Les balados du CIRCEM



Résumé : Dans cet épisode des balados du CIRCEM de la Série de conférences Mauril Bélanger, Caroline Caron discute avec Stéphanie Gaudet du livre qu’elles ont co-dirigé, « Faire l’expérience de la démocratie : Les tiers lieux de l’éducation à la citoyenneté des jeunes au Québec », publié aux Presses de l’Université d’Ottawa. Stéphanie Gaudet présente le projet de recherche partenariale dont traite le livre, une ethnographie multisite dans sept initiatives de la société civile québécoise qui œuvrent auprès de jeunes. Elle explique pourquoi ces initiatives sont considérées comme des « tiers lieux » de l’éducation à la citoyenneté démocratique et aborde les discours variés qu’elles mobilisent.
Le CIRCEM tient à remercier le CRSH pour sa contribution financière aux balados.

What is Les balados du CIRCEM?

Les balados du CIRCEM visent à promouvoir la recherche interdisciplinaire sur la citoyenneté démocratique et les groupes minoritaires et minorisés, à partir de la tradition intellectuelle du monde francophone.

EPISODE 1:

[Musique de fond]
00:00:04 Sophie Théwissen-LeBlanc (S.T-LB.)
Les balados du CIRCEM visent à promouvoir la recherche interdisciplinaire sur la citoyenneté démocratique et les groupes minoritaires et minorisés à partir de la tradition intellectuelle du monde francophone. Vous écoutez un de plusieurs balados consacrés à une discussion sur le livre Faire l'expérience de la démocratie, les tiers lieux de l'éducation à la citoyenneté des jeunes au Québec, publié aux Presses de l’Université d'Ottawa. Le livre présente les résultats d'un terrain ethnographique multisite dans sept organisations partenaires issues de la société civile québécoise qui œuvrent auprès d'enfants, d'adolescents ou de jeunes adultes. Il est co-dirigé par Stéphanie Gaudet, qui est directrice du CIRCEM et professeure d'études sociologiques et anthropologiques à la faculté des sciences sociales de l'Université d'Ottawa et par Caroline Caron, qui est professeure au département des sciences sociales de l'Université du Québec en Outaouais. Je m'appelle Sophie Théwissen-LeBlanc et je suis auxiliaire de recherche sur le projet et collaboratrice au livre. Les sept organisations partenaires du projet sont l'Institut du Nouveau Monde, Oxfam-Québec, le Y des femmes de Montréal, le Centre de Pédiatrie Sociale de Gatineau, Exeko, la Commission Jeunesse de Gatineau et le Forum Jeunesse de l'île de Montréal. Dans cet épisode, Caroline Caron discute avec Stéphanie Gaudet du premier chapitre du livre qu'elles ont coécrit. Le chapitre est intitulé “L'éducation à la citoyenneté démocratique dans les tiers lieux de l'éducation.”

[Fin de la musique de fond]

00:01:29 Caroline Caron (C.C.)
Bonjour Stéphanie.

Stéphanie Gaudet (S.G.)
Bonjour Caroline.

00:01:32 C.C.
Notre livre “Faire l'expérience de la démocratie” est le résultat d'un projet de recherche partenariale que tu as dirigé pendant plusieurs années. Avant de plonger dans cette recherche, peux-tu nous raconter sa genèse ? Comment en es-tu venue à t'intéresser à l'éducation, à la citoyenneté des jeunes qui prend place au sein de la société civile ? Et pourquoi avoir opté pour une recherche partenariale ?

00:01:57 S.G.
C'est une bonne question, ça remonte à loin. Probablement que ça remonte à mon engagement étudiant. Moi-même, j'étais une jeune engagée et j’ai collaboré avec l’Institut du Nouveau Monde en tant que chercheure depuis une vingtaine d'années, donc, un peu depuis la formation de l'Institut du Nouveau Monde, et je me suis toujours intéressée à la participation sociale, à l'engagement citoyen, à la participation politique. Puis j'ai beaucoup co-organisé de colloques avec l'Institut du Nouveau Monde, qui est un acteur très important de la société civile au Québec puisqu’il réunit beaucoup d'organisations, beaucoup de projets qui se destinent à soutenir la participation. Et tout particulièrement la participation des jeunes à travers l'école d'été. Alors à travers cette collaboration-là, je t'ai notamment rencontrée Caroline (...)

