Les balados du CIRCEM visent à promouvoir la recherche interdisciplinaire sur la citoyenneté démocratique et les groupes minoritaires et minorisés, à partir de la tradition intellectuelle du monde francophone.
[Musique de fond]
00:00:09 Marie-Hélène Frenette-Assad
Les balados du CIRCEM visent à promouvoir la recherche interdisciplinaire sur la citoyenneté démocratique et les groupes minoritaires et minorisés, à partir de la tradition intellectuelle du monde francophone.
[Fin de la musique de fond]
00:00:33 Stéphanie Gaudet
Bonjour, ici Stéphanie Gaudet et vous écoutez un balado du CIRCEM de la série Mauril-Bélanger consacré au XXIIᵉ congrès de l’Association internationale des sociologues de langue française, qui a pour thème « Sciences, savoirs et sociétés ». Nous réfléchirons aujourd’hui autour des enjeux relatifs à la recherche et à la publication scientifique en langue française dans des contextes nationaux plurilingues ou bilingues, des contextes dans lesquels le français est une langue d’usage et d’appartenance pour des groupes minoritaires. Pour discuter de ce sujet, j’accueille aujourd’hui Luís Baptista de l’Université nouvelle de Lisbonne au Portugal, Zouheir Ben Jannet de l’université de Sfax en Tunisie et Linda Cardinal de l’Université de l’Ontario français au Canada. Avant de débuter la conversation, j’aimerais mettre en contexte un peu les enjeux que vivent actuellement les universitaires et chercheurs francophones autour de la planète. Au cours de la dernière décennie, nous avons assisté à une forte concentration des publications en langue anglaise. Pour vous donner une idée concrète, depuis 2013, plus de 50 % des articles scientifiques ont été publiés dans les cinq maisons d’édition anglophone internationales que sont Elsevier, Taylor & Francis, Sage, Springer, Wiley & Blackwell. Ce changement dans la publication en langue anglaise s’est produit très rapidement, car en 1995, seulement 17 % des articles en psychologie, par exemple, étaient publiés dans ces grandes maisons d’édition, et huit ans plus tard, en 2013, 71 % des articles dans le domaine de la psychologie étaient publiés dans ces cinq grandes maisons d’édition. Cette commercialisation de la publication scientifique entraîne avec elle une façon de penser, d’écrire et de présenter les recherches dans une tradition anglo-saxonne. Elles influencent également le choix des objets de recherche pour les chercheurs en début de carrière qui tentent de se faire publier dans ces revues avec des indicateurs d’impact élevés. Ceci pose plusieurs questionnements et enjeux pour nous, chercheurs francophones, dans des contextes nationaux où le français n’est pas la langue majoritaire. Alors aujourd’hui, nous désirons réfléchir à ces enjeux dans chacun des contextes nationaux dans lesquels évoluent les chercheurs et chercheuses que nous rencontrons aujourd’hui. Alors Linda Cardinal, j’aimerais – je vais te tutoyer puisqu’on se connaît bien – j’aimerais te demander : comment tu caractériserais les enjeux de la recherche en langue française dans le contexte canadien?
00:03:20 Linda Cardinal
Bien bonjour Stéphanie, merci beaucoup de m’avoir invitée à ce balado. Le contexte international est très important, comme tu l’as souligné, parce qu’il traduit, il présente une tendance lourde dans la recherche qui, dans le contexte canadien, vient exercer une pression importante sur le fait qu’au Canada, on a deux langues officielles, le français et l’anglais, mais si on prend ces deux langues officielles et qu’on les situe dans le contexte international de la publication de la recherche, on est dans une situation d’inégalité très importante parce que les statistiques dont il est question dans ton propos, on peut aussi les retrouver dans le contexte canadien, où on voit que même au Québec, les chercheurs, que ce soit l’Université de Montréal, l’UQAM, etc., publient en anglais de façon exponentielle depuis les années 70-80. Et là, je nous réfère aux travaux de Vincent Larivière sur la question, ou Yves Gingras, qui ont très bien démontré la présence, la domination même de l’anglais dans nos publications. Il y a aussi une façon de cadrer cette recherche. Aujourd’hui, on a l’impression qu’une bonne recherche, c’est une recherche qui est en anglais, publiée en anglais, qui contribue à l’économie du savoir, qui s’inscrit dans le paradigme positiviste, qui vise l’innovation. Et ça, je trouve, dans le contexte canadien, ça vient masquer la diversité des missions, des savoirs scientifiques produits dans nos universités. On a de très grandes inégalités entre nos universités au Canada. On a à peu près 80, 90 universités au Canada. Et là, je ne parle pas des collèges où se fait de la recherche – notamment, en Ontario, on a La Cité collégiale qui a un mandat de recherche appliquée – ou de la recherche appliquée dans les cégeps. Là, je parle des universités. On a 89 universités. Là-dedans, on en a 15 qui s’accaparent 80 % du financement pour la recherche. Ces 15 universités, ce sont de grandes universités, anglophones principalement. Il y a deux universités francophones dans ce réseau, l’Université de Montréal et l’Université Laval. Il y a une université bilingue qui est l’Université d’Ottawa. Alors, qu’est-ce qui se passe pour les autres universités qui, elles, sont des petites ou des moyennes universités? Et en francophonie canadienne, par exemple, à l’extérieur du Québec, on a 22 établissements de recherche d’enseignement supérieur, des universités bilingues, francophones et des collèges. Et ces universités sont sous-financées, on le dit depuis de nombreuses années, mais aussi ces universités ont des missions de proximité, un peu comme le réseau des UQ au Québec, et ont des missions culturelles qui sont très peu reconnues. Et donc, le travail qui se fait dans ces milieux, qui est un travail de recherche, qui ne va peut-être pas nécessairement s’inscrire dans le paradigme de la productivité, de l’économie du savoir. Ce sont des universités qui vont faire un travail de recherche pour appuyer du développement local. Et ça, on le voit très bien avec le réseau des UQ, on le voit avec les universités en contexte minoritaire, si on prend l’Université de Moncton, par exemple, qui a un mandat très important de voir au développement de la francophonie acadienne. Ces universités-là ne sont pas considérées dans ce paradigme. Et les francophones, on ne va pas nécessairement publier dans les grandes revues scientifiques qui sont dirigées par les grandes entreprises d’édition.
