Le balado de l’Armée canadienne

Bien que les militaires aient beaucoup en commun, leur carrière peut comporter son lot de difficultés particulières. Cela peut être particulièrement vrai si vous êtes une femme de couleur.

Show Notes

La caporale-chef Jennifer Jackson est membre des Fusiliers Mont-Royal à Montréal. Elle nous raconte sa carrière, du moment où elle est devenue recrue jusqu’à aujourd’hui.

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What is Le balado de l’Armée canadienne?

Le balado de l’Armée canadienne s’adresse aux soldats de l’Armée canadienne et traite de sujets qui les concernent. Les soldats constituent notre public cible principal, mais les sujets abordés pourraient s’avérer pertinents pour toute personne qui appuie nos soldats ou qui s’intéresse aux enjeux militaires canadiens.

[Musique commence]

Caporale-chef Jennifer Jackson : Ils veulent traiter tout le monde identique, ça va que tu vas diversifier sans reconnaître la diversité. À un moment donné tu sais il y a un décalage à quelque part.

Capitaine Adam Orton : Salut! Ici capitaine Adam Orton avec Le balado de l’Armée canadienne. Ces temps-ci, il y a pas mal de discussion au sujet du changement de la culture, de la diversité et de l’inclusion. Avec moi, j’ai la caporale-chef Jennifer Jackson des Fusiliers Mont-Royal, puis on va parler un petit peu de ces concepts-là ensemble au travers de ses expériences dans l’Armée.

Bienvenue au balado caporale-chef!

[Musique termine]

Caporale-chef Jennifer Jackson : Merci!

Capitaine Adam Orton : Donc, pour commencer peut-être nous décrire votre expérience quand vous vous êtes joint aux Forces.

Caporale-chef Jennifer Jackson : J’ai joint les Forces armées canadiennes en 2013 au 4e Royal 22e Régiment à Laval. À l’époque, je devais avoir peut-être 18 ou 19 ans. Je sortais tout droit du Cégep. Puis, j’étais motivée, c’était une nouvelle expérience, une nouvelle aventure pour moi. Je vous dirais que généralement parlant ça a été une belle expérience après avoir passé à travers mon cours de recrue.

Capitaine Adam Orton : Puis, parlez-nous un peu de votre cours de recrue.

Caporale-chef Jennifer Jackson : Le cours de recrue, c’est la période d’expériences que personne aimerait refaire. Mon cours de recrue, ça a été un peu la douche d’eau froide. C’est à ce moment-là que je me suis rendue compte dans quoi je m’embarquais. Qu’est-ce que vous vous imaginez de l’Armée, qu’est-ce qu’on voit à la télévision, les publicités ou peu importe, dans les films, puis là vous avez la réalité.

Oui, c’était quelque chose. Je vous dirais qu’est-ce que je retiens le plus de mon cours de recrue, les moments les plus difficiles, ça a été mes cheveux.

Capitaine Adam Orton : Ok!

Caporale-chef Jennifer Jackson : Ok, ça fait bizarre à dire surtout pour celles qui écoutent ce balado, puis qui ne se sont jamais préoccupées de leurs cheveux ou bien qu’elles ont juste à faire une queue de cheval, puis c’est réglé. Mais pour moi c’était pas évident-là. Chaque semaine, en fait c’était un cours de fin de semaine que je faisais, donc chaque vendredi, chaque semaine c’était un exploit de me préparer pour mon cours de recue.

Capitaine Adam Orton : Puis qu’est-ce que vous avez fait pour vous préparer?

Caporale-chef Jennifer Jackson : En fait c’était m’assurer que mes cheveux soient d’une certaine façon pour la semaine comme à mon goût parce que dans la vie de tous les jours, je vais à l’école, je travaille, je continue à avoir ma vie. Puis qu’ils soient au standard la fin de semaine pour mon QMB. Ça fait que c’était ça un peu. Puis même quand j’arrivais à Bob, ça marchait jamais. Il y avait toujours un instructeur ou un staff qui avait quelque chose à dire. C’était jamais règlementaire. À croire que les cheveux d’une femme noire, c’était tout simplement pas dans le catalogue réglementaire donc il n’y avait rien à notre image. Il n’y avait jamais rien de réglementaire.

