Soigner jusqu'à se briser

🎙 Épisode 0.17 : « Comment soigner un système qui fabrique sa maladie ? » – Johanne Bernier, M.Ps.,psychologue et ex-cadre

Dans le réseau de la santé, on parle beaucoup de chiffres, de performance, de cibles. Mais est-ce qu’on prend encore le temps de s’écouter? Est-ce qu’on fait confiance à celles et ceux qui soignent sur le terrain?

Dans ce nouvel épisode de Soigner jusqu'à se briser, mon invitée, Johanne Bernier, M.Ps., est psychologue, consultante et ancienne cadre du réseau. Avec plus de 30 ans d’expérience comme clinicienne, enseignante et gestionnaire, elle parle sans détour de la bureaucratie, de la culture du contrôle… mais aussi de ce qu’on oublie trop souvent : la confiance, la vulnérabilité et le vrai sens du mot « soigner ».

💡 Ce qu’on aborde dans cet épisode
  • Quand un système de santé en vient à fabriquer la maladie
  • Le « top-down » et la culture du contrôle : pourquoi ça ne marche pas
  • Revenir à l’essentiel : écouter, faire confiance, soigner avec le cœur
  • Comment bâtir des équipes vivantes plutôt que des usines à performance
  • La vulnérabilité comme moteur de changement collectif
  • Pourquoi il faut sortir du « parascolaire » et redonner une vraie place à l’humain
📢 Citations marquantes

 « On a normalisé la maladie. »
 « Comment soigner un système qui fabrique la maladie? »
 « Un système de santé vivant, c’est un système où ça circule dans tous les sens. »

👤 Invitée

Johanne Bernier, M.Ps., est psychologue et consultante. Elle a travaillé pendant trois décennies au croisement de la santé et de l’éducation, occupant des rôles de clinicienne, d’enseignante et de cadre. Sa passion : aider les personnes et les équipes à se développer, à collaborer réellement, et à retrouver le cœur de leur mission.

🆘 Ressources et soutien
  • 📞 1-866-APPELLE (277-3553) – Ligne québécoise de prévention du suicide
  • 📞 811, option 2 – Info-Social
  • 💬 535353 – Texter un·e intervenant·e
  • 💻 Suicide.ca – Service d'aide professionnel et confidentiel offert 24 h sur 24, 7 jours sur 7
  • 💡 PAMQ.org – Programme d’aide aux médecins du Québec
🎧 À propos du balado

Soigner jusqu’à se briser est un balado documentaire qui donne une voix aux soignant·e·s et à leurs proches, créé et animé par Steven Palanchuck, MD.

Une production de VociNova – La Nouvelle Voix des Soignant·e·s
Diffusée par @MedicaBot

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Le balado sur Instagram : @soignerjusquasebriser 💙
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TikTok : https://www.tiktok.com/@steven.palanchuck

🔎 Mots-clés

santé, confiance, communication, soins, performance, humanisme, vulnérabilité, collaboration, anxiété, mindfulness, gestion, système de santé québécois, burnout médical, psychologie organisationnelle

Créateurs et invités

SM
Hôte
Steven Palanchuck, MD
Médecin et fondateur de VociNova – La nouvelle voix des soignants. Créateur du balado Soigner jusqu’à se briser et de MedicaBot - Dialogue & Dx, il met en lumière la détresse des soignants et les enjeux du système de santé.

Qu'est-ce que Soigner jusqu'à se briser ?

« Soigner jusqu’à se briser » est un balado documentaire francophone qui explore la détresse des soignant·e·s principalement du Québec à travers des témoignages bruts et des discussions avec des proches et des expert·e·s. Entre pression du métier, traumatismes accumulés et failles du système, nous posons une question essentielle : qui soigne celles et ceux qui soignent?

Comment ça se fait que les ordres viennent d'en haut et qu'ils n'écoutent pas par en bas?

Je me suis rendu compte qu'on ne veut pas écouter en haut.

Ah non!

On veut gérer, on veut contrôler le plus souvent.

Mais non.

On le plus souvent.

Parce que ça a des implications, ça.

Ça a des grosses implications sur le système.

comme tu disais tantôt.

Oui!

Puis comment on développe un lien de confiance?

Ça veut dire s'exposer.

Ça veut dire devenir vulnérable.

Bonjour et bienvenue à "Soigner jusqu'à se briser".

J'espère que vous allez bien.

Je m'appelle Steven Palanchuck et vous écoutez le 17e épisode hors série du balado.

Ces jours-ci, on parle pas mal de chiffres, de performance, de cibles, mais la vraie
question que je me pose, c'est : est-ce qu'on prend encore le temps de s'écouter?

Est-ce qu'on fait encore confiance à celles et à ceux qui soignent sur le terrain?

Mon invitée d'aujourd'hui, Johanne Bernier, est psychologue et consultante, puis pendant
plus de 30 ans elle a touché à pas mal de rôles...

clinicienne, enseignante, gestionnaire et cadre dans le réseau de la santé et de
l'éducation.

Partout où elle est passée, elle a gardé la même passion, aider les personnes puis les
équipes à se développer, à mieux collaborer puis à réellement écouter ce qui se passait

dans les cœurs.

Dans notre échange, Joanne parle avec une grande franchise de tout ce qu'elle a vécu...

la bureaucratie, la culture du contrôle...

mais aussi de ce qu'on oublie un peu trop souvent de parler : la confiance, la
vulnérabilité puis le vrai sens du mot "soigner".

C'est conversation qui fait réfléchir, puis je vous souhaite une bonne écoute.

Première question pour toi, pourquoi as-tu accepté de partager à ce balado?

J'ai accepté parce que d'abord j'étais curieuse.

Curieuse de voir et d'entendre ce qui se fait, ce qui se dit et le thème me rejoint et
m'interpelle tout particulièrement étant, je dirais, un pied dans le réseau de la santé et

un pied à l'extérieur aussi depuis plusieurs années.

C'est un thème...

la souffrance, mais aussi particulièrement le bien-être de l'ensemble des partenaires, des
gens qui gravitent dans et autour de ce système-là.

C'est à peu près tout le monde.

J'aime profondément les gens et c'est pour ça que je suis dans ce système-là et c'est
aussi pour ça que des fois il faut que j'en sorte parce qu'il faut faire attention à soi.

J'ai le goût aussi de partager mes idées qui ne sont pas toujours conventionnelles.