C.C.
Oui [en riant]

S.G.
(...) parce que toi, tu fais des recherches sur la participation des jeunes sur Youtube notamment, qui est une forme de participation politique, participation sociale très importante et donc à travers ces années-là, j'ai côtoyé plusieurs initiatives jeunesse, puis je voyais à quel point il y a une richesse dans la société québécoise, je dirais. Il y a une richesse parce qu’il y a une pluralité, puis une diversité d'initiatives qui sont peu connues en fait, mais qui existent depuis très longtemps. On a une certaine tradition au Québec dans le soutien à l'engagement jeunesse, mais on l'a peu documenté et avec l'Institut du Nouveau Monde, donc, on avait le projet, on se disait : ça serait intéressant de réunir ces acteurs-là, pour qu'on se parle, pour qu'on décide ensemble de, finalement, qu'est-ce qu'on veut mieux comprendre sur nos pratiques, sur ce qui se passe avec la participation citoyenne, avec le soutien qu'on offre aux jeunes et on a organisé, en 2016, un symposium qui a duré 3 jours. Et durant ce symposium-là, qui a été animé avec des techniques de participation donc propres à l'Institut du Nouveau Monde, qui a développé une expertise dans la consultation publique, on a développé des forums, des cafés, des groupes de discussion pour identifier quels étaient les besoins des praticiens, c'est-à-dire des adultes qui travaillent avec les jeunes, que ce soit dans les écoles primaires, secondaires, dans les organisations de la société civile, mais aussi des chercheurs qui travaillent sur les jeunes. Donc on les a consultés pour identifier les besoins et identifier des projets de recherche qui pourraient être intéressants à tous ces acteurs-là. Et pour moi, c'était évident que, quand on travaille sur la participation, il faut faire une recherche partenariale, une recherche participative ou tout le monde co-créé et participe finalement à l'élaboration des questions de recherche. Alors c'est un peu la genèse, l'histoire de ce projet de recherche-là.

00:05:10 C.C.
La recherche partenariale, c'est quand même une forme de recherche qui est très ambitieuse, hein ? C'est un type de recherche bien particulier qui amène des chercheurs et les chercheuses à produire des connaissances en tandem avec des partenaires qui œuvrent dans d'autres secteurs que le milieu universitaire. De quelle manière as-tu procédé pour recruter des organisations partenaires dans le secteur jeunesse et est-ce qu'il y a eu des défis particuliers que tu as rencontrés là, lorsque tu as tenté d'établir un partenariat avec ces organisations-là ?

