Signal nocturne

Au pied d’un sapin illuminé, l’autrice et dramaturge Fanny Britt célèbre Noël avec le réalisateur et animateur Julien Morissette.

Tous deux sont accompagnés de la metteure en scène Alexia Bürger et de l’autrice-compositrice-interprète, Ariane Moffatt.

Dans une merveilleuse ambiance du temps des fêtes, les artistes parlent de leurs souvenirs d’enfance, de l’amitié et de leurs projets futurs.

En plus de lectures inédites des textes Je déteste mon uniforme et d’un extrait de la pièce Toutes choses par Fanny et Alexia, Ariane Moffatt interprète sa chanson, Phèdre en forêt. Une combinaison délicieuse pour vous souhaiter un joyeux temps des fêtes!

Show Notes

Au pied d’un sapin illuminé, l’autrice et dramaturge Fanny Britt célèbre Noël avec le réalisateur et animateur Julien Morissette.
 
Tous deux sont accompagnés de la metteure en scène Alexia Bürger et de l’autrice-compositrice-interprète, Ariane Moffatt.

Dans une merveilleuse ambiance du temps des fêtes, les artistes parlent de leurs souvenirs d’enfance, de l’amitié et de leurs projets futurs.

En plus de lectures inédites des textes Je déteste mon uniforme et d’un extrait de la pièce Toutes choses par Fanny et Alexia, Ariane Moffatt interprète sa chanson, Phèdre en forêt. Une combinaison délicieuse pour vous souhaiter un joyeux temps des fêtes!

Creators & Guests

Host
Julien Morissette
Co-fondateur et directeur artistique de Transistor Média, Julien Morissette a réalisé et animé plus de 200 épisodes de balados comme Synthèses, Daniel Bélanger : Rêve encore, Signal nocturne, L'heure de radio McGarrigle et Les amours extraordinaires.

What is Signal nocturne?

Chaque vendredi sur le coup de 22 h 00, Julien Morissette reçoit des artistes de partout au Québec, issus de la littérature, du théâtre, du cinéma et de la création sonore et musicale. Découvrez des entrevues passionnantes, des textes inédits, des performances intimes et des conceptions sonores envoûtantes. Une production de La Fabrique culturelle de Télé-Québec, en collaboration avec Transistor Média.

ID INTRO
Ce balado est une présentation de La Fabrique culturelle de Télé-Québec, en collaboration avec Transistor Média

BLOC 1 - INTRO________________________________________________________

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 1]
Dans son roman La désidérata, Marie Hélène Poitras écrit :

Cette forêt est un rêve et vous inventerez les mots pour la traverser

Vous écoutez Signal nocturne

Vendredi soir.
24 décembre.
Je vous avertis tout de suite,

Ce sera pas une nuit tout à fait comme les autres.
De toutes façons, le contexte n'est pas tout à fait comme d'habitude.
Mais je vous invite à vous transporter hors du temps et à passer une nuit de Noël dans un lieu où il y a plein de magie.

Une vieille classe, au 3e étage d’un bâtiment de brique rouge, qui va bientôt fêter son 100e anniversaire.
Un petit laboratoire, rempli d’instruments : des synthétiseurs, des micros, des guitares, un piano droit et des percussions, dispersés à travers des romans, des essais et des recueils de poésie.

C’est ici qu’Ariane Moffatt a écrit, composé, enregistré des pièces qui nous accompagnent toutes et tous, depuis de nombreuses années.

Des mélodies comme celle de Phèdre en forêt, une chanson dont le texte est signé Fanny Britt.

Le studio est illuminé de dizaines d’ampoules de Noël, de toutes les couleurs.
Sur la table, il y a des biscuits, du thé et un peu de vin rouge.
Il y a aussi des livres de Fanny Britt.

Je vous propose un réveillon radiophonique, une nuit enchantée avec 3 femmes, 3 artistes admirables : Fanny Britt, Alexia Bürger et Ariane Moffatt.

Il y aura de la musique, une chorale, des textes inédits et surtout, des discussions sur l’amitié, la famille, le temps des fêtes.

BLOC 2 - ENTREVUE 1__________________________________________________

JULIEN MORISSETTE
Ben en tout cas Ariane, j'veux commencer, en te remerciant de nous recevoir dans ton petit studio aménagé pour le temps des Fêtes.

ARIANE MOFFATT
Ben, ça me fait plaisir. C'est un bonheur d'inviter les gens ici. C'est mon petit garage, là. Tsé moi j'suis tout le temps, pis souvent seule, fait que j'ai l'occasion de, d'inviter des gens que j'aime, me fait plaisir.

JULIEN MORISSETTE
Pis Fanny t'étais notre invitée est toute désignée, j'pense, pour la thématique des fêtes. Ça évoque quoi, pour toi, Noël, Fanny?

FANNY BRITT
C'est compliqué mon rapport à Noël. Mais j'ai l'impression que je suis pas la seule à vivre ça de manière ambivalente, Noël. Je pense qu'on a collectivement un fantasme de ce que ça devraient être : se réunir, le sens de la famille, les retrouvailles, euh… mais Noël c'est... ce qui est beau pour moi dans Noël c'est, c'est deux chose : c'est la bouffe, puis c'est la musique. Ça c'est là que j'ai toujours trouvé mon bonheur dans, dans Noël. Mais il y a eu toutes les chorales auxquelles j'ai participé quand j'étais jeune, qui m'ont, qui étaient vraiment comme un lieu refuge pour moi, où j'me sentais bien, pis j'me sentais comme faire partie d'un groupe, pis me fondre dans la masse pis j'aimais vraiment beaucoup ça chanter, pis, chanter avec d'autres gens. J'aimais cette musique là aussi. Euh, pis la bouffe. Ben, c'est c'était comme un moyen de communication dans ma famille. On on n'est pas des gens très expansifs, très sentimentaux dans notre façon nous exprimer mais on est, on des des gens qui cuisinons beaucoup. Même ma mère, mon frère et moi, qui on, on vit des vies très très différentes, mais ça c'est un endroit où se rejoints : la cuisine. Donc heu...