00:07:08 Linda Cardinal (suite)
Alors, évidemment, il s’installe dans ce contexte-là une sorte de dévalorisation aussi de toute forme de recherche, notamment en français, parce que finalement, si on fait de la recherche en français, on fait du travail local. Nous, on ne peut pas s’internationaliser. L’international, ce n’est pas pour nous, parce que pour être dans le dialogue international, il faut s’assurer que nos objets de recherche vont intéresser ce public dit international, qui en fait est le public anglophone. Le public anglophone a réussi à créer une norme dite « internationale » qui, en fait, c’est international égal anglais. Donc nous, qu’est-ce qu’on a à contribuer à ce dialogue international qui pourrait intéresser ces personnes? Moi qui travaille sur les Franco-Ontariens ou sur la francophonie, les politiques linguistiques, alors qu’est-ce qu’il y a dans mon travail, par exemple, ou dans le travail de mes collègues, qui va intéresser ce public? Et ce public, souvent c’est un public qui vient des contextes minoritaires, fait qu’on va se retrouver dans un congrès, en anglais, alors qu’il n’y en a pas un dont c’est la langue première, mais qui va discuter des enjeux des minorités, par exemple, en anglais. Puis on sait très bien que les collègues anglophones autour ne s’intéressent pas du tout à ces questions. Et le pire, c’est que ça a été démontré, notre collègue François Rocher, à l’Université d’Ottawa, a bien démontré qu’on n’est pas cités, même quand on publie en anglais. C’est-à-dire, les francophones, on est, il a démontré, pour le contexte canadien, qu’il y a à peu près seulement 5 % des francophones qui sont cités par les anglophones. Et nous, les francophones, on cite les anglophones, 60 % de nos travaux, c’est-à-dire 60 % des francophones citent les auteurs en anglais. Alors, il y a des grandes inégalités liées à cette façon de faire. Le Canada participe de façon pernicieuse à reproduire ce paradigme, cette norme, malheureusement. Les financements, on regarde les financements qui ont été octroyés dans le dernier budget fédéral en 2024, on a annoncé des millions, en fait des milliards pour la recherche, mais il faut bien voir que cette recherche elle doit contribuer au paradigme productiviste. Et pas seulement au Canada fédéral, mais aussi au Québec, il y a le même discours : notre recherche doit servir à favoriser la compétitivité internationale du Canada, l’économie productiviste. Alors que toute la recherche qu’on veut mettre au service du bien commun, des politiques publiques, c’est une recherche qui existe, dont on est très conscient, mais c’est comme si on avait de la difficulté à rentrer ce travail dans cette norme, ou en tout cas de renverser la situation pour changer cette norme et valoriser davantage aussi la recherche en français, qui n’est pas directement celle qui est produite par les deux seules universités francophones des U15. Alors je vais m’arrêter ici, pour pouvoir avoir la chance aussi d’écouter mes collègues.
00:10:31 Stéphanie Gaudet
Merci beaucoup, Linda. C’est très intéressant et très important de comprendre aussi les inégalités au sein même du contexte national canadien, entre les petites et les grandes universités aussi, je pense que c’est très intéressant. Alors, je suis bien curieuse de comprendre et connaître quels sont les enjeux que vivent les chercheurs au Portugal qui désirent publier et travailler en langue française.
