leurs traumas. Pis ça, pour moi, c'est un, c'est un geste politique. Puis je le vois beaucoup, je je vois en elles des lectrices, des des Marie Darsigny, pis des Maude Veilleux aussi. J'ai vraiment l'impression qu'elles ont lu, tsé. Je ne pense pas qu'ils parlent, j'ai j'ai vraiment l'impression qu'elles se mettent en lien avec cette écrivaine là. Pis ça j'trouve ça assez touchant qu'elles, qu'elles aillent ces écrivaines un peu plus vieilles qu'elles avec qui se penser.

INSTRU SIGNAL NOCTURNE

BLOC 5 - ENTREVUE 2__________________________________________________

JULIEN MORISSETTE
À quel moment tu as commencé à écrire? À quel moment tu t'es dit écrivaine, Chloé?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Ben je sais toujours pas si je suis écrivaine. Tsé, ben en fait maintenant, ah ouais, c'est pas vrai. Ça m'a pris du temps avant de dire que j'étais écrivaine. Là, ces temps-ci, ça va. Je pense que j'ai faite à celui. Tsé, ça commence à à rentrer là. Là, j'pense que non, c'est vrai. Là, je pense que je suis écrivaine, mais je pense que que dès le premier livre j'étais écrivaine. Tsé moi, je sais pas, j'trouve que c'est un grand mot, c'est un grand, c'est quelque chose de gros un peu à peu. Pis y'a aussi un espèce de charge un peu prétentieuse "je suis écrivaine". Pis je pense pas que dès le premier livre, je me sentais comme ça. Pis encore moins quand j'avais pas publié là. Je veux dire, j'ai toujours écrit, je crois, j'ai toujours eu cette volonté d'écrire là une volonté d'écriture qui était pour moi, qui prenait racine pour moi dans dans la lecture là.

JULIEN MORISSETTE
Hm hm.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
C'était vraiment ça, pour moi. Le plus important, à la base c'était de lire. Puis ça dès que j'ai su lire, ça a été clair, ça a été, ça m'a traversé pis c'est un un très grand désir de me remplir avec les écritures des autres. Donc, j'ai su très tôt, ou j'ai su dès le début en fait, que c'était ma ma voix, peut être ou ma colonne vertébrale ou que c'était quelque chose qu'on pourrait nommer une passion.

JULIEN MORISSETTE
Qu'est-ce que tu tu, qu'est-ce que te retrouves dans cette constance là d'écrire ? Parce que ça commence à faire un moment que tu écris.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Ouais, c'est ça.

JULIEN MORISSETTE
Qu'est-ce que tu vas chercher dans dans cette zone-là de de ta pratique et de ta personne ?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Bonne question. Je pense que je vais chercher quelque chose comme une frontière ou quelque chose, comme pas une frontière, mais quelque chose qui me délimite. Tsé ça, ça permet de mieux me délimiter, moi, de mieux délimiter les endroits où je me promène. Ça me permet de nommer. Tsé la vie va tellement vite. La vie est très violente. Fait que l'écriture, c'est un moment peut être de de pause, de réflexion, mais aussi vraiment de quelque chose qui me circonscrit, puis qui circonscrit l'environnement. Tsé, ça donne une comme une silhouette sur un pavé là, ouais ça donne quelque chose comme ça, tsé. Puis, ça me permet de mieux comprendre, finalement. Pis ça me permet aussi d'être surprise. Y'a quelque chose spécialement dans la poésie, dans dans les alliages de mots, dans les alliages de sonorités, y'a quelque chose qui m'apparaît toujours comme de l'ordre de la surprise comme : "Ah, ça fait ça". Tsé les mots : "Ah, on peut créer cette image-là", tsé. Psi c'est la, la surprise que je cherche aussi comme lectrice là.

JULIEN MORISSETTE
Ouais.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Quand je lis, j'suis comme : "Ah mon dieu, la personne, cette personne-là à fait ça, extraordinaire", tsé. Puis, peut être que.. j'suis allée en écriture parce que j'étais capable de la reproduire un peu pour moi en en littérature tandis que j'aurais pas pu recréer cette surprise là dans les arts visuels parce que j'ai pas, je sais pas capable là, genre, j'aurais pas pu être peintre là, j'pense pas là tsé. Mais la littérature, ça, je pouvais. Fait que c'est là que je suis allée.

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 3]
À nouveau, Florence Blain-Mbaye nous lit un texte tiré de Sainte-Chloé de l’amour.

