Signal nocturne

Bien au chaud dans le phare de Signal nocturne, l’écrivain Antoine Charbonneau-Demers se confie au réalisateur Julien Morissette sur son rapport à l’autofiction et l’importance de ses croyances spirituelles. L’auteure-compositrice-interprète Ariane Moffatt fait également la lecture de quelques extraits du livre d’Antoine, Daddy.

Pour recevoir le journal intime d’Antoine Charbonneau-Demers directement dans votre courriel : https://antoine.substack.com/

Show Notes

Bien au chaud dans le phare de Signal nocturne, l’écrivain Antoine Charbonneau-Demers se confie au réalisateur Julien Morissette sur son rapport à l’autofiction et l’importance de ses croyances spirituelles. L’auteure-compositrice-interprète Ariane Moffatt fait également la lecture de quelques extraits du livre d’Antoine, Daddy.

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Transistor Média, basée à Gatineau (Québec), est une boîte de création, de production et de diffusion d'œuvres audios. En plus de ses balados, l’organisme tient annuellement le Festival Transistor et le Kino-radio.

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Creators & Guests

Host
Julien Morissette
Co-fondateur et directeur artistique de Transistor Média, Julien Morissette a réalisé et animé plus de 200 épisodes de balados comme Synthèses, Daniel Bélanger : Rêve encore, Signal nocturne, L'heure de radio McGarrigle et Les amours extraordinaires.

What is Signal nocturne?

Chaque vendredi sur le coup de 22 h 00, Julien Morissette reçoit des artistes de partout au Québec, issus de la littérature, du théâtre, du cinéma et de la création sonore et musicale. Découvrez des entrevues passionnantes, des textes inédits, des performances intimes et des conceptions sonores envoûtantes. Une production de La Fabrique culturelle de Télé-Québec, en collaboration avec Transistor Média.

ID INTRO
Ce balado est une présentation de La Fabrique culturelle de Télé-Québec, en collaboration avec Transistor Média

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 1]
Gabrielle Boulianne-Tremblay a écrit :

Je m’aperçois que je redoute la nuit,
mais que lorsqu’elle part,
je comprends que je l’ai aimée

Depuis notre phare abandonné, vous écoutez Signal nocturne.

THÈME SIGNAL NOCTURNE

HABILLAGE 1

ARIANE MOFFATT [DADDY - CHAPITRE 2]
IN : « Il est prévu que ce roman raconte ma passion pour Daddy
OUT : « il n’y en a pas »

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 2]
Y’a beaucoup de lectrices et de lecteurs comme Ariane Moffatt - qu’on vient d’entendre - qui ont découvert la plume d’Antoine Charbonneau-Demers avec le roman Daddy, en 2020, durant la pandémie.

Antoine a publié son premier roman en 2016 : Coco, grâce auquel il a reçu le Prix Robert-Clich et ensuite, Good Boy, en 2018. Daddy est son troisième roman publié chez VLB.

J’ai passé quelques soirées avec Antoine dans la dernière année, dont une dans le studio d’où je vous parle en ce moment.

On a commencé la discussion en abordant les liens entre sa vie et l’écriture, un sujet dont je ne me tannerai de parler avec des auteurs d’autofiction.

SEGMENT ENTREVUE 1

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Je pense qu'il y a l'autofiction a pas nécessairement une bonne réputation, toujours. Euh, puis je pense que... De hum, de dire qu'un livre est de la fiction, c'est comme de le respecter, de faire comme s'il était plus noble. Mais moi, je ne reçois pas comme ça du tout. (Rires) Mais je sais qu'il y a ça, t'sais. À un moment donné, je disais, je pense que c'était dans un Salon du livre, j'avais comme une discussion, puis j'avais dit « Moi, je fais de l'autofiction. » Puis il y a quelqu'un qui m'a dit « Non, non, ce n'est pas de l'autofiction, c'est beaucoup plus que l'autofiction. » Puis j'était comme « Non, non, c'est... (rires) l'autofiction ça peut être beaucoup! »

JULIEN MORISSETTE
Bin oui!