00:11:01 Luís Baptista
Merci, Stéphanie, avant tout, pour l’invitation et pour le plaisir d’être avec vous, c’est très important pour moi ça. Je voudrais peut-être parler un peu de mon expérience personnelle et surtout des années 80 à notre jour, de l’expérience d’étudiant à professeur et comment la langue française, la sociologie de la langue française était très importante dans l’institutionnalisation de la sociologie au Portugal. Et je commence par vous dire qu’académiquement, la sociologie au Portugal, c’est très récent. C’est seulement après le 25 avril 1974 que nous avons clairement des formations en sociologie. La dictature n’aimait pas, a antagonisé le travail intellectuel, surtout sur les questions sociales, et donc nous n’avons pas une tradition forte dans le champ de la sociologie en termes, disons, des universités. Il y avait toujours du travail interdisciplinaire, mais pas exactement un travail autour de la sociologie. L’exil politique et scientifique de beaucoup de personnes, surtout ceux qui ont été dans les pays de langue française, je pense surtout à la France, à la Belgique et Suisse, sont trois des centres très importants des années 60-70, c’était très important dans cette période. Après le 25 avril, beaucoup d’étudiants, professeurs reviennent au Portugal et on peut dire que l’institutionnalisation de la sociologie au Portugal est beaucoup basée dans l’expérience de ce collègue, ce professeur qui vient au Portugal. Beaucoup d’universités ont commencé à préparer, à connaître la sociologie normalement avec des livres, des bouquins de langue française. Et le plus curieux, c’est que même les auteurs de langue anglaise, je parle de ma propre expérience, j’ai commencé pour les lire en français. C’est un peu bizarre, mais c’est exactement le processus que nous avions dans cette période. L’importance, professeur, pour la manière de penser, de préparer des choses, du point de vue culturel c’est plus proche de notre expérience que des anglophones, mais en tout cas c’était même une possibilité de faire beaucoup de travail ensemble avec des collègues français qui ont été au Portugal beaucoup de fois. Je parle de l’expérience, de l’importance de l’ambassade de France pour l’Institut Franco-Portugais, nous avions la chance de contacter avec beaucoup de professeurs de langue française qui étaient chez nous. Je me rappelle de Bourdieu, de Wieviorka, de Boltanski, tous ces collègues ont été là pour faire des conférences et pour, enfin, nous aider à penser la sociologie en termes plus modernes, plus actuels. Et c’était très important dans notre formation dans une période dans laquelle les Portugais parlaient encore le français. Le problème, c’est qu’après, disons, les années 2000, cette expérience devient de plus en plus faible et finalement, je peux dire que la structure que nous avions dans cette période est perdue en termes de continuité. Il y a encore un groupe de personnes qui travaillent sur la langue française, qui publient en français et qui considèrent important ça, mais dans ce moment-là, je dis un peu comme Linda, c’est la question que si tu ne publies pas en anglais, ce n’est pas une publication scientifique. Il y a même un débat très curieux sur la question de la langue scientifique. Il y a des gens qui défendent que la langue scientifique, c’est l’anglais. Je parle de chez nous, mais je sais que c’est ça également dans d’autres contextes. Donc, internationalisation, ça devient faire en langue anglaise. Et tout ça, c’est une chose qui me semble très dangereuse, parce que finalement, on pensait, la sociologie a une dimension locale où la langue est absolument centrale.
00:15:28 Luís Baptista (suite)
Et pour ça, je pense qu’il y a toute une expérience qu’on peut développer en termes de travail ensemble. Je parlerai un peu dans un autre moment de ce contexte, mais je voudrais dire que les débats que vous avez peut-être chez vous, le collègue natif francophone, je peux dire, c’est des débats que nous avions chez nous. Débats entre Bourdieu, Touraine, Crozier, Mendras, tous ces débats que vous avez, c’est un peu notre débat aussi dans une période. Et aujourd’hui c’est très difficile de faire des gens lire en français et surtout après publier en français, même si nous avons aujourd’hui des ustensiles qui nous aident à faire des traductions plus facilement, mais ce n’est pas la même chose en fait. De note finale, nous avons aussi travaillé avec des autres contextes et nous avons connu aussi la sociologie canadienne. Par exemple, nous avons lu beaucoup dans une période Sociologie et Sociétés, qui était dans une période une référence importante pour nous. Donc, l’expérience intéressante avec les Canadiens, c’est la proximité, si vous êtes d’accord, qui est plus proche aussi d’une formulation plus pratique, plus proche de la vision anglophone, que pour nous, les sociologues portugais, c’était très important parce que notre travail est exactement d’aussi avoir relation avec la production anglophone. Et donc, c’était très important dans la formation de notre génération, parce que la langue portugaise n’est pas si forte du point de vue sociologique, c’est pour nous très important d’avoir cette… Donc, le dernier travail qu’on fait, les sociologues portugais, quelques sociologues portugais, c’est maintenir l’importance de la sociologie de langue française, et dire qu’une chose qui est plus curieuse aussi, c’est que nous avons lu vôtres auteurs de langue française en français. Par exemple, Bourdieu, que c’est très difficile en tout cas, mais qu’on lit en français, et nous avons lu, par exemple, Lefebvre. Pour moi, la grande question, c’est que j’ai beaucoup parlé de Lefebvre parce que je suis sociologue urbain, dans une période, dans des conférences internationales, pour références que j’avais de son travail. Mais le plus curieux, c’est que seulement après la traduction en anglais, tout le monde parle de Lefebvre et de Bourdieu. Et pour moi, c’est bizarre parce que je connaissais bien ces auteurs avant et ils semblent maintenant des auteurs globaux parce qu’ils sont traduits en anglais. C’est bizarre, mais c’est la réalité.
