Les balados du CIRCEM



Descriptif : Cet épisode des balados du CIRCEM de la Série de conférences Mauril Bélanger est le troisième de quatre balados consacrés à l’immigration francophone. Dans le contexte de débats liés à la présence d’un nombre croissant d’étudiants internationaux au Canada, Luisa Veronis et Janaína Nazzari Gomes s’intéressent plus spécifiquement à la question des étudiants internationaux francophones. Elles soulignent le rôle primordial des étudiants étrangers pour les institutions postsecondaires francophones en contexte minoritaire. Elles abordent ensuite certains défis importants auxquels sont confrontés les étudiants internationaux au Canada, particulièrement les étudiants francophones. Elles explorent enfin des pistes d’action et des solutions potentielles pour remédier à ces défis.

What is Les balados du CIRCEM?

Les balados du CIRCEM visent à promouvoir la recherche interdisciplinaire sur la citoyenneté démocratique et les groupes minoritaires et minorisés, à partir de la tradition intellectuelle du monde francophone.

[Musique de fond]

00:06 Marie-Hélène Frenette-Assad
Les balados du CIRCEM visent à promouvoir la recherche interdisciplinaire sur la citoyenneté démocratique et les groupes minoritaires et minorisés, à partir de la tradition intellectuelle du monde francophone. Le présent balado est réalisé dans le cadre de la série de conférences Mauril Bélanger.

[Fin de la musique de fond]

00:25 Janaína Nazzari Gomes
Alors ceci est le troisième balado de cette série de quatre épisodes qui porte sur l'immigration francophone en situation minoritaire. Ce balado traite des étudiants internationaux, qui suscitent de plus en plus de débats dans l'actualité, comme illustrent ces « unes » de Radio-Canada, de La Presse, de L'Express, du Courrier International et de TFO.

00:50 Lecture par synthèse vocale
« Quels sont les emplois disponibles pour les étudiants internationaux au Canada? »
« Établissements francophones, encore des refus massifs d'étudiants africains »
« Épargner les établissements francophones du plafond d'étudiants étrangers »
« Ottawa envisage de plafonner le nombre de visas octroyés aux étudiants étrangers »
« Moins d'étudiants étrangers pour plus de logements? Le débat est ouvert. »

01:10 Janaína Nazzari Gomes
Ces « unes » font le portrait des nombreux défis qu'affrontent les étudiants internationaux lorsqu'ils s'installent au Canada pour étudier et non rarement pour obtenir la résidence permanente. Parmi ces défis, on peut citer l'obtention du visa d'étude, le coût de la vie, ainsi que les défis inhérents à la vie en situation minoritaire où l'anglais prédomine. En outre, on pense souvent aux étudiants internationaux comme des personnes à accueillir, mais nous n'avons pas nécessairement de politique pour les garder. Pourtant, selon les données du Bureau canadien de l’éducation internationale, 72.5% des étudiants internationaux planifient déposer une demande pour un permis de travail post-diplôme et 60% prévoient demander la résidence permanente. Puisque de nombreux candidats à l'immigration décident d'entreprendre des études comme une stratégie migratoire, il nous semble important de traiter de ces enjeux à l'intégration et à la rétention de ces personnes.