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Oui, il y a comme ça qui n'est pas partout, je ne dirais pas que c'est généralement mal aimé, mais des fois, c'est regardé de haut un peu, comme si... Bin, le gros cliché, c'est que c'est plus facile de… de partir de soi que d'écrire une fiction. Ce que je trouve n'est pas vrai du tout. Même au contraire, la réalité nous est pas donnée, t'sais comme on pourrait le penser. Au contraire, le travail sur la mémoire sur le sentiment est/est pour moi, un travail beaucoup plus grand que celui d'inventer des choses parce que/dans la fiction, tout est permis. C'est... Une fois que tout est permis, pour moi, c'est comme. Ben ça. Ça peut donner n'importe quoi.

JULIEN MORISSETTE
Bin oui.

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
(Rires)

JULIEN MORISSETTE
Est-ce que ça fait en sorte que des fois, t'as/t'as une forme de pudeur? Je pense à quand t'évoques des membres de ta famille?

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Mh-mh.

JULIEN MORISSETTE
Est-ce que tu te vois écrire, des fois, t'sais? Est-ce que t'as cette espèce d'expérience en-dehors du corps de te voir être en train de/d'écrire ça et de t'imaginer ensuite la lecture de, de ce qui est écrit, par ces personnes là?

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Euh... Ça, ça change. Au début, je pensais pas du tout à ça, parce que j'avais l'impression justement que... Ça allait être un livre t'sais puis que on n'allait même pas faire de lien. Après, je me suis rendu compte que c'était pas vrai. Il y a des gens qui m'ont voulu d'avoir parlé d'eux, euh... Et je comprends. Des gens qui m'ont remercié, en même temps mais... Là, maintenant, j'ai compris que... Que quand j'écrivais sur les gens - bin pas sur les gens, parce que j'écris jamais sur les gens, j'écris toujours sur moi puis ça implique des gens - euhm… mais quand il y avait des gens qui arrivaient dans les textes, euhm, j'ai compris que ça pouvait avoir des conséquences dans la vraie vie. Donc aujourd'hui, j'y pense. Curieusement, je je'me rapproche de plus en plus de la vérité puis je, je prends de moins en moins de détours pour parler des gens/mais j'ai l'impression que c'est presque moins pire. Parce que quand je nomme la, la personne là, ça me force à penser à... aux conséquences. Avant, en faisant des personnages, j'me disais que tout était un peu permis, justement, alors que quand on part de la réalité, tout est pas permis. Pis... Justement, en parlant de réalité, t'sais souvent les gens qui m'en veulent, d'avoir parlé d'eux, c'est des gens qui m'ont fait du mal, puis ça paraît dans le livre, t'sais.

JULIEN MORISSETTE
Fait que ça vient avec une, une responsabilité, en quelque sorte?

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Ben... Oui. Oui, puis je m'en veux de pas toujours avoir agi en conséquence. M... Il y avait comme un genre de pensée magique, au début où... Justement, c'est un livre, c'est un livre, dans ma tête il n'y allait pas avoir tant de monde que ça qui allait lire, euh... À chaque livre, j'me dis un peu la même chose : « Ah oui, mais ça va jamais se rendre à ce que cette personne là le lise. » Mais finalement, c'est toujours les premières personnes à le lire.

JULIEN MORISSETTE
Oui!

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Euh, Donc là, je pense que j'ai grandi un peu, là, j'ai pris de la maturité. Ça m'empêche pas d'écrire, au contraire, euh... J'écris pour que les livres aient un impact dans la vie, t’sais, donc quel impact est-ce que je veux que ça ait? C'est important t'sais de, de réfléchir à / aux gens, aux gens que ça implique. Après, j'en parle pas aux gens, non plus, avant, parce que je n'ai pas de permission à demander, t'sais, demander la permission à quelqu'un, c'est comme... Je trouve que c'est/c'est comme te dire « Je vais parler de toi » alors que ce n'est pas le cas puis ça c'est/pour moi, ça, c'est ma règle d'or, t'sais est-ce que je suis en train de parler de cette personne là ou je suis en train de parler de moi?

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Les autres, dans mes livres n'existent que pour parler de moi, ça c'est très très important.

JULIEN MORISSETTE
Parce que tu les nommes dans certaines œuvres, dans certains écrits, que ces gens là peuvent se sentir instrumentalisés, parfois.

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Oui, c'est arrivé. Et des fois, même si c'est mon but d'utiliser personne, ça arrive...

JULIEN MORISSETTE
Oui, c'est sûr...

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
... que je regarde ça après coup, puis je fais comme « Ah ouais, cette personne là, ou peut-être que je l'ai, que je l'ai utilisée ou que je l'ai utilisée dans la vie, pour écrire. » Ça devient un problème, là graduellement, avec les personnes que je rencontre qui savent que j'écris, puis que j'écris s/... Des récits réels.