Capitaine Adam Orton : Et lors de votre cours de recrue, vous êtes la seule personne qui rencontrait ces difficultés-là?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Oui c’est ça. Bien en fait j’étais la seule femme noire sur mon QMB sur mon PP1. Puis encore plus tard dans ma carrière, ça m’a peut-être pris quatre-cinq ans avant de voir une autre femme noire dans l’Armée. Donc définitivement, j’étais la seule.

Capitaine Adam Orton : On penserait que peut-être ça serait évident, mais je veux dire je pense que c’est important d’en discuter peut-être un peu. Pourquoi est-ce que c’est plus difficile quand que vous êtes la seule femme noire sur un cours de recrue?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Mais premièrement parce que c’est un cours de recrue pour ceux qui ont déjà passé par là on sait que tu sais c’est pas évident. Tu peux pas vraiment répondre. Tu sais pas comment l’Armée fonctionne. T’as toujours tort parce que t’es une recrue. Puis il n’y a pas de place à répondre à la justification. Donc quand t’as personne avec qui en discuter, te donner des trucs : « Toi, qu’est-ce que t’as fait? Qu’est-ce qui marche pour toi? » Ou bien ce genre de chose, c’est pas évident-là. Tu es laissé à toi-même un peu dans ce processus-là.

Capitaine Adam Orton : Puis comme vous avez fait mention vous étiez la seule femme noire donc pourquoi c’était difficile en particulier pour vous?

Caporale-chef Jennifer Jackson : En général, c’est pas facile pour personne. C’est sûr qu’il y a des supermen qui passent à travers chacune des étapes, puis chacune des cours d’armes puis de drill sans aucune difficulté, mais généralement parlant, je veux dire tu sais c’est demandant physiquement, mentalement. C’est beaucoup de sacrifices au niveau du temps surtout si vous faites ça à temps partiel, puis pendant la semaine si vous faites autre chose. Mais en plus de ça, bon, il y a d’autres difficultés qui s'y ajoutent. Ça fait que c’est ça qui rend la chose un petit peu plus compliquée, plus difficile je dirais.

Capitaine Adam Orton : Pourquoi vous vous êtes inscrit aux Forces, vous vous êtes joint aux Forces?

Caporale-chef Jennifer Jackson : J’ai décidé de joindre les Forces à la fin du secondaire. Puis, j’ai attendu, attendu et attendu, puis ensuite je suis rentrée Cégep. J’ai fait un diplôme d’études collégiales en histoire des civilisations. Puis je suis retombée en amour avec la révolution bolchevique, les guerres mondiales, puis tous ces conflits stratégiques, ces guerres froides-là, puis je me suis dit : « Ah ça pourrait être intéressant finalement le projet que j’avais à la fin du secondaire de joindre les Forces armées canadiennes. Ça fait que j’ai joint, je me suis dit que ça serait une bonne, ça m’aiderait à payer mes études, puis ça m’aiderait à me garder en forme puis à me dépasser mentalement et physiquement. Ça c’est les raisons pour lesquelles j’ai joint au début. Avec le temps, c’est sûr qu’elles ont évolué mais je vous dirais que à ce moment-là, c’est plutôt ça qui me motivait.

Capitaine Adam Orton : Et est-ce que c’était qu’est-ce que vous vous attendiez?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Honnêtement, j’avais pas de grandes attentes.

Capitaine Adam Orton : Ok.

Caporale-chef Jennifer Jackson : [Rire] Non, mais dans le sens que j’avais pas d’images préfaites de qu'est-ce que l’Armée aurait l’air. J’avais des petits ‘hints’ de qu’on voit dans les médias-là on peut dire, mais j’avais pas d'immenses attentes. J’imagine que si j’en avais eues, ça aurait eu été une moins grosse douche froide parce que j’aurais su un peu mieux à quoi m’attendre, mais dans le fond j’avais pas de personnes d’armée dans mon entourage qui pouvaient partager avec moi leur expérience, comment c’était. Donc je me suis lancée dedans la tête première sans vraiment m’attendre à quoi que ce soit de précis.