00:05:42 S.G.
Ben, c'est sûr que de travailler en collaboration avec des organisations de la société civile, c'est un grand défi parce que ces organisations-là, elles-mêmes, vivent de nombreux défis, je dirais, de survie économique. Alors quand était venu le temps d'organiser le symposium, on a identifié toutes sortes d'organisations, en collaboration avec l'Institut du Nouveau Monde, qui est beaucoup en contact avec ces organisations-là et ceux qui ont répondu à l'appel, bien on les a invités au symposium. Mais le défi, c'était de poursuivre le partenariat. Par exemple, il y a des organisations qui ont participé au symposium comme Mise-o-jeu, par exemple, qui était une organisation de théâtre, de théâtre-forum donc, qui a existé pendant 20 ans dans le paysage québécois, mais qui, au moment où j'ai commencé la recherche, finalement a dû fermer ses portes. Alors j'ai perdu ce partenaire-là. J'étais très triste parce qu’ils ont fait un travail formidable, mais, donc, il a fallu recréer des liens avec d'autres organisations en cours de route et il y a aussi la question du roulement du personnel dans ces organisations-là. C'est qu'on est en contact avec des gens très dynamiques. Là, on fait un projet, mais finalement ces gens-là, ben ils changent d'emploi, ils vont dans une autre organisation parce que le contrat est terminé, parce que l'organisation a perdu sa subvention, etcétéra, donc c'est très très difficile de faire de la recherche collaborative avec des milieux, je dirais, où il y a beaucoup de précarité. Il y a beaucoup de précarité, donc cette recherche-là, ça témoigne également de la difficulté de ces organisations-là à survivre et à faire leur travail. Mais le choix des organisations… donc, nous, en tant que chercheurs, on a un une responsabilité dans notre échantillonnage. C'est toujours un élément important de la recherche, c'est-à-dire qu’il faut avoir des comparatifs. Quand on fait de la recherche, on veut souvent comparer des choses qui sont relativement semblables, mais assez différentes pour pouvoir en faire des distinctions. Alors on avait dans le projet décidé de certaines catégories d'organisation, donc on voulait avoir des initiatives qui portaient sur des expériences de démocratie représentative. Et là, dans ce type d'initiative-là, on a par exemple la Commission Jeunesse Gatineau, qui est un très bon exemple de démocratie représentative où on a des jeunes qui représentent d'autres groupes de jeunes. Un petit peu la même chose avec le programme “Prends ta place à l'école” qui était soutenu par le Forum Jeunesse de l'île de Montréal, et qui soutenait les comités d'élèves à l'échelle des commissions scolaires. Donc eux, ils étaient vraiment dans un type de démocratie représentative. On voulait également des initiatives qui s'inscrivaient plutôt dans un type de démocratie participative. On a un chercheur, Loïc Blondiaux, notamment en France, qui a beaucoup parlé de l'importance de la démocratie participative, c'est-à-dire de l'intérêt de participer entre les élections. Et il y a des organisations qui soutiennent beaucoup ça, notamment l'Institut du Nouveau Monde. Alors on a évidemment choisi l'École d'été comme lieu d'observation et on a Oxfam-Québec également, qui est un lieu d'initiation très très important, dans la question de l'initiation à la démocratie participative. Puis on avait un 3e secteur qui est très important au Québec, je dirais, et c'est sur toutes les initiatives qui soutiennent le changement social. Alors, on a ici le Y des femmes avec son programme “Force des filles, force du monde.” On a le Comité des droits du Centre de Pédiatrie Sociale de Gatineau et on a Exeko qui avait un programme de sensibilisation aux luttes sociales dans le quartier Pointe-Saint-Charles. Alors on a toutes sortes d'initiatives qui représentent différents types de participation citoyenne.