02:17 Luisa Veronis
Oui, effectivement, c'est une problématique qui n’est pas très bien comprise parce qu'elle est très très complexe et donc il faut d'abord faire un peu une mise en contexte plus large pour vraiment comprendre les enjeux en lien avec les étudiants internationaux francophones. Il faut en fait expliquer un peu ce qui se passe par rapport au contexte des institutions postsecondaires, quel est le rôle des étudiants internationaux et tout ça. Donc, on va faire un petit détour. Le gouvernement fédéral a adopté une stratégie en matière de l'éducation internationale. C'est une politique importante dans un contexte de mondialisation croissante qui s’intensifie pour assurer en fait des échanges à l'international sur le point de vue de la production des connaissances, de la recherche, pour l'innovation et, en partie, cette stratégie voulait encourager en fait les étudiants, les enseignants, les professeurs canadiens à aller à l'étranger, mais aussi d'attirer au Canada des étudiants, des chercheurs et autres enseignants pour venir stimuler les échanges. Et donc, c'est dans ce contexte-là que la croissance du nombre d'étudiants internationaux doit se faire comprendre, c’est le gouvernement fédéral qui voulait vraiment encourager ces échanges. En deuxième lieu, depuis une dizaine d'années, et même un peu avant ça, ce qu'on voit, c'est des grands problèmes au niveau du financement des institutions postsecondaires, notamment parce que les gouvernements ont imposé des coupures budgétaires qui font que les universités et les collèges ont dû en fait recourir à l'augmentation des frais de scolarité pour venir combler les manques, les besoins à cause de la hausse des coûts, du maintien des bâtiments, construire des infrastructures, les salaires, et cetera. Et donc, au fil des ans, les étudiants canadiens ont vu leurs frais de scolarité augmenter, mais d'autres mesures ont été imposées. Notamment, dans le cas de l'Ontario, à partir de 2019, le gouvernement conservateur de Doug Ford a imposé deux nouvelles mesures, d'une part des coupures budgétaires qui ont fait que les universités ont vu encore des réductions à leur financement, mais d'autre part, ils ont aussi imposé une réduction des frais de scolarité de 10%, ce qui était une bonne nouvelle pour les étudiants, mais pour les universités, c'était un 10% de financement qu’ils perdaient. De plus, Doug Ford a imposé un gel, de sorte que les frais n'ont pas augmenté depuis 2019. Donc, les universités et les collèges se sont vus vraiment dans une situation de manque de financement et c'est là qu'ils sont allés chercher le manque à gagner auprès des étudiants internationaux. D'abord, en augmentant encore plus les frais des étudiants internationaux ‒ qui payaient en moyenne le double de ce que les étudiants canadiens payent, mais là ça a augmenté encore plus ‒ et ensuite, en acceptant plus d'étudiants internationaux, donc, pour combler ce manque, à cause des différentes mesures qui avaient été imposées. Le grand résultat est qu'arrivé en 2023, on s'est trouvé avec une augmentation significative du nombre d'étudiants internationaux et des permis d'études que le Canada émet pour en fait venir maintenir la stabilité financière des institutions postsecondaires.

05:50 Janaína Nazzari Gomes
Cette hausse est tout à fait remarquable. Selon Statistiques Canada, entre 2012 et 2013, on comptait environ 175 000 permis d'études à travers le Canada, alors qu'entre 2021 et 2022, ce nombre est passé à 400 000 permis d'études. Ce qui semble rarement évoqué dans le débat à ce sujet est lien entre les coupures de financement à l'éducation postsecondaire de la part du gouvernement et l'augmentation du nombre d'étudiants internationaux. Mais, tournons-nous maintenant vers l'éducation postsecondaire en français en contexte minoritaire. Les minorités francophones ont le droit à des services en français, notamment en ce qui concerne les domaines de la santé et de l'éducation. Néanmoins, il y a seulement 22 institutions postsecondaires francophones ou bilingues en contexte minoritaire, selon justement l'Association des collèges et universités de la francophonie canadienne. En plus, ces institutions sont généralement plus petites, offrent moins de programmes et elles ont relativement moins d'étudiants. Cet écart dans les ratios est assez évident à l'Université d'Ottawa, par exemple, qui est une université bilingue avec la mission de promouvoir l'éducation et la science en français, mais où 30% des étudiants sont francophones ou sont inscrits à des programmes en français contre 70% qui étudient en anglais. En outre, des changements démographiques que vivent les communautés francophones en situation minoritaire font en sorte que cet écart dans les inscriptions s'approfondisse. Donc, on parle d'une faible croissance démographique, de l'assimilation, de l'exode des jeunes vers des grands centres urbains comme Toronto, le fait que les jeunes franco-ontariens se tournent également vers le Québec.