Et je dirais des fois qu'elles peuvent choquer un petit peu, donc ça va peut-être brasser
les cartes si je peux le faire.

Si je peux le faire avec quelqu'un qui est, je pense, qui est là aussi et plein de gens
avec nous autres aussi qui ont le goût de réfléchir à comment, ensemble, on peut faire des

choses qui vont nous faire du bien, tant mieux!

Une des choses que je répète dans beaucoup d'épisodes, c'est que si on veut avoir des
résultats différents, il faire les choses différemment.

Comme disait Einstein, c'est sûr que si on est dans ce système-là et qu'on n'a pas
l'humilité de réaliser qu'on fait partie de ce système-là, on ne se donnera pas la

permission d'essayer des nouvelles choses pour avoir des résultats différents.

Oui, puis je peux faire du pouce sur ce que tu viens de dire.

Einstein disait aussi que ça prend des gens qui pensent différemment pour agir sur un
problème qu'on a créé.

Donc les problèmes que l'on crée, pour dire des fois, j'ai l'impression quand on est dans
le réseau qu'on est une usine qui non seulement traite la maladie, mais fabrique la

maladie.

Il faut avoir des gens

qui sont capables d'avoir un regard différent pour être capable d'aller ailleurs.

Ça a été quoi ta trajectoire dans ce système-là?

Parce que tu as maintenant une perspective pas mal plus globale, je pense, qu'au début de
ta carrière, comment as-tu évolué à travers ça?

J'ai deux formations.

J'ai une formation en psycho clinique et je voulais pouvoir m'amuser en psycho dans le
plus de milieux possible.

J'étais allée aussi étudier après ça en développement organisationnel.

Donc, j'ai essayé de marier la psycho clinique et aussi en prenant

du recul dans les systèmes.

J'ai commencé à faire des stages dans le réseau de la santé.

Je vais te dire exactement ce que je me suis dit, ça fait longtemps, à peu près il a 30-35
ans.

C'est fou raide !

Je ne pourrai pas rester là-dedans à faire aller dans de l'innovation, déployer sa
créativité, jouer dans de la transformation.

Comment je vais faire ça?

Puis aujourd'hui, encore une fois, je suis à temps partiel avec une équipe formidable

qui est prête à regarder à faire les choses autrement, trouver le courage aussi de
travailler dans ces milieux qui ne sont pas toujours faciles.

Qu'est-ce qui t'avait fait dire à l'époque que "c'était fou raide".

Hé!

Écoute, même il y a 30 ans, quand je suis entrée dans le réseau, il y avait le "one size
fits all", je vais le dire comme ça, à un moment donné et puis le "top down".

Ça descendait d'en haut, une commande, puis on va faire ça comme ça, puis voici les
techniques, les bonnes techniques pour le faire.

Puis je me sentais prise dans les cadres alors que des fois aussi je voyais qu'il fallait
que j'en sorte.

La quantité d'ouvrage, on travaillait beaucoup en quantité.

La qualité du travail, on n'avait pas – et encore aujourd'hui je dirais – on ne va pas
beaucoup dans des mesures qualitatives, d'apprécier, de regarder les choses aussi sur le

long terme.

On est dans des solutions rapides.

On est dans de l'efficience, on est dans de la résolution de problèmes, des crises, on
agit dessus, on soulage les symptômes.

Donc, on veut apaiser l'anxiété.

Mais quand on est tout le temps là-dedans – puis l'efficience, c'est de maximiser les
résultats avec

Hmm.

le minimum d'énergie – mais on reste dans des apprentissages, lorsqu'il y en a,
quantitatifs, mais on ne sort pas du système tel qu'il est.

On ne crée rien de nouveau, c'est de l'énergie qui tourne en rond.

Tu parles du moule, j'ai l'impression, dans lequel souvent on essaie de nous faire entrer.

Puis la mentalité top-down, on l'a beaucoup ressentie.

En tout cas, je vais parler pour mon expérience durant la pandémie.

On vivait des choses sur le terrain, on anticipait des besoins en fonction de notre
expérience du terrain.

Puis on avait de la difficulté à faire remonter.

J'ai entendu aussi un des grands cadres du réseau qui mentionnait une conversation avec
l'équipe du ministère qui se demandait pourquoi les idées du ministère ne percollaient pas

jusqu'au terrain.

Moi, d'avoir la réflexion, ça devrait être le contraire.

Les idées devraient remonter

du terrain vers le sommet de la pyramide, mais on dirait que c'est peut-être difficile de
sortir de ce moule-là.

Puis j'imagine, la manière dont tu me parles, ton expérience comme cadre dans le réseau,
gestionnaire, c'était difficile de te faire entrer dans ce moule-là.

Absolument.

Ma dernière expérience de cadre supérieure, j'avais 35 ans.

Il y a des mesures qui venaient d'en haut et dire que tu vas demander ça à tes gens pour
qu'ils le fassent.

Puis je disais non, non, ils en ont déjà en masse, puis c'est pas nécessaire pour qu'ils
fassent leur travail.

J'ai beaucoup de misère avec les mesures, je dirais, de surveillance.

C'est qu'on est dans des systèmes qui cherchent à contrôler.

L'autre affaire que je te disais que j'ai de la misère, les stats, tous les formulaires,
toutes les patentes que...

Écoute, c'est

tellement de temps perdu puis de l'ouvrage pour rien parce qu'on ne se fait pas confiance.

Parce qu'on ne se fait pas confiance.

On est dans un système conventionnel qui a la tête qui pense qu'elle sait mieux que les
gens qui sont sur le terrain puis qui marchent, puis qui vont avec ces commandes-là.

Ça ne marche pas de même dans des systèmes complexes où les problèmes sont de plus en plus
complexes.

Quand j'ai commencé ma carrière comme psy, c'était normal que j'aie dans mon bureau des
jeunes qui venaient pour de l'anxiété.

Juste l'anxiété, ok?

Puis même déjà à cette époque-là, je me rappelle, je disais, ce n'est pas les jeunes que
je veux avoir dans le bureau, ce sont les parents.

C'est pas eux autres le problème.

S'il y a de l'anxiété, c'est quelque chose dans l'environnement qui ne va pas.

J'ai pas envie de traiter le jeune.

Ce sont les parents, c'est l'environnement avec lequel il faut que travaille.