JULIEN MORISSETTE
Il y a une appréhension de leur part?

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Ouin, euh, pas toujours. Mais... Euh, avec des amis aussi, des fois, c'est comme, y... Maintenant, il y a comme « Ah ça, mets-pas ça ton livre, t'sais, ce que je vais te dire » Puis là... Moi, je n'arrive plus à faire le tri, t'sais! (Rires) De ce que je peux dire ou de ce que je peux pas dire, fait que souvent, ça fait que ces personnes là, je vais essayer d'être prudent avec avec elles... Y a une partie de moi qui est contente d'avoir fait ça, sans y penser, ces trois livres là, mettons. Mais maintenant, ça va. Il y a quelque chose qui va changer, c'est sûr.

NARRATION
L’auteure-compositrice-interprète Ariane Moffatt nous lit un extrait du chapitre 19 de Daddy, d’Antoine Charbonneau-Demers.

DADDY - Chapitre 19

NARRATION
-Le « couple d’amis gais » qu’on rencontre dans Daddy a aussi fait son chemin dans l’oeuvre audio Lettres à Gran-mom, réalisé à l’hiver 2021. En compagnie de Mykalle Bielinski, Antoine a enregistré 9 lettres destinées à sa grand-mère qui habite la résidence Bleu Horizon, à Rouyn-Noranda. Voici un extrait de la 2e lettre de la série : Chosen family.

LÀGM - LETTRE 2

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS [lecture]
Pendant le souper, Marc-Olivier m’a demandé sur quoi je travaillais. Je lui ai dit que je t’écrivais des lettres pis qu’on allait m’enregistrer en train de les lire. Il a dit : «Bon tout le monde fait des podcasts là, c’est la nouvelle affaire?» J’ai haussé les épaules en voulant dire «J’en ai aucune idée.» Il m’a demandé si j’allais être rough. J’ai pris une grande inspiration, pis j’ai dit : «Non, je vais pas être rough. Je suis jamais rough. J’ai plus envie de… de guérir.

— Guérir quoi?
— Guérir… ma famille.

On a laissé un moment de silence, pis je leur ai parlé de ce qui s’est passé.

— Hier, on a eu un souper de famille pour planifier les funérailles de mon grand-père, pis j’ai appris qui voulaient enterrer ma mère en même temps que lui.

Mais ma mère est au columbarium parce que c’est ça qu’y avait sur son testament.

— Mais ils peuvent pas faire ça.
— Je le sais, mais ils s’en foutent.
— Ça a pas de bon sens.
— Je le sais, c’est pour ça que je vas travailler là-dessus là. C’est Dieu qui me demande de faire ça.»

Avec mes amis, j’essaie toujours de parler de Dieu, mais souvent, ça clôt la conversation. Personne a envie de parler de Dieu. En fait, j’ai personne à qui en parler, sauf toi. Pis quand je dis aux journalistes que l’écriture est vraie seulement quand je laisse Dieu écrire à travers moi, que moi, je deviens juste les mains qui tapent sur le clavier, ils en font jamais mention dans leur article. Je pense qu’ils veulent me protéger.

— Fait que là… tu vas parler de ça dans ton podcast?
— C’est pas juste ça, c’est aussi tout ce qui me différencie de ma famille. Que j’ai l’impression que personne est prêt à accepter que je peux pas être à Rouyn tout le temps pis que je travaille moi aussi. Si j’étais ambulancier ou infirmer comme mes cousines, tout le monde comprendrait que je travaille. J’ai l’impression de pas faire partie de la famille, mais je le sais que c’est de ma faute aussi. J’ai comme pas de mots pour exprimer cette frustration-là. C’est comme… je suis gay tsé.
En disant ça, je voyais pas ce que ça venait faire dans l’équation. Mais mes amis semblaient parfaitement comprendre le lien que je faisais.
— Je pense pas que je vais aller aux funérailles.
— T’irais pas aux funérailles de ton grand-père?
— Non. Ils ont pris une décision sans moi, ça veut dire que je fais pas partie de la famille.
On buvait notre vin de lesbiennes pis je commençais à comprendre ce que ça voulait dire, l’expression que plusieurs personnes queer utilisent pour parler de leurs amis : chosen family.