00:18:16 Stéphanie Gaudet
Alors, merci beaucoup, Luís. On voit que l’importance de la tradition française en sociologie est également importante au Brésil qui est donc en lien direct avec le Portugal, alors il y a toute une tradition quand même en Amérique latine autour de la sociologie française. Alors maintenant je cède la parole à Zouheir, et je suis curieuse de savoir comment ça se passe, l’influence de la sociologie française dans le contexte arabophone de la Tunisie, où la langue arabe est majoritaire et la langue française a été longtemps, je pense, une langue de l’enseignement supérieur.
00:19:05 Zouheir Ben Jannet
Alors bonjour, de nouveau, et merci Stéphanie de m’avoir invité à ce balado. Donc pour le contexte tunisien, c’est un peu différent par rapport à ce qui se passe au Canada ou également au Portugal. Pourquoi? Parce qu’en Tunisie, les sociologues tunisiens ont connu la sociologie, ont découvert la sociologie dans la langue française. C’est-à-dire que, vous devez savoir tout d’abord que la sociologie est enseignée en Tunisie depuis avant même l’indépendance, c’est-à-dire avant 1956. Et à partir de 1961, avec la création de l’université tunisienne, la sociologie est enseignée à l’époque, en français. Mais petit à petit, jusqu’aux années 80, on a commencé à parler d’un courant d’arabisation de la sociologie, qui se situait dans un contexte de décolonisation. L’objectif était de décoloniser le savoir et d’une sorte de « confirmation identitaire », entre guillemets, au niveau, si vous voulez, des chercheurs d’une manière générale, mais surtout dans la sociologie, parce qu’à l’époque la question se posait : comment on étudie la société tunisienne en utilisant des outils théoriques et méthodologiques qui ne lui appartiennent pas? Et donc ça a été considéré comme un obstacle épistémologique, c’est-à-dire qu’il était très difficile de trouver vraiment une concordance entre les outils théoriques – par exemple à l’époque avant les années 80 c’était le conflit de classe, la classe sociale, etc. – donc, avec ce qui se passait vraiment en Tunisie au niveau de ce qu’on appelait à l’époque la modernisation. Donc c’est à partir des années 80 qu’on a commencé à voir une autre tendance d’arabisation, tout d’abord, et d’ouverture sur d’autres courants de pensée qui ne sont pas toujours francophones. Mais, dans tous les cas, il faut bien noter que la sociologie tunisienne s’est inspirée surtout de la sociologie francophone. Et lorsque je dis la sociologie francophone, ça englobe bien sûr les écrits et les traductions de la sociologie anglophone et la sociologie allemande, surtout. Donc, on a découvert les sociologues allemands, les sociologues de l’Amérique latine, les sociologues anglais, bien sûr, américains, dans la langue française. C’est pour cela que le lien entre la sociologie tunisienne et la sociologie francophone est un lien très fort. C’est pour cela que même lorsqu’on a voulu arabiser la sociologie, on s’est trouvé dépendant d’une manière ou d’une autre de la sociologie francophone. C’est-à-dire, on trouve par exemple, on écrit en arabe, mais souvent, en bas de page, on essaie de clarifier des concepts pour dire leurs synonymes en français; parfois on met même entre guillemets le mot arabe et son synonyme français, parce qu’on sait d’avance que les sociologues lisent plus en français et comprennent plus le français et que la langue arabe, elle n’arrive pas vraiment à donner le vrai sens des concepts. C’est pour cela, par exemple, on voit jusqu’à maintenant, des nouveaux concepts arabes, par exemple le concept d’habitus, on le traduit « habitus » en arabe, donc au début on a créé un synonyme, mais petit à petit ça a entré dans le Scorpus arabe, sociologique bien sûr, et on essaie de, la démocratisation par exemple, comme j’ai dit tout à l’heure l’habitus et d’autres concepts qui sont utilisés dans leur langue d’origine, mais qui ont également une signification arabe.
00:23:51 Zouheir Ben Jannet (suite)
Donc, dans ce contexte-là et avec ce qui s’est passé depuis l’année 2011 en Tunisie et dans le monde arabe d’une manière générale, de nouveaux enjeux ont eu le jour. C’est-à-dire, la question s’est posée au niveau de cette langue française qui n’arrive pas vraiment, ou qui ne nous donne pas vraiment des outils théoriques qui nous permettent de vivre et d’analyser ce que vit la société tunisienne et d’autres sociétés arabes. Et, surtout avec l’arrivée d’une nouvelle génération, beaucoup plus ouverte sur la langue anglaise et la culture anglaise d’une manière générale, beaucoup plus, si vous voulez, ouverte sur les nouvelles technologies, sur les plateformes internationales, sur le fameux h-Index et les fameuses maisons d’édition internationales, et cette génération qui ne maîtrise pas vraiment le français et qui maîtrise plus la langue arabe, mais qui est ouverte plus à la langue anglaise, se pose la question. Les jeunes aujourd’hui, ils disent tout simplement : si vous voulez que la sociologie tunisienne soit une sociologie, si vous voulez, ouverte sur l’international, il faut aller vers l’anglais. Pourquoi? Parce que c’est, comme disaient les collègues tout à l’heure, toujours l’idée que l’anglais c’est la langue scientifique et le français c’est la langue plutôt littéraire, etc. C’est pour cela aujourd’hui, tous les chercheurs, plus ou moins, cherchent le classement international, le h-index, le nombre de citations, etc. Et c’est pour cela que de nouveaux enjeux s’imposent aujourd’hui au niveau de la traduction, comment on traduit, donc, du français à l’arabe ou bien de l’anglais à l’arabe et vice versa parce que ces jeunes également disent que la sociologie tunisienne a beaucoup bénéficié de la sociologie française, mais la sociologie française également, et francophone d’une manière générale, elle a beaucoup bénéficié parce que c’est les arabophones finalement qui rédigent en français, qui ont permis aux chercheurs francophones de découvrir le monde arabe et les sociétés arabes. Par contre, il n’y a pas de retour au niveau de ce transfert de savoir. Merci beaucoup, et je m’excuse de peut-être avoir passé le temps.