Puis là on est rendu qu'on a normalisé, je dirais, de l'anxiété élevée chez nos jeunes,
chez nos travailleurs.

On a normalisé la maladie et aussi les comorbidités et, en fait, les problèmes.

Puis ce n'est pas ça, un système sain, ce n'est pas ça la santé.

On essaie de rajouter de la tête, de la tête, de la tête pour gérer un système qui a
besoin de retourner dans son cœur, dans son centre, dans la communication.

Les premiers cours que j'avais développés en collaboration avec d'autres, les modèles de
communication, c'est un modèle sain, c'est un modèle

où l'information circule librement dans tous les sens.

Là, on va dire: "Oui, mais on n'est pas capable de mesurer ça, donc on ne veut pas ça."
Mais quelque chose de sain, c'est quelque chose qu'on laisse aller, qu'on va écouter.

On va s'écouter un et l'autre et on va apprendre d'un et l'autre.

De l'apprentissage, pas pour en faire plus, l'apprentissage pour réellement revenir à
notre mission première.

L'article 1 de la LSSS, c'est la santé.

On l'a perdue de vue.

Mais ça veut dire qu'il faut travailler à éduquer, il faut travailler à se parler, il faut
se donner du temps et de l'espace pour ne pas être

surchargé constamment de la tête.

Mais la bonne nouvelle – quand je te dis attention, je vais dire des choses que des fois
les gens n'aimeront pas – la bonne nouvelle, c'est qu'après un Santé Québec, je ne vois

pas ce qu'on peut mettre par-dessus ça.

On est comme rendu au bout de la tête qui remet de la tête, qui remet de la tête.

Parce que la tête n'aime pas ça qu'on lui dise qu'elle se trompe.

Il faut vraiment descendre dans le coeur puis les solutions sont là.

Les gens sont créatifs, les gens veulent travailler ensemble.

C'est vrai qu'on a parfois oublié le sens de ce qu'on fait.

Quand j'entends nos dirigeants dire que tout le monde va avoir un professionnel de la
santé attitré, je me dis : mais dans quel but?

Ça veut dire quoi, soigner une population?

Je pense revenir à cette base, à cette définition-là.

Non seulement il faut impliquer les soignantes et les soignants, il faut impliquer

les patients aussi.

Parce que les attentes aussi par rapport à ce qui est véhiculé dans les médias qui nous
disent, ces cibles de performance-là, c'est ce qu'on s'attend que le système devrait

faire, s'il était performant.

Mais quand on revient vraiment à la base de : "Ça veut dire quoi, soigner?" Quand mon
patient est dans mon bureau, puis quand je lui annonce une mauvaise nouvelle,

que je l'accompagne à travers des épreuves comme un cancer, bien c'est bien sûr que je
veux être capable de prendre le temps et de donner à ce patient-là l'espace qu'il mérite

complètement d'avoir.

Mais c'est sûr qu'à ce moment-là, je ne suis pas considéré performant ou efficient.

Mais la qualité par contre, je pense que moi j'essaie de m'en rappeler maintenant parce
que j'avais

perdu ça de vue.

Mais depuis que je suis capable de reconnecter à pourquoi je fais ce métier-là, d'en
prendre conscience quand je suis avec les patients, avec leur famille, puis de me dire

"Mon Dieu qu'on est chanceux, mon Dieu qu'on est privilégié de faire ce métier-là".

Mais pour avoir l'espace mental d'avoir ces réflexions-là,

il faut quand même avoir un peu de liberté.

Puis souvent, ce cadre-là, ce moule-là dans lequel on essaie de nous faire entrer, c'est
difficile d'avoir cette latitude-là.

Tout à fait.

Tout à fait.

Puis ce moule-là, puis tu sais quand on dit trouver l'équilibre, je pense qu'un cadre,
c'est souhaitable.

En fait, des façons de faire, comme on le disait tout à l'heure justement, avec des
données probantes qui nous permettent de dire, puis des bonnes pratiques qu'on va voir

ailleurs, puis qu'on va vouloir intégrer...

ça a tout du bon.

Mais...

On est de plus en plus face à des situations qui sont complexes, qui font appel à aussi
des fois une réflexion qui demande ce temps-là puis cet espace-là pour être capable de le

faire comme il faut, puis ne pas faire ce qui se passe actuellement.

Je vais donner un exemple, peut-être pas juste dans le secteur où suis, mais dans d'autres
où j'étais allée...

Oui, on faisait ça vite, pour ne pas nommer certains secteurs où nos jeunes avaient droit
à

10 ou 15 rencontres maximum, mais ils arrivent avec des problématiques qui prennent du
temps.

La relation de confiance à construire prend du temps qui passe par se connaître, défaire
tellement de choses avant de pouvoir reconstruire quelque chose aussi qui fait du bien et

qui est sain.

Tu ne peux pas faire ça en 10 ou 15 rencontres si tu veux le faire, que ce soit durable,

puis que vraiment on soigne.

Comme tu dis, la notion de soins, prendre soin de...

Mais tu sais, on revient sur la dernière job de cadre que j'ai faite, que j'ai faite à la
gestion à peu près sept ans.

Ce que je trouvais épouvantable aussi, à part le fait que je ne pouvais pas mettre de
jeans, puis que j'étais tout le temps obligée de mettre des affaires, dans lesquelles je

n'étais pas confortable, c'était...

Je parlais avec les autres qui étaient beaucoup plus vieux que moi, puis ils me disaient
"Ah, ah, hier soir j'ai lu tel rapport, il était 11 heures le soir, j'étais dans mon lit",

puis ça ne dort pas.

Puis je me disais "Hé, à 35 ans, est-ce que je vais faire ça pendant 20 ans, moi, pas
dormir?"

Fait que je me suis dit, je me suis dit non, non, non!

J'arrête pas de dire à mes parents que c'est par le modeling, c'est par l'exemple qu'on va
justement changer réellement des comportements, des façons de penser.

Mmh.

C'est d'avoir ce temps et cet espace-là pour prendre du recul, puis se regarder aller,
puis oser faire des choses qui prennent du temps à apprivoiser.

Quand je suis dans des programmes de déconditionnement, je fais de l'exposition
progressive.

Ça prend du temps.

Puis je détends le système nerveux.

Je travaille avec des outils qui prennent du temps, puis humainement.

Humainement.

Je ne sais pas moi, mais on parle d'humanisme et de performance actuellement chez Santé
Québec.