07:53 Luisa Veronis
Effectivement, du fait que les institutions postsecondaires francophones sont plus petites, elles reçoivent aussi beaucoup moins de financement passé par inscription d'étudiants. Donc non seulement le financement est plus restreint, leur situation financière est aussi plus précaire. C'est à cause des coupures de budget dont on vient de parler, mais aussi à cause des changements démographiques, le fait qu'elle voit une baisse dans les inscriptions, elles ont des difficultés à attirer les étudiants. Il y a aussi une précarité liée au contexte minoritaire et ‒ nous l'avons vu ‒ surtout en Ontario, par exemple, le fameux gouvernement de Doug Ford qui a voulu empêcher le financement de l'Université de l'Ontario français, le débâcle de l'Université Laurentienne et maintenant le fait que l'Université de Sudbury a aussi de la difficulté à obtenir du financement. C'est à dire que même si l'éducation en français est un droit pour les communautés minoritaires, ce droit est précaire et les programmes d'éducation offerts au niveau postsecondaire sont peu nombreux et fragiles, d'ailleurs, à l'Université Ottawa, on en parle tout le temps. Vu tous ces facteurs, les étudiants étrangers jouent un rôle double et primordial pour les institutions francophones; d'une part du fait de l'importance et de l'apport des frais de scolarité qu'ils payent, qui viennent en faire une grosse différence, mais aussi du fait qu'ils permettent de remplir les salles de classe et donc d'assurer la durabilité, la viabilité des programmes d'études en français et des institutions francophones.

09:35 Luisa Veronis (suite)
Maintenant, il faut revenir sur les différences entre le taux d'étudiants internationaux inscrits entre les institutions anglophones, dans les programmes en anglais, et ceux en français. Le nombre d'étudiants internationaux francophones est en fait beaucoup plus restreint comparé aux étudiants d'expression anglaise ou dans les universités anglophones. Les étudiants étrangers francophones ne représentent qu'une fraction minimale comparée aux étudiants étrangers anglophones ou d'expressions anglaises. Donc là, on peut s'appuyer sur des statistiques et c'est assez difficile de trouver des statistiques sur le nombre d'étudiants inscrits dans les programmes postsecondaires en français, et dans un rapport spécial que la firme Sociopol a produit en 2021, ils ont réussi à mettre tous ces chiffres ensemble. Donc, les étudiants internationaux dans les programmes en français ou les institutions francophones hors Québec représentent environ 15% des effectifs. Du côté des institutions anglophones, les étudiants étrangers représentent 16%. Donc la différence n'est pas très grosse, 15% pour les francophones, 16%. Mais en fait, si on regarde les nombres absolus, la taille des institutions et du nombre d'étudiants, on parle de deux sphères complètement différentes. Il y aurait environ 20 mille étudiants inscrits dans des programmes universitaires en français hors Québec, donc 20 mille, contre plus de 900 mille du côté des programmes en anglais. Donc 20 mille et 900 mille c'est des gros chiffres alors, 15% de 20 mille et 16% de 900 mille, vous voyez des proportions très, très différentes, environ 3 mille étudiants étrangers francophones, contre plusieurs centaines de milliers du côté anglophone. Pour illustrer, on peut se tourner en fait dans quelques cas spécifiques d'universités francophones, par exemple l'Université de Hearst, dans le nord de l'Ontario, qui a un total de 336 étudiants à l'automne 2023, dont 60% sont des étudiants étrangers. L'Université de l'Ontario français, qui a ouvert récemment et qui est encore en train d'augmenter ses chiffres, a 288 étudiants inscrits, dont la moitié sont des étudiants étrangers. Donc on voit que la moitié de 288, c'est 140 étudiants, c'est pas 10 mille ou 100 mille.

12:09 Janaína Nazzari Gomes
Prenons comme exemple maintenant une université un peu plus grande, le cas de l'Université d'Ottawa, donc une université qui affiche et qui affaire de son bilinguisme. L'évolution du nombre d'étudiants étrangers est intéressante. Nous avons eu une hausse significative de près de 4 mille étudiants étrangers en 2013, donc quand les politiques en matière d'internationalisation ont commencé, et nous avons atteint un total d'un peu plus de 10 mille en 2022. Mais en 2013, il y avait 3 377 étudiants étrangers anglophones, donc d’expression anglaise, contre seulement 595 étudiants étrangers francophones. En 2014, l'Université d'Ottawa a instauré une politique qui visait à attirer des étudiants étrangers à s'inscrire dans des programmes en français. Elle a donc offert des bourses d'études pour aider à réduire les frais de scolarité. Ce qui s'est traduit par une hausse des inscriptions d'étudiants étrangers dans le programme en français. Nous avons donc pu augmenter le nombre d'étudiants étrangers francophones à 3 934, comparé à 6 722 étudiants étrangers anglophones. La différence reste assez grande, la différence entre des étudiants étrangers francophones et anglophones a diminué, mais il reste que les étudiants étrangers francophones ne représentent que 36,9% de tous les étudiants étrangers. Donc, les institutions postsecondaires font d'importants investissements pour se faire connaître à l'étranger et pour attirer des étudiants internationaux, mais en raison des différences de taille entre les institutions francophones et anglophones, le budget impliqué dans le recrutement d'étudiants internationaux a des retombées beaucoup plus importantes sur l'ensemble du budget de ces institutions. Enfin, lorsqu'on compare les contextes anglophones et francophones, on peut clairement voir l'importance des étudiants internationaux francophones pour les institutions postsecondaires. Ils assurent la survie, le bien-être, la vitalité ainsi que la durabilité de ces institutions, alors que ces étudiants représentent un nombre relativement petit, ils sont une fraction de tous les étudiants étrangers inscrits dans les institutions canadiennes. Mais, Luisa, parlons maintenant des expériences, donc des faits concrets, de la vie quotidienne des étudiants internationaux au Canada. Quels sont selon toi les défis les plus importants qui confrontent ces étudiants? Les étudiants étrangers en général et en particulier ceux qui sont francophones et qui vivent en situation minoritaire.

