ODIL Le Podcast

Dans cet épisode, nous explorons le phénomène de la désinformation genrée et son impact sur notre société. Comment la propagation de fausses informations et la manipulation des stéréotypes de genre peuvent influencer nos perceptions et renforcer des clichés préjudiciables ? Pourquoi les femmes sont-elles davantage victimes que les homme de désinformation en santé ? Comment éviter les biais de genre inconscients ?

Invitées :
Liens :  

What is ODIL Le Podcast?

Entretiens avec les protagonistes des initiatives de lutte contre la désinformation dans l’espace francophone.

[Musique] Vous écoutez Odil le podcast, une production de la plateforme francophone des initiatives de lutte contre la désinformation. Un podcast animé par Guillaume Kuster et Nelly Pailleux. Odil le podcast, c’est une série d’entretiens avec celles et ceux qui luttent contre la désinformation dans l’espace francophone. [Musique]

Guillaume Kuster : Bonjour à toutes et bonjour à tous, bienvenue dans ce nouvel épisode de la saison 2 d’ODIL, le podcast. ODIL, comme vous le savez, c’est la plateforme francophone des initiatives de lutte contre la désinformation. Elle accueille et met en valeur celles et ceux qui luttent contre les désordres de l’information dans les 88 pays de la francophonie. Et tout au long de l’année, nous accueillons des invités de différentes régions du monde qui luttent contre la désinformation à leur manière. N’hésitez pas à vous abonner sur vos plateformes de podcast préférées pour ne pas manquer la sortie de notre épisode mensuel. Bonjour Nelly Pailleux.

Nelly Pailleux : Bonjour Guillaume, bonjour à tous, bonjour à toutes.

GK : Dans cet épisode, nous allons parler Nelly de la désinformation genrée, c'est-à-dire la désinformation qu'on peut appeler aussi sexospécifique, celle qui se trouve être à l'encontre des femmes. Et nos trois invitées du jour s'intéressent à cette thématique et luttent contre différentes formes de désinformation genrée.

NP : Oui, effectivement, nous accueillons avec nous aujourd'hui Marie Lamensch, qui est coordinatrice de projet au MIGS, donc l'Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits de l'homme de l'Université Concordia au Québec, pour lequel vous travaillez Marie depuis 2007. Vous vous intéressez notamment aux enjeux de sécurité internationale, de haine en ligne, de droits de l'homme et à la désinformation genrée, dont nous allons pouvoir parler un peu plus tard aujourd'hui.

À vos côtés, Johanna Soraya Benamrouche, vous vous connaissez d'ailleurs. Johanna Soraya, vous êtes cofondatrice de Féminisme contre le cyberharcèlement, une association intersectionnelle à l'origine du hashtag #TwitterAgainstWomen. Vous avez notamment mené une étude en 2021 sur la cyberviolence et le cyberharcèlement en France, que nous évoquerons par la suite.

Et enfin, pour compléter ce panel, Ramata Kapo, vous êtes présidente de l'association Excision Parlons-en depuis 2020. Excision Parlons-en est une association qui fait de la lutte contre les MSF, les mutilations sexuelles féminines, et qui a pour objectif d'abord de faire du plaidoyer auprès des institutions, et dans un second temps de faire de la communication et de la sensibilisation sur ce sujet pour former des professionnels.

Alors, en guise d'introduction, je pense qu'il est important de rappeler que la désinformation genrée a différentes conceptions. De manière générale, elle est définie comme, je cite, un « sous-ensemble des abus et des violences misogynes à l'encontre des femmes, qui prend la forme de narratifs mensongers ou trompeurs, fondés sur le genre et le sexe, souvent dans une certaine mesure de manière coordonnée, dont le but est de dissuader les femmes de participer au débat public et à la sphère publique de manière générale » [par le Wilson Center, NDLR]. On voit notamment dans les travaux de Lucina Di Meco, qui est la cofondatrice de #ShePersisted, que la désinfo genrée est définie comme la « diffusion d'informations et d'images trompeuses ou inexactes à l'encontre des femmes dirigeantes politiques, des journalistes et des personnalités féminines ».

La première question que j'ai envie de vous poser à toutes les trois, à commencer par vous Marie, est-ce que vous pouvez nous donner votre définition de la désinfo genrée ?