Je sais pas comment on a encore trouvé le moyen de combiner ça, mais on a un petit bout de
chemin à faire sur l'humain.

Enfin, un bon bout de chemin à faire sur l'humain.

Tu mentionnais que tu étais relativement jeune par rapport à tes collègues, 35 ans, comme
cadre supérieur dans le réseau.

Tu avais déjà une fille avec toi à ce moment-là.

Puis est-ce que tu avais autant conscience que maintenant du modèle de rôle que tu étais?

C'est une bonne question.

J'étais consciente de l'importance, je pense, oui, de lui montrer comment c'est important
de faire les choses qu'on aime, comme on les aime.

J'avais une passion pour les gens.

Mais je voulais qu'elle voit l'importance de suivre ses passions et son amour, mais aussi,
quand on dit être présent pour soi, puis être présent pour les gens qu'on aime.

J'aime les gens qui sont

spontané, honnête, qui me donnent l'heure juste parce que c'est avec ça qu'on travaille.

Ma fille, les enfants en fait, ont ça.

À cette période-là, son père travaillait moins et il était en train de faire d'autres
études, donc il pouvait être plus souvent à la maison.

Je me disais que j'étais capable d'être moins là et de prendre plus de temps pour le
travail, beaucoup de temps pour le travail, et qu'il pourrait compenser.

C'était le temps de partir

pour le travail un samedi matin très tôt, puis elle me dit...

Elle dit, "Maman, ce matin, j'aimerais ça aller travailler avec toi.

Je parlerai pas, je dirai rien, je ferai rien, je vais être dans le coin.

Je vais juste être là, mais t'auras pas besoin de me parler." Eh!

Seigneur!

J'ai dit : "Qu'est-ce Qu'est-ce je suis en train de faire?

Non,

non. Non, ça ne peut pas continuer

ça. Ça ne

réaliser à ce moment-là?

La première chose là...

C'est des questions qui se posent.

Pourquoi je fais ça?

Pourquoi je tiens tout le temps à faire le travail que je fais là en le faisant comme tout
le monde le fait?

C'est ça la norme, de travailler comme des fous, littéralement.

C'est-à-dire courir après sa queue tout le temps.

Il y a une partie de moi qui dit, c'est comme ça.

C'est comme ça que ça se fait, on va le faire.

Il y a d'être capable aussi d'en faire autant.

Justement, cette course-là, tout le temps faire plus aussi, puis comment ça vient pas
juste nourrir l'égo, mais nourrir aussi ce besoin-là de performer qui est très fort

actuellement, socialement.

Mais en même temps, en même temps,

J'étais pas moi-même.

C'est pas ça, prendre le temps avec les gens, les écouter.

Si je veux le faire, ça prend du temps, puis je ne peux pas le faire à long terme comme
ça.

Je ne peux pas faire ça.

Je ne suis pas une machine, puis je n'ai pas envie.

Il y a des bouts que ça peut être amusant, mais à longueur de journée, tu sais, tous les
jours, non, OK?

C'est pas ça que je veux faire tout le temps.

Puis...

Ma fille m'a aidée à prendre conscience de ce qui était le plus important pour moi : elle,
ma santé, notre relation, vivre, avoir le temps de s'amuser.

Les gens qui viennent dans mon bureau,

mais ce qui est là, puis ce qui les a l'aiment, c'est le besoin d'avoir du plaisir, besoin
d'entrer en relation, d'avoir une certaine intimité avec les gens qu'ils aiment.

Ce temps, puis...

Oui!

d'être reconnu pour ce qu'ils sont, inconditionnellement.

oui.

Puis j'ai l'impression qu'on est des grands enfants, des fois, dans le réseau de la santé
qui ont besoin justement d'être reconnus.

Beaucoup d'estime, besoin d'appartenance qui fait qu'on reste dans nos conventions.

Puis ce besoin-là de sécurité aussi qui est très fort.

Si on prend le temps avec les gens qu'on aime, avec notre famille, avec nos enfants, on va
y répondre.

Puis là, à partir de ce moment-là, on va pouvoir aller ailleurs.

Ta fille t'a fait un peu reconnecter avec une partie de toi-même que tu avais mise de côté
pour bien performer dans le système.

Oui, bien performer, bien paraître.

On se le dit-tu?

Oui, j'avais l'impression que si je veux faire une différence dans le monde avec ce que je
suis, puis ce que j'ai le goût de porter dans le monde, il fallait que je le fasse en

montant les échelons, en gravissant, en allant dans des jobs de cadres...

puis j'ai vu que pour un certain temps, non, c'est pas vrai, je changerai pas le système.

Comment ça se fait que les ordres viennent d'en haut et qu'ils n'écoutent pas par en bas?

Je me suis rendu compte qu'on ne veut pas écouter en haut.

Ah non!

On veut gérer, on veut contrôler le plus souvent.

Mais non.

On ne veut pas vraiment établir des partenariats.

Collaborer le plus souvent.

Réellement, non!

Parce que ça a des implications, ça.

Ça a des grosses implications sur le système.

comme tu disais tantôt.

Oui!

Puis comment on développe un lien de confiance?

Ça veut dire s'exposer.

Ça veut dire devenir vulnérable.

C'est quelque chose que tu as peut-être adressé aussi dans d'autres de tes podcasts.

Mais la vulnérabilité!

Ça veut dire aussi aider les gens à devenir, attention...

autonomes.

Si on est autonome, on devient des enfants

bien portants, qui sont capables d'aller aller dans le monde sans se faire surveiller tout
le temps.

Aïe!

Qu'est-ce que ça va devenir notre système de la santé?

Un vrai système de la santé?

Ouh!

Excuse-moi!

Euh...

Un système...

Pour moi, l'éducation, là...

La santé, c'est...

va ensemble.

C'est...

C'est...

C'est la même chose, OK?

Dis autrement.

Ça veut dire qu'on prendrait du temps avec nos patients, clients, partenaires, avec les
gens avec qui on entre en relation pour se connaître, Il y a des approches qu'on appelle

DNA en anglais.

Tu vas aimer ça.

La DNA de la relation, c'est travailler les Dreams, travailler les Needs.

les Abilities, donc les rêves, les besoins, les forces.

Fait que c'est ça mon ADN, c'est ça l'ADN du réseau de la santé.

J'avais fait mon mémoire, le premier de maîtrise, sur le développement du potentiel humain
dans l'organisation publique complexe.