15:31 Luisa Veronis
Oui, Janaína, absolument, il y a un peu des mythes et des représentations erronées au sujet des étudiants internationaux et donc on peut en fait résumer les défis ou les difficultés auxquelles ils font face à quatre groupes d'enjeux. Tout d'abord, et on s'en rend probablement pas compte, juste obtenir le permis d'étude pour venir au Canada est déjà un gros défi. Là il s'agit de la demande d'admission, donc ces candidats doivent soumettre une demande à une université et là ils doivent être acceptés dans un programme, et ensuite ils doivent faire une demande pour obtenir le permis d'étude. Et chaque étape a des coûts qui sont associés, donc faire ces demandes, il faut payer. Et souvent ils doivent aussi payer pour renouveler leur visa, parce que des fois ils n'obtiennent pas le visa pour la durée entière de leurs études. En plus de cela, les étudiants internationaux doivent faire des tests de langue, qui sont coûteux, pour être admis dans les programmes, tant en anglais qu'en français, mais du côté des étudiants francophones, même quand ils proviennent de pays qui sont officiellement francophones, comme Haïti par exemple, ou le Cameroun, ils doivent quand même faire un test de langue alors qu'ils ont déjà fait leurs études en français. Et c'est un processus qui est long, qui est couteux. Dans le cas de l'Afrique par exemple, faire un test de langue n'est pas évident et ils doivent le faire de manière internationale. Ensuite, ce n'est pas terminé, parce qu’il s'est avéré qu'il y a de la discrimination et beaucoup de refus de permis d'études envers les étudiants étrangers, mais surtout les étudiants francophones, tant au Québec que pour étudier en français hors du Québec. Et là, il s'est avéré, ça a été couvert dans La Presse, qu’il y avait des enjeux, des défis à l'interne, par IRCC où certains agents, par exemple, n'étaient pas au courant que les étudiants peuvent étudier en français hors du Québec. Donc, ils refusaient tout étudiant qui voulait étudier en français. Et ça touchait surtout les étudiants francophones d'origine africaine et d'Afrique subsaharienne où on a vu dans certains cas des taux de 70 ou 80% de ces dossiers refusés par IRCC alors qu'ils avaient été admis dans l'université, des fois même avec des bourses d'études. Ça a donné un gros scandale qui a été couvert dans La Presse, il y a eu de la sensibilisation auprès de IRCC, on a vu une petite amélioration dans le nombre de dossiers d'étudiants étrangers traités, et là, ça s'est amélioré pour la rentrée de 2023. Par exemple, selon l'Université de Hearst, ils ont vu une nette baisse du nombre de dossiers refusés, seulement 40% auraient eu un refus, contre 70 ou 80% les années précédentes.