JULIEN MORISSETTE
Est-ce que ç'a toujours été comme ça dans la famille?

FANNY BRITT
Oui, ben...oui. Ma, ma mère a toujours cuisiné beaucoup. Pis on a eu les périodes de vie où vraiment on avait pas beaucoup dessous. Ma mère, elle est vraiment elle, elle faisait des choses avec des, tsé trois bouts de, de ficelles, c'est tu trois bouts de ficelles ou trois bouts de chandelles? J'sais plus. En tout cas.

JULIEN MORISSETTE
Trois bouts de ficelles, il me semble.

FANNY BRITT
Des bouts de quelque chose!

JULIEN MORISSETTE
Des bouts de quelque chose, hahah.

ALEXIA BÜRGER
Les deux.

FANNY BRITT
Pis tsé on voyageait pas. On n'avait pas de vacances, mais on avait pas de chalet. on n'avait pas de char. Heu.. mais on mangeait super bien chez nous. Toujours. Ç'a toujours été un super créatif, super goûteux. Ma mère explorait. On avait beaucoup de livres de recettes. Y'avait les supers chefs là, toute la, la bande de supers chefs, pis un livre de confiserie. Donc, toute jeune, ma mère avait pensé à faire ça en cadeau. C'était une façon aussi de sauver de l'argent. Donner des cadeaux que, qu'on avait fait nous mêmes. Puis elle s'est mise à faire des confiseries, des caramels, des, des fruits trempés dans le chocolat et toutes sortes de, de trucs. Des truffes, tout ça. Pis moi, j'ai vraiment eu la piqûre de ça. Pis c'est quelque chose que je fais encore depuis longtemps.

ARIANE MOFFATT
Ben moi j'me contente de comprendre là. Parce que tu sais tu l'montre, j'sais- j'sais pas si tout les gens savent à quel point à Fanny est une pâtissière... à rendre jaloux tous les want to be pâtissiers. Mais de voir que ça descend directement de ta mère dans le fond qui t'as transmis ça pis que...

FANNY BRITT
Oui. Ben oui, pis plus loin que ça, ma grand-mère, parce ben donc, on faisait les beignes de Noël avec ma grand-mère tous les ans. Vraiment presque jusqu'à sa mort on a fait ça. Elle est décédée à 96 ans, il y a quelques années, puis on a fait des beignes l'année d'avant là avec elle. Elle t'checkait encore, elle présidait à la, à la fabrication des beignes. Donc ça, pour moi, c'est c'est le Noël qui me qui me fait du bien. C'est le Noël auquel j'ai hâte chaque année. Mais Noël, c'est aussi pour moi une période sombre. C'est l'une des périodes sombres de l'année. Je trouve que c'est la période où j'sais pas pour toi, Alex, mais en tout cas, c'est la période où les deuils remontent. C'est là où nos disparus sont les plus... leur absence est la plus criante à ces moments-là dans l'année. Je sais pas pourquoi, j'ai l'impression d'avoir vécu plusieurs des grandes crises de ma vie à Noël, de séparations ou de tristesse. Puis les tensions, les dynamiques familiales, il s'en vont pas à Noël, hein, elle sont exacerbées. C'est comme un peu le pire moment. C'est comme les, comme les mariages on pense, ça va être toujours des supers belles journées, mais c'est souvent des journées très tendus parce qu'à cause des dynamiques...

ARIANE MOFFATT
Pis la différence entre les attentes et la réalité...

FANNY BRITT
Ahh complètement!

JULIEN MORISSETTE
Tu disais Fanny que ton frère a été dans une chorale et chantait à Noël. Tu as fait la même chose. Tu fais un parallèle dans le texte, Je déteste mon uniforme, avec ce qui s'est passé le 6 décembre 89 durant un spectacle de de Noël, peux-tu me parler un peu de ce texte-là?

FANNY BRITT
Hm. Ben c'est un texte qu'on a créé au moment où j'me suis fait offrir une carte blanche au Théâtre d'Aujourd'hui pour faire une soirée. J'pense ça s'appelait...

JULIEN MORISSETTE
« Aujourd'hui Fanny Britt passe à l'histoire ».

FANNY BRITT
Ouais, c'est ça! Fait que ils sélectionnaient différentes personnes qui passaient à l'histoire entre guillemets. Mais un gros, c'était une carte blanche. Et nous en fait la la la date qui nous avait été assignée, c'était le 6 décembre et c'était le 6 décembre 2019. Donc exactement 30 ans plus tard. Souvent à chaque année, hein, ça revient. D'ailleurs, c'est Martine Delvaux qui pose la question chaque année sur son mur Facebook. Qu'est-ce que vous faisiez, où est-ce que vous étiez le 6 décembre 89? Comme une façon de se rappeler ce moment là où les choses ont, ont basculé. Où pas mal toutes les femmes, et certainement les filles du Québec, ont perdu une forme d'innocence.