Je me rappellerai tout le temps, c'était mon cadeau à moi de moi.

Je me rappellerai mon superviseur qui me disait, ben voyons, c'est utopique ça.

Un système qui va travailler pour développer le potentiel de ces employés, ça ne marche
pas de même.

Mais oui, il va falloir que ça marche comme ça.

Si on veut que la santé

ça soit de la santé, il va falloir aller voir ce qui est à l'intérieur de nous, qu'est-ce
qu'on a le goût d'amener dans le monde, puis le faire vivre, ça.

J'ai hâte au jour où ça va circuler comme ça.

Tu connais ça beaucoup mieux que moi, Steven, mais un système en santé, c'est un système
où ça circule pas juste dans un sens quand même.

Puis aussi, il faut avoir l'humilité de se dire qu'il n'y a personne qui va venir pour
nous sauver.

Je pense que si on veut vraiment que les choses changent, il faut en prendre la
responsabilité et agir sur la partie du système qu'on peut contrôler.

Puis quand tu avais tenté de mettre tes limites, quand tu étais cadre, puis que là tu
avais eu

une réalisation de la déconnexion que tu avais après avoir eu ce contact-là avec ta fille,
tu avais tenté de parler à tes collègues.

Ça avait été difficile, je pense, de mettre tes limites.

J'avais parlé à mon DG à l'époque et j'avais dit voici les conditions dont j'ai besoin qui
m'apparaissaient raisonnables pour être capable de rester dans ce système-là et que ça

soit viable à long terme.

Je ne veux plus être obligée de travailler 60 à 70 heures par semaine, ce qui était la
norme à toutes les semaines.

Je le sais, les périodes de pointe, quand est-ce qu'elles passent, puis je vais être là.

Mais qu'on soit en gestion de crise à longueur d'année, puis c'est encore ça.

Hey, ça fait 20 ans de ça, puis c'est encore ça aujourd'hui, puis je ne pense pas que ça
s'est amélioré, au contraire.

Puis j'ai dit que j'ai besoin aussi de quelqu'un qui va me dégager de certaines tâches
techniques sans valeur ajoutée.

J'ai-tu besoin de faire des stats sur un système, remplir tel formulaire sur tel autre,
envoyer tel affaire?

Une secrétaire pourrait le faire ou quelqu'un qui est un technicien, ou mieux encore, on
pourrait mettre un X sur bien des affaires, simplifier ça.

Puis j'avais eu un non à tout ça.

Puis j'avais dit, dans ce contexte-là, je ne peux pas.

Puis grâce à ça...

Grâce à ça, après coup, je ne sais pas comment ça s'est fait, mais il avait quelqu'un qui
m'avait contacté à l'université et on voulait commencer à développer les cours sur la

collaboration à l'université.

Puis j'ai dit oui, oui, on en a besoin.

En fait, c'était à l'époque 2003-2004 où le

programme préclinique en médecine changait.

On voulait introduire les compétences collaboration et communication dans le programme.

On me disait, ouais, collaboration, communication.

Il est déjà assez chargé comme ça, notre programme préclinique.

On serait prêt à mettre un crédit et demi là-dessus.

OK?

Puis on voudrait que ça soit optionnel.

Mais on avait fait une petite recherche,

un petit sondage à l'université auprès des étudiants finissants en médecine, puis on leur
avait demandé quelle proportion, jusqu'à quel point vous sentez-vous bien préparé à

travailler avec les autres professionnels de la santé et aussi les patients, travailler
dans des approches plus collaboratives.

Puis 97 % nous avaient dit on n'est pas prêt, on n'a pas ce qu'il faut pour le faire.

Ce n'est pas quelque chose qui s'apprend.

C'est quelque chose qui, justement, ça fait partie de nos logiques d'action, des
croyances, de nos intentions profondes.

Puis il faut aller ailleurs.

Ce ne sera pas dans nos connaissances, dans les savoirs que ça va se développer.

Ça va être dans des échanges, coeur à coeur, des échanges.

C'est dans l'expérience.

Oui.

Puis ça, on ne l'a pas assez.

On ne l'a pas assez dans le réseau de la santé.

Vraiment pas assez.

J'aimerais ça, moi ça, en avoir plus.

souvent en silo, trouve.

Je vais parler pour les médecins.

Je trouve qu'on a eu souvent tendance à s'isoler entre nous et à dire que les médecins
sont d'un côté et les autres professionnels de la santé sont de l'autre.

Je pense qu'il y a des raisons historiques à ça.

Je me permettrais de remettre ça en question parce que je dis qu'en ce qui a trait à la
souffrance chez

le personnel soignant, c'est universel.

On est exposé à des choses, on voit des choses, on entend des choses qui sont dans l'ordre
du trauma, carrément.

Je pense que soigner, ça peut se rattacher à un trauma sur bien des aspects.

Donc, il faut le traiter comme tel, le reconnaître.

Mais ensuite, si on veut

je pense changer les choses, il faudra peut-être éliminer la hiérarchie quand il faudra
partager sur ces expériences-là.

Oui, oui, j'ai un niveau de responsabilité différent comme médecin, un niveau
d'imputabilité différent, mais ce n'est pas vrai que moi seul, je peux tout faire si je

n'ai pas les autres professionnels avec moi

pour mettre en œuvre ce plan-là.

Moi, je suis aux soins intensifs puis, si je n'ai pas le préposé pour mobiliser les
patients, l'infirmière, le personnel à l'entretien ménager...

Si je n'ai pas ces gens-là pour nettoyer les chambres après les congés, avant les
admissions des patients, bien, mon unité ne peut pas rouler.

C'est tout important.

Je pense que ça nous prend une petite douche d'humilité collective pour être capable de le
réaliser.

On m'avait déjà dit quand j'essayais initialement de créer des structures pour venir en
aide aux soignants, on m'avait dit de commencer par les médecins.

On a des structures déjà qui existent dans les établissements comme les conseils
médecins-dentistes, pharmaciens et maintenant sages-femmes.

Mais je me suis dit que ça fait partie du problème si des médecins ne sont pas capables de
se confier parce que dans le groupe, il y a des non-médecins, il y a des infirmières, des

préposés.

C'est un problème et je pense qu'il faut l'adresser.

Et l'autre éléphant dans la pièce, c'est que des fois la cause de la détresse chez cette
infirmière-là, c'est le docteur, c'est comment elle s'est fait traiter.