18:34 Janaína Nazzari Gomes
Suite aux défis d'obtention du visa s’en viennent leurs expériences, les défis dans l'expérience d'établissement. Donc, au cas où les étudiants étrangers francophones réussissent à obtenir le visa d'étude, une fois au Canada, ils confrontent des défis assez importants. D'abord, des pressions financières, donc ils payent des frais de scolarité exorbitants qui augmentent sans préavis ou parfois de manière imprévisible au fil des années. Ils payent, à titre d'exemple, le plus du double que les citoyens ou les résidents permanents, à quelques exceptions, comme à l'Université d'Ottawa. Le coût de vie en plus est très élevé pour eux, y compris le besoin de payer une assurance santé et le coût du logement et de la nourriture, l'inflation s'y ajoute en plus. Il y a aussi donc particulièrement la question du logement. Les étudiants internationaux font face à d'énormes difficultés pour trouver un logement abordable, ils font face à de la discrimination sur le marché parce qu'ils n'ont pas une histoire de crédit, ils n'ont pas de références, ils subissent assez souvent de l'exploitation financière. Dans nos recherches, ils ont témoigné par exemple devoir payer 10 mois de loyer à l'avance, et souvent ils vivent dans des conditions difficiles, donc des logements surpeuplés, insalubres. Contrairement aux mythes et perceptions populaires, tous les étudiants internationaux ne proviennent pas de familles riches. C'est-à-dire que le projet migratoire et le souhait d'avoir une éducation internationale représentent un investissement super important pour ces étudiants et souvent pour toute leur famille, qui parfois encourent des dettes pour les soutenir. Donc, si on parle maintenant d'un autre défi majeur, l'emploi : tout d'abord plusieurs défis sont associés au fait que les employeurs ne connaissent pas très bien les procédures et les modalités pour embaucher des étudiants internationaux. Parfois, les employeurs sont appréhensifs dû à leur statut temporaire et donc du fait que peut-être ces étudiants ne pourront pas rester longtemps et les employeurs ne pourront pas compter sur les étudiants, bien, cet employé, pour longtemps. Il y a également de la discrimination et du racisme dans le marché d'emploi et l'attente chez l'employeur que l'étudiant tout juste diplômé ait de l'expérience canadienne. Les étudiants internationaux sont aussi parfois exploités; le taux horaire peut être assez bas, les conditions de travail précaires et le contexte minoritaire vient renforcer davantage les défis. Donc, vivre et travailler en situation minoritaire fait en sorte qu'il y ait moins d'opportunités d'emploi en français, que les étudiants internationaux doivent parler anglais, donc communiquer, travailler en anglais, ce à quoi ils ne sont pas toujours très bien préparés ou même informés.

22:11 Luisa Veronis
Arrivons maintenant au troisième défi, qui est peut-être un peu plus difficile à comprendre, c'est que venir comme étudiant étranger au Canada peut représenter un projet migratoire, donc faire la transition d'un statut temporaire à un statut permanent. Donc, pour certains, venir étudier au Canada fait partie d'une stratégie pour leur projet migratoire, parce que le Canada a développé depuis plusieurs années maintenant des programmes de transition ‒ qui est quelque chose que les gens ne savent peut-être pas ‒ qui permettent aux personnes avec un statut temporaire, surtout les étudiants en fait, de faire la transition vers la résidence permanente, ce qu'on appelle quelquefois le la migration en deux étapes. Donc, on vient d'abord comme migrant temporaire, comme étudiant, mais ensuite on peut faire la transition et devenir un résident permanent. La décision d'immigrer par la voie des études est due à plusieurs facteurs. Il s'agit par exemple de personnes qui ne sont pas éligibles à travers d'autres programmes d'immigration permanente ou d'immigration économique. Ça peut aussi permettre, en fait, d'éviter les lourdeurs administratives associées avec les autres catégories, c’est vu comme plus facile ou plus rapide, malgré en fait les coûts impliqués. Et ça peut aussi être une façon de s'insérer plus rapidement au marché du travail parce qu'on a obtenu un diplôme canadien ou des fois de l'expérience canadienne. Donc, pour beaucoup d'étudiants internationaux, mais ce n'est pas le cas pour tous, le souhait de rester au Canada se réalise par les études. Pour les communautés francophones, c'est aussi le cas. Et en fait, ça peut être un atout d'attirer des immigrants à travers les études parce que ces gens ont déjà des attaches, ont déjà une certaine expérience, ils ont beaucoup de potentiel du fait qu'ils parlent déjà la langue, qu'ils connaissent la société canadienne. Mais il reste quelques défis par rapport à la rétention, comment garder ses étudiants internationaux dû au fait qu'ils font face aux défis de faire la transition, donc d'obtenir les permis pour rester comme résident permanent. Parce qu'en fait il y a plusieurs étapes : En tant qu'étudiant international, une fois qu'on obtient son diplôme, il faut faire une demande pour un permis post-diplôme. Et pour ce permis post-diplôme, il faut montrer qu'on a de l'expérience d'emploi dans son domaine, alors qu'en fait on est venu comme étudiant pour étudier, pas pour travailler. Et il faut aussi avoir une offre d'emploi en main. Donc, obtenir tout ça à la fin du diplôme est compliqué. Ensuite, une fois qu'on a obtenu le permis post-diplôme, il faut attendre un an, puis là, oups, faire une autre demande, cette fois pour la résidence permanente, et il faut payer chaque fois. Donc, on voit que la transition n'est pas si évidente que ça, que ça prend plusieurs étapes et des exigences que les étudiants ne peuvent pas rencontrer à cause de leur statut d'étudiant.