Capitaine Adam Orton : Depuis que vous vous êtes joints, est-ce que vous avez eu la chance de faire des déploiements en opération?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Oui, j’ai été en Lettonie en 2019 avec le 2e Bataillon, ça été une mission de 7 mois.

Capitaine Adam Orton : Parlez-nous un peu de votre expérience. Comme qu’est-ce que vous avez faite là?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Qu’est-ce que j’ai fait, j’ai été déployée comme fusilier M203 dans une section d’infanterie montée. Donc, un peu en Lettonie sur après assurance si on veut, c’est une mission de préparation puis de présence donc qu’est-ce qu’on faisait, on faisait beaucoup d’exercices, d’opérations défensives/offensives un peu de défense urbaine, etc. Donc c’était typiquement du travail d’infanterie montée, puis c’était propre, c’était pas mal ça, c’était l’ensemble du tour-là.

Capitaine Adam Orton : Et puis c’était quoi les défis d’être en opération en Lettonie?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Y’avait beaucoup de défis, bien là si vous me demandez précisément les défis d’une femme noire en Lettonie, ça c’était autre chose. [Rires] Ça fait que.

Capitaine Adam Orton : Allons-y!

Caporale-chef Jennifer Jackson : Ok! Il y a deux volets à ça. Le premier, c’est d’être rattachée avec le 2e bataillon. 2e bataillon, Forces régulières, infanterie, des gens de Québec. Ok, y’a beaucoup de choses là-dedans.

Capitaine Adam Orton : 2e bataillon des 22, c'est ça?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Oui, c’est ça, 2e bataillon, 2e régiment Royal, oui, les 22, c’est ça. Donc, moi comme je vous ai dit, j’ai joint le 4e bataillon, donc j’ai joint la réserve. Quand j’ai joint en 2013, on était pas beaucoup de femmes, mais y’avait des femmes, on était peut-être trois, quatre. Avec le temps, ça a augmenté, quatre, cinq femmes. Donc, on était pas beaucoup, mais c’était quelque chose dès que je suis rentrée que j’avais l’habitude de voir des femmes dans l’infanterie. Même chose pour les noirs. Il y en avait pas beaucoup. On est sur la Rive nord ici, donc on était pas beaucoup, mais il y en avait au moins un autre. Mais eux, 2e bataillon, ils ont jamais vu ça des femmes dans l’infanterie. Si il y en a, il y en a une ou deux de temps en temps dans tous ces régiments-là je parle, pas juste au bataillon, peut-être deux, trois. Des noirs? Même chose, peut-être encore moins. Donc je suis rentrée au bataillon, regardée avec des gros yeux, oh un castor sur le front, caporal. Ils ne comprenaient pas ce qui se passait, ils avaient jamais vu ça. Donc, même chose, je me souviens, la première journée que je me suis formée dans les rangs, ça pas pris longtemps-là comme, je pense même l’après-midi on me rencontrait pour mes cheveux qui n’étaient pas réglementaires.

Capitaine Adam Orton : Sans doute vous étiez : « Encore ça! »

Caporale-chef Jennifer Jackson : Non, c’est ça. Je savais à quoi m’attendre. Je me promène avec le formulaire des coiffures réglementaires dans ma poche de combat. Ça fait que je les ai montré et j’ai dit : « Montrez-moi où ce n’est pas réglementaire ».

Capitaine Adam Orton : Ok je comprends.