Marie Lamensch : D'abord, merci beaucoup de me recevoir. Je suis pas mal d'accord avec le Wilson Center, même si je travaille étroitement avec Lucina Di Meco, que je connais bien, dans le sens où elle englobe finalement un plus grand nombre de femmes, pas seulement les journalistes, politiciennes, ou femmes qui sont déjà dans la sphère publique comme des activistes, etc. Je pense qu'il y a beaucoup de femmes qui sont sujettes à la désinformation genrée dès le moment où elles tentent de prendre la parole sur les réseaux sociaux, par exemple. Par exemple, dans le cadre des plateformes de jeux vidéo, des simples joueuses lambda, comme vous et moi si on joue aux jeux vidéo, ces joueuses font parfois face à des campagnes de désinformation organisées par d'autres joueurs masculins. Simplement parce qu'elles critiquent les attitudes ou les techniques de jeu de certains joueurs. Et ces attaques sont coordonnées et peuvent viser des femmes qui n'ont finalement aucun rôle dans la vie politique ou activiste. Mais c'est pour ça que je préférais une définition qui englobe un peu plus de femmes que seulement les femmes politiciennes ou journalistes.

NP : Ramata Kapo, vous travaillez plutôt dans le milieu de la santé, j'allais dire. Vous luttez en tout cas contre les MSF, les mutilations sexuelles féminines, depuis près de dix ans maintenant. Est-ce que vous avez l'impression que les femmes sont davantage touchées par la désinformation en santé, notamment en termes d'idées préconçues ?

Ramata Kapo : Oui, bonjour. Tout d'abord, je voulais déjà vous remercier pour l'invitation. Malheureusement, ce n'est pas vraiment de la désinformation genrée, mais là c'est vraiment de la violence plutôt genrée, qui est destinée spécifiquement aux femmes, quelques fois certaines voix se lèvent pour dire que l'excision et la circoncision sont deux choses identiques. Et c'est là où moi j'en vois que c'est un peu de la désinformation, parce que malheureusement, les mutilations sont destinées spécifiquement aux femmes, contre les femmes. Et pour nous, c'est quelque chose de très important à traiter. Donc oui, pour nous, au niveau de la santé, il y a vraiment de la désinformation.

Et malheureusement, les femmes ne sont pas assez au courant de tout ce qui peut être à trait à leur santé spécifiquement, et notamment dans les thématiques autour des mutilations sexuelles féminines, où elles subissent cette pratique sans en connaître réellement les conséquences sur leur vie au niveau de la santé, au niveau de la sexualité.

GK : Johanna Soraya Benamrouche, je le rappelle, vous êtes cofondatrice de Féministes contre le cyberharcèlement. Sur cette question de la disproportion entre le harcèlement des hommes et celui des femmes en ligne, comment est-ce qu'on peut mesurer ce phénomène-là et cette disproportion ? Vous avez mené une étude à ce sujet d'ailleurs.

Johanna Soraya Benamrouche : Bonjour, merci de l'invitation. Donc moi, je fais partie de Féministes contre le cyberharcèlement, qui est un collectif féministe intersectionnel, qui a été fondé en 2016 et qui est mobilisé contre les violences faites aux femmes, aux filles, aux personnes LGBTQIA+, via les outils numériques.

On a lancé notre première campagne en 2016, suite à une mobilisation organique en ligne, pour aider des jeunes filles, principalement racisées, victimes de revenge porn en ligne, qui n'arrivaient pas à faire supprimer des contenus. Donc on était des dizaines de féministes à essayer depuis plusieurs mois de les aider dans leur dépôt de plainte, le retrait de contenu, la discussion avec les plateformes, et en fait, rien n'était fait du côté des géants de la tech ou des autorités pour faire quelque chose et voir retirer ces contenus. Donc on a lancé le hashtag #TwitterAgainstWomen, qui a été la première mobilisation en ligne digitale et massive qui parlait des cyberviolences en France. Sur nos médias sociaux et qui a permis de révéler par des témoignages, des articulations, des analyses, que de nombreuses personnes étaient touchées. Ça a eu un écho à auprès de centaines de milliers de personnes qui ont témoigné, qui ont relayé.