00:09:59 C.C.
Alors, tu as bien fait le portrait de nos 7 organismes partenaires qui ont été les milieux où on a réalisé l'enquête ethnographique. Tu as parlé aussi de la diversité de ces initiatives qui ont été observées et dans notre ouvrage, on utilise le concept de “tiers-lieu” de l'éducation à la citoyenneté démocratique. En fait, on conceptualise chacun de ces terrains d'observation comme des tiers lieux. C'est un concept qu'on emprunte à Ray Oldenburg et Dennis Brissett. Est-ce que tu peux nous expliquer l'importance et la signification de ce concept de tiers-lieu de l'éducation à la citoyenneté?

S.G.
Ben d'abord, la notion de tiers-lieu vient de ces sociologues urbains qui ont observé l'importance d'avoir des espaces dans les villes par exemple –mais on pourrait dire dans n'importe quel milieu de vie– des espaces qui sont en dehors du milieu du travail et du milieu de la vie privée, c'est-à-dire de la famille. Puis eux, ils ont observé les cafés dans les villes, donc l'importance des cafés, surtout dans les villes industrielles où les gens avaient des petits logements, donc c'était très très important d'investir ces lieux-là où les gens pouvaient créer des liens faibles. En sociologie, les liens faibles sont très importants, ce sont des liens avec des connaissances. Ce ne sont pas nécessairement des liens très forts comme avec des gens de la famille, mais ce sont des connaissances. Puis à travers ces liens-là, on a beaucoup d'informations sur notre vie commune, notre vie collective, notre vie de quartier, sur les opportunités d'emploi, les opportunités de loisirs pour les enfants, etcétéra. Donc ce sont des espaces très très importants pour créer un tissu social. Et dans notre projet, donc quand on a fait notre symposium, on avait identifié l'importance de mieux comprendre les pratiques, de mieux comprendre ce qui se passait avec les jeunes et les adultes. Et on avait décidé de faire des ethnographies pour ça. Puis l'ethnographie, c'est quoi ? C'est observer des espaces, des espaces symboliques et donc le concept de tiers-lieu devenait un concept très intéressant au niveau de la recherche parce que nous, au niveau méthodologique, on s'intéressait à des espaces symboliques. On s'intéressait à des espaces physiques aussi, parce que ça se passe dans des lieux particuliers. Puis l'importance de ces lieux-là, l'accueil dans ces lieux-là est très important. Alors le concept de tiers-lieu est devenu une notion avec laquelle on a travaillé, je dirais, plus tard, dans l'analyse, parce que ça nous permettait de bien identifier ces espaces-là, où les jeunes peuvent discuter, peuvent échanger, de manière légère aussi, hein, on n'est pas tout le temps en train de refaire les programmes politiques, on est aussi en train de développer des liens d'amitié, des liens d'affinité. Donc le concept est intéressant. C'est un concept qui est de plus en plus utilisé en aménagement urbain par exemple, ou au niveau des bibliothèques. On va parler des bibliothèques comme des tiers-lieux. Bien moi je pense qu'on peut parler aussi des initiatives d'éducation à la citoyenneté comme des tiers lieux d'éducation à la citoyenneté en dehors de l'école et en dehors de la famille. Et ça, c'est important pour soutenir le tissu social, mais aussi l'éthos démocratique. Puis l’éthos démocratique : qu'est-ce que c'est ? Ce sont les normes culturelles liées à la démocratie. Les valeurs démocratiques de respect des droits, de liberté de parole, aussi de co-création d'objectifs politiques, hein, c'est ça l'État démocratique. Donc il faut avoir des lieux, des espaces pour pouvoir les cultiver.