Caporale-chef Jennifer Jackson : Puis, eux, ils voulaient rien savoir. Non, c’est pas réglementaire, ça marche pas. Mais, basé sur quoi? Bon, j’arrive, je suis réserviste, je viens juste d’arriver, je ne veux pas faire de conflits. Ça fait que, tu sais, je le prends, je change mes cheveux. Mais ça ça peut sembler comme des petites choses, avec très peu d’incidences. Bon c’est une coupe de cheveux, c’est une couette au lieu d’une tresse, mais c’est pas aussi simple comme ça. Pour des femmes noires, des cheveux c’est pour protéger nos cheveux, pour s’assurer qu’ils ne cassent pas parce qu’il y a seulement d’une façon qu’ils tiennent. Parce que si je ne les tresse pas d’une certaine façon, ils ne dureront pas plus que deux jours. Tout ce genre de chose rentre en considération. Mais eux, tout ce qu’ils voient c’est, bah, c’est une couette au lieu d’une tresse. Mais ça c’est pas des choses que je vais m'asseoir dans le bureau du SMR, puis du SMC, puis leur expliquer pendant 40 minutes que : « Non c’est important que mes cheveux soient tressés pas en ‘cornrows’, mais individuels parce que sinon ils vont casser. Ils en ont rien à faire ça.

Capitaine Adam Orton : Oui

Caporale-chef Jennifer Jackson : Tu sais, ça a été ça dès la première journée formée dans les rangs. Je vous dirais que cette première journée-là, ça a été une bonne illustration de comment y reste de travail à faire ailleurs.

Capitaine Adam Orton : C’est pas mal intéressant parce que à, vois-tu à, justement, j’ai parlé avec une femme noire, justement à ce sujet-là : les cheveux. Peut-être que les gens qui nous écoutent en ce moment et disent : « Ouin, ses cheveux ». Oui puis comme vous dites, c’est pas aussi simple que ça. Comme tu sais tu peux pas juste faire n’importe quoi, puis ça va être correct. Puis, les gens seraient peut-être portés à dire bien c’est juste vous-là, c’est juste un problème que vous avez. Non! C’est un problème extrêmement commun justement entre les femmes noires. Donc, c’est pas juste une question de, oui c’est juste des cheveux.

Caporale-chef Jennifer Jackson : Oui, puis c’est un problème qui démontre un genre de pattern si vous me permettez l’anglicisme. Ça montre que ceux qui prennent les décisions, ceux qui font ce genre de politique-là, c’est pas des gens qui nous ressemblent. C’est pas des gens qui se sont jamais posé des questions sur leurs cheveux. C’est pas des gens pour lesquels ça a déjà été un problème ça. Alors, tant qu’on aura pas des gens qui nous ressemblent autour de la table à prendre des décisions, il n’y a jamais personne qui va s’intéresser à ces problèmes-là ou bien qui vont leur donner de l’importance. Puis, c’est un cercle vicieux parce que on s’occupe pas des petits problèmes comme ça quand les plus gros problèmes vont transparaître y’a personne qui vont s’en occuper non plus parce il n’y a personne qui prend les décisions que ça affecte. Puis ça c’est un cercle vicieux parce que moi si mes amis qui me ressemblent-là et me disent : « Ah c’est comment l’armée? Est-ce que je devrais me joindre à toi? Est-ce que je devrais rejoindre les Forces? » etc. [Rires] Moi je dis : « Oui! Oui! Oui! Écoute y’a des bons côtés, mais par contre, tu vois tes ‘full locs’ que t’adores faire, là ça ça marche plus. Ah c’est bon, mais par contre, mmm… je ne sais pas si le casque il va fit tes tresses » « Ah oui, oui, c’est correct, mais par contre…! »
Tu sais, ça commence à faire beaucoup vous voyez?

Capitaine Adam Orton : C’est ça. Lors de cette expérience-là, est-ce que il y avait des gens avec qui vous pouviez parler pour trouver du support ou de l’assistance, peut-être de la compréhension?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Pas dans les Forces.

Capitaine Adam Orton : Non?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Pas dans les Forces, non.

Capitaine Adam Orton : Et à l’extérieur des Forces?