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 2]
Fanny Britt nous fait la lecture de son texte « Je déteste mon uniforme »

BLOC 3 - LECTURE 1 : JE DÉTESTE MON UNIFORME_______________________

FANNY BRITT [LECTURE]
Je déteste mon uniforme
Une chemise blanche en permanent press
Informe et emprisonnante à la fois
Qu’il faut rentrer dans la jupe marine à plis plats
Qui va jusqu’à terre
Y a juste un magasin à Montréal où on peut l’acheter
C’est sur Ste-Catherine Ouest pis quand je vas chercher la mienne le vieux monsieur qui parle juste anglais lève les yeux quand je rentre avec l’air de réprimer un soupir d’agacement
Encore une
Ce sera pas beau elle sera pas belle
Il pense qu’à mon âge la jupe devrait être plus petite
Ça le gosse que je sois large de hanches
C’est pas une qualité
Pas à douze ans
On me dit des fois que j’ai les bonnes hanches pour porter des enfants
Je peux pas affirmer présentement que c’est efficace comme consolation
J’aimerais ça dire à quelqu’un que l’uniforme est affreux
Que ça fait bien à personne
Que le tissu est pas doux pis que ma mère est capable de coudre des jumpsuits pis des tailleurs pis les vestons asymétriques que les adultes aiment en 1989
Elle sait toute coudre ça comme une pro
Elle pourrait les faire les jupes elle
L’argent serait pas de trop non plus
Mais à qui je dirais ça

Un jour avant un concert y nous arrivent avec la touche finale
C’est comme un long foulard en batik vaguement tie dye
Couleurs pascales
Y a du rose
Du orange
Turquoise pâle
Une touche de lilas
Il faut qu’on se les noue autour du cou
En grosses boucles bouffantes
Comment dire
On est soixante adolescentes
Quand on rentre chez nous on écoute Paula Abdul ou Bérurier Noir ou les B-52s
New Kids on the Block
Pas moi
On rêve de voyager
On a peur des BPC pis de l’ancien chum de Chantal Daigle
On parle pas de se marier ou d’avoir des enfants
Ce qui veut pas dire qu’on parle pas de tomber amoureuse
Ou de faire de notre vie quelque chose d’important
On chiale contre nos profs plates
On chiale contre nos parents fru
On désire
Beaucoup
C’est physique
On se demande si c’est normal
Ce que je veux dire c’est qu’on vit dans le monde
Et ce monde-là ressemble pas à une boucle pastel en batik
Mais c’est pas grave
Je déteste mon uniforme mais j’adore chanter
J’adore la chorale
Ce soir on chante dans l’ouest de la ville
C’est un hôpital qui ressemble à un hôtel
Y a du tapis
Pis aucun néon qui donne mal aux yeux pis qui annonce la mort dans la face des patients
Dehors il neige
Une petite neige parfaite de film de Noël
On chante avant le souper mais il fait déjà noir
Pas une noirceur qui fait peur
Plus une noirceur qui rend la chaleur de l’autobus pis de notre grabuge dans l’autobus pis du sourire tolérant de monsieur Edwards dans l’autobus encore plus douce
Y est vieux depuis toujours, mais y va diriger des chorales pendant encore vingt-cinq ans
On fêtera sa retraite, en 2014
Ce soir-là il dirigera son dernier concert pis toute l’église se lèvera pour chanter parce qu’on aura toutes reçu les partitions en cachette pis qu’on aura voulu être là pour lui
Comme quoi des hommes bienveillants y en a toujours existé
Mais c’est pas de ça qu’on parle hein
Ça a jamais été de ça
Rendu là j’aurai trente-sept ans pis je serai pas dans une bonne passe
Je trainerai le poids d’une douleur que je m’explique mal pis que j’excuse jamais
Je saurai pas encore que mon dos courbé
Mes claques mes regrets mes reproches sur ce qu’il y a de faillible en moi
Font bien l’affaire d’un paquet de monde
Qui en a besoin pour fleurir
La honte est l’engrais de mon époque
Je saurai pas encore tout ça ce soir-là où on fêtera la retraite de monsieur Edwards
Je le sais encore moins aujourd’hui pendant qu’on chante dans la salle de réception d’un hôpital qui a l’air d’un hôtel
We wish you a merry christmas
We wish you a merry christmas
We wish you a merry christmas
And a happy new year
Je le sais encore moins parce que si j’ai déjà compris que je pouvais être rejetée
Réduite en poudre de silence par les trahisons ordinaires de l’enfance
Des amies qui détournent le regard en clamant que je suis trop laide
Grosse et laide n’est-ce-pas
Ce combo imaginatif des gens raffinés
Ou des séparations, petites et grandes
D’avec un père, un chat, un pays d’épinettes noires
Si j’ai déjà compris ça
Je soupçonne pas encore combien je continuerai à perdre de mon innocence
Chaque jour de ma vie
Des trucks et des trucks et des trucks pleins de remblai de gravelle
Avec dans chaque caillou une perte
O nuit de paix
Sainte nuit
Dans le ciel
L’astre luit
Je suis complètement dedans, quand je chante
Des fois les tounes sont insignifiantes
Bon c’est pas Petit Papa Noël level d’insignifiance, monsieur Edwards a quand même sa dignité
Mais pour moi qui suis même pas baptisée
C’est difficile de saisir l’importance du bœuf et de l’âne gris
N’empêche
Quand on est ensemble comme ça
Soixante adolescentes
Plus UN gars qui chante encore assez haut
Qui se perdent et surtout se trouvent dans leurs voix mélangées
J’ai l’impression qu’on a la force d’un mur
Que si on fonçait sur nous y a rien qui s’ébranlerait
Pis j’y pense pas avec ces mots-là pas encore
Mais je sais qu’il y a là un rempart, dans le groupe
Un passage secret
Vers la liberté
Qu’on sait pas encore tout à fait qu’on aura à se battre pour avoir
Ou garder