Et à partir de là, on a travaillé à créer des outils, principalement d'information, de sensibilisation et d'autodéfense numérique, pour mettre des mots sur des phénomènes qui se passaient en ligne et qui étaient peu politisés. Donc à l'époque, on parlait beaucoup d'Internet et du cyberharcèlement que dans le milieu scolaire, comme quelque chose que les jeunes vivent et qui va un peu trop loin, avec distance. Or, nous, on a vu très vite qu'au même titre que les violences hors ligne, dans la vraie vie, mais je n'aime pas trop cette expression parce qu'Internet, c'est aussi la vraie vie, dans les violences hors ligne et en ligne étaient interdépendantes, qu'elles avaient un écho l'une avec l'autre, et qu'au même titre que toutes les oppressions et les discriminations qu'on peut vivre au travail, dans la famille, à l'hôpital, à l'école, les violences sur Internet, les médias sociaux, en messagerie privée, par les jeux vidéo et tous les outils numériques avaient un impact très fort sur la vie sociale, la santé des victimes, mais également prenaient naissance avec les mêmes ressorts, que sont la culpabilisation des victimes, le slut-shaming, c'est-à-dire ramener toujours les femmes, les jeunes filles, les personnes sexualisées comme telles, donc LGBTQIA+, à une présupposée honte, un présupposé stigma autour de leur sexualité, de la revendication de leur sexualité, qui mériterait qu'on les punisse.

GK : J'aimerais poser la question à toutes les trois, mais peut-être en commençant par Marie Lamensch, sur les auteurs de cette désinformation genrée, qui sont-ils et sont-ils organisés ?

ML : Ce qui est effrayant, c'est que c'est souvent par des gens qui font déjà partie des hommes, qui font déjà partie de la sphère publique, et c'est pour ça que ça va être souvent des politiciens, par exemple, si on regarde les élections. Moi, je regarde pas mal comment les régimes autoritaires s'en prennent directement aux femmes, si on regarde ce qui se passait au Brésil, par exemple, avec Jair Bolsonaro, c'était lui qui vraiment organisait les campagnes, il s'était créé vraiment un groupe de soutien, de trolls, etc., qui s'en prenait directement à des femmes journalistes, qui essayaient de révéler les malversations du gouvernement. Donc c'est ça, c'est important quand on regarde les discours haineux de tous genres, de voir qui est le messager, et souvent le messager va déjà être dans une position de force, c'est certain, il y a déjà son petit groupe autour de lui qui va l'aider à coordonner toute cette désinformation.

NP : Est-ce que vous pouvez nous parler, Johanna Soraya, des auteurs ? Qui sont les auteurs, qui sont les instigateurs de ces violences-là ?

JSB : Alors nous, ce qui ressort de notre dernière enquête, c'est que 74% des personnes impliquées dans la perprétation des cyber-violences sont des hommes. Et du coup, même quand il y a des femmes impliquées, des femmes qui relaient, des jeunes filles qui relaient, nous, ce qu'on a remarqué très souvent, c'est qu'elles sont conduites et perpétrées avec un projet vraiment de destruction de l'intégrité physique, psychique par des hommes, et aussi que très souvent, ces personnes sont connues. Donc tous les discours sur l'anonymat, sur Internet, etc., c'est à relativiser de notre point de vue, parce que les personnes qui vivent des violences conjugales, par exemple, des personnes qui vivent du harcèlement scolaire, du harcèlement au travail, voient leurs agresseurs s'étendre et attaquer leur espace digital également. Donc, comme pour les violences sexuelles, des personnes qui sont très souvent au contact des victimes dans d'autres espaces de leur vie.

NP : Cette désinformation, vous en parliez tout à l'heure, Ramata Kapo, qui s'appuie sur des mauvaises interprétations des idées reçues. Alors, vous avez parlé du rapprochement qui est fait, notamment, entre l'excision et la circoncision. Est-ce que vous pouvez nous parler d'autres idées reçues que vous devez contrer et la façon dont vous arrivez à lutter contre ces idées reçues au sein de votre association ?

