Les balados du CIRCEM



Résumé : Dans cet épisode des balados du CIRCEM de la Série de conférences Mauril Bélanger, Sophie Théwissen-LeBlanc discute avec Stéphanie Gaudet et Caroline Caron du livre qu’elles ont co-dirigé, « Faire l’expérience de la démocratie : Les tiers lieux de l’éducation à la citoyenneté des jeunes au Québec », publié aux Presses de l’Université d’Ottawa. À la conclusion du projet de recherche partenariale au cœur du livre, Stéphanie Gaudet et Caroline Caron présentent quatre « leçons apprises », soit des pratiques gagnantes qui pourraient s’avérer utiles pour les organisations qui offrent des initiatives d’éducation à la citoyenneté démocratique visant les jeunes.
Le CIRCEM tient à remercier le CRSH pour sa contribution financière aux balados.

What is Les balados du CIRCEM?

Les balados du CIRCEM visent à promouvoir la recherche interdisciplinaire sur la citoyenneté démocratique et les groupes minoritaires et minorisés, à partir de la tradition intellectuelle du monde francophone.

[Musique de fond]

00:00:04 Sophie Théwissen-LeBlanc (S.T-LB.)
Les balados du CIRCEM visent à promouvoir la recherche interdisciplinaire sur la citoyenneté démocratique et les groupes minoritaires et minorisés à partir de la tradition intellectuelle du monde francophone. Vous écoutez un de plusieurs balados consacrés à une discussion sur le livre Faire l'expérience de la démocratie, les tiers lieux de l'éducation à la citoyenneté des jeunes au Québec, publié aux Presses de l’Université d'Ottawa. Le livre présente les résultats d'un terrain ethnographique multisite dans sept organisations partenaires issues de la société civile québécoise qui œuvrent auprès d'enfants, d'adolescents ou de jeunes adultes. Il est co-dirigé par Stéphanie Gaudet, qui est directrice du CIRCEM et professeure d'études sociologiques et anthropologiques à la faculté des sciences sociales de l'Université d'Ottawa et par Caroline Caron, qui est professeure au département des sciences sociales de l'Université du Québec en Outaouais. Je m'appelle Sophie Théwissen-LeBlanc et je suis auxiliaire de recherche sur le projet et collaboratrice au livre. Les sept organisations partenaires du projet sont l'Institut du Nouveau Monde, Oxfam-Québec, le Y des femmes de Montréal, le Centre de Pédiatrie Sociale de Gatineau, Exeko, la Commission Jeunesse de Gatineau et le Forum Jeunesse de l'île de Montréal. Dans cet épisode, je discute avec Stéphanie Gaudet et Caroline Caron de la conclusion de leur livre qui est intitulée « Faire la démocratie avec les jeunes, 4 leçons apprises dans les tiers lieux de l'éducation à la citoyenneté au Québec. »

[Fin de la musique de fond]

00:01:29 S.T-LB.
Donc, bonjour Stéphanie, bonjour Caroline.

00:01:29 Stéphanie Gaudet (S.G.)
Bonjour, Sophie.

00:01:29 Caroline Caron (C.C.)
Bonjour, Sophie.

00:01:29 S.T-LB.
Donc, le livre Faire l'expérience de la démocratie dont on parle, aujourd'hui, c'est le résultat d'une recherche partenariale de plusieurs années où on a fait un terrain d'enquête sur sept différentes organisations partenaires qui sont issues de la société civile. Stéphanie, maintenant que le projet est à sa conclusion, qu'est-ce qu’il vous a permis d'accomplir et d'apprendre ?