Caporale-chef Jennifer Jackson : À l’extérieur des Forces, oui. Les personnes qui vont comprendre que ce genre de question-là, puis ce genre de préoccupation-là, c’est pas ridicule. Mais pas dans les Forces, il y a personne qui va comprendre. Même si je me tourne vers une femme, les cheveux d’une femme blanche, c’est pas la même chose, c’est pas les mêmes questionnements. Elle si on lui force à faire une tresse, elle peut la défaire 15 minutes après sa tresse puis repartir à zéro, retourner dans le monde civil vivre sa vie. Moi si je décide que je dois faire une tresse pour un exercice d’une semaine, faut que j’aille payer quelqu’un pour qu’il tresse mes cheveux d’une certaine façon qu’ils tiennent, puis que je prends un autre deux heures pour les défaire puis ensuite que je paye un autre montant pour refaire mes cheveux à mon goût, puis c’est pas la même chose. C’est pas la même réalité. Donc, tant que t’as pas quelqu’un qui comprend exactement, puis qui a vécu la même expérience, y’a personne d’autre qui va comprendre.

Capitaine Adam Orton : Qu’est-ce que vous avez fait pour surmonter ces défis-là lors de vos déploiements puis en étant en bataillon?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Tu t’arranges-là. Tu t'arranges. Je veux dire, tu t’arranges.

Capitaine Adam Orton : Donc, à l’extérieur de votre déploiement en Lettonie puis de qu’est-ce que vous avez vécu en bataillon, est-ce que vous avez fait d’autres tâches, soit dans le domaine domestique ou avec les Fusiliers Mont-Royal ou les 4e 22?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Oui, avant d’aller passer à ce sujet-là, j’ai une anecdote en Lettonie ça fait que avant de changer de sujet.

Capitaine Adam Orton : Ok! Parfait!

Caporale-chef Jennifer Jackson : Ça fait que j’ai expliqué mon expérience avec le 2e bataillon en pré-déploiement. Arrivée en Lettonie, ça c’est un théâtre complètement différent. Des membres d’une autre armée qui prennent des photos de moi quand je marche ou qui me demandent de prendre des photos parce qu’ils ont jamais vu une femme noire en uniforme ou une femme noire tout court ou qui te regardent, ils te fixent pendant 15 minutes. Je veux dire, ça c’est des choses qui se rajoutent à tous ces autres stress normal qui est d’être en déploiement, d’être hors de chez toi pendant sept mois ou bien, être à bout de nourriture pas mangeable, ou en exercice ça fait une semaine que tu es dans le clos. Puis en plus de ça, si il faut que tu ‘deal’ avec ces micro-agressions-là. Puis encore une fois, ça c’est des choses que je ne peux pas me tourner envers mon binôme pour lui expliquer. Ils comprennent pas.

Capitaine Adam Orton : Comment est-ce que vous avez géré cette expérience-là? Parce que c’est quand même assez unique, puis c’est pas facile de s’en échapper quand on est intégré avec un autre armée. Mais pourtant, vous avez été là pendant une période de temps assez prolongée. Qu’est-ce que vous avez fait pour essayer de comme vivre une vie dans ce contexte-là?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Mais je veux dire tu sais, tu fais avec. Y’a pas de solution miracle ou de recette secrète. Tu vis avec. Les micro-agressions, c’est quelque chose que tu dois gérer dans ton quotidien même à l’extérieur de l’Armée-là. Dans la vie de tous les jours, et on fait avec donc, c’est pas différent dans l’Armée. C’est juste que c’est dommage que dans ton milieu de travail en plus tu dois avoir à faire avec ça. Mais comme je vous dis, non il n’y a pas de solution magique. Juste, tu fais avec puis tu passes à côté puis tu les ignores.

Capitaine Adam Orton : Vous avez pas vécu des expériences où ce que ces personnes-là ont eu l’habileté de peut-être faire des changements ou vous accepter peut-être un peu plus au travers de la progression de votre déploiement?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Bien, y’a pas eu de problèmes nécessairement d’acceptance. J’ai pas eu de problèmes où j’étais mis à part par ma section ou mon peloton ou même la compagnie. Pas du tout. C’est pas vraiment ça le problème, ni ça la question. C’est plutôt tous ces petits facteurs de stress supplémentaires et ces micro-agressions qu’il faut faire avec plutôt qu’autre chose.