RK : Oui, bien sûr. Les idées reçues autour des mutilations sexuelles féminines sont multiples et sur plusieurs aspects. La première est l'une qui revient sans cesse, qui est celle autour de la religion. Souvent, il est dit que les mutilations sexuelles féminines sont dictées par la religion, notamment musulmane. Et souvent, cette idée reçue est portée par des dignitaires religieux qui sont, comme vous le savez, des hommes. C'est aussi un moyen de valoriser, de donner un sens un peu spirituel à cette violence qui est faite aux femmes. Et c'est vrai que souvent, les femmes, comme elles sont dans une situation où la religion est assez importante pour elles, elles subissent cette violence sans dire un mot. Et ça, c'est quelque chose pour nous qui est très important, et nous travaillons beaucoup dessus. Et notamment avec des dignitaires religieux qui, eux, ont la connaissance parfaite des textes, et qui nous aident à montrer que non, ce n'est pas parce qu'on est une femme qu'on doit subir les mutilations sexuelles féminines, et surtout qu'elles ne sont pas dictées par la religion. Ça, c'est la première des idées reçues qui revient sans cesse.

Et la deuxième des idées reçues, c'est autour de la santé et de la sexualité. C'est que souvent, on entend qu'une femme qui a été mutilée, c'est une femme qui ne peut pas avoir de plaisir sexuel. Et pour moi, c'est une désinformation parce que ça met la femme dans une position où elle ne vit que par rapport à un organe qui est le clitoris, et qui a une fonction, c'est de procurer du plaisir. Et on sait que la femme ne peut pas être réduite qu'à ça. Donc, c'est aussi un combat que nous menons au quotidien avec les professionnels de santé. Et c'est la raison pour laquelle nous sommes présents auprès des professionnels de santé, notamment les médecins, pour leur donner l'information exacte pour qu'à leur tour, ils puissent accompagner les femmes sur cette thématique-là.

Et après, vous avez toutes les autres idées reçues autour de la coutume, la tradition et la religion que nous sommes sans cesse obligés de combattre et d'en discuter pour que ces idées reçues cessent. En tout cas, pour vous dire en règle générale, les mutilations sexuelles féminines sont teintées d'énormément d'idées reçues. Et c'est vrai que l'éducation pour nous est très importante et surtout l'éducation, malheureusement, de ces femmes, qui n'est pas, pour le moment, présente dans beaucoup de pays.

GK : Marie Lamensch, vous voyez hocher la tête quand on entend parler de manipulation de l'information, en tout cas sur des interprétations qui sont largement taillées pour pouvoir correspondre à une idéologie. Vous observez la même chose dans la désinformation contre les femmes dans le monde politique et le monde du journalisme, où on fait référence à des textes, à des paroles qui, au final, ne racontent pas du tout ce que les personnalités leur font dire ?

ML : Oui, c'est ça. On fait vraiment aussi appel à des idées complètement fausses, mais qui existent depuis longtemps sur les femmes, comme quoi elles sont moins intelligentes. Par exemple, quand on s'attaque à elles, quand on voit les discours, pour essayer de les discréditer, c'est toujours la même chose. On s'attaque principalement à comment elles parlent, par exemple, la tonalité de leur voix, à quoi elles ressemblent. On ne va pas s'attaquer à leurs idées. Par exemple, quand un politicien va s'attaquer ou critiquer un homme, il va s'attaquer plutôt à ses idées politiques.

Alors qu'avec une femme, souvent, ce qu'on va voir, c'est s'attaquer à son aspect physique, à sa voix. On dit souvent d'une femme qu'elle aurait la voix de crécelle, etc., ou qu'elle aurait un aspect un peu folle. Et ça existe depuis très longtemps. Déjà, dans l'Antiquité grecque, quand une femme prenait la voix sur la place publique, on voyait des dessins d'elle avec des serpents à la place des cheveux. On disait qu'elle avait l'air d'une crécelle, qu'elle avait l'air d'une sorcière, etc. Et on retrouve exactement la même chose. Par exemple, quand l'ancien président Trump s'attaquait à Hillary Clinton, il critiquait sa voix, son aspect physique, ses cheveux, il disait qu'elle avait l'air de rien. C'est la même chose qu'on retrouve sur les réseaux sociaux aussi. On s'attaque plus au corps des femmes qu'à autre chose.

NP : Oui, effectivement. C'était d'ailleurs l'objet de ma question suivante. On voit qu'il y a, de manière consciente ou inconsciente, des biais de genre dans la façon de traiter les femmes et les hommes. Comment on fait, globalement, pour déjà prendre conscience aux personnes dans le pouvoir politique, mais même aux gens de manière générale, de ces biais de genre-là ?