00:01:54 S.G.
Je pense que la première remarque que j'aurais apportée, c'est que nous avons, au Québec, un écosystème d'initiatives d'éducation à la citoyenneté jeunesse que nous nommons des « tiers lieux », c'est-à-dire des espaces en dehors de l'école et en dehors de la vie privée, c'est-à-dire de la famille, qui permettent à des jeunes de s'exprimer, de s'épanouir, de s'engager en tant que citoyen et de développer leur identité citoyenne également parce qu'on parle beaucoup de notre identité de travailleur. On forme beaucoup les travailleurs, mais il faut aussi former des citoyens. Puis, je pense qu’une des choses, en tout cas, un des éléments qui ressort de la recherche c'est vraiment ce constat-là, c'est qu'il y a un bel écosystème qui est différent des autres provinces canadiennes, je dirais, et on a eu la chance finalement de travailler dans ce laboratoire-là, parce que c'est comme un laboratoire vivant dans lequel on a travaillé ensemble à faire des observations. Alors, l'autre élément qui ressort de nos conclusions c'est la diversité des conceptions et des discours sur la citoyenneté démocratique qui sont véhiculés par ces organisations-là, ces initiatives-là. Donc, nous ce que l'on remarque, c'est que c'est très important de cultiver cette diversité-là et on n'a fait aucune recommandation sur « voici la bonne façon d'être un citoyen » parce qu'il n'y en a pas qu'une. Au contraire, il y en a plusieurs et il faut soutenir cette diversité-là parce que nous avons une diversité de jeunes et ces initiatives-là répondent bien d'une certaine façon à cette diversité-là. Un autre élément très important, je pense, c'est de reconnaître l'importance de la culture démocratique ou de l'éthos démocratique. Donc, l'éthos démocratique, c'est tous ces éléments au niveau de nos façons d'être et de faire qui cultivent les valeurs de la démocratie, qui sont celles de la liberté de parole, qui sont celles des droits, de la justice. Et, ces initiatives nous permettent de soutenir l'éthos démocratique, ce qui est très important parce qu'on est dans une société qui parle beaucoup de démocratie en termes d'institutions politiques, de type de représentations politiques, donc on parle beaucoup du vote quand on parle de démocratie, mais la question des valeurs démocratiques est très importante, surtout dans le contexte actuel parce que, dans le contexte à l'échelle internationale, actuellement, ce sont des valeurs qui sont remises en question. Alors, il faut réfléchir, je pense, en tant que société, aux valeurs, à l'éthos démocratique, puis à l'importance de les transmettre de façon intergénérationnelle. Un autre élément très important, je pense, issu de nos recherches, c'est vraiment notre réflexion sur la citoyenneté des jeunes, c'est-à-dire que les jeunes sont des citoyens à part entière, même s'ils n'ont pas le droit de vote. Alors, participer politiquement, ça ne veut pas dire uniquement voter. Et, si on veut reconnaître, si on veut quand même encourager la participation électorale parce qu'on veut quand même l’encourager, cette participation électorale-là, mais il faut aussi reconnaître les autres types de participation, qui sont très importants, ces autres types de participation-là, chez les jeunes, alors il faut encourager ça. Il faut reconnaître que ces jeunes-là sont des citoyens à part entière, mais des citoyens différents des adultes. Et, il faut adapter les initiatives en fonction de ces différences-là. Alors, je dirais que c'est vraiment les éléments qui ressortent de nos observations. Évidemment, il y en a tout plein, mais je vais me limiter à celles-là.

00:06:08 S.T-LB.
Et donc, vous identifiez dans la conclusion du livre 4 leçons apprises que vous décrivez comme étant des pratiques gagnantes et des pistes d'action qui pourraient s'avérer utiles aux organisations dans le futur et donc, la première leçon concerne l'importance pour les organisations de savoir accueillir les jeunes. Donc, Caroline, comment est-ce que la cette notion-là de l'accueil, ça se manifeste chez les organisations partenaires ?