Capitaine Adam Orton : Suite à ça, est-ce que vous avez fait d’autres tâches dans un contexte domestique ou avec votre unité?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Avant ça, j’ai été sur Op Élément à la frontière à Lacolle pour aider avec les demandeurs d’asile en provenance d’un peu partout, en Amérique aux États-Unis et en Amérique du Sud, etc. C’était en 2017 si je ne m’abuse. Ça c’était différent par contre parce que ils avaient besoin d’un soutien pour aider à faire de la traduction puis aussi aider à comprendre les différentes cultures. Ça fait qu’on était présent en tant que, bien militaire dans notre métier, mais aussi notre capacité en tant que aviseur culturel avait été utilisé aussi donc. C’est une opération à laquelle on s’est retrouvé, y’avait beaucoup de noirs, y’avait des latinos et des latinas, puis ça a fait changement. Ça a fait du bien à voir.

Capitaine Adam Orton : Comment est-ce que ça a fait changement dans vos sentiments de voir des gens comme vous qui pourraient peut-être comprendre un peu plus les difficultés que vous avez vécues dans des circonstances où y'avait pas des où vous pouvez vous associer avec autant dans le sens que tu sais comme les personnes comprennent les problèmes avec les cheveux, puis des personnes qui comprennent qu’est-ce que c’est d’avoir des micro-agressions.

Caporale-chef Jennifer Jackson : Non mais ça a fait du bien, c’était rafraîchissant. Ça nous rappelait que finalement, on était pas tout seul. L'Armée, ce n'est pas une institution aussi blanche qu’on en a l’impression au premier abord. C’était une belle expérience ‘overall’.

Il y aura toujours quelque chose, il y aura toujours quelque chose, mais ‘overall’, ça a été une belle expérience. Mais je me souviendrais toujours une soirée où je faisais du ‘roving’ avec un soldat du 1er bataillon, puis il y avait un demandeur d’asile avec sa petite fille qui voulait remplir sa gourde d’eau ou aller à la salle de bain. Puis, y’avait pas de personnel de la Croix rouge pour les escorter.

Capitaine Adam Orton : Ok.

Caporale-chef Jennifer Jackson : Dans le fond, nous, c’était pas notre travail de les escorter. Nous on fait juste du ‘roving’, de s’assurer que les tentes elles prennent pas en feu, puis que le monoxyde de carbone, les détecteurs de monoxyde de carbone fonctionnent-là, tu sais.

Capitaine Adam Orton : Oui, puis pour ceux qui ne le savent peut-être pas, c’est une tâche assez normale dans l’Armée. On fait ça tout le temps-là.

Caporale-chef Jennifer Jackson : Oui, bien en tous les cas, c’était fascinant. Il était une heure du matin-là. Puis, c'était pas notre tâche, mais je veux dire, c’était dans notre direction la salle de bain, ça fait qu’il n’y avait rien qui nous empêchait de l’accompagner tant qu’à la faire attendre X nombre de temps, que la Croix rouge revienne, ton enfant a envie d’aller à la salle de bain. Ça fait que je me tourne vers mon binôme, puis je lui dis : « Ok, on y va. » Il me dit ben : « Ah oui, mais c’est pas notre job. » Je suis comme, je lui dis : « Peu importe, on y va. » Il me dit : « Oui, mais c’est pas notre tâche. » Alors là je lui dis : « Bien ‘ta tâche’, je dis bien ‘ta tâche’ puis ‘ma tâche’ c’est pas la même. » Puis là il me répond : « Ah oui c’est vrai, vous autres là, vous êtes là parce que vous êtes des minorités ethniques. »

Capitaine Adam Orton : Wow!

Caporale-chef Jennifer Jackson : J’étais ‘flabbergasted’. Je pense pas que j’ai répondu. J’étais trop surprise. Donc quand je vous dis : « Overall, c'était une belle expérience », mais il y aura toujours quelque chose, c’est ce dont je parle. »

Capitaine Adam Orton : Maintenant, j’ai pogné sur ça tantôt-là, puis je voulais vous demander, tu sais on parle de votre cours de recrue puis la qualification de base militaire, maintenant que vous êtes caporale-chef, est-ce que vous avez eu la chance d’avoir une section sur un cours de qualification de base militaire où vous pouvez être instructrice?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Oui! Oui, oui. J’ai donné des instructions sur plusieurs cours jusqu’à présent.