ML : Moi, je m'intéresse ces derniers temps pas mal à l'intelligence artificielle, et particulièrement à l'intelligence artificielle générative. On a maintenant ChatGPT, mais on a aussi tout ce qu'est le générateur d'images par l'IA. Et je trouve que c'est un outil vraiment intéressant pour remarquer à quel point tout ce qui se trouve sur Internet, comme contenu, toutes les données qui nourrissent l'intelligence artificielle, à quel point c'est biaisé envers les femmes, les minorités ethnies, les LGBT+.

Par exemple, si on demande à un générateur d'images de nous donner une image d'un avocat, tu fais la recherche, ce que tu as comme réponse, c'est un avocat. Pour un avocat, c'est un homme blanc, vieux, avec une barbe blanche. Si tu demandes à un agent de bord, ça va être une jeune femme très belle, presque hyper sexualisée, d'une hôtesse de l'air. C'est en fait tout le contenu qui va nourrir l'IA. Quand on demande des photos de femmes, ça va être hyper sexualisé, voire parfois à la limite du pornographique, parce que justement, tout ce qui se trouve sur Internet, il y a énormément d'images pornographiques, énormément de désinformation sur les femmes, et donc ça se nourrit de ça. Donc je pense que ce sera un bon outil que beaucoup d'entre nous utilisent, justement l'IA générative d'images, pour comprendre à quel point tout ce qui se trouve sur Internet, toutes les données, ne sont absolument pas neutres.

GK : Ramata, vous parliez tout à l'heure d'éducation des jeunes femmes, et parfois de déficit aussi pour cette éducation-là. Est-ce que vous pensez que ces biais sont un challenge supplémentaire ? Parce que les informations disponibles, il faut bien faire le tri pour pouvoir apporter une éducation qui soit utile aux jeunes femmes dont vous vous occupez.

RK : Oui, totalement. C'est exactement ça. Et nous, ce que nous encourageons pour contrer un peu ces biais-là, c'est de justement donner la parole à ces femmes pour qu'elles-mêmes puissent aller à la recherche de l'information. Et par exemple, comme a dit notre collègue, excusez-moi, j'ai oublié votre prénom, effectivement, les informations souvent sont données, même si c'est sur la thématique des mutilations sexuelles féminines, c'est souvent au regard des hommes. Et c'est important pour nous que les femmes puissent prendre la parole, qu'elles soient encore plus visibles, et qu'elles puissent parler et témoigner de ce qui leur arrive pour qu'elles-mêmes puissent être dépositaires de ce qui est dit, de ce qui est entendu. Et malheureusement, ce sujet étant tabou, on n'entend pas beaucoup de femmes.

Mais bon, les choses avancent. Nous, nous travaillons beaucoup dans l'éducation et notamment l'éducation des jeunes filles sur ces sujets-là pour leur donner les formations, les informations, pour qu'à leur tour, elles puissent donner les informations exactes. Et je pense que plus les femmes prendront la parole, plus les femmes seront à la manœuvre et plus on pourra contrer tous ces biais qui sont présents aujourd'hui à la fois sur les réseaux sociaux et aussi dans le monde politique sur ces différents sujets, et notamment de mutilations sexuelles féminines.

NP : Vous avez toutes les trois participé à des missions de conseils pour des hauts sommets. Johanna Soraya, en janvier, votre association était à l'UNESCO pour participer au Dialogue mondial sur la désinformation genrée en ligne. Quelles sont les solutions, j'ai envie de vous poser exactement la même question, quelles sont les solutions aujourd'hui qu'on peut trouver à la désinformation genrée, notamment en ligne ?