À la pause quelqu’un appelle chez eux
Pour un lift ou pour dire aux parents qu’on va finir à sept heures
Pis après avoir raccroché elle change de face
Monsieur Edwards non plus est pus pareil
Tout le monde se met à vouloir le téléphone
Faut faire la file, y en a juste un
Les grandes de secondaire cinq savent tout plus vite que nous
Je me glisse dans l’attroupement pour entendre

Y a des morts
Des mortes, en fait
Un tireur les a assassinées
Dans leur classe à l’université
Demain je vais apprendre qu’il a divisé les gars et les filles avant de tirer
Demain je vais apprendre les noms des quatorze femmes
Tous sauf un
Que je connais déjà
Geneviève est une ancienne de la chorale
Les grandes de secondaire cinq se souviennent d’elle
Elles l’admiraient comme je les admire, elles, aujourd’hui
Avec leurs cheveux courts et leurs vestons d’hommes
Leur mélancolie euphorie mélancolie dans les partys de grands où par miracle on réussit parfois à s’inviter
Leur visage tourné vers le grand monde qui les attend après le secondaire
Leurs amours de chair et d’os
Elles suivaient les pas de Geneviève comme je suis leurs pas à elles
Et la piste, ce soir, vient de s’arrêter

Quand le spectacle reprend
Personne sait si on y arrivera
On chante à travers les larmes
À travers la peur
On chante
Soixante adolescentes
Plus un gars qui pleure lui aussi
On chante
Et c’est insensé
Et c’est beau
(canon)
Ma mère a pas d’auto
Pas les moyens
Mais ce soir-là après le concert quand je sors dehors elle est là
Peut-être l’auto de ma grand-mère
Ou celle de ma tante, je sais plus, ça fait trente ans
Elle m’attend avec à côté d’elle mon frère de 14 ans
Ça aussi c’est une anomalie
C’est là je pense que je prends toute la mesure de ce qui arrive à ma ville ce soir-là
On est loin d’être juste tristes
C’est loin d’être juste une mauvaise nouvelle
C’est une blessure
Collective
Qui nous avale
Avec les flocons

Dans les jours qui suivent mon frère se réveille au milieu de la nuit
Après un cauchemar affreux
Il va même réveiller ma mère
Mon frère adolescent qui mesure probablement déjà six pieds
Va réveiller ma mère et il pleure
Et entre ses larmes il dit
J’ai peur d’être comme lui
Comment on fait pour pas devenir quelqu’un comme lui?
Ce qu’on sait pas personne d’entre nous
C’est que mon frère à ce moment-là il est rendu au deux-tiers de sa vie
Dans sept ans il va s’éteindre dans un feu de fumée
Au deuxième étage d’un bloc appartement à Ste-Thérèse
Au plus froid de l’hiver
Il aura jamais été, de toute sa vie, « quelqu’un comme lui »
Savez quoi?
Il chantait dans une chorale lui aussi
Il avait failli faire le solo quand Gilles Vigneault était venu à l’école faire un concert avec nous
J’ai fait de la peine à Mamie
Elle qui ne m’en a point fait
Finalement c’est une fille qui a eu le solo
Il était déçu
Mais sans plus
Ce qu’il demande quand il demande
Comment on fait pour pas devenir quelqu’un comme lui?
Ça peut paraitre exagéré
« Ça doit être un petit gars castré élevé par une féministe frustrée
Voyons donc on n’est pas tous des tireurs fous #notallmen #loupsolitaire #cas-isolé »
Mais sa question me suit depuis trente ans
C’est la question de toute une vie
Pour un homme
C’est lourd
Est-ce que c’est aussi lourd que notre question à nous?
Comment on fait pour se protéger de quelqu’un comme lui?

Je sais pas ce que ma mère lui a répondu
Quand mon frère pleurait dans la nuit
Elle avait sûrement peur elle aussi
Elle avait 41 ans
Mon âge, essentiellement, aujourd’hui
Il nous reste encore tellement d’assauts à vivre à 41 ans
Elle s’est peut-être dit
Pourvu qu’on traverse la nuit
Pourvu qu’on traverse la semaine
Pourvu qu’on se rende à Noël
On pense au on
À 41 ans
Avec trois enfants
Même ou peut-être surtout quand on est toute seule pour tout faire, on pense au on
Je sais pas ce qu’elle a dit, non plus ce qu’elle a pensé
Ce que je sais c’est ce qu’elle a fait
Le lendemain
Elle s’est levée
Elle a géré les lunchs, les devoirs, le prochain loyer
Elle a parti les recettes de Noël
sucre à la crème
beignes
caramels
Pour offrir
Aussi pour manger
Aussi pour éloigner le gouffre

Et moi
Et mon frère
Et soixante adolescentes plus UN gars comme nous transformé
On a continué à chanter

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 3]
C’était Fanny Britt, dans Je déteste mon uniforme.

En 2022, Alexia Bürger et Fanny Britt vont présenter la pièce Toutes choses sur les planches du Quat’sous. Le spectacle met en scène les alter des deux créatrices, à partir du culte qu’elles vouaient au film Stand By Me, dans leur enfance.

BLOC 4 - ENTREVUE 2__________________________________________________

JULIEN MORISSETTE
Donc 1986, au cinéma, on présente Stand by Me. Est-ce que vous vous souvenez de la fois où vous avez vu, Alexia et Fanny, ce film pour la première fois ci?

ALEXIA BÜRGER
Si on s'en souvient, tu dis!

FANNY BRITT
Ben... heu, ouais, c'est ça qu'on interroge aussi dans la pièce. On interroge notre mémoire, mais on interroge notre histoire.