00:06:32 C.C.
Oui, en effet, on a remarqué à quel point, dans chacune des organisations, il y avait un dispositif d'accueil qui jouait un rôle important sur la qualité de l'expérience vécue, au sein des différentes initiatives. Et ce qu'on observe en termes d'accueil, c'est qu'il y a 3 dimensions à cet accueil-là. Alors, il y a la dimension physique, c'est-à-dire avoir des lieux, un espace physique pour accueillir adéquatement les jeunes, en termes de grandeur d'espace, mais de convivialité aussi, puis de proximité, de l'accessibilité pour que les jeunes puissent s'y rendre. Aussi, il y a la dimension relationnelle, dans l'accueil, c'est-à-dire quel genre de relation l'initiative va permettre de mettre en place avec les jeunes. Il y a différents types de relations qui peuvent se nouer entre les jeunes, mais aussi entre les jeunes et les adultes de référence dans ces initiatives-là. Et la 3e dimension de l'accueil, c'est la dimension dialogique, c'est-à-dire comment on a mis en place des mécanismes, ou en tout cas, comment on va recevoir les jeunes, comment on va recevoir, surtout, leurs paroles, comment on va l'accueillir, cette parole-là, la recevoir puis faire quelque chose avec ça. Je peux vous donner deux exemples qui vont contraster, qui vont illustrer un peu justement, comment se manifeste ce dispositif d'accueil-là dans certaines initiatives. À l'École d'été de l'Institut du Nouveau Monde, par exemple, ce qu'on a remarqué, c'est que leur dispositif d'accueil permet de créer une atmosphère d'écoute, d'inclusion et de bienveillance qui amène les jeunes à se sentir très à l'aise et très rapidement. C'est très important parce qu’il faut savoir que cette initiative-là, c'est une initiative de très courte durée. Ça dure seulement 4 jours, puis c'est quand même assez gros, parce que ça réunit plusieurs centaines de jeunes et d'adultes. Il y a des mentors, des animateurs, animatrices et des jeunes. Alors, il y a beaucoup de monde, ça peut être intimidant et ce qu'on a remarqué, c'est qu'au plan physique, il y a une préoccupation, d'abord d'avoir des locaux appropriés pour recevoir les jeunes, mais aussi d'aménager l'espace pour favoriser les contacts entre les personnes, faire en sorte que les gens se mélangent, se côtoient, etc. Donc, il y a ça. Au plan relationnel, on a remarqué que les animateurs utilisaient beaucoup de techniques d'animation qui permettent de faciliter les contacts. Comme, par exemple, des techniques d'animation brise-glace, qui permettent rapidement de dégêner les gens et de faire en sorte qu'ils puissent communiquer, échanger puis aussi échanger avec une diversité de de participants. Puis, on a observé aussi que des techniques d'animation se centraient souvent sur des aspects ludiques. On a des techniques d'animation qui sont enjouées, humoristiques, amusantes, ludiques. Et ça, ça permet de mettre les gens à l'aise puis de faire en sorte que l'expérience est très plaisante. Au plan dialogique, ce qu’on remarque, c'est que les animateurs, dans toutes les activités, tendent à adopter une posture de communication horizontale avec les jeunes, donc on essaie vraiment d'éviter tout ce qui est un rapport d'autorité avec les jeunes ou monopoliser la parole. On veut vraiment que ça soit les jeunes qui aient la parole en bonne partie. Puis, on s'assure de créer une position entre les différents intervenants participants qui soit le plus égalitaire que possible, donc ça, c'est un dispositif d'accueil qu'on a remarqué qui fonctionnait très bien dans cette initiative-là et qui contribuait de façon remarquable à la qualité de l'expérience vécue des jeunes. On peut vous donner un autre exemple, dans le Comité des droits des enfants du Centre de Pédiatrie Sociale de Gatineau. C'est un autre contexte, un autre dispositif, mais qui réussit aussi à remplir cet impératif-là d'un accueil des jeunes. Donc, ici, ce qu’ils ont réussi à établir, c'est un rapport de confiance et de respect entre les animatrices et les enfants qui sont, qu'on dit en situation de vulnérabilité. Et ici bien, c'est un genre de contact, un genre de dispositif qui est différent parce qu'ici les contacts se font à l'année longue et dans le quotidien. Au plan physique, le centre occupe des locaux qui sont situés dans le milieu de vie des enfants qui sont desservis par le centre. Alors, c'est un peu comme une maison chaleureuse qui peut les accueillir à l'année, puis où se déroule une diversité d'activités pour eux. Au plan relationnel, il y a plusieurs adultes de référence qui établissent des contacts de confiance et de longue durée avec les enfants. Je peux rappeler que dans ce milieu-là, il y a du personnel médical, il y a des intervenantes sociales, il y a aussi des bénévoles. Donc, il y a une diversité de liens de proximité qui peuvent se créer avec les enfants. Puis, au plan dialogique, ce que cette initiative-là offre, c'est vraiment plusieurs modalités de participation aux enfants et des activités qui encouragent justement ces enfants-là à s'exprimer. Et, le lien interpersonnel qui est établi avec ces enfants-là permet de créer un climat de confiance, de sécurité, qui permet aux enfants de bâtir une confiance en eux aussi dans cette affirmation-là, citoyenne. Donc, ici, on a un dispositif d'accueil qui est tout aussi intéressant et qui réussit tout aussi bien qu’à l'Institut du Nouveau Monde à offrir un accueil bien adapté à la clientèle. Donc, ce sont deux exemples contrastés qui montrent l'importance, pour les organisations, de se doter d'un dispositif d'accueil qui est favorable à une expérience positive, qui va contribuer à la rétention des participants, tout au long de l'initiative, mais qui va aussi être vraiment déterminant dans la qualité des apprentissages qui vont être faits, sur le côté très productif aussi de l'expérience en termes d'expérimentation de la citoyenneté.