Et ça, je pense qu'il faut le dire.

Il faut, comme tu disais, rebâtir peut-être plus de ponts.

Et ça, ce n'est pas quelque chose qui s'enseigne effectivement dans des cours théoriques.

Mais il faut en même temps se donner l'espace

de le faire et que ça soit sécuritaire psychologiquement.

Je pense que dans le système, dans le moule dans lequel on est, c'est vraiment pas
évident.

Oui, tout à fait.

Il y a toutes sortes d'espaces où des fois on va amener des gens ensemble pour essayer de
développer ces liens-là.

Mais un safe space, vraiment.

Il y a des conditions particulières et il faut être capable de s'engager profondément
d'abord et avant tout par rapport à soi pour dire ok je suis prêt, je suis prêt à être là

pour moi puis à être là pour l'autre.

Puis on est dans ce chemin-là pour justement se connaître, pour grandir ensemble.

Je me rappelais tantôt, c'est quoi les conditions nécessaires

pour qu'on puisse aller ensemble vers des véritables changements?

Je dirais que la première chose, c'est cet engagement-là.

L'engagement d'abord et avant tout envers soi.

Ensuite, il y a la volonté et la capacité.

Puis comme je disais tantôt, on va franchir des étapes à être attentif, à prendre
conscience de certaines choses en soi, nos blessures.

On parle de nos traumas, ils vont loin souvent.

Ils vont loin.

Ce n'est pas pour rien qu'on est dans des structures qui sont très cadrantes et
sécurisantes, parce qu'il y a des blocages qui sont souvent très loin.

Puis le troisième, c'est cette patience-là, cette persévérance-là aussi qu'il faut avoir.

Donc le temps, le temps

de se voir aller, de s'aimer, de se pardonner pour telle ou telle chose qu'on juge.

Ça fait que ce temps et cet espace-là pour se retrouver ensemble, ça fait que c'est
magique.

C'est magique quand on commence à se l'offrir.

On disait tantôt, moi ce que je trouve extraordinaire dans l'équipe où je suis, c'est que
je n'ai pas de limite de temps que je peux prendre avec mes jeunes pour les accompagner.

Ça me donne l'occasion maintenant d'aller explorer ce qu'il faut que j'explore à leur
rythme.

Ça me donne le temps

de mettre des choses en place pour que la famille aussi, qui a ces mêmes blessures-là,
puis que l'enfant fait juste les porter et puisse aussi accéder à des services dans le

temps quand ils sont un petit peu plus près.

Puis ça me donne la chance aussi de construire des choses avec mon équipe qui va aider
d'autres.

Ça me donne le temps de faire des choses qui vont vraiment être porteuses dans le temps.

Qui ne donneront pas juste un chiffre, on a vu tant, tant.

Puis tu as dit quelque chose, puis je l'ai oublié tantôt, mais qui donne le temps aussi
des gens à se rappeler qu'on est tous responsables de ce bagage-là qu'on a en soi et

envers l'autre.

La responsabilité aussi qui est importante chez les parents, chez les jeunes, chez les
intervenants, chez les gens de la communauté.

C'est un mot qui n'est pas à la mode, là.

OK?

Puis je dirais, comme je disais, le mot aimer aussi, apprécier, s'ouvrir.

Puis on l'utilise vraiment pas assez dans le réseau de la santé, alors que l'anxiété,
c'est correct.

La peur, c'est correct.

Il y a des choses, comme tu disais plus tôt, qu'on a normalisées, malheureusement, des
expériences.

Puis dans un épisode précédent du balado, je m'étais entretenu avec une doctorante en
psychologie qui avait fait une étude sur les racines culturelles de l'épuisement chez les

médecins.

Puis les choses qui ressortaient, bien c'était un, cet engagement excessif-là, puis

la fusion identitaire, la culture du sacrifice, de toujours donner, donner, sans espérer
nécessairement recevoir quoi que ce soit en retour.

La deuxième, c'était ce mythe de l'invulnérabilité, qu'on est des soignants ou des
patients, mais qu'on ne sera jamais les deux en même temps, alors qu'on est juste humains,

puis que ça va nous arriver, comme tout le monde, d'avoir une expérience de maladie.

Le dernier, c'était la stigmatisation, celle qu'on a intériorisée envers nous-même.

On se tape dessus à se dire "Je ne dois pas me sentir comme ça" ou de se dire "OK, OK,
cette anxiété-là, c'est normal", puis d'accepter des choses, de stigmatiser d'autres

expériences qui sont peut-être inconfortables, mais qu'il faudrait se donner la peine de
remettre en question.

Quand on comprend comment l'humain fonctionne un peu mieux, puis on le fait quand on a ce
temps-là, cet espace-là qu'on peut s'offrir, puis que l'organisation aussi nous accompagne

là-dedans quand on est autant engagé dans ce métier-là, c'est qu'il n'y a pas de véritable
changement, en tout cas des transformations en profondeur qui nous ramènent à l'être,

sans traverser ce voile-là.

Puis des fois c'est une carapace de l'impuissance.

J'ai entendu aussi le sentiment d'imposteur, le sentiment aussi d'être perdu, confus, de
ne pas savoir quoi faire.

Si on n'est pas capable de le regarder puis rester un instant avec ce sentiment
d'impuissance-là...

On ne pourra pas aller ailleurs.

C'est grâce à ce sentiment-là de vulnérabilité qu'on est capable de contacter le meilleur
en soi.

Ou on va tomber dans le cynisme.

C'est souvent ça que je vois arriver malheureusement.

de défense.

Puis, il y a une cliente que j'adore, que je suis, qui est une professionnelle qui est
extrêmement brillante, extrêmement brillante.

Puis comme d'autres que j'ai eu en thérapie aussi, d'autres médecins ou d'autres
professionnels de la santé,

elle me dit : "Johanne, tu sais, moi ça s'arrête là, ce que je sens.

C'est de là à là.

Il n'y a rien qui se passe là.

Il faut vraiment qu'il y ait quelque chose de très fort pour que je sois capable de
sentir." Ça fait que, reconnecter avec ces ressentis physiques, ce qui se passe dans son

corps, qu'est-ce qui se passe?

Comment tu peux décrire ça?

Recontacter des émotions.

C'est où ça, des émotions?