[Transition, musique de fond, notes de piano]

00:14:12 C.C.
Tu as évoqué la démarche méthodologique dans cette démarche qui a été préconisée, qui était une démarche inductive. Les observations effectuées sur les différents terrains de recherche ont progressivement enrichi le cadre théorique qu'on avait établi au départ. Peux-tu nous expliquer comment le cadre théorique a évolué au fur et à mesure que la recherche a progressé ?

00:14:39 S.G.
Quand on a commencé le projet, on a été très inspirées par les travaux de Joël Westheimer, qui avait participé justement à notre symposium et qui est un professeur à l'Université d'Ottawa en éducation. Et lui s'est spécialisé dans les approches critiques de l'éducation et ce qu'il dit –puis ça nous a beaucoup inspiré– c'est que finalement, développer la citoyenneté… (lui, il a étudié les cursus scolaires, donc s’est beaucoup intéressé aux cursus scolaires, surtout aux États-Unis), ce qu’il a démontré, c'est que dans les cursus scolaires, on mettait beaucoup l'accent sur le civisme, c'est-à-dire développer le respect à l'égard des règles, le respect à l'égard des gens autour de soi et beaucoup la participation, notamment à travers le bénévolat. Mais ce sont des formes d'éducation à la citoyenneté qui ne sont pas nécessairement propres au régime démocratique, c'est-à-dire que dans un régime politique totalitaire, on va également faire la promotion du civisme, du respect des individus, de la civilité. On va également encourager l'entraide et la solidarité. Ce qui est propre, vraiment, au régime démocratique et à la citoyenneté démocratique, c'est vraiment d'encourager, de soutenir les discussions autour du changement social et de la justice sociale. Donc pour Westheimer, la question de la justice sociale, c'est ça qui distingue l'éducation à la citoyenneté démocratique. Et je pense que ça a été un élément très important qui nous a influencé. Parce que quand on regarde la littérature, et aussi dans le système d'éducation, on peut dire qu'on fait beaucoup la promotion de l'engagement bénévole ou de l'engagement civique, alors qu’on s'est rendu compte que peut-être que ça devrait être autre chose, la citoyenneté démocratique. Alors quand on est allés sur le terrain, nous, on s'intéressait notamment à des organisations qui encourageaient beaucoup la participation, mais qui étaient quand même assez orientées vers la justice sociale. Alors ces catégories-là, de Joël Westheimer, devenaient –pas qu’elles n’étaient pas pertinentes, elles étaient pertinentes– sauf que toutes nos initiatives étaient finalement orientées vers la justice sociale [rire conjoint]. Alors il fallait, il fallait trouver comment on peut bien mieux distinguer, raffiner finalement, notre analyse par rapport à ce qu'on voyait sur le terrain. Alors il y a un texte de Sant qui est une autrice, Edda Sant, qui est paru en 2019, qui, elle, fait une méta-analyse, c'est-à-dire, elle analyse tous les discours dans, surtout les théories en éducation, ce qu'on dit sur l'éducation à la citoyenneté démocratique. Elle note qu'il y a 6 grands discours : le premier discours porte sur la citoyenneté libérale qui est le propre de nos organisations parlementaires actuelles, c'est-à-dire, il ne faut pas mêler ça avec le néolibéralisme, ce n’est pas tout à fait la même chose. Donc c'est l'organisation libérale, la représentation. Il y a beaucoup d'initiatives qui mettent l'accent là-dessus. La représentation politique, c'est ça. Ensuite, il y a beaucoup de discours qui portent sur le délibératif, donc l'argumentaire : comment on trouve des solutions ensemble. D'autres discours qui mettent beaucoup l'accent sur l'importance du participatif. Et là, on rejoint beaucoup les théories de John Dewey qui va mettre l'accent sur la participation collective. C'est de la délibération, mais une délibération qui nous amène vers l'action collective. Ensuite, il y a des discours qui mettent beaucoup l'accent sur la citoyenneté critique. On peut mettre Joël Westheimer dans ce type de discours-là, mais on peut aussi mettre les travaux de Paul Carr et Gina Thésée qui s'intéressent beaucoup à cette citoyenneté critique et antiraciste. On a des discours qui sont plutôt sur la citoyenneté multiculturelle, c'est-à-dire une citoyenneté critique, mais vraiment axée sur la question des identités. Et on a tout un discours aussi qui porte sur une démocratie agonistique. Là, on retrouve les travaux de Chantal Mouffe et Laclau notamment, qui portent sur l'importance des conflits en démocratie. C'est qu'on ne peut pas vivre en démocratie sans conflit et c'est sain d'avoir des conflits. Alors ces 6 discours-là nous ont aidés à mieux comprendre, je pense, ce qui se passait dans sur nos terrains, de voir que dans ce qu'on observait souvent, il y avait plusieurs de ces discours-là. Ce n’est pas comme s’il y avait une organisation qui défendait un discours. Mais en fait ces discours-là co-existaient dans chaque initiative, puis nous, ce qu'on a vu, c'est qu'il y avait aussi sur le terrain des discours chez les jeunes qui portaient sur l'écocitoyenneté. Donc beaucoup de jeunes parlent de l'importance de la citoyenneté, du lien d'appartenance à la planète en général et au vivant. Et, je dirais beaucoup de discours aussi liés au care, c'est-à-dire aux éthiques féministes du prendre soin, de la sollicitude, puisqu’ils apportent beaucoup d'importance aux émotions, c'est-à-dire à prendre soin des gens dans les situations de conflit, dans les situations de discussion. Une grande importance à l'inclusion aussi des différents points de vue. Alors nous, on a trouvé 2 autres types de discours, mais toute cette réflexion théorique-là nous a vraiment amenées à pousser plus loin notre analyse, ce qui est le propre des analyses inductives, c'est-à-dire qu’on part avec des concepts sensibilisateurs comme ceux que nous avait fournis Joël Westheimer. Puis on a vraiment approfondi notre analyse avec d'autres concepts qui sont venus un petit peu plus tard avec le terrain.

C.C.
Tu l'as bien évoqué, nos enquêtes ethnographiques ont révélé qu'en fait, aucune initiative jeunesse ne se situait dans un seul discours sur l'éducation à la citoyenneté des jeunes. On s'est rendu compte tout au long de la progression de la recherche que les typologies existantes ne nous permettaient pas de rendre compte adéquatement de nos observations sur le terrain des expériences vécues par les jeunes. Est-ce que tu peux nous donner des exemples concrets qui montrent cette mixité des discours, cette présence simultanée de plusieurs discours au sein d'une même initiative? Est-ce qu’il y a des exemples particulièrement frappants que tu pourrais nous présenter ?