JULIEN MORISSETTE
T'sais j'avais extrêmement hâte de te parler de foi.

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Hum-hum.

JULIEN MORISSETTE
Et de croyance, de spiritualité, de Dieu. T'sais, je sais que c'est quelque chose qui t'habite...

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Mh-mh.

JULIEN MORISSETTE
... mais qui est, en 2021, excessivement tabou.

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Mh-mh.

JULIEN MORISSETTE
Comme... Comment et pourquoi, selon toi, ça/c'est si peu discuté, cette idée là de la foi?

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Je pense que justement, parce que c'est pas très comme courant, commun. En tout cas, dans nos milieux. Ce n'est pas que les gens sont fermés je pense à l'idée, c'est plus qu'ils ont rien à dire, tsé, haha.

JULIEN MORISSETTE
Mais tu ne penses pas qu'il y a un inconfort?

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Bin peut être, tsé, peut être. Mais je sais aussi que, pis ça, c'est quelque chose que je fais souvent en écrivant, tsé c'est de d'en vouloir aux gens, mettons, qui vont couper court à la conversation. Mais après, je sais que dans la vie, si je m'observais, peut être que moi aussi je fais comme ah Dieu, mais moi aussi, je vais vouloir changer de sujet parce que j'ai peur de parler d'un sujet qui est peut être pas que les gens ont pas envie de dans lequel les gens n'ont pas de plonger.

JULIEN MORISSETTE
Ont pas d'opinions comme tu dis, ou ça se peut.

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
D'opinion, ou alors ont une vision des idées, tsé de, on pense à l'Église, on pense à la religion quand on était enfant. Tsé c'est comme. C'est. C'est difficile, mais je trouve de plus en plus des personnes à qui en parler. Tsé c'est ça aussi qui. Des fois, tsé je m'éloigne du milieu des arts pis je me retrouve avec des gens qui me ressemblent plus, pis tsé aussi des gens qui croient en Dieu tsé. Il y en a peut être moins, y en a peut être juste moins dans, en littérature, tsé. Peut-être, il s'agit pas d'aller chercher un peu plus loin, tsé, d'ouvrir ses cercles. Et ça aussi, ça, ça peut faire du bien.

JULIEN MORISSETTE
Qu'est ce que tu veux dire par des gens qui ressemblent plus?

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Ben pas qui me ressemble plus. Pas parce que j'ai l'impression que les artistes me ressemblent pas, mais parce qu'il y a d'autres choses, tsé le. Pour moi, c'est très important quand on écrit de pas être juste un écrivain, tsé d'avoir.. bin ouais d'avoir une vie qui est. Je le fais sur Instagram, par exemple, tsé je fais quelque chose ou non, ça, on s'attend pas à ça de moi, tsé. On s'attend pas à ce que j'expose, j'expose mon corps ou. Pis c'est la même chose avec Dieu, tsé. À un moment donné, je me suis dit ça aurait été facile de faire comme à mais c'est... Dans ma communauté, y a pas ça, tsé. Pourquoi j'irai vers ça. Mais là, c'est au contraire de de plonger pis d'aller voir qu'est ce qui y'a, tsé. Qu'est ce qui est du côté de Dieu? C'est qui qui porte la parole de Dieu de nos jours, tsé? C'est des madames aux États-Unis qui écrivent des livres de développement personnel, tsé. Bon bin, ça me ressemble, tsé, finalement. Alors que j'aurais pas pensé.

JULIEN MORISSETTE
Est-ce que, pour toi, tes origines abitibiennes vont toujours faire partie de ton identité en tant qu'artiste? Tsé on parle de gens qui te ressemblent, de gens qui te ressemblent le moins ou d'une forme artistique versus les gens en dehors du du cercle artistique. Tsé ton rapport Rouyn-Montréal là-dedans, est-ce qu'il se situe à quelque part?

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Ah, c'est sûr. C'est drôle parce que j'ai je parle toujours de Rouyn tsé dans ce que j'écris, pis de Montréal, pis de la distance. Mais c'est. C'est drôle parce que Rouyn, je connais à peine ça. Tsé c'est j'vois des auteurs qui parlent de territoire abitibien tsé pis ils ont, ils ont un amour pour le territoire, tsé pour ce qui se fait là bas pour. Moi, pour moi, Rouyn c'est ma maison pis la cour en-arrière avec la piscine hors terre. Pis tsé c'est.