ALEXIA BÜRGER
Cela. Stand by me là, dans ma tête, on l'a vu, ben je sais pas combien de fois. On l'a vu probablement 26 fois, donc ça se mélange.

FANNY BRITT
C'est ça! Oui, c'est ça l'affaire. C'est qu'on l'sait qu'on l'a vu dans le beta de ton père. Dans ton salon. Ça, c'est sûr. On l'a vu au moins 15 fois dans le beta. On l'a, on a dû le regarder aussi chez nous, chez mon père. Parce qu'on regarde pas vraiment des émissions chez ma mère. On allait moins souvent, j'sais pas pourquoi, on était moins souvent.

ALEXIA BÜRGER
En fait, on, moi, j'ai plus jamais re-eu ce rapport au, à à une oeuvre aussi obsessive. Mais c'est comme si y avait quelque chose d'une naissance de de, d'un passage qui nous a vraiment guidés vers l'âge adulte, pour moi. Même si on n'était pas encore rendu là. Y avait quelque chose aussi dans le fait que t’écrivais, Fanny écrivait toute jeune. Depuis toute jeune, depuis toute jeune, elle écrit. Son rapport au monde, passait par l'écriture comme elle respirait. Elle écrivait à la fin d'une journée, pendant un cours. Elle était toujours en train d'écrire. Dans Stand by me...

FANNY BRITT
Dans les party parce que je ne savais pas quoi faire de moi même, parce que je pognais pas pis.... heu... J'étais trop peureuse pour prendre la drogue. Fait que j'allais dans un coin pis j'écrivais des poèmes. C'éééétait ri-di-cu-le.

JULIEN MORISSETTE
Ben non, avec du recul, on est content de ça. Mais sur le coup, ça pas dû être si hot, tsé.

FANNY BRITT
Ben j'avoue que quand je ressors ces cahiers là. Là, j'ai du fun, c'est drôle là. J'l-J'écrivais des odes à mes amis là.

ALEXIA BÜRGER
Elle, elle avait aucune objectivité. Fait que elle nous voyait. En fait, elle faisait de nous des des des héroïnes. On, on avait une chance incroyable parce qu'à travers ses écrits, on était vraiment des gens...

FANNY BRITT
Formidables. Alors que... hahaha.

JULIEN MORISSETTE
Vive la fiction!

ALEXIA BÜRGER
Oui, hahah, elle allait vraiment dans la fiction!

FANNY BRITT
Non, on était formidables.

ALEXIA BÜRGER
Oui. Elle écrivait, elle écrivait toujours, tout ça. Donc, dans Stand By Me, y'a ce personnage central qui qui parle ou pa-, qui qui revient sur...

FANNY BRITT
Et qui est un écrivain!

ALEXIA BÜRGER
....Ce qui est passé. Qui est un écrivain.

FANNY BRITT
Et même un enfant, il aime écrire. Donc c'est ce que moi, je me suis identifiée tout de suite à ce personnage là. Et y a l'autre personnage qui est.. Plus rough qui qui qui ont moins peur aussi de de son côté sombre, qui, qui a des ambitions plus mystérieuses, pis plus secret. Pis, hahhaa, je sais pas pourquoi, j'ai comme, j'ai comme, comme c'était une description de de toi ou de ton enfance. Ce qui est tellement pas vrai.

ALEXIA BÜRGER
J'vais en parler à mon psy.

FANNY BRITT
Mais Alexia, elle, avait à c't’affaire là pour River Phoenix. Pour le personnage de River Phoenix et pour River Phoenix lui-même. Pis y'a y'a quelque chose chez elle qui a toujours eu qu'un type qui est plus attiré par la prise de risque que moi. On en parle d'ailleurs dans la pièce. Y'a des scènes là-dessus. Sur nos nos différences de tolérance face au risque. Puis l'aventure, l'inconnu, aller là où t'es jamais allée. Un rapport aussi plus comme conflictuel avec la routine ou avec la la, avec une vie monotone ou rangée, tsé. Je pense que toi, tu réfléchissais plus à ces questions là, à l'adolescence, puis pis dans la vingtaine… que moi, qui étais très anxieuse et qui aspirait surtout à me sentir paisible, tsé, à trouver ma sécurité pour pouvoir juste comme écrire en paix, puis être avec mes amies en paix, pis pas avoir peur, tsé, juste comme… Mais en fait, c'était de la peur j'pense toutes les deux on avait des peurs, mais qui s'exprimaient de manière très, très différente. Donc c'est assez étonnant qu'on soit si proche. Mais ça l'est pas. Mais on était très différentes.

ALEXIA BÜRGER
Ça traitait d'amitié aussi. Tsé c'est vraiment au coeur de de tout ça, pis c'est comme si je pense que. Ça nous f- on on. Moi je. En tout cas, pers-, j'parlais pour moi, je je pressentais que dans la rencontre avec Fanny, ça ça fait partie des rencontres rares où tu trouves vraiment, tu trouves une soeur. De trouver une famille à travers une amitié. Moi je j'me souviens que ce rapport au au film, c'était aussi de pressentir que c'est quelque chose qui allait nous nous suivre. Qui risquait de de devenir un un point de repère ou un phare dans le temps. J'sais pas.

JULIEN MORISSETTE
Est-ce que, est-ce que vous avez l'impression que l'amitié est un sujet qui est en création? Que ce soit en écriture de chansons, en en littérature, en théâtre, est-ce que c'est un sujet qui est bien représenté, ou il y a encore beaucoup de choses à à dire là dessus?