JSB : Alors nous, du coup, on se salue qu'il y ait des directives européennes qui amènent à commencer à penser la responsabilisation des acteurs privés et des plateformes dans la propagation de contenus haineux. Donc c'est vrai que toutes ces nouvelles articulations autour des discours de haine qui nuisent à la démocratie, à la mobilisation des citoyens et des citoyennes, pour nous, ça va dans le bon sens. C'est vrai qu'à échelle étatique, il va falloir appliquer ce Digital Service Act et en faire quelque chose de contraignant. Alors contraindre et aller plus loin dans la loi sur les agresseurs, pour nous, c'est limité, l'impact sera petit et peut-être pas ce qu'on recherche, puisque notre arsenal législatif est assez bien doté. Il y a pas mal de lois qui ont été passées, on a participé à l'élaboration d'un projet de loi sur notamment les vengeances pornographiques. Donc en fait, on a besoin de moyens pour que tout le monde soit formé à ne pas culpabiliser les victimes, à recueillir des preuves, à ce que les frais du coût de justice pour notamment monter un dossier, accéder au droit, que ce soit facilité, chose qui n'est pas faite. Actuellement, faire constater des preuves par un huissier, c'est très cher, donc on a besoin de la gratuité. En fait, nous, on demande la gratuité pour ces parcours, les parcours psy également, de santé et de protection, tout simplement, puisque ce sont souvent, comme je vous l'ai dit, des personnes qui vivent aussi d'autres violences dans les endroits de leur vie et à hauteur aussi de la responsabilisation, une responsabilisation étatique, sur des sujets comme la culture du viol et l'obligation, normalement, on l'a dans la loi, de voir se dérouler des séances autour de la vie éducative et sexuelle en cours. Ça, en France, actuellement, ce n'est pas le cas, donc on participe à des formations. En général, les élèves, ils ont peut-être une formation sur ce sujet dans l'année. Et là, il y a une formation qui a été proposée dès le 6e, en fait, l'éducation au consentement, l'éducation à la responsabilisation, et en fait, ce qu'on appelle l'intelligence émotionnelle en ligne, ça se fait au travers d'années et d'années, et c'est, comme pour tous les sujets, en fait, liés à des dimensions genrées, de racisme et d'oppression, c'est sur du temps long.

Donc nous, on demande la prévention et des changements de discours qui ne soient pas tournés seulement sur les actions des victimes et comment elles devraient se comporter, ou comment elles devraient s'adapter à la loi de l'agresseur, mais plutôt qui responsabilisent les agresseurs, qui permettent aussi de déconstruire leurs usages par la formation et l'accompagnement. Voilà, donc c'est plutôt notre discours.

GK : Ce que j'entends ancrer aussi en creux dans ce que vous dites, c'est une attente vis-à-vis du règlement sur les services numériques, le DSA en anglais, que la responsabilité des plateformes soit engagée, et qu'elle fasse un peu la police aussi sur, notamment, la désinformation politique, ça c'était une grosse préoccupation, mais aussi sur ce type de désinformation-là, qui est la désinformation genrée, vous attendez à ce qu'elles soient sanctionnées, les plateformes ?

JSB : Oui, donc là, voilà, on a ces espoirs et on a ces textes, après on a entendu beaucoup de choses en nous depuis sept ans, donc on attend de voir dans les faits comment ça va être appliqué, mais évidemment que la propagation de contenus qui par exemple amènent à des délits d'entrave à l'IVG, qui amènent à des discours de haine envers des personnes qui ont été victimes de viol, des raids auprès de la communauté transgenre en France, ça c'est tous les jours que ça se passe, ça vulnérabilise et ça a un impact très concret sur la vie des personnes concernées, et actuellement les plateformes capitalisent sur ces contenus.

GK : Peut-être une question de conclusion à qui voudra bien la prendre, celle de la responsabilité des hommes finalement et de leur implication, est-ce qu'on ne peut pas faire confiance aux hommes pour participer à la résolution de ce problème ?

RK : Mais bien évidemment, alors je vais répondre, je dis qu'il est important de donner la parole aux femmes, mais il est aussi important que les hommes prennent la parole aussi sur ce sujet-là. Par exemple dans la lutte contre les mutilations sexuelles féminines, quand on en parle, on nous dit souvent « ah, c'est une histoire de femmes, ce n'est pas une histoire d'hommes », mais ce qu'on oublie, c'est que les femmes sont mutilées dans l'objectif d'arriver vierges à leur mariage pour pouvoir être mariées à des hommes. Et le fait que les hommes puissent aussi prendre la parole sur ces thématiques-là, pour nous c'est un enjeu fondamental. C'est la raison pour laquelle nous travaillons beaucoup avec des associations et des médiateurs, pour que ce soit une parole partagée. Je ne dis pas que pour contrer les biais il faut que juste les femmes prennent la parole, je dis que chaque personne doit prendre la parole, mais au bon niveau pour que justement tous ces biais puissent être abattus.

GK : Oui Marie, je vous vois réagir.