00:26:29 Stéphanie Gaudet
C’est parfait, mais non, c’est parfait Zouheir, merci beaucoup. C’est très intéressant de voir comment le passage de la culture s’est fait de manière unidirectionnelle et que finalement, la culture scientifique arabophone n’a pas traversée, elle, vers les autres cultures hégémoniques.
[Transition musicale]
00:27:03 Stéphanie Gaudet
Nous avons beaucoup parlé des problèmes, des défis. Maintenant, est-ce que vous voyez des solutions? Pensez-vous qu’il y a des solutions pour résoudre ces défis que nous avons dans le milieu de la recherche francophone? Alors, Linda, je pense que tu as plusieurs bonnes idées à nous proposer.
00:27:26 Linda Cardinal
Alors, merci Stéphanie, de nous demander de parler du versant un petit peu plus ensoleillé [rire] de notre propos, c’est-à-dire les solutions. Au préalable, j’aimerais par contre rappeler qu’il y a une diversité d’acteurs qui peuvent participer aux solutions. Moi, je parle principalement de ce qu’on fait sur le plan gouvernemental. Mais il y a un réseau d’acteurs qui participent au développement de la recherche, à la promotion de la recherche, notamment au Canada, sur le plan international. Tu parlais au début des entreprises d’édition, il y a les universités, il y a les chercheurs, les gouvernements, le secteur privé. C’est-à-dire, il faut vraiment penser comment, ensemble, les associations professionnelles, l’Acfas, l’AISLF, comment ces acteurs peuvent faire partie de la solution. Mais au Canada, ces dernières années, on a vu, à partir de nombreuses études, que ce soit même en 2008, l’étude du Commissariat aux langues officielles qui démontrait les difficultés de la recherche en français, l’étude de l’Acfas en 2021 qui montrait comment les chercheurs francophones ont de la difficulté à faire reconnaître leurs travaux au Canada. Alors, à partir de ces études, il y a des propositions qui ont été faites. Et il y en a auprès du gouvernement canadien qui ont été faites, notamment de reconnaître justement les enjeux liés à la recherche en français et le besoin d’un appui. Et lors de l’adoption de la nouvelle Loi sur les langues officielles, le gouvernement, en 2023, au mois de juin 2023, l’année dernière, ça fait déjà une année, le gouvernement canadien a reconnu son rôle d’appuyer le développement de la recherche en français, que ce soit sur le plan de la création ou de la diffusion. Alors ça, c’est une belle reconnaissance et il se doit d’adopter des mesures qu’on appelle, dans le jargon canadien, des mesures positives pour favoriser. Et une des actions, ça a été de créer un fonds de 8,5 millions pour appuyer des initiatives favorables au développement de la recherche en français. Il va aussi mettre en place à l’automne un groupe d’experts qui aura comme responsabilité de conseiller le gouvernement canadien sur une stratégie à développer pour le développement de la recherche en français, tant sur le plan de la production, la diffusion, la valorisation que de la formation des chercheurs. Alors ça, c’est une très, très belle nouvelle, ça fait partie du plan d’action pour les langues officielles. Donc ça, c’est à un niveau macro-gouvernemental. Donc ce qui est intéressant avec cette solution, c’est que le gouvernement reconnaît qu’on n’est pas devant un phénomène qui fait partie de l’ordre des choses, qui est le résultat d’une évolution naturelle. Mais en fait, la domination de l’anglais, c’est le résultat d’actions, et si on veut renverser les choses, il faut une intervention gouvernementale. Donc c’est la reconnaissance de l’importance de l’intervention gouvernementale pour réduire les inégalités entre, dans le contexte canadien, les anglophones, les francophones en matière de recherche. Donc ça, c’est excellent.