JULIEN MORISSETTE
Ça pourrait être n'importe où?

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Pour vrai, je pense que ça pourrait être n'importe où.

JULIEN MORISSETTE
Non, mais c'est parce que quand même, il y a beaucoup d'aut-, tsé je pense à des œuvres publiées à La Peuplade où tsé y a ce rapport au territoire. Cette redécouverte là, pis c'est pas, ça date pas d'hier là. Tsé ça fait plusieurs années qu'on, qui y a comme une redécouverte, pis on veut re-légitimer le territoire québécois, mettons. Mais tsé je sens pas ça dans...

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Heille non pas pantoute.

JULIEN MORISSETTE
Dans ta vision de l'Abitibi.

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
C'est le territoire abitibien j'y suis jamais, j'y ai jamais mis les pieds là tsé c'est comme. Je je n'aime pas la nature, là tsé, j'aime pas faire des choses dehors. Fait que c'est vraiment là l'Abitibi, c'est c'est c'est ça, ça pourrait n'importe où. Mais ce que c'est pour moi, c'est la distance. C'est ma famille qui est loin. C'est c'est comme un monde à part tsé où personne vient. Tsé je m'en va là bas et je pourrais disparaître là tsé. Quand je reviens, bin j'arrive avec des histoires, mais personne ne va jamais là bas. J'ai une amie à Montréal. Mon amie Kariane est venue aux funérailles de ma mère, tsé. Pis là, c'était comme « Ah! quelqu'un de Montréal chez moi! » Pis c'était comme ça, a comme tout changé. C'était comme si y avait un bogue tsé.

JULIEN MORISSETTE
Ah pour toi c'était la rencontre de deux univers.

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Ouais c'est ça, comme vraiment étrange, tsé. Fait que c'est ça pour moi, Rouyn, c'est juste loin.

LÀGM - LETTRE CINQ

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS [lecture]
Bientôt, je vais me faire opérer parce que j’ai attrapé le VPH en faisant l’amour. Le virus contre lequel les filles sont vaccinées à l’école, mais pas les gars. On nous disait que les gars pouvaient pas en souffrir, qu’ils pouvaient le transmettre, mais pas en souffrir. Évidemment, on avait pas pensé aux homosexuels. Ou bien on y a pensé, mais on s’est dit qu’ils méritaient d’être malades parce qu’ils refusent le rôle qu’on leur impose. On a pas pris soin de moi.

Je vais donc me faire opérer. J’espère que c’est pas un cancer. J’entends Maman me dire d’arrêter de lire là-dessus sur Internet. Mais c’est plus fort que moi. Le médecin a été tellement bref. J’espère vraiment que c’est pas un cancer parce que les gens qui se font enlever un cancer de l’anus, j’ai lu quelque part qu’ils avaient des chances, je sais plus combien, de perdre leur anus. De perdre leur anus. Le perdre.

La colère que j’ai envers la famille quand je me lève de table parce que vous m’avez pas consulté avant de faire graver la pierre tombale de Maman, que vous me demandez toujours de revenir à Rouyn comme si je travaillais pas, la colère d’avoir l’impression de ne pas faire partie de la famille, c’est aussi la colère d’être homosexuel pis de pas pouvoir en parler à personne à part dans mes livres.

Pourquoi je vous en parle pas, de mon VPH, de mon opération?
Parce qu’un jour, il y a eu un avocat homosexuel à Rouyn qui est mort du cancer du côlon. Pendant le souper du dimanche, Grand-Pop a dit à propos de lui : «C’est rentré par où c’était supposé sortir.» Pis tout le monde a ri.

C’est dommage que Grand-Pop soit mort parce que je voudrais qu’il soit là pour me voir mourir du même mal. Mourir d’homosexualité. Le petit-fils qui n’a pas rempli son rôle. Il pourrait en profiter pour reprendre sa boîte à musique.

Plusieurs semaines se sont écoulées depuis le début de ma lettre. J’attendais qu’il se passe quelque chose pour la finir. J’ai visité le proctologue pis c’est pas un cancer, finalement, tu peux être rassurée, c’est juste une cicatrice parce qu’on m’a tellement brûlé à l’azote que mon corps s’est réparé tout croche. Maintenant, j’ai honte d’avoir une cicatrice. Je me trouve laid, indésirable. Mais au moins, je suis encore là pour réparer le monde.