25:20 Janaína Nazzari Gomes
Passons maintenant au quatrième défi relié à des problèmes d'accès aux services d'accueil et d'établissement. Les étudiants internationaux ainsi que d'autres travailleurs avec permis temporaire ne sont pas éligibles pour utiliser les divers services d'accueil et d'établissement qui sont financés par le gouvernement fédéral et provincial et qui sont aussi destinés aux nouveaux arrivants qui, en général, obtiennent la résidence permanente. Donc, plusieurs prestataires de services se voient obligés à renvoyer des clients par manque de financement pour leur profil ou les accommoder sous d'autres programmes. Dans nos recherches, l'une des barrières les plus mentionnées concerne justement l'impossibilité d'accéder à des cours d'anglais, ce qui exerce des impacts très importants dans la suite du processus d'intégration de l'étudiant immigrant lorsqu'il devient travailleur temporaire ou résident permanent, donc voulant s'établir définitivement au Canada. C'est à dire que la faible maîtrise de l'anglais fait en sorte que, malgré son diplôme canadien, il soit défavorisé dans le marché du travail par rapport à d'autres profils bilingues. Or, les programmes d'immigration pour les étudiants internationaux et pour les travailleurs temporaires sont structurés de manière à les amener à devenir des résidents permanents, comme le mentionnait Luisa. Donc, on se demande pourquoi ne pas investir à mieux les préparer pour devenir des résidents et des citoyens canadiens avec des conditions pour effectivement intégrer la société?

[Transition musicale]

27:13 Janaína Nazzari Gomes
Parlons maintenant des pistes d'action, ou si on veut être un peu plus audacieuses, Luisa, parlons de possibles solutions. Qu'est-ce qu'il faut faire pour remédier, pour résoudre ces défis et pour effectivement intégrer et fournir les conditions pour les étudiants internationaux de s'intégrer dans la société?