00:30:53 Linda Cardinal (suite)
Mais à d’autres paliers, on prend par exemple l’Acfas, qui est la grande association canadienne qui regroupe l’ensemble des chercheurs francophones et francophiles du Canada. L’année dernière, l’Acfas a réussi à faire financer un service d’appui à la recherche en français pour les chercheurs de la francophonie canadienne, pour venir en appui aux chercheurs de la francophonie canadienne, parce qu’on a démontré que sur le plan, dans nos universités, ces petites universités dont on reconnaît très peu les missions culturelles et scientifiques, ces petites universités, et aussi, il y a beaucoup de chercheurs francophones dans les universités anglophones. On parle de 30 000 chercheurs francophones à l’extérieur du Québec sur 60 000, qui ont une connaissance du français. Ce sont plus de 7 000 chercheurs francophones qui travaillent dans le réseau de la francophonie canadienne, qui ont le français comme première langue officielle parlée. Alors ces gens ont besoin d’appui quand ils travaillent dans des universités anglophones, parce qu’ils ne peuvent pas déposer leur dossier de publication, ils ne peuvent pas déposer leur dossier pour des certificats d’éthique, en français. Et dans les petites universités, on a beaucoup besoin d’appui parce que nos services de recherche ne peuvent pas fournir à la demande. Alors, une solution vraiment intéressante ça a été la création et le financement en partie par le gouvernement canadien, québécois et Power Corporation, donc le secteur privé, d’un service d’appui à la recherche, ce qui fait qu’on met à la disposition des chercheurs une équipe de gens qui peut nous aider à préparer des demandes de financement, et pour aider à faire augmenter aussi le pourcentage de demandes de financement qui vont être déposées dans les conseils de recherche et aussi, espérons-le, qui vont obtenir des succès. Alors ça, ce sont des initiatives très précises qui montrent qu’il y a quand même une attention qui est portée par le gouvernement canadien à l’appui de la recherche en français. Le rapport Bouchard, qui a été publié l’année dernière sur le financement de la recherche, avait une recommandation sur l’importance d’appuyer la recherche en français, ce qui est très bien. Ensuite, du côté du Québec, le scientifique en chef, monsieur Rémi Quirion, a créé un grand réseau francophone international de conseils scientifiques, dont l’objectif est de faire la promotion de la recherche en français, des conseils scientifiques, de conseiller les gouvernements sur les politiques publiques en français, avec des approches aussi francophones, pas seulement toujours utiliser la norme de l’anglais. Ensuite, le gouvernement du Québec, à travers justement les fonds québécois de la recherche, ont créé des chaires de recherche sur le Québec pour accroître, encore une fois, la production scientifique en français. Alors, il y a tout un tableau à faire des initiatives qui sont prises pour renverser la situation. Et l’enjeu le plus important aussi pour les chercheurs qui interpellent les universités, c’est de s’assurer aussi que les chercheurs qui travaillent en français peuvent avoir une carrière en français, ne seront pas évalués sur la base de facteurs d’impact de leurs publications, qui doivent être évidemment en anglais. Et ça, je dirais qu’on n’a pas encore atteint la solution maximale, mais qu’il y a tout un mouvement très important qui vient de la base et j’ai l’impression que dans les futures années que cette question-là va sauter et que les facteurs d’impact ne seront plus un enjeu pour les chercheurs francophones. Alors voilà pour le côté optimiste de notre histoire.
00:34:43 Stéphanie Gaudet
Merci Linda. Je pense que c’est important aussi de donner de l’espoir aux jeunes chercheurs qui désirent travailler en langue française parce que c’est encore possible, c’est possible de le faire. Luís, avez-vous des solutions à nous proposer pour avoir un regard optimiste par rapport à la publication ou à la recherche en langue française?
00:35:10 Luís Baptista
Donc, je n’ai pas exactement de solutions, mais j’ai au moins une idée de stratégie qu’on peut développer. Et pour moi, la question avant tout, c’est la question de travailler dans une chose qu’on peut désigner de travailler en langue native. Ça veut dire, je voudrais faire une référence, citer un sociologue japonais, dans une conférence de l’Association internationale de sociologie, il y a 13 ans, et qui disait quelque chose que je voudrais vous dire avant de commencer. Il disait : « Tout sociologue a sa localité. De nos jours, cette localité peut prendre des formes plus complexes que par le passé. Non moins, la pratique sociologique est toujours insérée dans un contexte local et ainsi, faire de la sociologie en langue native conserve toujours une énorme importance. Premièrement, parce que pour la sociologie qui est plus ou moins impliquée dans la vie quotidienne des gens, utiliser la langue native en recherche est très important pour engager une meilleure communication et une compréhension correcte du monde social. Deuxièmement, l’utilisation de la langue native dans l’analyse sociologique rend plus facile l’accès des populations locales à la compréhension, à l’évaluation et à la critique des produits sociologiques. Troisièmement, les réponses locales aux pratiques sociologiques doivent contribuer à développer de multiples chemins visant des modes plus universalistes des conceptions sociologiques. » C’était dans un débat sur la question du concept en sociologie et sur la question du concept qui sont toujours en anglais et qui, normalement, il est difficile, par exemple, en certains contextes, de faire un bon travail avec cette base, même si j’ai écouté bien Zouheir sur l’expérience de « habitus », mais tout ça c’est un débat très important qu’on doit faire. Et après ça, la question que je dois considérer principale, c’est la question de comment travailler avec la question de la langue. Comme je suis natif du portugais, pour moi je crois qu’il y a une chose à faire, une forme de réaction et de travail, c’est qu’on doit travailler dans notre langue et surtout s’il y a la possibilité de faire un travail de contiguïté. Ça veut dire que le portugais, le français, l’espagnol, l’italien, peut-être on pouvait faire une chose que j’ai proposée quand j’étais président de l’Association Portugaise de Sociologie, c’est nous connaître mieux, connaître mieux les autres langues, connaître mieux le contexte de travail, et les associations des langues, des langues diverses, pouvaient peut-être faire un travail de plus proximité. Par exemple, chez nous, on ne connaît pratiquement rien de ce qui se passe en Espagne si nous n’avons aucune traduction de l’anglais parce que les gens ne lient pas normalement l’autre langue. C’est le même pour l’italien, le français c’est un peu différent parce qu’il a une longue tradition plus forte.