Fait que, aller voir, aller voir avec ses yeux intérieurs ce qui se passe, puis s'amuser
avec ça.

Je le dis parce que mes enfants, ça va bien parce que la relation de confiance prend moins
mois de temps souvent à établir, puis une fois qu'elle est là, c'est extraordinaire les

pas de géants, la vitesse à laquelle on va, puis il y a cette cristallisation de nos
schemes mentaux

qui se fait avec l'âge, ce doit être ça le vieillissement, c'est que les pensées
durcissent, puis nous endurcissent et ça prend plus de temps aussi à défaire ces

structures-là.

que tu mentionnes, vient retoucher un peu la pleine conscience que tu essaies d'enseigner
aussi.

Oui, j'aime moins le terme pleine conscience parce que je pense qu'on n'est jamais
pleinement conscient.

Mindfulness en anglais, c'est drôle de traduire, mais oui, ce développement-là de la
conscience, c'est quoi la conscience?

Cette capacité-là et cette volonté-là, la force de l'intention de s'arrêter un instant sur
son espace.

Quand je suis capable de travailler

avec mes clients sur ce qui est présent.

Donc l'anxiété nous amène tout le temps dans le futur.

Tantôt on parlait de tristesse ou encore certaines choses au niveau, certaines pensées par
rapport à qui je suis qui sont des fois cristallisées.

C'est beaucoup aussi dans le passé.

Donc le mental, il s'amuse à être ailleurs que dans le présent.

Tandis que...

Quand on joue avec les outils justement du mindfulness, on va recontacter le présent.

C'est sûr que les premières fois quand on a mis toutes sortes de choses en place pour
fuir, le présent c'est difficile d'y aller.

De là l'importance d'y aller avec douceur, avec bienveillance, en prenant le temps aussi
d'aller où on veut

avec des outils qui font du sens pour la personne.

Je dois être honnête totalement et transparent avec toi.

Jusqu'à il y a quelques années, pour moi, tout ça, j'appelais ça du Kumbaya.

On me disait souvent, reviens dans le moment présent, puis je roulais des yeux.

Alors que, effectivement, puis ça, pense que c'est mon expérience en thérapie qui m'a
amené ça, c'est que mon corps me parlait

littéralement depuis des années, mais que j'avais appris à tellement déconnecter la tête
et le corps que c'était de la survie.

Mais j'avais plein de sensations physiques que je n'étais pas capable de nommer.

Là maintenant, je suis capable de dire quand il se passe quelque chose ici, une espèce de
tension, de bourdonnement,

bien là, je sais que c'est une anxiété qui monte.

Là, je me demande pourquoi, qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce que je viens de vivre, à
quoi je pense, puis d'essayer de me recentrer un peu là-dessus.

Comment tu guides, parce que j'imagine que tu as des patients qui n'ont peut-être pas
toujours cette ouverture d'esprit-là au début quand ils te rencontrent, comment tu les

amènes à finalement explorer un peu plus leur monde intérieur?

En fait, il y a plein de façons d'aller ouvrir une porte.

Mes collègues vont dire, je disais souvent que suis une éclectique, je pense que je suis
plus une intégriste, c'est-à-dire que la psychodynamique, aller s'amuser à travers des

thérapies qui sont plus psychodynamiques, qui vont aller plus vers l'inconscient, c'est
une approche, on parlait de pleine conscience.

C'est sûr que je vais aller dans les thérapies cognitivo-comportementales ou les langages
dialectiques quand je suis avec des gens qui sont très mentalisants aussi ou en fait qui

ont des difficultés de mentalisation, c'est-à-dire qu'on voit que c'est plus difficile des
fois de changer d'idée sur certaines choses.

Je vais y aller avec les outils que je pense qui sont

les meilleurs pour ouvrir la serrure, pour débarrer la porte.

Puis au rythme aussi où je sens que la personne est à l'aise.

C'est beaucoup d'ajustements et d'adaptation.

Donc, jouer aussi à développer ça.

L'anxiété, c'est normal.

Avoir pu faire cette démarche-là pour moi-même, d'aller revoir beaucoup mes croyances, mes
intentions profondes, d'oser voir mes zones d'ombre, d'aller naviguer dans ces eaux-là qui

sont floues, qui sont incertaines pour moi, je pense à m'aider à les reconnaître
aujourd'hui plus facilement chez les autres et de ne pas avoir peur d'aller là.

Ou encore...

oui!

C'est très confrontant.

C'est très confrontant de perdre notre identité à un instant.

On va le dire comme ça.

Si on a construit notre vie et notre monde à travers une identité qui s'appelle médecin,
psychologue, whatever, puis que là, on veut t'en enlever des bouts, puis t'as mis

tellement d'énergie, d'efforts...

Tu as mis tellement de toi-même là-dedans, c'est se perdre.

Donc ce moment-là de flottement où je ne pas qui je suis, puis où je suis, tu as besoin
d'être accompagné avec quelqu'un qui est à l'aise aussi dans le flou.

Et pour moi, le flou, c'est ça le potentiel.

Et c'est de voir que cette confiance-là se construit à aller explorer ce qui fait du sens
pour moi.

Puis ce ne sera peut-être pas ce qui va faire du sens pour l'autre.

Mais j'oserais te dire, c'est ce qui m'a aidé aussi comme cheminement.

Pour déprogrammer à la base tous ces concepts judéo-chrétiens-là en lien avec la
souffrance, en lien avec la honte, la culpabilité, en lien avec tout ce langage-là qu'on a

intégré malgré nous et qui va nous permettre d'aller ailleurs.

Tu parlais tantôt des travaux d'Emilie (Banse).

On est dans une culture où on a normalisé justement le don de soi, la souffrance.

Écoute, ça fait longtemps qu'on est là-dedans.

Ça fait longtemps qu'on est là-dedans.

Il y a un miracle.

C'est quoi un miracle?

Si je prends le sens latin premier, miraculum, ça veut dire voir autrement.

Donc, c'est tout simplement être capable de changer notre vision sur quelque chose.

Ce n'est pas plus compliqué que ça.

Dans mes dernières questions pour toi, on va avoir plusieurs soignantes, soignants qui
vont écouter ce balado-là, d'autres personnes proches de nous.

Qu'est-ce que tu aimerais leur dire?

Écoutez-vous, prenez soin de vous d'abord et avant tout.

Aimez-vous profondément.