BLOC 6 - LECTURE 2 __________________________________________________

FLORENCE BLAIN-MBAYE

BLOC 7 - ENTREVUE 3__________________________________________________

JULIEN MORISSETTE
Depuis janvier 2021, t'es éditrice aux Éditions de l'Hexagone. T'avais travaillé avant ça en édition. Mais là, c'est, ça me semble quelque chose. Il y a un engagement. C'est assez clair dans dans ce, dans ce métier d'édition. Qu'est-ce que, est-ce que ça nourrit ta pratique d'écrivaine de, d'être éditrice comme ça ?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Moi, j'ai l'impression que c'est un-. Ben, c'est sûr que l'un nourrit l'autre là, inévitablement, mais heu j'pense que moi je, tsé j'suis comme une fausse extravertie. J'suis quand même introvertie.

JULIEN MORISSETTE
hahaha, c'est quoi une fausse extravertie ?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Mais mettons, j'sais pas là. Genre si, les gens qui me connaissent pas quand je dis que je suis introvertie sont comme : "Ah" parce que je pense que je projette pas nécessairement ça ou comme je suis à l'aise dans les contextes sociaux, souvent un peu tout le temps, mais souvent. Mais finalement, j'ai quand même à être introvertie, pis j'aime pas né, trippe pas nécessairement à être en avant de, de l'avant. Puis, comme quand t'es autrice, les gens travaillent sur tes textes, justement, dans les processus d'édition. Tsé tu deviens cette espèce de produit qu'on met, qu'on met de l'avant. C'est comme si être éditrice, pour moi, c'est comme de retourner un peu la situation. Tsé, y'a une relation de pouvoir aussi là entre éditrice, puis auteurs, auteurice. Y'a y'a quelque chose qui se retourne pour moi de cette relation de pouvoir de de y'a.... J'aime bien cet échange là, j'le trouve comme sain finalement que de d'essayer de mettre de de l'avant les textes des autres. Quand on on travaille souvent à mettre de l'avant mes propres textes.

JULIEN MORISSETTE
Ouais.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Tsé, j'trouve ça. Ça me paraîtrait très très normal, hahaha.

JULIEN MORISSETTE
Ouais, ouais, ouais.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Je sais pas si normal, c'est le bon mot là, mais ça me paraît comme, ouais, c'est ça.

JULIEN MORISSETTE
Naturel?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Une écologie, tsé.

JULIEN MORISSETTE
Ok.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Tsé, y'a quelque chose qui se passe au niveau de l'écologie, des choses qui circulent, tsé. Mais, ouais, voilà. Fait que je sais pas si ça change vraiment ma position comme écrivaine. Mais disons dans l'écologie de la vie littéraire, ça me fait du bien d'être heu, de prendre un pas de recul. Ouais.

JULIEN MORISSETTE
Je parle à l'éditrice, mais aussi à l'autrice, veut veut pas là, t'es, tu es la même personne, mais je me demande à ton avis, en ce moment, on se parle, on est à l'hiver 2022. Comment se porte le milieu de la littérature au Québec? Je pense entre autres à à la place des des personnes plus marginalisées dans, dans les pratiques de autrices, auteurs. On en est où ?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Heu.. On pense qu'on est vraiment avancés, mais je pense que cela va si bien que ça. En fait, là. J'pense qu'on commence, on est aux balbutiements d'un, d'un renouvellement des pratiques. Tsé, j'veux dire y'a un désir de plus grande intégration. Pis déjà ces mots là je les dis avec beaucoup de guillemets...

JULIEN MORISSETTE
Hm hm, c'est dans le discours.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Non, je pense qu'il y avait des vrais désirs.

JULIEN MORISSETTE
Ouais?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Y'a, j'veux dire, l'UNEQ fait des tables rondes, l'Union des écrivains québécois faite des tables rondes autour ça. Y'a y'a un désir de renouvellement des pratiques. Tsé, on demande des lecture sensibles de lectures. Des lectures sensible, c'est quand que y'a un manuscrit mettons que des personnes noires et qui veut faire une personne blanche, on va demander à une personne noire de relire. Mais combien cette personne noire là est payée. Pis est-ce que quand le livre grand succès à cause de la délicatesse des cette personne noire là, est-ce que cette personne noire plus d'argent ? La réponse est évidemment non là. Pis dans le sens que tsé on on cherche a comme mieux intégrer pis à être plus délicats. Mais finalement, tsé, qui tient les rênes du pouvoir, pis est-ce que les personnes marginalisées en bénéficient vraiment beaucoup? Je sais pas. Moi, j'ai souvent l'impression d'être, d'être une des trois écrivaines noires que des gens connaissent. Fait que je me fais comme demander. Tsé, ils voyent des lines up, pis y se rendent comptent que leur line up est trop blanc. Fait que là, à la dernière minute, deux jours avant une date.

