Faute de mieux, une chronique de Jindra Kratochvil (www.kratochvil.tv).
Une chronique d'auteur, résolument spéculative, qui s'appuie sur le réel pour aller voir ce qui se trouve de l'autre côté. S'y entassent peut-être de vieilles idées, des rêves inachevés en attente de traitement, des coquilles conceptuelles y parsèment des chemins qui, naturellement, mènent presque partout et nulle part en particulier.
Pendant longtemps nous avons vécu dans un monde immense. Un monde qui s’étendait jusqu’aux frontières tellement lointaines qu’elles en devenaient légendaires, inaccessibles pour de simples mortels.
Lorsqu’on se rendait à l’horizon, par exemple, tout de suite un autre horizon pointait son nez, aussi éloigné que le précédent, voire encore plus.
Et au-dessus de tout ça : les cieux. Inatteignables depuis toujours pour toujours, prenant des couleurs variables en fonction des humeurs et des caprices des dieux qui momentanément y siégeaient -- ou du moins y travaillaient -- en faisant la pluie et le beau temps ou en distribuant des châtiments et des augmentations de salaires.
Hélas, depuis quelques temps, nous sommes au regret de constater que le monde n’est plus tout à fait ce qu’il était. Plus exactement, depuis que nous avons envoyé des machines contenant des spécialistes pour constater ce qu’il y avait à constater à propos de ces frontières légendaires, depuis que nous avons appris à mesurer les dimensions des différentes espèces d’immensités ici ou là, le sentiment de vertige a cédé la place à une victoire dont on se serait peut-être bien passés.
Il s’avère que -- désormais -- nous avons - hélas, et faute de mieux : un ciel à portée de main.
Il suffit de tendre le bras pour chatouiller les nuages, et monter sur un escabeau vous expose aux effets indésirables de la stratosphère !
C’est dire à quel point le monde s’est subitement rétréci. On dirait que nous l’avons malencontreusement lavé à 90° au lieu des 30 habituels.
Nous avons beaucoup de mal à comprendre ce qui s’est vraiment passé.
Serait-il possible que depuis très longtemps nous ayons vécu dans un espace aussi restreint ? Que toute cette immensité vertigineuse ne soit qu’une illusion optique ?
Les spécialistes qui se sont aventurés dans le ciel sont revenus formels et dépités : le monde est finalement beaucoup plus petit que ce que l’on croit. Notre monde est plus petit que ce que nous avions cru. On peut littéralement en toucher les limites. D’ailleurs, on ne s’en prive pas : il y a nos empreintes de partout. Le plafond de verre, le célèbre plafond de verre qui ornait jadis la grande coupole de notre « «théâtre-monde », est en train de descendre sur nos têtes, au point que nous pouvons distinguer les traces de gras et de ketchup et de nutella laissés par les usagers de l’établissement.
Plus moyen de se débarrasser de nos gaz d’échappements. Plus moyen non plus de se débarrasser de nos ordures. Tout s’entasse un peu partout. Les couloirs sont encombrés, c’est à peine si l’on peut poser un pied devant l’autre pour traverser la pièce.
Et vous dites que l’on doit déménager chaque année dans un appartement encore plus petit ?
Vous avez déjà essayé de pousser les murs planétaires avec vos petits bras ?
Vous avez vu que tous les jours ils s’approchent un peu plus les uns des autres ?
Voilà ce qu’on appelle une situation critique. Ou plus exactement : une situation critique de notre zone critique, de notre zone de vie, La seule de l’univers connu à laquelle nous sommes à peu près raisonnablement adaptés.
Regardez : elle est vraiment toute petite !
Ou alors c’est nous qui sommes devenus trop grands ? Trop gourmands ?
Face à ce ciel qui descend chaque jour un peu plus, il va falloir faire profil bas, apprendre à se faire tout petit, minuscule, in-fi-ni-té-si-mal !
Apprendre a côtoyer tout ce qui nous a jusque-là semblé insignifiant.
Car si ça se trouve, l'horizon vers lequel il s’agit maintenant d'avancer est si près de nous qu’on ne le remarque même pas.