27:38 Luisa Veronis
Absolument, et là il y a pas en fait de recette miracle pour tout le monde. Il faut trouver des solutions qui sont adaptées au contexte local, donc selon la taille de la communauté, le marché de l'emploi, les problèmes de pénurie d'emploi, les questions de logement et juste le contexte des communautés francophones, comme on disait le cas de l'Université d'Ottawa ou l'Université de Hearst ou le Campus Saint-Jean en Alberta, sont très, très différents. Ce qui est commun, c'est les enjeux linguistiques, et ces étudiants devraient être informés à l'avance sur la réalité sociolinguistique des communautés francophones, le fait qu'ils pourront étudier en français, mais que le lieu où ils vont habiter n'est pas forcément complètement francophone. Et donc leur fournir un accès à des formations de langue en anglais de bonne qualité, de haut calibre, sera important pour eux, pour leurs besoins linguistiques surtout, bien, au quotidien, mais aussi dans le milieu du travail. Ensuite, il y a la question d'actions et de sensibilisation qu'on pourrait entreprendre auprès des employeurs, il s'agit ici des employeurs francophones, donc les sensibiliser à la réalité des étudiants internationaux, les informer sur les conditions d'emploi à cause de leur statut temporaire, mais peut être aussi auprès d'employeurs anglophones ou qui parlent anglais pour leur expliquer en fait les avantages d'avoir un étudiant qui pourra devenir bilingue. Donc, il faudrait créer des mesures incitatives pour les employeurs pour qu'ils veuillent engager des étudiants internationaux, ça peut être des stages, des subventions, des programmes coop avec les universités, ou des partenariats entre les institutions postsecondaires francophones et les employeurs et d'autres types d'initiatives de ce genre. Après, il reste tous les défis d'ordre structurel, qui ont besoin en fait d'une approche structurelle pour y répondre. On pense ici surtout au logement, qui n'est pas quelque chose de facile, on demande par exemple aux universités de construire des résidences, mais ça prend du temps et elles n’ont pas de financement. Et là, il faudrait souligner que les étudiants étrangers ne sont pas la cause directe de la crise du logement qu'on vit au Canada en ce moment. Ils y sont impliqués, comme toutes les autres personnes qui sont en train de s'installer au Canada ou toute personne qui cherche un logement, et la crise du logement est le résultat de plusieurs décennies de problèmes complexes qui découlent des structures, de manque de financement ou d'incitatifs de la part des gouvernements pour, en fait, construire du logement abordable. Donc, l'augmentation du nombre d'immigrants, d'étudiants étrangers, de travailleurs avec des permis temporaires viennent mettre plus de pression, mais ils ne sont pas la source ou la cause initiale du problème. Enfin, il y a la question aussi de la capacité d'accueil, est ce qu'on peut continuer d'accueillir autant d'étudiants internationaux? Et puis là, bon, c'est peut-être un justificatif pour réduire le nombre de dossiers acceptés mais c'est peut-être pas un enjeu réel. C'est ici encore une fois une question structurelle et on sait que accès aux services d'accueil et d'établissement, en fait, il y a une certaine capacité qui est là, il s'agirait de réorganiser les choses. Il faudrait en fait augmenter peut-être la capacité des cours d'anglais, qui est un défi pour beaucoup d'immigrants. En ce qui concerne la capacité d'accueil, une façon de résoudre le problème, c'est d'utiliser les services pré-départ qui existent déjà et ces services-pré départ sont entièrement en ligne, c'est souvent des vidéos, des petits ateliers qui ont déjà été créés, et ici, la question de la capacité ne se pose pas, parce que c'est en ligne. Il s'agirait donc en fait de rendre accessibles ces services pré-départ qui sont déjà produits, déjà disponibles en ligne, aux étudiants internationaux, voire aux autres travailleurs avec un permis temporaire. Et là, la question de la capacité ne se pose pas. Donc pour ce qui est de la capacité de l'accueil, en fait, il s'agit vraiment d'une volonté politique de mettre en place ce qui est nécessaire pour que les structures actuelles soient suffisantes.

32:20 Janaína Nazzari Gomes
Donc, en arrivant à la fin de ce balado, qu'est-ce que nous pouvons conclure? Il y a quatre points de vue différents, mais qui s'imbriquent mutuellement et qui, à contre-courant, ne sont pas toujours convergents. Nous allons essayer de les organiser. Du point de vue des communautés francophones en situation minoritaire, nous pensons que ces communautés auraient beaucoup à bénéficier de la mise en valeur de la catégorie des étudiants internationaux, notamment pour atteindre la fameuse cible en immigration francophone. Il s'agit, comme nous avons montré, d'une catégorie qui est sous-valorisé, alors que sont nombreux les étudiants qui souhaitent demeurer au Canada. En plus, ces personnes ont déjà un parcours dans le pays, ont des attaches dans les communautés, possèdent un ou plusieurs diplômes canadiens, apportent leur propre expérience de l'international au marché du travail local, donc ils constituent des immigrants qui auraient toutes les capacités de bien s'adapter, et sans mentionner le fait que, potentiellement, ils fondront des familles. Il va sans dire en plus, que leur présence contribue au maintien de la vitalité des institutions postsecondaires francophones ‒ qui, comme on a vu, ne sont pas très nombreuses ‒ ainsi que certains cursus et programmes. Dans le cadre de leur contribution à la société en général, avec une formation canadienne les étudiants internationaux ont encore plus de potentiel pour répondre à la pénurie de main d'œuvre. Donc, pour assurer leur établissement et leur inclusion réussis, mais aussi leur participation dans les communautés francophones, donc, il faut commencer à penser à des stratégies de rétention pour les étudiants internationaux. Par exemple, des campagnes de sensibilisation auprès des employeurs, qui peuvent eux aussi bénéficier du dynamisme et de la richesse d'une main d'œuvre internationale. Regardons maintenant depuis la perspective des étudiants internationaux. Bon, on a vu qu'ils rencontrent de nombreux obstacles avant leur arrivée même au Canada, donc l'obtention du visa, mais aussi des obstacles pendant leur séjour ici, donc le processus d'établissement, on parle du coût de la vie et l'impossibilité d'utiliser des services. Par la suite, quand ils souhaitent demeurer au Canada et devenir des résidents permanents, ils rencontrent aussi des défis. Donc, les étudiants internationaux investissent énormément dans leur projet d'étude, qui est souvent un projet d'immigration. Selon une estimation d'Affaires mondiales Canada, en 2018, les étudiants internationaux ont contribué avec plus de 22 milliards de dollars à l'économie canadienne, donc sous forme de frais de scolarité, logement et des dépenses discrétionnaires. Néanmoins, les contreparties sont mineures car ils se voient dépourvus de soutien, notamment de la part de l'État, tant par rapport aux services d'établissement qu'à la santé, par exemple, parce que, rappelons encore une fois, ils n'ont pas accès au système de santé public. Par contre, en termes d'expérience d'établissement, ils sont exposés aux mêmes défis que les immigrants officiels, ceux qui viennent avec une résidence permanente. Donc là, on parle de discrimination, les défis dans le marché d'emploi, des barrières linguistiques. Donc, les étudiants internationaux payent littéralement leur projet migratoire, mais ne peuvent pas bénéficier de tous les atouts que les immigrants officiels ont.