JULIEN MORISSETTE
Ah ouais?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Ah ouais, tout le temps là. Mais comme, tout le temps pis c'est pas mon histoire là, c'est une histoire de tous les écrivains racialisés ou immigrants, immigrantes que je connais, tsé, fait que.

JULIEN MORISSETTE
Comment tu te sens quand ça arrive ça?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Heuu, bah ça ça amène des émotions compliquées parce que des fois t'es comme : "Ah bah tsé, genre il faut que je le fasse parce que sinon le line up va être vraiment trop blanc" ou, ah tsé si c'était des moments où j'avais moins d'argent, t'es comme : "ben caline, j'vais le prendre le contrat parce que j'ai besoin d'argent" ou comme... Mais tsé c'est. On sinon, t'es comme : "ben je pense que j'vais leur dire que ça fait pas ces pratiques là. Fait que là tu le dis, pis les gens te trouvent ben reshuant, reshuante. Et puis ça amène des frictions avec des milieux de travail. Tsé fait que c'est c'est souvent finalement des situations où les personnes marginalisées, même si y'a beaucoup de de bonne volonté, mais c'est une bonne volonté qui se traduit de façon super maladroite, très, très régulièrement. Puis puis aussi, tsé on est un peu tannés de se faire, hahaha, de se faire demander d'éduquer tout le monde pour 300 pièces dans des fins de projet. Pis tsé, la vérité, c'est que souvent, on manque pas de job là. Tsé, j'veux dire mon agenda moi y'est, tsé c'est, y'est saturé, on est fatigués. On on nous demande beaucoup de matière que, parce qu'on est ces personnes là, parce qu'on représente ces choses là, tandis que nous, on veut juste écrire, puis préférablement se reposer une fois de temps en temps.

BLOC 8 - LECTURE 3 __________________________________________________

BLOC 9 - ENTREVUE 4__________________________________________________

JULIEN MORISSETTE
Tu es à l'étape du post-doctorat. Est-ce que tu as toujours voulu avoir une carrière académique comme ce que tu fais en ce moment ?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Heu, j'pense que oui, je pense que j'ai toujours voulu une carrière académique. Pis, des fois, j'oublie, mais c'est comme reconnecté avec des amis de cégep, y'étaient comme : "Ban oui, t'es rentrée au cégep pis tu disais que t'allais faire un doc là, genre, t'as toujours voulu ça". Pis c'est vrai que ça a toujours été important pour moi, cette recherche là. Pis, et pour moi, dans la création, y'a une recherche aussi là. Vraiment, y'a y'a plein de choses à découvrir, mais c'est comme si je voulais en même temps faire ce geste de recherche dans la littérature. Puis de découverte, de de double découverte, en fait, autant dans la création que que dans la recherche.

JULIEN MORISSETTE
Est-ce que tu sens que la, disons, j'ai l'impression que l'approche de recherche création est de plus en plus répandue dans les institutions ? Est-ce que c'est vrai, selon toi ? Pis, est-ce que ça peut aider à....

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Ah oui, ben, c'est de plus en plus populaire.

JULIEN MORISSETTE
Ouais, c'est ça.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
C'est sûr. C'est-à-dire que y a de plus en plus de de preuves de recherches-créations juste parce que la demande est là, tsé. Fait que, oui oui, c'est plus populaire. Puis. Je sais pas si ça fait que y'a un plus grand décloisonnement. Pis tsé, c'est aussi, tsé c'est comme si les jeunes vont à l'université sont comme : "J'vais écrire mon livre, j'vais écrire mon mémoire en recherche création, fait que là, y va y avoir un livre, pis là y va être publié".