Capitaine Adam Orton : Puis, est-ce que vous sentez que vous avez la chance de peut-être prendre un rôle actif à améliorer cette expérience-là pour les nouveaux recrus?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Définitivement, définitivement à mon niveau. J’ai pas eu de personnes dans ma section qui avaient besoin par exemple qu’un staff les appuie par rapport à une directive sur les cheveux, par exemple ou quelque chose comme ça. Mais, dans mon peloton, dans d’autres sections, c’est arrivé puis j’ai mis mon petit grain de sel. Je peux faire une différence à mon côté, je vais la faire, mais c’est pas au grade de caporale-chef qu’on va faire bouger bien des choses. Je peux le faire à mon niveau, mais je ne peux pas faire plus.

Capitaine Adam Orton : Donc en parlant de ça, c’est quoi vos buts de carrière futurs?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Dans les Forces?

Capitaine Adam Orton : Oui, si vous en avez.

Caporale-chef Jennifer Jackson : C’est à suivre. C’est à suivre. Par rapport à ça, en ce moment je viens tout juste de finir mes études supérieures. Je viens de finir ma maîtrise à Ottawa, puis je viens de prendre une position à la fonction publique donc je, c’est à suivre pour ce qui est de ma carrière dans les Forces. Je suis toujours intéressée à progresser, mais j’ai un petit peu moins de temps pour le moment.

Capitaine Adam Orton : Je comprends. Vos études prennent la priorité, genre. Bien pas vos études parce que vous avez fini, mais votre carrière civile on va dire.

Caporale-chef Jennifer Jackson : Bien c’est ça.

Capitaine Adam Orton : Est-ce que y’a d’autre chose que vous voulez peut-être ajouter?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Y’a rien qui me vient en tête en ce moment. Peut-être à part réitérer le fait que pour que les choses changent, il faut que le changement vienne d’en haut. Pour qu’il y ait un changement vraiment concret, puis qui fait une différence sur le terrain arrive, faut que ceux qui soient en haut regardent qu’est-ce qui se passe sur le terrain, puis c’est quoi les préoccupations sur le terrain, puis pas seulement pour la majorité, mais aussi pour la minorité si on veut inclure la minorité pour que l’Armée devienne à l’image du Canada. Parce que tant que l’Armée puis l’institution est pas accueillante pour tous, bien c’est pas tout le monde qui va rentrer.

Capitaine Adam Orton : Qu’est-ce que vous diriez à une jeune femme noire qui était pour se joindre à l’Armée canadienne. Qu’est-ce que vous leur diriez si ils regardent faire le cours de recrue, puis ils disent : « Oui, peut-être que je suis capable. »? Qu’est-ce que vous leur diriez?

Caporale-chef Jennifer Jackson : Je lui dirais : « Passe au travers le cours de recrue, parce que les choses vont aller mieux une fois qu’il va être fait. Puis continue à progresser puis monter en grade. » Parce qu’il faut qu’il y ait plus de monde qui nous ressemble dans l’Armée pour que les choses avancent.

Capitaine Adam Orton : C’est vraiment un beau message.

[Musique commence]

Bien, merci beaucoup d’avoir pris le temps de nous parler. J’apprécie vraiment ça.

Caporale-chef Jennifer Jackson : Ça fait plaisir. Merci d’avoir pris le temps de m’écouter puis de prendre un intérêt sur ce sujet-là.

Capitaine Adam Orton : Oui, ça me fait plaisir. Ça c'était la caporale-chef Jennifer Jackson des Fusiliers Mont-Royal qui nous partageait son histoire. Si vous avez une histoire à partager, pitchez-nous un courriel. Vous pouvez le trouver dans les notes du balado.

Comme d’habitude, moi je suis capitaine Adam Orton. Prenez soin de vous.

[Musique termine]