ARIANE MOFFATT
Bah, moi j'en ai une. J'ai ma chanson Miami. Qui est carrément, j'sais pas, c'est c'est la première fois que j'ai, j'ai impliqué l'amitié dans un, dans un sujet de chanson, pis d'une façon qui est très légère, mais qui était dans une période où cet cet enjeu là, avec avec l'ami en question, était super prenant. Ça en a fait une chanson très bubbly.

JULIEN MORISSETTE
C’est vrai.

ARIANE MOFFATT
C'est un méchant, c'est un méchant beau sujet. Parce que c'est un, c'est un terrain où je sais pas où il y a beaucoup de de de libertés d'être entièrement soi. Pis de de d'engagé d'une manière qui est peut être moins menaçante que dans les relations amoureuses. Ou donc, souvent, je pense que c'est ça la chance d'avoir une grande amitié ou des grandes amitiés.C'est que t'es y'a certaines limites qui sont comme effacées que tu vas avoir à à faire face plus dans dans une relation amoureuse. Puis ça fait en sorte que tu peux déployer… Pas plus entièrement qu'en amour, mais quand même d'une manière peut être parfois plus libre.

FANNY BRITT
C'est vrai que je pense que y a souvent plus de libertés dans une bonne amitié là. C'est une relation vraiment libre, alors que dans une bonne histoire d'amour, il y a quand même toujours plein d'enjeux, de possession, pis d'ego. Mais oui. Pis on s'en sort pas. Pis c'est peut être correct comme ça. J'veux dire grand bien leur fasse à tous les polyamoureux qui sont capables de de se sentir toute entièrement libres en amour pis tout ça. Mais mais, quand même, de façon générale, y a des zones tourmentées en amour, même dans les meilleurs amours. Alors que dans les meilleures amitiés, des fois, y en a juste pas. On est pas vraiment libérés, tsé.

JULIEN MORISSETTE
Est-ce que y'a, est-ce que y'a d'la jalousie en amitié ou de la possessivité?

FANNY BRITT
Moi j'en ait. Mais ça, c'est mon insécurité.

ARIANE MOFFATT
Ben c'est ça. Dans le fond, les insécurités s'expriment partout dans la vie. Que se soit en amitié, en amour, avec des objets... hahah.

FANNY BRITT
Mais ça nous appartient. Tsé c'est. On dirait qu'en amitié, on est peut être plus capables, ou en tout cas moi c'est ce que je trouve tellement riche, c'est que ça me permet moi, en tout cas, de voir c'est quoi ma participation, c'est ma part de responsabilité. Parce que c'est tellement une richesse, tsé, incommensurable pour moi, l'amitié. C'est vraiment une chose qui est... Tsé c'est c'est vraiment une chose très, très précieuse. Donc, comme toutes les choses précieuses dans ma vie, j'ai peur de les perdre, tsé, plus j'ai j'ai peur de les perdre. Pis. Donc je j'peux dire que j'en ai de la jalousie. Pis là, elle dit au personnage de Brune : "Toi, quand tu dis, je suis jalouse de notre temps ensemble, ce que tu dis, c'est que tu le, c'est que tu tu veux le conserver, tu veux le préserver", tsé. Donc t'as une, "t'as une notion de jalousie qui est beaucoup plus saine que moi".

ARIANE MOFFATT
Jalouse comme dans le sens de précieuse là?

FANNY BRITT
Oui, exact. Exact. Tsé, c'est de la fameuse compersion. Tsé l'idée d'être vraiment heureux pour le bonheur de l'autre. C'est vrai qu'un amour, c'est c'est. C'est, peut être un combat, quand quand l'autre trouve son bonheur loin de nous. Hein? C'est toujours un défi. Que ce soit une passion professionnelle, que ce soit un éloignement personnel. C'est toujours très difficile à à accueillir, souvent en amour. Pis, alors qu'en amitié, on on dirait que ça nous fait. Ça nous déploie nous aussi. C'est comme si on prenait... Nous, ça nous élève nous aussi de voir l'autre fleurir, tsé.

ARIANE MOFFATT
On devrait être capable de prendre ces éléments là qu'on a... de de l'amitié pis de les les installer dans nos relations amoureuses plus. C'est comme quand on en parle, c'est frappant quand même.

FANNY BRITT
Mais c'est les attentes aussi j'pense. C'est la différence dans les attentes. On attend beaucoup de nos, de nos amoureux, de nos amoureuses. Puis je pense qu'une des clés de la bonne amitié, c'est c'est moins d'attente. C'est être ensemble, mais pas nécessairement attendre beaucoup de choses l'une de l'autre.

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 4]
Alexia Bürger et Fanny Britt nous présentent le tableau RÉTROVISEUR, tiré de la pièce Toutes choses