S.G.
Ben je pense que l'exemple peut-être le plus frappant de pluralité de discours, c'est probablement celui de l'École d'été de l'Institut du Nouveau Monde, donc de l'INM, puisque leur objectif, c'est justement d'inviter des jeunes pendant 4 jours à une école d'été où on va les exposer à une diversité de perspectives sur la démocratie, une diversité également de perspective sur la façon de s'engager en société. Alors dans l'École d'été, on va faire la promotion, notamment beaucoup du discours sur la démocratie libérale parce qu’on va inviter des politiciens à venir débattre. On va parler d'élections, on va parler de démocratie représentative. On va beaucoup inciter les jeunes… Le modèle de l'École d'été est beaucoup basé sur la démocratie participative et délibérative puisque les jeunes sont invités à s'engager dans des profils. Alors ils décident : “moi je vais aller dans le profil artistique” ou “je vais aller dans le profil citoyenneté numérique” ou “je vais aller dans le profil multiculturel.” Puis, dans ces profils-là, ils doivent développer des projets. Alors là, ils sont mis dans des situations très concrètes où, par exemple, dans le volet multiculturel, ils doivent développer une campagne de publicité sociale sur la sensibilisation. Alors il faut qu'ils discutent, qu'ils délibèrent. Quelles sont les valeurs importantes ? Quel message ils veulent transmettre? Concrètement, comment on met ça en place? Comment on passe à l'action ? Alors on est vraiment dans du délibératif, dans du participatif. On touche aussi à plusieurs aspects critiques et souvent, ce sont les jeunes entre eux qui amènent ces éléments critiques-là. Je me souviens par exemple du profil “entrepreneuriat social” où les facilitateurs parlent de comment devenir entrepreneur. Et il y a des jeunes dans la salle qui sont très critiques de ce discours-là parce qu'ils disent, “finalement, dans le chantier de l'économie sociale, on fait un peu la même chose.” Sauf que c'est collectif. Comment on distingue l'entrepreneuriat social du chantier de l'économie sociale ? Donc eux-mêmes viennent avec des perspectives critiques. Parfois, ce sont aussi des conférenciers qui ont des perspectives critiques et on a l'aspect agonistique, également, parce qu’on accepte le fait à l'École d'été qui va y avoir des conflits. On ne dit pas des conflits : ça ne veut pas dire des batailles, ça ne veut pas dire des conflits. Mais il va y avoir des divergences d'opinions. Il va y avoir des débats et les gens ne seront pas d'accord et ça fait partie de l'apprentissage de l'École d'été. Donc, dans cette capsule-là de l'École d'été, qui dure 4 jours, qui est très très intense, on a à peu près tous ces discours. Mais on peut le voir aussi dans d'autres groupes parce qu’avec le Comité des droits du Centre de Pédiatrie Sociale de Gatineau, on voit vraiment un discours critique sur la défense des droits des enfants. Mais à la fois, un discours sur le care, parce qu'on prend bien soin d'enfants, qui sont plus vulnérables. Donc il y a toujours une pluralité de discours qui sont portés par les initiatives. Puis, ce qui est intéressant, c'est que les gens qui animent ces initiatives-là, ils n’ont pas le temps d'analyser ou d'identifier : “voici les discours que je défends.” Et eux, ils étaient heureux de participer à la recherche justement pour qu'on rende explicite ce qui est implicite dans leur travail.

00:25:15 C.C.
Bien, merci beaucoup Stéphanie de nous avoir donné ce grand aperçu général de la recherche et de notre chapitre “L'éducation à la citoyenneté démocratique dans les tiers lieux de l'éducation.” [Musique de fond] Je suis certaine que ça aura piqué l'intérêt, la curiosité des personnes qui nous écoutent.

S.G.
Merci Caroline.

S.T-LB.
Vous venez d'écouter un épisode de la série “Les balados du CIRCEM” de l'Université d'Ottawa. L'invitée était Stéphanie Gaudet. Animation par Caroline Caron. Scénario et narration par Sophie Théwissen-LeBlanc. Réalisation par Marie-Hélène Frenette-Assad. Le livre Faire l'expérience de la démocratie, les tiers lieux de l'éducation à la citoyenneté des jeunes au Québec est publié aux Presses de l'Université d'Ottawa. Les autres auteurs qui ont contribué au livre sont Brieg Capitaine, Hérold Constant, Alexandre Cournoyer, Emilie Drapeau, Mariève Forest, Maxime Goulet-Langlois et François Marchand. Nous remercions la quarantaine d’étudiants, de chercheurs et de représentants de la société civile qui ont contribué de près ou de loin au projet de recherche. Nous remercions aussi le Conseil de recherches en sciences humaines qui a permis la réalisation de la recherche et la production de ce balado. Pour en savoir plus sur le projet de recherche partenariale, vous pouvez visiter le site web educationetdemocratie.ca.