JULIEN MORISSETTE
Y va être publié, ouais.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Y'a quelque chose, un peu comme un commercial à l'intérieur de ça, tandis que moi, j'aime bien que l'université soit pas un lieu, même si les universités sont des entreprises, des corporations. Mais y'a y'a une lenteur de la pensée que j'aime quand même à l'université tsé, qui est pas juste négative, tsé. Pis j'aimerais, j'suis comme on peux-tu faire un mémoire en recherche-création sans que ça soit commercialisable? Tsé, on peux-tu faire des erreurs, on peux-tu faire des mauvais mé-? Tsé, moi mon mémoire, y'est pas bon, pis c'est correct. Tsé, des fois j'suis comme : "Bah tsé y'est pas si pire, mais j'pense pas que c'est un grand chef d'oeuvre là". Pis, c'est un mémoire en théorie, pas en recherche. Mais tu comprends ce que je veux dire.

JULIEN MORISSETTE
Tu serais pas prête à le publier demain.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Oh bah non, j'veux pas le publier. Mais c'est correct aussi de faire des choses, d'être dans la recherche, justement, pis de pas faire des choses, publier, pis c'est correct de publier son premier livre à 35 ans, pas 22. Pis tsé, je, faut prendre son temps des fois, un peu, j'pense.

JULIEN MORISSETTE
Est-ce que y'a une pression de la productivité dans le, dans le monde littéraire?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Ben oui, je pense que oui, pis je pense que souvent elle est intériorisée. C'est comme : "Ah, si je publie pas un livre aux trois ans, on va m'oublier, si je publie pas des articles, su je participe pas à des trucs". Pis genre 100% coupable là, je dis pas que je suis extérieure à ça, mais des fois, je pense... En tout cas, ces temps-ci je suis très nostalgique de, du temps où on pouvait prendre son temps ou même moi, comme je je sais pas si je prenais tellement de temps pour lire. Avant, je lisais 3 heures par jour, tout le temps, tsé. Pis j'ai l'impression que je suis plus comme ça, puis je nostalgique du temps où on peut s'arrêter, puis... Mais tsé j'ai des amis on dirait qu'ils publient pour la première fois au début trentaine, ou comme début quarantaine, j'suis comme : "c'est très bien". Comme écrire deux excellents livres dans une vie, comme : "Wow, c'est vraiment cool". Tsé, on n'est pas obligé d'écrire, d'écrire tant que ça ou de dilapider aussi là. Tsé, des fois comme on est, j'sais pas on se demandait d'écrire ça pis ça, puis on le sait, puis on s'épuise. Pis, des fois, faudrait j'pense concentrer notre pensée à certains endroits en particuliers, puis ne pas être dans cette productivité là. Pis je dis ça, pis je sais pas si je vais réussir à prêcher, hahah.

JULIEN MORISSETTE
Mais non, mais..

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
À reproduire mon propre exemple. Mais ouais.

JULIEN MORISSETTE
Mais est ce que cette pression là elle est par désir de survie pour pouvoir payer son loyer ? Est-ce que c'est là pour être présent dans dans l'espace public et... ? Je sais, je sais pas c'est quoi qui amène cette pression là, à ton avis ?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Non, mais t'as raison de le dire, pis j'aurais du le souligner pis mais tu fais bien de me rappeler à l'ordre.

JULIEN MORISSETTE
hahah.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Il y a des impératifs financiers tout à fait comme vraiment fréquemment. Mais c'est pas que ça. Tsé y'a, oui, les impératifs financiers. Pis j'veux dire, moi j'ai beaucoup travaillé aussi parce que fallait que je mange pis j'avais un loyer à payer. Mais comme quand on est plus soumis à des impératifs financiers comme ça, j'pense que c'est plutôt une pression internalisée ou une pression extériorisée de comme ne pas se faire oublier ou juste genre on se fait, on se fait demander des choses, pis on est comme : "Ah, c'est le fun, j'vais le faire". Tsé aussi c'est comme une espèce de besoin de de s'accomplir, peut-être.

JULIEN MORISSETTE
Ouais, ouais ouais.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Tsé, tout simplement. Mais, on peut s'accomplir dans la lenteur aussi j'pense.

JULIEN MORISSETTE
Est-ce que ça te fatigue des fois dans la création ?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Heu, je sais pas si c'est une fatigue dans la création de me suis épuisée, j'pense que je je suis en burn out continue depuis, depuis mes 24 ans là. Tsé, c'est pour ça que c'est vraiment un vrai, un vrai questionnement pour moi pis je pense à à plein de gens là. Pis j'pense beaucoup à José Muñoz, qui est comme un un théoricien américain qui était vraiment une immense vedette, qui est mort d'une crise cardiaque dans, dans la quarantaine. Tsé, j'pense à ces gens là qui on surproduit, pis qui sont morts très jeunes là, qui se sont brûlés. Puis je pense à ma santé qui n'est pas super bonne physique là. Fait que je pense beaucoup à ça, pis je me dis : "Au prix de quoi ?" Comme je continue à travailler de cette manière là qui est trop tsé. Je. C'est sûr que je travaille trop là.