NARRATION
C’était un extrait de la lettre 5 de Lettres à Gran-mom, La colère homosexuelle, lue par Antoine avec un univers musical signé Mykalle Bielinski.

Au moment où j’enregistre ceci, Antoine vient tout juste de lancer un journal auquel on peut s’abonner et recevoir de courts textes sur une base régulière, dans notre boîte courriel. Ça s’inscrit dans sa nouvelle démarche d’écriture…

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Ouais, je vais explorer d'autres territoires. Je j'ai envie de. J'ai envie de toucher les gens. Tsé. Pis pas juste les gens qui lisent. Ouf! En fait, tout le monde lit, tsé on lit tout le temps. Puis je pense qu'il y a quelque chose avec la lecture qui s'est perdue. Pas pis pas, pas c'est d'la faute de personne. Mais il n'y a pas de. Je pense pas qu'il y a de lâcheté non plus ou quoi que ce soit, mais juste. Tsé revenir à lire là pis juste lire les mots. Qu'est ce qu'ils veulent dire? Puis c'est tout. C'est drôle comme souhait, mais j'ai envie de trouver une formule plus simple que le livre. C'est tellement compliqué, un livre, c'est tellement compliqué, ça coûte tellement cher pis on fait tellement pas d'argent. Faut aller l'acheter. C'est intimidant. Pis pis faut dire quelque chose après. Pis c'est... ahhh.

JULIEN MORISSETTE
Mais j'sens quand même dans, dans tes désirs,cette idée là de des-intellectualiser quand même. La la pratique de l'écriture, mais aussi celle de la lecture là.

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Oui, oui, tsé j'ai envie. Ben justement, hier y'a ma grand mère avait, a fait un témoignage à la radio parce qu'elle a perdu mon grand père pendant la covid. Puis elle disait qu'elle allait écrire un document sur sa covid. Mais tsé c'est ce document là que j'ai envie de lire, pis pas juste parce que c'est ma grand mère. Le document de n'importe quelle grand mère, tsé. J'ai une amie aussi qui me dit Ah ma grand mère écrit ses mémoires. Bin c'est ce que je veux lire. Je j'trouve que c'est là qu'elle a toutes les réponses sont. Et puis je trouve que c'est ça le vrai travail, c'est de s'asseoir, puis de se demander qu'est ce qu'on veut dire? Qu'est ce qu'on veut écrire? Pis pour moi, le talent, c'est de trouver justement les bonnes choses à dire, de le dire avec les bons mots. C'est très, très difficile de trouver les bons mots pour dire ce qu'on a dans le cœur. C'est un travail colossal. Et puis, c'est ça que j'ai envie de donner pis c'est ça que j'ai envie de lire.

JULIEN MORISSETTE
Heille Antoine, merci, merci pour ton temps.

ANTOINE CHARBONNEAU-DEMERS
Mais merci à toi!

NARRATION
Avant de vous dire au revoir, j’veux remercier notre invité Antoine Charbonneau-Demers, qui est venu nous rendre visite dans le Vieux-Aylmer, en Outaouais. Merci à Ariane Moffatt aussi pour sa lecture du texte d’Antoine.

Vous pouvez écouter l’intégralité du projet Lettres à grand-mom dans la section balados de La Fabrique culturelle, sur transistor.media ou votre plateforme de balado préférée.

Je vous parlais du journal d’Antoine auquel on peut s’abonner : c’est sur la plateforme Substack et c’est gratuit alors on va mettre le lien dans la description de l’épisode.

Je tiens à remercier toute l’équipe de Signal nocturne :

Pour Télé-Québec
-La coordonnatrice Nadine Deschamps, coordonnatrice
-La technicienne de production Erica Coutu-Lamarche
-La chef de contenu Ariane Gratton-Jacob
-L’édimestre Sophie Richard
-Et la directrice de La Fabrique culturelle et des partenariats, Jeanne Dompierre

À Transistor Média
-François Larivière au montage, mixage, à l’habillage sonore et musical
-Steven Boivin à la musique originale
-Sophie Gemme à la recherche
-Claire Thévenin, chargée de production
-Louis-Philippe Roy aux communications
-Stéphanie Laurin à la production exécutive

Abonnez-vous dès maintenant à Signal nocturne dans l’application de balado de votre choix ou écoutez-nous sur lafabriqueculturelle.tv, on vous propose un nouvel épisode chaque vendredi soir.

Je m’appelle Julien Morissette, bonne nuit.