BLOC 5 - LECTURE 2 : TOUTES CHOSES - RÉTROVISEUR (TABLEAU 2)_______

FANNY BRITT [lecture]
Dans les années quatre-vingt à Montréal y avait une friperie qui s’appelait Le rétroviseur
C’était sur la rue Rachel
La mère de toutes les friperies
On y allait pour les cardigans jaune banane ou bleu poudre
rétrécis par les lavages
Des fois troués aux poignets
Par les mites ou par les mains froides qui tiraient trop souvent dessus pour se réchauffer
On y allait pour les robes à crinolines
Avec leurs jupes en voile de polyester ou en coton imprimé
À fleurs à rayures à carreaux
On y allait pour les coats de jeans, les coats de cuir, les coats de tweed
Je pense que nos parents ont jamais mis les pieds là
On faisait ça entièrement en dehors de notre vie avec eux
Dans notre temps
Ça arrivait plus tôt, non, ce moment-là?
Le moment où nos parents devenaient des troisièmes rôles muets en arrière-plan de notre vie
Neuf-dix ans et basta
Si on avait regardé dans le miroir en s’éloignant de plus en plus vite vers l’âge adulte
On les aurait vus rapetisser
Rapetisser
Et rester immobiles
Mais on regardait pas
De toute manière
Ce qui est drôle c’est que tout ce temps-là qu’on passait à pas porter attention à nos parents
On le passait à tripper sur l’époque de leur jeunesse
La friperie
Les Beatles
Le patchouli
Pis les films de notre temps qui parlaient de leur temps
Dirty Dancing
Dead Poets Society
On allait au rétroviseur sur Rachel
Exactement à mi-chemin
Entre chez moi
Et chez elle
Pis un jour on s’est assises dans son salon
Y était grand
Avec des murs bruns presque noirs
Du lambris sculpté
Des plafonds hauts comme ça
Des appliques à deux ampoules chaque, en forme de chandelles
Pis un magnétoscope Béta
Tout chez elle était magnifique
Pis totalement en bordel
Rien sera jamais aussi chic que ça à mes yeux
La beauté désordonnée
On a poussé une cassette dans le Béta
Pis on a mis
Stand
By
Me

ALEXIA BÜRGER [lecture]
C’était au cinéma
Le 2020
En plein milieu du métro McGill
Quand t’arrivais tu pouvais passer directement de la rame de train au comptoir à popcorn
Après les tourniquets
Juste des petites salles là-bas
Plus tard
En secondaire quatre je dirais
Mais je sais pas
C’est elle qui sait les dates
Plus tard en tout cas
Notre année au complet déciderait de faire la grève un après-midi
Parce que le chauffage était brisé à l’école
Un des gars dans notre classe se lèverait pis dirait
« Heille je fais tout ce que je peux pour pas attraper la grippe, je prends mes vitamines, j’évite les produits laitiers, pis là j’arrive à l’école pis y fait dix degrés en-dedans, c’est inacceptable »
On trouverait ça vraiment impressionnant
Son aplomb de syndicaliste
Son père était à l’ONF je pense
En tout cas
Toute la classe avait suivi
Une mutinerie sur le Bounty de notre école secondaire déjà très, avouons-le, permissive
On avait quitté l’école à midi
Pis on était allés en gang voir Silence of the Lambs
Au cinéma 2020
Les caissières voyaient ben qu’on n’avait pas dix-huit ans
Mais quarante jeunes qui débarquent un lundi après-midi dans un cinéma désert, ça se refuse pas
En tout cas
C’est là qu’on a vu Stand by Me
Des années plus tôt
Avec sa mère
Son frère
L’ami de son frère
Pis elle
On n’avait pas des mères qui nous emmenaient au cinéma d’habitude
C’était pas comme ça
Nos enfances
Mais cette fois-là oui
Son frère
Pis l’ami de son frère
Avaient l’âge des quatre gars dans le film
On les voyait grands
Géants
Y jouaient de la guitare pis y avaient commencé à fumer
Quand les gars jouent aux cartes dans la cabane au début du film
Un paquet de smokes inséré dans la manche du t-shirt
Je les voyais eux
Pis je nous voyais nous
Je les voyais eux
Pis je nous voyais nous

FANNY BRITT [lecture]
Non c’était le Béta

ALEXIA BÜRGER [lecture]
Non c’était au cinéma

FANNY BRITT [lecture]
Non c’était le Béta

ALEXIA BÜRGER [lecture]
Non c’était au cinéma

FANNY BRITT [lecture]
Non c’était

ALEXIA BÜRGER [lecture]
Peut-être

FANNY BRITT [lecture]
Ouais peut-être

ALEXIA BÜRGER [lecture]
Ça s’échappe hein

FANNY BRITT [lecture]
Non non
C’est juste
C’est pas important

ALEXIA BÜRGER [lecture]
C’était ensemble

FANNY BRITT [lecture]
Exact

BLOC 6 - ENTREVUE 3__________________________________________________

JULIEN MORISSETTE
Fanny, j'ai le goût de, de t'parler de Phèdre en forêt.

FANNY BRITT
Oui.

JULIEN MORISSETTE
C'est comme un, le meilleur des deux mondes en musique et en écriture. Ariane Moffatt et Fanny Britt qui se racontent le temps d'une chanson. Comment ça s'est passé, cette. Cette petite aventure sur Incarnat?

ARIANE MOFFATT
Ben... c'est c'est moi qui avait une idée, un profond désir de de de pouvoir chanter les mots de Fanny Britt. Simplement. Et donc, j'ai j'ai essayé de de contacter Fanny pour voir si ça lui tenterait d'écrire une chanson. Puis... heu... tsé, ça a flotté un petit peu, mais ça n'a jamais senti que tu me fermais la porte. Mais tsé c'était plus comme en suspens. Pis là j'ai j'ai composé une musique. Pis qui ressemblait à rien, de de ce que je suis habituée de faire. Qui n'avait plus un aspect ritournelle. Tsé, une mélodie qui était différente un peu. Pis j'me rappelle, j'étais ici, dans le studio où on se trouve, pis c'était dans un moment où, tsé des fois, ça, ça file pas. T'es en train d'essayer de créer quelque chose pis y'a un état de mal-être qui s'installe. Pis c'est facile de tsé de refermer puis dire : "OK". Ben j'me rappelle vraiment avoir creusé la dedans. Puis je sais que dans la façon dont tu parles du monde, tsé t'en t'en parle beaucoup des des états plus difficiles, intérieurs, tu/y'a pas de tabous dans ta façon de nommer les souffrances, les passages à vide. Pis j'associe aussi beaucoup ça d'avoir creusé, puis d'avoir dessiné cette mélodie-là. Pis de l'avoir envoyé à à Fanny qui, finalement, même pas deux semaines après, avait un piètre âge déposé sur la mélodie. Pis c'était, c'était fait là. C'était dans la boîte là. Y'a pas eu rien, n'y a pas eu de retouches. C'était assez magique.