JULIEN MORISSETTE
Pis tu sembles t'être fait un peu à... Parce que tu parles 10 ans de burn out là quasiment depuis tes 24 ans.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
hahaha.

JULIEN MORISSETTE
C'est la nouvelle, un nouveau rythme de vie pour toi?

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Qu'est ce que tu veux dire ?

JULIEN MORISSETTE
Bah je sais pas, cette espèce d'épuisement là permanent.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Un nouveau rythme, je je sais pas.

JULIEN MORISSETTE
On dirait que tu t'es acclimaté à ça presque.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Oui, bah oui, oh mon dieu, on est, c'est c'est intense hahaha comme conversation hahaha.

JULIEN MORISSETTE
Scuse moi là, si on va dans des zones trop profondes là, tu m'arrêtes là.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Hm, ben j'pense que, ouais, je sais pas trop, je je sais pas. Oui, bien sûr, tsé je veux dire, c'est l'objet de ma thérapie là. C'est comme comment, comment me reposer. Mais tsé, pis y'a une partie pour moi qui qui est intérieure qui est intérieurisée, mais c'est aussi pis c'est ce que j'apprends a essayer de mettre en mots, c'est aussi structurel. Comme pourquoi les filles comme moi travaillent autant? Qu'est-ce qui a fait que les filles comme moi on travaille autant ? Parce que je pense pas que je suis la seule à avoir ce type de problème. Pis tsé c'est combien une personne comme moi vous êtes obligé de travailler pour pour apparaître, tsé? Comme combien, puis on le dit souvent, pis c'est un cliché genre que les filles noires doivent travailler 2 ou 3, 4 fois 5, 6, 7 fois pour pour apparaître 6-7 fois plus qu'une personne blanche pour apparaître. Pis tsé, j'pense que je l'ai toujours su, cet adage là, mais je je l'ai performé aussi, tsé. Puis je me dis, ces temps-ci j'suis comme : "Ah, j'ai envie de prendre le risque de la, de la disparition". Tsé c'est. Qu'est ce qui arriverait si je disparaissais? Je pense que la terre serait correcte, tsé. Je pense que tout continuerait à tourner si je sortirai pas pas livre, si je...

JULIEN MORISSETTE
Ne sortais pas de livre.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Oui, j'suis comme les si n'aiment pas les ré, hein?

JULIEN MORISSETTE
Ouais.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
hahah.

JULIEN MORISSETTE
Non, mais dans certains cas, on peut le faire là.

CHLOÉ SAVOIE-BERNARD
Ouais. Mais en tout cas, c'est ça. Je me dis je sais pas, je, j'essaie de prendre le risque de la disparition. Pis, j'essaie de prendre le risque de dire non, même à des projets qui me tentent ou de de quitter des des choses que j'aime parce que à un moment donné la terre va très bien sans moi. Mais comme moi faut que je dorme aussi là.

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 5]
On se laisse sur les mots de Chloé Savoie-Bernard, tirés de Sainte-Chloé de l’amour, lus par Florence Blain-Mbaye.

BLOC 10 - LECTURE 4 _________________________________________________

BLOC 11 - OUTRO _______________________________________________

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 6]
Avant de vous dire au revoir, je tiens à remercier les équipes qui travaillent à la production de Signal nocturne :

Pour Télé-Québec
-La coordonnatrice Nadine Deschamps
-La technicienne de production Erica Coutu-Lamarche
-La chef de contenu Ariane Gratton-Jacob
-L’édimestre Sophie Richard
-La directrice de La Fabrique culturelle et des partenariats, Jeanne Dompierre

Pour Transistor Média

-Tenaga Studio à la musique originale
-Antonin Wyss à la conception sonore, au montage et au mixage
-Sophie Gemme à la recherche
-Claire Thevenin, chargée de production
-Louis-Philippe Roy aux communications
-Stéphanie Laurin à la production exécutive
-Et moi-même, Julien Morissette, à l’animation et la réalisation

Abonnez-vous dès maintenant à Signal nocturne dans l’application de balado de votre choix ou écoutez-nous sur lafabriqueculturelle.tv, on vous propose un nouvel épisode chaque vendredi soir.

Je m’appelle Julien Morissette, bonne nuit.