00:12:52 S.T-LB.
La deuxième leçon que vous avez identifiée est qu'il faut que les initiatives permettent aux jeunes de s'engager dans la réalisation d'objectifs significatifs et concrets et dans ce que vous qualifiez d'actions authentiques. Donc, Caroline, comment est-ce que les organisations partenaires répondent à ce besoin et en quoi est-ce que ça consiste « l'action authentique » ?

00:13:09 C.C.
Oui, alors on a pu observer que, pour les jeunes, c'est vraiment déterminant que l'expérience soit authentique, c'est-à-dire que la participation qu'on leur propose est véritable et que la voix qu'ils vont exprimer dans le cadre de ces initiatives-là va vraiment être entendue et va avoir un impact, va avoir une influence sur la direction du projet, sur les décisions qui sont prises, sur la réalisation. Alors, plus l'expérience perçue par les jeunes est perçue comme étant authentique, plus l'apprentissage semble être porteur, en termes d'expérience de la citoyenneté. Je peux vous donner l'exemple du programme « Force des filles, force du monde », du Y des femmes de Montréal où les participantes ont été invitées à concevoir un film documentaire et où là, on leur a proposé finalement un cadre de participation où elles étaient amenées à elles-mêmes définir quel serait le sujet de ce film documentaire et comment on allait le bâtir, comment on allait concevoir le scénario, quel genre de thématique et d'approche on voulait adopter. Donc, ici, les participantes ont vraiment été impliquées dans un processus décisionnel et de réalisation très important. Puis, on a constaté que ça avait beaucoup contribué à un enthousiasme très grand chez elles et une participation assez intense aussi. Puis, surtout que ce projet-là se déroulait sur plusieurs mois. C'était assez impressionnant de voir à quel point ce degré d'implication qui était sollicitée chez elles a vraiment contribué à maintenir leur participation jusqu'à la fin. Et, par exemple, aussi même que, après le projet, on a même convié les participantes à une activité post-mortem pour qu'elles puissent discuter des éléments de satisfaction, d'insatisfaction, etc., puis même penser à qu'est-ce qu'elles voulaient faire éventuellement par la suite dans le cadre du programme « Force des filles, force du monde ». Donc ici, on voit qu'avec un degré d'implication très grand, un niveau de décision élevé, on a eu une expérience, on a constaté vraiment que la perception des jeunes participantes, c'était une perception très positive et qui était vraiment liée au fait qu'on percevait que l'expérience de participation, elle était vraiment véritable. Les jeunes avaient pu vraiment participer. Je peux contraster avec un autre exemple, à la Commission Jeunesse de Gatineau. Ici, c'est totalement différent. La participation qui est attendue des jeunes, qui est proposée, n'est vraiment pas de même nature. Ici, on est plus dans un cadre libéral où on est dans la représentation. Les jeunes sont invités à participer à une commission où ils vont représenter d'autres jeunes. D'ailleurs, ils sont élus pour siéger et ici les activités proposées, c'est de siéger à des réunions de comités pendant toute l'année. Ça dure une demi-journée par mois, si je me rappelle bien. Et là, à ce moment-là, on doit prendre la parole, on exprime un point de vue, on peut faire des propositions, on travaille avec un ordre du jour, on travaille aussi avec des élus et tout ça. Et donc, ici, la participation prend une forme différente et c'est bien expliqué aux jeunes, qu’est-ce qui est attendu d'eux, qu'est-ce qui leur est proposé, qu'est-ce qu'ils vont pouvoir réussir à faire et ce qu'on a constaté, c'est que l'expérience des jeunes ici était perçue comme étant authentique, parce que les jeunes sentaient que leur point de vue était vraiment écouté, était pris en compte et avait un impact. Les jeunes ont perçu qu'ils avaient vraiment pouvoir d'influence sur cette commission-là, dans le sens où ils ont pu adopter des propositions, ils ont pu faire des recommandations et ces recommandations-là ont été portées à la ville qui semble aussi être à l'écoute de cette commission. Donc on voit avec ces deux exemples-là deux types de participation quand même très différentes, mais la participation répond aux besoins des jeunes qui y sont et comme ils ont une expérience qui correspond bien à ce qui a été proposé, au cadre participatif proposé, ils ressortent avec une impression d'avoir eu une expérience vraiment authentique, non seulement plaisante, agréable, mais qui a aussi permis d'exercer une influence. Donc, on retient de ces observations-là que, vraiment, c'est déterminant dans les initiatives jeunesse cette idée d'accueil, dont je parlais un peu plus tôt, mais aussi l'idée qu’il faut aussi penser à proposer aux jeunes des activités qui vont les mettre en action, dans une action concrète, et dans laquelle ils vont pouvoir éprouver un sentiment que leur participation fait une véritable différence. Parce que lorsque ça, ça n'est pas atteint, ça crée de la frustration et à ce moment-là, c'est contre-productif parce que ça ne donne pas envie aux jeunes de se maintenir ou de poursuivre l'engagement. Donc, ça pour nous, c'est une leçon vraiment très importante qui découle de nos observations sur les sept terrains.

[Transition musicale]

00:18:35 S.T-LB.
Donc, la troisième leçon concerne le concept d'ouverture des jeunes à de nouveaux horizons. Donc, Stéphanie, qu'est-ce que les différentes organisations partenaires font justement pour élargir les horizons de leurs jeunes participants et participantes ?