00:38:32 Luís Baptista (suite)
Mais en tout cas, la question c’est comment travailler ensemble. Est-ce qu’on peut penser dans une région linguistique des langues latines qu’on pouvait utiliser comme une forme de… on peut dire, pas de faire contestation à la langue anglaise, certainement pas non, ça ne fait aucun sens, mais surtout de défendre une certaine manière, une certaine façon de penser les choses qui peut-être, cette citation que j’avais faite du collègue japonais, aide à comprendre, c’est la question de débattre d’une autre façon. Donc je pense que le congrès international de langue française devrait penser à inviter aussi des gens qui viennent parler dans notre langue, le portugais, l’espagnol, l’italien, je sais que c’est très difficile, et surtout, je ne sais pas si les personnes de langue française sont ouvertes à ce type d’exercice. Mais en tout cas, je pense que ça pourrait être intéressant parce que le risque de chaque langue latine de perdre d’influence progressivement, c’est énorme. Et donc, je pense que dans ce contexte, on fait un débat sur Internet, les gens qui travaillent dans notre langue ensemble sont plus que les natifs de la langue anglaise. Donc, dans ce cas, je ne parle pas de l’internationalisation de la langue anglaise, je parle des natifs de la langue anglaise, c’est une autre chose. Donc, je pense, je pense aussi au Brésil que vous avez parlé avant, et je pense que ça, c’est pas seulement une question de résistance culturelle et politique, c’est aussi une façon de penser la sociologie comme une discipline ouverte, diversifiée et en même temps ouverte à la découverte, à la différence entre divisions. Et parce que la division ce n’est pas seulement des concepts dans une langue, c’est que les concepts eux-mêmes sont différents et avec une différence d’utilisation, de contexte social et politique pour les autres. Ce n’est pas une solution, mais c’est peut-être une stratégie intéressante pour repenser et n’être pas fermé dans notre boîte, penser surtout à ouvrir les boîtes et penser plus ouvertement. Je pense que ça, c’est possible avec aussi des autres langues. J’imaginais qu’on peut aussi connaître des langues comme l’arabe, c’est peut-être important aussi pour comprendre qu’il y a des concepts qui ne font pas grand sens dans les langues on dit européennes ou latines, mais ce débat doit être quelque chose d’important pour le futur. C’est ça que je pense et j’espère qu’il y a des autres qui pensent comme moi. C’est tout, merci.
00:41:27 Stéphanie Gaudet
Merci beaucoup, Luís, pour cette proposition. Effectivement, il faut penser à des façons de se mobiliser pour créer une résistance, un contrepoids à l’anglonormativité qui existe actuellement dans les sciences sociales et les sciences de la nature. Zouheir, est-ce que tu as des solutions, des pistes de solutions à nous proposer?
00:41:58 Zouheir Ben Jannet
Bien sûr, je n’ai pas de solution, mais peut-être des pistes de réflexion vers des solutions peut-être envisageables. Écoutez, je suis tout à fait d’accord avec Linda et Luís sur plusieurs points, mais peut-être pour éviter de répéter ce qui a été dit, je vais me concentrer sur trois aspects. À mon avis, c’est toujours le paradigme de résistance qui devrait être mobilisé dans ce genre de réflexion. On est face à une concurrence inégale, inéquitable, dans laquelle les groupes minoritaires d’une manière générale sont écrasés. Dans ce cas-là, on parle de peuples, on parle de langues qui peuvent disparaître si on continue sur cette anglonormativité avec tous les risques qu’elle peut imposer dans les futures années. Donc on doit, je ne veux pas dire peut-être arrêter une stratégie de résistance, mais il faut au moins mobiliser les chercheurs, et mobiliser la science d’une manière générale, pour jouer un rôle peut-être qui n’est pas tout à fait scientifique au vrai sens du terme, mais un rôle citoyen, un rôle humain. La question dans ce cas-là, porte surtout sur le lecteur, c’est-à-dire lorsqu’on produit, lorsqu’on écrit, on écrit pour quel type de lecteur? Qui lit les travaux scientifiques et qui peut en profiter? Si ça ne permet pas une certaine émancipation, à mon avis, citoyenne et humaine d’une manière générale, dans ce cas-là, je pense que le chercheur ne peut pas négliger les problèmes de sa société et de l’humanité d’une manière générale. Il doit quand même respecter les normes scientifiques. C’est normal. Mais cette sociologie et cette science, elle doit servir à un changement culturel et politique émancipatoire. Donc le premier aspect, peut-être, ou la première piste de solutions, c’est la conjugaison des efforts dans le monde francophone, c’est-à-dire plus de réseaux de chercheurs francophones de tous les coins du monde, plus de manifestations scientifiques, plus de publications, plus d’efforts conjoints pour protéger, si vous voulez, cette culture francophone, parce que là on ne parle pas de la langue scientifique, on parle de la culture. Même si on écrit en arabe, comme j’ai dit tout à l’heure, on écrit en arabe parfois parce que le lecteur est arabophone, mais on écrit dans un esprit francophone, c’est-à-dire on mobilise les concepts francophones, on mobilise les théories francophones, on mobilise les paradigmes francophones. Et dans ce cas-là, on est en train de défendre la francophonie d’une manière ou d’une autre, c’est-à-dire l’esprit francophone, l’esprit scientifique francophone.