36:33 Luisa Veronis
En troisième lieu, il faut revenir sur les politiques et les structures d'immigration, donc, qu'est ce qui se passe du côté de l'IRCC ? Et là, il y a évidemment toute la complexité, la longueur, les coûts des procédures ‒ comme nous avons expliqué ‒ que les étudiants internationaux doivent traverser pour pouvoir venir au Canada. Sans parler en fait de la discrimination dans l'évaluation de leurs dossiers et aux contradictions du fait que des étudiants internationaux francophones se voient refuser alors que le Canada a une politique d'immigration francophone, donc une contradiction dans les politiques d'IRCC même. Et en ce sens, ça revient à cette question des tensions ou d'inégalités de pouvoir dans les structures de la politique migratoire du Canada actuelle, où les structures favorisent les besoins de la majorité anglophone au détriment des communautés francophones. Donc, du point de vue de l'immigration francophone, les étudiants internationaux constituent une catégorie sous-valorisée que l'on pourrait privilégier en facilitant l'obtention du permis d'étude, mais aussi l'accès à la résidence permanente pour que ces étudiants francophones restent au Canada et viennent contribuer à la vitalité des communautés francophones. Enfin, la dernière perspective c'est celle des discours publics et la médiatisation au sujet des étudiants internationaux. Donc, les débats publics ont beaucoup mis l'accent sur divers problèmes, et c'est assez facile, en fait, d'utiliser les étudiants internationaux comme des boucs émissaires pour divers problèmes et crises, comme la crise du logement que nous vivons en ce moment ici au Canada, mais sans reconnaître les politiques qui ont été mises en place pour les attirer ou les différents enjeux, mettons, comme le fait qu'on n’a pas construit assez de logements. Donc, pour revenir sur les étudiants internationaux, le Canada a mis en place une stratégie pour les attirer, des politiques pour les faire venir et, pendant ce temps, les gouvernements provinciaux surtout ont procédé à des coupures budgétaires au financement des institutions qui ont donc ensuite amené ces institutions à dépendre des étudiants internationaux.

[Musique de fond]

38:59 Luisa Veronis
Voilà, nous arrivons à la fin de ce troisième balado sur les étudiants internationaux et nous espérons avoir un peu démystifié la situation complexe et notre objectif était de montrer en fait l'existence d'importantes différences entre les étudiants internationaux d'expression anglaise et française, on ne parle pas vraiment de la même chose, et d'expliquer la spécificité des étudiants internationaux francophones dans le contexte minoritaire. Notamment l'apport qu'ils font à nos institutions postsecondaires et le fait qu’il s'agit d'une catégorie d'immigration sous-valorisée qui pourrait venir nous aider à rendre réussie la politique d'immigration francophone.

39:47 Janaína Nazzari Gomes
Voilà. Merci pour votre écoute, on vous invite à venir écouter le quatrième et dernier balado de cette série.