00:18:49 S.G.
Je pense que, d'abord, elles offrent aux jeunes une expérience d'un collectif ou de faire société, en petits groupes, dans une perspective qui n'est pas celle de l'apprentissage ou celle de la compétition par exemple. Parce que quand on regarde ce qui est offert aux jeunes dans les équipes sportives ou par exemple, dans le milieu de l'école, il y a quand même cette idée de productivité, cette idée de compétition, cette idée d'atteinte de résultats et de performance, alors que là, les initiatives ici, elles permettent aux jeunes de vivre une expérience collective, de vivre une expérience qui ouvre des horizons parce que, justement, ils sont avec d'autres gens qui partagent ces valeurs, qui sont celle de l'engagement social ou celle de la justice, ou celle de vouloir s'intégrer dans un milieu social finalement. Et, par cette diversité-là du collectif, ça permet aux jeunes d'ouvrir leurs horizons parce qu'ils partagent des points de vue différents sur ce qu’ils veulent comme société ou ce qu'ils veulent partager comme collectif. Alors, l'autre élément très important quand on parle d'ouvrir des nouveaux horizons, c'est l'essence même du politique, c'est-à-dire le politique, c'est quoi ? C'est de réfléchir à de nouvelles façons de faire. C'est l'essence de la démocratie. Qu'est-ce que l'on veut comme horizon collectif ? Qu'est-ce que l'on veut comme horizon commun ? Et, ces initiatives-là, justement, les amènent à réfléchir à ça. Alors, si je prends l'exemple de l'organisation Exeko qui a organisé un atelier, dans le quartier Pointe-Saint-Charles, pour sensibiliser les jeunes aux luttes collectives qui ont eu lieu dans ce quartier-là. Ça, c'est un bon exemple d'ouvrir des horizons parce que ces jeunes-là, ils habitent des quartiers qui sont en gentrification, c'est-à-dire c'est un quartier où il y a beaucoup, beaucoup de construction de condominiums et c'est un quartier aussi où il y a beaucoup de pauvreté et être locataire, c'est de plus en plus difficile dans ce quartier-là. Ces jeunes-là n'ont même pas accès à une école secondaire dans leur propre quartier. Alors, l'organisation, ce qu'elle a fait, c'est qu’elle les a invités à découvrir le quartier, à découvrir l'histoire du quartier et découvrir les luttes ouvrières de ce quartier-là pour leur montrer que dans leur quartier, très proche d'eux, il y a des gens qui se sont réunis pour défendre leurs droits, pour défendre des idéaux collectifs et ils ont réussi à faire ça. Donc, pour eux, ça leur ouvre des horizons, ça leur montre que oui, c'est possible de créer du changement social quand on s'organise collectivement et quand on discute des possibles. Dans quelle société on veut vivre ? Quelles sont les valeurs que l'on veut promouvoir ? C'est très important de cultiver l'espoir et de cultiver, chez les jeunes et les gens de tous les âges, je dirais, cet espoir-là et cette capacité