00:45:26 Zouheir Ben Jannet (suite)
Le deuxième aspect, à mon avis, c’est la traduction. La traduction, à mon avis, elle peut jouer un rôle fondamental dans cette résistance contre cette anglonormativité, si vous voulez. C’est-à-dire, traduire dans le français toutes les langues, si on trouve vraiment les moyens, pour s’enrichir, bien sûr un enrichissement mutuel, mais surtout aussi pour enrichir cette culture anglophone pour qu’elle puisse jouer un rôle dans cette concurrence inégale vu que la francophonie également c’est une culture hégémonique par rapport à d’autres cultures. Donc dans ce cas-là, si on traduit vers le français, ça va enrichir la langue et ça va enrichir la culture et ça va enrichir bien sûr l’esprit. Et on a quand même des histoires, peut-être des « success stories » si vous voulez, dans le français on trouve pas mal de concepts d’origine arabophone et vice versa. Aujourd’hui le mot « djihad » par exemple, ça a été imposé d’une manière un peu politique, parce que vous savez ce qui s’est passé certainement, ça a été imposé médiatiquement, politiquement, etc., mais quand même ça a permis également de comprendre plus le phénomène du terrorisme, à titre d’exemple. Le troisième aspect, à mon avis, c’est une dimension qu’on ne peut pas négliger, c’est la dimension politique. Cette dimension politique, à ne pas négliger bien sûr, elle peut nous mener vers des problèmes qui ne sont pas scientifiques certainement, qui ne dépendent pas des scientifiques, les problèmes de visa, des restrictions successives, qui rendent de plus en plus difficile la circulation des chercheurs, la circulation du savoir, finalement, dans tous les sens, mais qui limite de plus en plus l’espace francophone et ferme de plus en plus les horizons devant les chercheurs francophones. Dans ce cas-là, c’est-à-dire, aujourd’hui, il est plus facile, si vous voulez, d’intégrer dans des réseaux de recherche anglophones que dans d’autres. Aujourd’hui, surtout dans le monde anglophone, anglo-saxon, comme vous voulez, l’usage, si vous voulez, des technologies, l’usage du monde virtuel, etc., est beaucoup plus avancé par rapport au monde francophone. Dans ce cas-là, avec ces restrictions, avec ces problèmes de circulation, donc, petit à petit, les gens migrent de l’espace francophone vers l’espace anglophone et on voit ça tous les jours avec nos étudiants. Une dernière, si tu permets Stéphanie, en 30 secondes, je veux parler d’un autre point qui est l’innovation théorique et méthodologique. Alors, écoutez, la sociologie francophone, c’est une sociologie essentiellement qualitative, malgré tout l’héritage de Durkheim, etc. Mais ces dernières années, la sociologie tend de plus en plus vers le qualitatif. Et on est en train de négliger petit à petit l’aspect quantitatif qu’on trouve, qui est beaucoup plus avancé dans le monde anglo-saxon, et ça a imposé des normes de publication et des normes de travail nouvelles. Donc il faut aussi penser à ce vide qu’on est en train de créer à travers peut-être cette innovation qui tarde encore au niveau de la méthodologie, surtout au niveau de l’utilisation des nouveaux logiciels, des nouvelles technologies, des nouveaux moyens, si vous voulez, qui nous offrent ces technologies-là. Voilà et merci.
00:49:57 Stéphanie Gaudet
Merci beaucoup, Zouheir. Alors j’aimerais vraiment vous remercier chaleureusement pour votre analyse rigoureuse et très éclairante sur les enjeux que nous vivons dans la langue française et dans la langue, comme Luís disait, native, la langue maternelle, donc d’avoir la possibilité de s’exprimer dans sa langue maternelle aussi en recherche. Alors Linda Cardinal, Luís Baptista et Zouheir Ben Jannet, je vous remercie et je vous dis à une prochaine.
[Musique de fond]
00:50:33 Zouheir Ben Jannet
Merci beaucoup.
00:50:34 Luís Baptista
Merci aussi.