Peu importe les messages qui viennent à l'extérieur, je pense qu'il reste qu'on est
capable.

Puis des fois, c'est ça, ces crises-là qui arrivent dans notre vie individuelle ou
collective.

C'est grâce à ces expériences-là qui, des fois en surface et même qui vont nous affecter
profondément si on y résiste longtemps à s'écouter, vont nous amener là où on veut aller

le plus.

Pis d'oser exprimer ce qui est là avec respect,

avec bienveillance pour soi.

Ce que je dis souvent à mes clients, c'est que, les pires juges envers nous, c'est bien
sûr nous-mêmes.

Puis de se parler comme on aime se faire parler par les autres, par quelqu'un qu'on
apprécie, bien c'est ça.

Parlez-vous, offrez-vous ce que vous avez envie le plus, puis c'est parfait parce que je
pense à nous rejoindre tous.

C'est vraiment ça qu'on veut, tout le monde.

Oui.

sous-question toute spéciale pour toi, on a peut-être des gestionnaires aussi ou des
cadres du système de la santé qui vont écouter ce balado-là.

Est-ce que tu as des messages particuliers pour ces personnes-là?

Eux autres aussi.

Oui, eux autres aussi.

On a joué, on disait tantôt, on joue beaucoup aux sauveurs.

Moi, je suis allée dans des postes de gestion ou cadre où j'ai été là plus longtemps parce
que je pensais que je pouvais aussi changer le système en étant à la tête.

Puis j'ai vu que non, ce n'est pas là que ça se passe.

Donc qu'ils prennent bien, bien soin d'eux autres, qu'ils apprennent à aimer,

respecter leurs limites et prendre du temps pour eux autres.

On en a besoin parce qu'on a besoin de leaders et de gestionnaires qui sont en santé, qui
sont bienveillants, qui montrent l'exemple.

C'est comme ça que ça va vraiment changer notre système pour le mieux.

Je suis convaincue.

Puis pour changer ce système pour le mieux, si tu avais une baguette magique, qu'est-ce
que tu ferais?

Je pense que c'est vraiment se donner du temps puis de l'espace pour que notre milieu de
travail ça soit un milieu de vie.

Puis le mot vie, je le mets en grand, un milieu vivant.

Tu sais, du temps.

Du temps et de l'espace pour être là, pour soi.

C'est vrai ce que tu soulignes là, c'est qu'on a souvent tendance à vouloir, j'appelle ça
gratter le bobo, essayer de trouver dans les équipes ou les milieux qui sont un peu plus

dysfonctionnels, ce qui ne fonctionne pas...

Puis comme tu disais au début, de trouver le problème, l'approche par problème, au lieu
d'aller voir les milieux qui fonctionnent bien, les équipes qui s'épanouissent, puis de se

demander ce qu'ils font de bien, qu'est-ce qu'ils font de différent, ces gens-là?

J'irais aussi loin que de dire, allez voir dans notre équipe et voir ce qui fonctionne
bien chez moi?

Hé, que les gens n'aiment pas ça!

Hé, qu'on n'aime pas ça parler de soi!

Donc, petit peu par petit peu, être capable de prendre le temps de se connaître et de
nommer quelque chose que je suis prêt à emmener dans le monde.

Voici ce que j'aime.

Bien hein!

Tu joues de la guitare?

Je ne savais pas ça.

Puis moi, je joue du drum.

Et puis, écoute, on pourrait se faire peut-être le prochain petit 5 à 7 au niveau de
l'équipe, faire un petit jam ou quelque chose.

Connecter.

Ça force à écouter pour vrai.

C'est une qualité qui est difficile à développer.

Quand on apprend notre rôle de professionnel, il y a une espèce de cassette quand on joue
ce rôle-là.

Mais quand je réalise que j'ai une personne devant moi, un patient ou même ailleurs,
qu'est-ce qui est en train de se passer?

De quoi on parle, c'est quoi le vrai message?

Quand on prend la peine d'écouter ça, je pense que encore là, la qualité de nos relations
peut juste en être décuplée.

Oui, puis on a le goût de s'ouvrir quand quelqu'un nous écoute véritablement, on a goût de
s'écouter aussi.

C'est pas ça la santé, ultimement là?

C'est pas ça?

Donc je crois encore que c'est possible, mais pas comme on le fait en ce moment.

Puis ma dernière question pour toi, si tu pouvais parler à Johanne, début vingtaine avant
qu'elle commence son parcours, qu'est-ce que tu aimerais te dire ou de quoi tu aurais aimé

être mise en garde?

Je pense que des fois tu vas avoir l'impression d'être seule, avoir quelque chose qui fait
profondément du sens pour toi, puis ça va venir te toucher, ça va venir aussi mettre des

doutes.

Des fois, t'amener sur la voie qui n'est peut-être pas celle qui est la bonne pour toi à
un certain temps.

Mais continue à t'aimer, continue à te faire confiance, puis continue à aller là.

Puis je me souviens, quand je t'ai dit, je me suis promenée dans différents rôles,
enseignement, recherche, gestion, ...

j'ai joué.

J'avais besoin d'explorer, d'expérimenter tous ces rôles-là pour aller toucher les gens à
différents niveaux.

Puis j'ai réalisé que

c'est ça qui a fait que j'ai eu un parcours professionnel extraordinaire parce que je me
suis écoutée malgré les voix divergentes et parfois les voix du doute qui étaient surtout

en moi.

À 20 ans aussi, je pense que j'étais moins sécure, moins certaine.

Plus collée justement sur mes cadres conceptuels, sur mes mentors, sur ce qui est à
l'extérieur.

Plus je me suis offert du temps et de l'espace pour aller me découvrir mon ADN profond,
mes rêves, mes besoins, puis les forces aussi que j'ai le goût de mettre dans le monde,

plus je suis heureuse et en santé.

Continue à être toi.

Merci beaucoup, Johanne, pour ta spontanéité, ta candeur.

Je trouve que c'est vraiment un bonheur d'échanger avec toi.

Je suis convaincu que les gens vont apprécier et qu'ils vont pouvoir en capter une bonne
partie.

Bien, en tout cas, c'est un grand bonheur aussi de pouvoir partager avec toi.

Merci pour tout ce que tu fais, je suis extrêmement reconnaissante que la vie a fait en
sorte que nos chemins aient pu se croiser.

Puis j'espère qu'ils vont se re-croiser encore!

Merci!

Bonne journée!