FANNY BRITT
ben c'est vrai qu'au début, j'hésitais parce que je j'me disais : "Ah, je sais pas comment. Je pense pas que je suis parolière". Tsé, j'pense pas que j'suis une poète. J'les j'les admire, je les aime tellement, les poètes. Puis j'ai eu des, une passion, tsé, terrible pour Leonard Cohen, pour Emily Dickinson. Tsé j'aime vraiment beaucoup la poésie, mais je ne pense pas être une une poète. Je formule trop, puis on dirait que j'ai trop de mots. J'ai de la misère avec cette précision là. On dirait que c'est, c'est moins mon langage. Fait que j'avais vraiment peur de, de faire ça. Puis de me planter. Mais quand la mélodie est arrivée… Pis c'est ça qui est drôle parce que Ariane on se connaissait comme vraiment. On avait une, on a une relation de DM sur Instagram. hahah, c'est vrai.

ARIANE MOFFATT
Comme dirait Katherine Levac : "Le Tinder de l'Union des artistes".

FANNY BRITT
hahahahah. C'est vraiment ça. Mais là, on… on on se parlait comme ça un peu, vraiment sans, sans qui aille une direction dans cette relation là. Mais on dirait que chaque fois, on reconnaissait quelque chose dans l'autre. Pis, pis sans le nommer. J'ai l'impression que on est comme, on est unies par justement cette espèce de... On a toutes les deux un côté assez bubbly et un petit dark side qui est, qui est non dit, qui est pas nommé.

ARIANE MOFFATT
Complètement, maudit qu'elle est bonne pour nommer les choses.

FANNY BRITT
Qui est moins nommé. Qui est, qui est, ouais qui est plus souterrain. Puis, quand la mélodie est arrivée, qui était pas, qui était pas une mélodie tragique. C'est ça qui est drôle. Mais clairement qui a été écrite dans un état de mélancolie. Psi ce qui est sorti, c'était moi tout de suite un personnage tragique, puis une chanson dépressive, solitaire. Il y avait là le bois, la campagne, la la solitude, la grande solitude qu'on, qu'on ressent, qui est, qui est si souffrante quand on se sent seul parmi les autres. Se sentir seul quand on est entouré, c'est vraiment dur. Pis c'est, c'est vraiment ça que j'avais envie d'illustrer parce que c'est c'est existentiel. Ce n'est pas lié à nos circonstances, ce n'est pas. Ce n'est pas parce qu'il faudrait changer quelque chose dans notre vie. C'est parce qu'on porte cette noirceur-là. Puis, c'est juste de ça dont j'ai envie, j'ai eu envie de parler ce jour là. Moi aussi, cet état-là m'habitait. Pis j'ai l'impression que la, cette mélodie là est est sortie dans un état même. Fait que j'pense que c'est pour ça que ça s'est quand comme passé. Pis faut dire aussi que ça me soulageait beaucoup qu'il n'y ait pas de, y'avait pas d'attente là que ça soit comme une chanson radio. hahahah. Avec un refrain, un bridge, des affaires de même. J'étais comme....

ARIANE MOFFATT
C'était comme une marche, justement, en forêt, presque. Pis ça a été comme... Tsé des fois, on peut même avoir des fois une certaine pudeur à aller jusqu'au bout et à nommer certaines choses. Pis j'ai l'impression qu'elle l'a fait à ma place. J'en parle, pis c'est comme : "Ayoye, tsé c'est allé". Fait que maintenant, j'corde mon bois au chalet pis j'pense tout le temps... hahah, j'ai tout le temps la mélodie en tête.

FANNY BRITT
hahahahah.

ARIANE MOFFATT
Mais c'est, c'est vraiment un beau cadeau.

JULIEN MORISSETTE
Tu vas tu vouloir nous la jouer, Ariane?

ARIANE MOFFATT
J'vais vouloir vous la jouer avec plaisir.

BLOC 7 - PRESTATION __________________________________________________

ARIANE MOFFATT - PHÈDRE EN FORÊT

BLOC 8 - GÉNÉRIQUE________________________________________________

JULIEN MORISSETTE [NARRATION X]
C’est sur cette prestation de Phèdre en forêt qu’on se quitte.

Je vous souhaite donc des nuits du temps des fêtes aussi inspirantes que magiques.

On se retrouve dès le 18 janvier pour de nouveaux épisodes tout aussi doux, avec Saratoga, Émilie Monnet et Véronique Grenier.

Merci à toute l’équipe de Signal nocturne :

Pour Télé-Québec
-La coordonnatrice Nadine Deschamps
-La technicienne de production Erica Coutu-Lamarche
-La chef de contenu Ariane Gratton-Jacob
-L’édimestre Sophie Richard
-Et la directrice de La Fabrique culturelle et des partenariats, Jeanne Dompierre

Pour Transistor Média

-Tenaga Studio à la musique originale et à l’habillage sonore
-François Larivière au mixage
-Sophie Gemme à la recherche
-Claire Thévenin, chargée de production
-Louis-Philippe Roy aux communications
-Stéphanie Laurin à la production exécutive

Abonnez-vous dès maintenant à Signal nocturne dans l’application de balado de votre choix ou écoutez-nous sur lafabriqueculturelle.tv, on vous propose un nouvel épisode chaque vendredi soir.

Je m’appelle Julien Morissette, joyeuses fêtes.