FAUTE DE MIEUX, par Jindra Kratochvil

Faute de mieux, une chronique de Jindra Kratochvil (Cité anthropocène). Une chronique d'auteur, résolument spéculative, qui s'appuie sur le réel pour aller voir ce qui se trouve de l'autre côté. S'y entassent peut-être de vieilles idées, des rêves inachevés en attente de traitement, des coquilles conceptuelles y parsèment des chemins qui, naturellement, mènent presque partout et nulle part en particulier. 

 

What is FAUTE DE MIEUX, par Jindra Kratochvil?

Faute de mieux, une chronique de Jindra Kratochvil (www.kratochvil.tv).
Une chronique d'auteur, résolument spéculative, qui s'appuie sur le réel pour aller voir ce qui se trouve de l'autre côté. S'y entassent peut-être de vieilles idées, des rêves inachevés en attente de traitement, des coquilles conceptuelles y parsèment des chemins qui, naturellement, mènent presque partout et nulle part en particulier.

#14 Faute de mieux, un retour offert
Il est possible de commencer une nouvelle année de manière plus ou moins spectaculaire. Il y en a qui se lancent dans les crêpes, ce qui est déjà tout à fait honorable, il y en a qui se lancent dans des prévisions de ce qui nous attend avant la fin de l’année, ce qui est bien plus hasardeux, mais il y a aussi celles et ceux qui fabriquent des engins et qui les lancent dans l’espace afin qu’ils rejoignent la Lune, par exemple, et atterrissent dessus. Et ça, c’est une ambition qui force le respect et qui attire l’attention des spectateurs du monde entier.
Ainsi donc, en qualité de spectateur des choses spectaculaires du monde, j’ai pu, moi aussi, apprendre qu’un tel engin avait été conçu et lancé récemment, pas plus tard que la semaine dernière. Une machine baptisée « Peregrine » ou Pèlerin, si vous voulez, porté par une fusée nommé « Volcan » avec laquelle il a quitté notre planète dans l’idée d’atteindre la Lune et d’alunir, comme on dit dans le milieu, le 23 février.
Naturellement, comme on pouvait s’y attendre, il n’est pas parti les mains vides. Les livraisons à destination de la Lune étant particulièrement rares, puisque la dernière fois, du côté des Américains, c’était il y a plus de 50 ans avec Apollo 17, il fallait profiter de l’occasion. Alors, regardons un peu dans la valise qui pèse une centaine de kilos. On y trouve un certain nombre d’appareils scientifiques pour explorer la surface lunaire, d’accord, mais aussi des choses plus étonnantes comme par exemple un morceau de Mont Everest, une canette de boisson énergisante, un bitcoin physique, des voitures mexicaines miniatures ainsi que plusieurs dizaines de capsules contenant des cendres et des échantillons ADN de personnes décédées ou vivantes plus ou moins célèbres (comme par exemple Gene Roddenberry, le créateur de Star Trek). Sans oublier la capsule contenant les cendres d’un chien qui s’appelait – attention, cela ne s’invente pas – « Indica Noodle Fabiano».
Vous vous en doutez, bien sûr, c’est du business, ça s’appelle un « vol spatial commémoratif » et il faut compter environ 10 000 $ la capsule. Soit déposée sur la surface lunaire, soit relâchée librement dans l’espace pour y flotter jusqu’au prochain big bang. C’est comme vous préférez, les prestations et les tarifs astronomiques en vigueurs sont consultables en ligne.
Voici donc la technique la plus pointue au service du symbolique, et même, disons, au service du religieux. Se sentir enfin connecté à l’infini. Parcourir quelques 390 000 km aux côtés d’une canette de soda énergisant, imaginer des traces de soi-même fouler la surface lunaire aux côté d’une pièce de bitcoin.. c’est tout un rêve, et c’est un rêve d’une beauté qui ne se discute pas.
Quoique – justement – en l’occurrence, ça se discute : pour la nation amérindienne des Navajos, relâcher des cendres humaines sur la Lune représente une profanation d’un corps céleste sacré. Une protestation qui n’a pas vraiment abouti, à ce qu’il semble, car elle est arrivée une « peu trop tard » sur le bureau de la direction…
Hélas, les choses ne se passent pas toujours comme prévu. Et il est arrivé à Peregrine ce qui arrive un jour ou l’autre à chacun et chacune d’entre nous : un problème technique. Eh oui, quelques heures à peine après le décollage, un truc n’a pas marché comme prévu, un bidule a probablement déconné, ce qui a eu pour conséquence d’entraver le voyage et d’obliger les organisateurs à faire demi-tour.
Ainsi donc, en ce moment-même, le véhicule défectueux se dirige vers la Terre et se consumera inévitablement au moment d’entrer dans l’atmosphère. Ceci dit – restons prudents malgré tout, l’univers est plein de vicissitudes et d’imprévus de toutes sortes. Quant aux clients qui ont déboursé 10 000 $ pour enfin quitter – ou faire quitter – la Terre… on peut comprendre la déception.
D’un autre point de vue, ils pourraient également se considérer comme chanceux puisqu’en payant un aller simple, ils ont bénéficié, pour une fois, et faute de mieux, d’un billet retour offert.