de se dire : « c'est possible d'avoir de nouveaux horizons ». Je pense à un autre exemple qui est celui du programme « Prends ta place » dans les commissions scolaires de l'île de Montréal où les jeunes, à l'échelle des commissions scolaires, vont discuter des enjeux qui les touchent. Un des enjeux, notamment, c'est celui de la qualité de la nourriture dans les cafétérias. Ce n’est quand même pas un enjeu social qui est si difficile à changer, j'imagine, mais le seul fait que des jeunes se réunissent puis disent, « Mais mon dieu, ça n’a pas de bon sens la qualité de la nourriture qu'on nous sert ! Peut-être qu'on pourrait faire quelque chose ». Ça, c'est un exemple concret d'ouvrir les horizons, c'est qu’on peut avoir de l'influence, on peut avoir de l'impact, il y a une possibilité de changer les choses à petite échelle et c'est de leur donner la chance, aux jeunes, de vivre c'est discussions-là et c'est de vivre dans des expériences qui leur permettent de remettre en question ce que leur qu'on leur offre. C'est très important de faire ça. Je pense, notamment, à Oxfam-Québec avec la Marche Monde. C'est exactement ce qu'ils font. Malheureusement, c'est une autre initiative qui n'existe plus. Après plusieurs années d'existence, la Marche Monde, en tout cas, Oxfam-Québec a mis fin à cette initiative-là, mais dans cette initiative-là, on amenait vraiment les jeunes à se questionner sur des enjeux de justice sociale, à l'échelle locale, c'est-à-dire des enjeux identitaires, les enjeux d'injustice au niveau des communautés LGBTQ2+ par exemple, mais aussi à des enjeux à l'échelle internationale, à l'échelle planétaire, notamment, toutes les questions environnementales. Et, le fait de pouvoir se poser ces questions-là de manière collective, moi, je pense que c'est très important pour les jeunes parce que ça va contrer aussi cette anxiété qu’ils vivent. On parle beaucoup de l'écoanxiété. On vit de l'anxiété quand on a le sentiment qu'on n'a pas de pouvoir sur les choses. Et on a un certain pouvoir d'influence sur les choses, je pense, encore, dans le contexte démocratique. Mais il faut se laisser la chance et l'espace d'avoir des lieux où on rêve. Il faut rêver. Est-ce qu'on va réaliser tous nos rêves ? Peut-être pas [rire]. On le souhaite, mais on le sait que probablement qu'on ne réalisera pas tous nos rêves, mais il faut quand même avoir ce moteur-là du rêve et de réfléchir à de nouveaux horizons. Parce que regardons, on a quand même fait, je pense, des grands pas en termes de justice sociale dans les dernières années. C'est possible de le faire. Puis, je pense que c'est possible de réfléchir aussi au niveau de l'environnement, probablement qu'on peut en faire aussi. Alors, je dirais que ce sont des grandes leçons de ce que nous avons observé, c'est-à-dire offrir des espaces pour découvrir de nouveaux horizons politiques, pour développer l'espoir.