ML : Je suis complètement d'accord. Quand j'étais aux Nations Unies en mars, pour la commission sur le statut des femmes, qui se basait sur la technologie, particulièrement l'utilisation de la technologie pour s'en prendre aux droits des femmes, il y avait vraiment beaucoup de femmes sur le terrain. On voyait tous les efforts que les femmes faisaient pour s'organiser entre elles, pour contrer la désinformation, pour être certain que la technologie fonctionne pour les femmes, parce que pour l'instant la technologie fonctionne plutôt contre les femmes. Mais en même temps elles disaient qu'on avait besoin des hommes, et il y avait énormément d'hommes. Je me souviens à plusieurs sessions on applaudissait les hommes aussi qui participaient à ces organisations, parce qu'ils ne sont pas beaucoup, et pourtant ils sont accueillis, mais ils ne sont pas beaucoup, et c'est sûr qu'on a besoin d'eux aussi pour faire partie du développement de cette technologie qui fonctionne pour les femmes.

Et en même temps, quand on regarde les grandes compagnies de technologie, aujourd'hui il y a très peu de femmes dans ce milieu-là. C'est vraiment un milieu assez dur pour être une femme, donc même quand on essaie d'y entrer, ce n'est pas facile parce que c'est très misogyne. Donc c'est sûr que c'est toute la culture et toute la structure de ces grandes compagnies de technologie qui doit changer aussi, et ça va prendre énormément de temps.

NP : C'est très intéressant, effectivement, ce sera la dernière question. On a parlé d'éducation, notamment dans le cadre des mutilations sexuelles féminines des femmes et des filles, l'éducation des hommes aussi, évidemment. On a parlé de l'importance de la visibilisation des témoignages des femmes et des hommes. Il y a globalement, dans ce qu'on entend, dans ce que vous dites, la nécessité d'une prise de conscience collective, de travailler avec tout le monde. Il y a quand même une question qui me reste en tête. Vous avez utilisé, Marie, tout à l'heure, l'exemple de Jair Bolsonaro qui va attaquer des femmes journalistes. Il y a des hommes aujourd'hui, en politique notamment, qui sont profondément misogynes. On le voit, on le sait. Je n'ai pas besoin d'utiliser d'exemple. Comment on fait pour ces personnes-là, qui sont déjà de l'autre côté du mur, en fait ?

ML : Pour celles-là, je n'ai pas vraiment d'espoir. C'est plutôt parce qu'ils profitent tellement du modèle aussi économique des plateformes qui encourage plutôt les discours haineux, etc. Quand on voit, par exemple, le gouvernement chinois qui a complètement mené au silence le mouvement féministe en Chine, quand on entend le pouvoir, quand on dirige l'appareil de l'État, quand on dirige comment fonctionnent un peu les réseaux sociaux sur place, pour ceux-là, ça ne va rien changer. C'est plus avec les futures générations, mais aussi, comme je disais, au sein des compagnies de technologie où il faut bien plus de femmes, qui pourraient justement changer les structures mêmes de comment ces technologies sont construites, qui pourraient aider les choses. Mais pour les hommes qui sont déjà profondément misogynes et qui profitent justement de la misogynie pour rester au pouvoir, pour eux, ils ne vont pas laisser passer ça.

GK : Merci à toutes les trois d'avoir participé à cet épisode. Marie Lamensch depuis le Canada, Johanna Soraya Benamrouche depuis la France et Ramata Kapo depuis la France également. Nelly, cet épisode tombe plutôt bien dans le calendrier puisque l'OIF lance un appel à projets.

NP : Oui, tout à fait, l'OIF lance un appel à communication sur la désinformation à l'égard des femmes et des filles, sur le thème plus spécifique, « prévenir et faire face à la désinformation à l'égard des femmes et des filles.» Les contributions seront publiées sur Odil et vous avez au plus tard jusqu'au 16 juillet 2023, 23h59 heure de Paris pour envoyer vos contributions. Vous avez toutes les informations disponibles dans les informations de ce podcast ainsi que sur notre site odil.org.

GK : Et comme d'habitude, les infos dans les notes d'épisodes. Merci de nous avoir suivis. On se retrouve pour le prochain épisode. À très bientôt. Merci.

Merci de nous avoir suivi ! Tous les épisodes sont disponibles dans votre lecteur de podcast favori. Odil, le podcast, c’est une collaboration entre l’Organisation internationale de la francophonie et Check First. Le site de la plateforme francophone des initiatives de lutte contre la désinformation est à retrouver sur odil.org, sur Twitter, @odilplateforme. *Musique*