00:25:44 S.T-LB.
Donc la dernière leçon que vous avez identifiée dans le livre concerne l'importance de reconnaître et de soutenir le travail des facilitateurs et des facilitatrices qui encadrent les jeunes dans ces différentes organisations-là. Donc, Stéphanie comme mot de la fin, c'est quoi les changements que vous aimeriez voir pour permettre cette reconnaissance et ce soutien de ce travail-là ?

00:26:03 S.G.
Bien nous, ce qu'on a vu en tout cas, c'est que les initiatives, le succès de ces initiatives-là et, je dirais, l'appréciation qu'ont les jeunes de ces initiatives-là dépend presque essentiellement de la qualité et de l'engagement des adultes qui soutiennent les initiatives, que nous appelons des facilitateurs et facilitatrices. Et ces adultes-là, donc, ont un impact majeur sur les jeunes. Ils ont un impact majeur parce qu’ils leur permettent de se développer en dehors du milieu scolaire parce que, disons-le, le milieu scolaire n'est pas toujours adapté à tous les jeunes. Ce ne sont pas tous les jeunes qui s'épanouissent dans un cadre académique. Donc ça offre des possibilités à ces jeunes-là. Ces adultes-là ont beaucoup d'impact sur leur développement personnel, leur confiance en eux, leur estime d'eux-mêmes et ce qu'on voit aussi, c'est que ces adultes-là sont beaucoup dans l'ombre. D'abord, ce sont des gens en général assez modestes et ce sont des gens qui croient beaucoup à l'implication des jeunes. On utilise beaucoup l'expression « par et pour les jeunes » et ces adultes-là veulent, le plus possible, que les initiatives soient menées par les jeunes, sauf qu'en réalité, elles sont menées avec les jeunes, beaucoup appuyées par ces adultes-là. Et, je pense qu'il est important de reconnaître leur apport, notamment dans un contexte, je l'ai nommé, c'est qu’il y a beaucoup de précarité dans ces initiatives-là. Les initiatives dépendent de subventions, dépendent beaucoup d'évaluations de programmes continuelles. Il y a beaucoup de roulement de personnel aussi et ces facilitateurs-là, finalement, on les reconnaît peu parce que ce ne sont pas nécessairement des intervenants sociaux. Il y a des gens qui viennent de toutes sortes de disciplines, il y a des gens qui ont des formations en philosophie, en sciences politiques, en aménagement du territoire, en innovation sociale, en sexologie. Alors, ce sont des adultes qui n’ont pas nécessairement été formés en intervention, mais qui ont développé vraiment des compétences, des capacités très très très particulières pour travailler avec des jeunes dans un contexte de développement démocratique, dans un contexte, je dirais, de formation informelle à la citoyenneté démocratique, puis, au niveau des organisations, ils jouent un rôle très, très important en termes de médiateur parce que les jeunes veulent proposer des projets. Parfois, dans certains milieux, notamment le milieu scolaire, ils bousculent un peu la bureaucratie, bousculent un peu l'autorité. Ça ne va pas toujours bien. Et ces adultes-là jouent des rôles de médiateurs, c'est-à-dire ils vont trouver des solutions, ouvrir des portes bureaucratiques, tempérer les ardeurs des uns et des autres, ils vont trouver du financement pour des projets, ils vont soutenir des propositions. Alors, ils sont comme des chefs d'orchestre touche-à-tout qui ont un rôle très important, au niveau organisationnel, aussi, au sein de leur organisation. Et, je finirai par le fait qu’ils aident les jeunes, beaucoup, à, je dirais, comprendre les émotions politiques qu'ils vivent. Il y a beaucoup de jeunes qui ont mentionné cet élément-là. L'engagement politique, l'engagement social, on le sait, c'est très exigeant, c'est très exigeant au niveau émotif parce qu’il y a des dissensions. Parfois, il y a des conflits. Travailler collectivement, c'est difficile. Parfois, ça nous mène plus loin, mais ça demande beaucoup de… Il faut mettre de l'eau dans son vin, il faut faire de la conciliation et ces adultes-là aident les jeunes à vivre ces émotions-là, à transformer leur colère en action, en action politique, en engagement social. Ils les aident également à comprendre des situations politiques complexes parce que parfois, ils se retrouvent dans des situations d'instrumentalisation. Puis, ces adultes-là vont les aider à mieux comprendre la situation, à les écouter, à les soutenir dans les émotions qu'ils vivent. Et je pense que c'est un travail, un travail émotionnel très très important qu'ils font dans le cadre de ces initiatives-là. Donc, je dirais que c'est un des aspects les plus importants de notre recherche. Ce qui est ressorti beaucoup, c'est leur rôle et le fait que ce soit un rôle vraiment méconnu, ce soit un rôle pourtant essentiel dans l'écosystème des initiatives jeunesse au Québec. Puis, pourtant, on a assez peu documenté ce qu'ils font et d'ailleurs, je pense que ça nous a toutes inspiré un nouveau projet de recherche puisqu'on s’est dit « il faut vraiment travailler là-dessus parce que ce sont des piliers ».

[Musique de fond]

00:31:46 S.T-LB.
Merci beaucoup, Stéphanie, Caroline.

00:31:46 S.G.
Merci, Sophie.

00:31:46 C.C.
Merci, Sophie.

00:31:55 S.T-LB.
Vous venez d'écouter un épisode de la série les balados du CIRCEM de l’Université d'Ottawa. Les invités de l'épisode étaient Caroline Caron et Stéphanie Gaudet. Scénario, narration et animation par Sophie Théwissen-LeBlanc. Réalisation par Marie-Hélène Frenette-Assad. Le livre Faire l'expérience de la démocratie, les tiers lieux de l'éducation à la citoyenneté des jeunes au Québec est publié aux Presses de l'Université d'Ottawa. Les autres auteurs qui ont contribué au livre sont Brieg Capitaine, Hérold Constant, Alexandre Cournoyer, Emilie Drapeau, Mariève Forest, Maxime Goulet-Langlois et François Marchand. Nous remercions la quarantaine d’étudiants, de chercheurs et de représentants de la société civile qui ont contribué de près ou de loin au projet de recherche. Nous remercions aussi le Conseil de recherches en sciences humaines qui a permis la réalisation de la recherche et la production de ce balado. Pour en savoir plus sur le projet de recherche partenariale, vous pouvez visiter le site web educationetdemocratie.ca.