Soyez à l’écoute du balado Hé-coutez bien! pour faire la connaissance des personnes derrière les données et découvrir les histoires qu’elles révèlent. Soyez des nôtres alors que nous rencontrons des experts de Statistique Canada ainsi que de partout au pays pour leur poser les questions qui comptent pour les Canadiens et entendre leurs réponses.
(Thème)
Mélanie : Bienvenue à « Hé-Coutez bien! », un balado de Statistique Canada où nous faisons connaissance avec les personnes derrière les données et découvrons les histoires qu'elles révèlent. Je suis votre animatrice Mélanie Charron.
À une époque, Statistique Canada ne mesurait pas la pauvreté, pas exactement en tout cas. Il n’existait pas de définition unique de ce que signifiait « la pauvreté » et c’était un sujet complexe; par conséquent, même si Statistique Canada mesurait le faible revenu et d’autres indicateurs, le gouvernement devait établir une définition de la pauvreté pour que Statistique Canada puisse la mesurer. C’est ce qui s’est passé en 2018, lorsque la mesure du panier de consommation (MPC) est devenue le seuil de pauvreté officiel du Canada. C'est la mesure qu’utilise le gouvernement du Canada pour effectuer le suivi de ses cibles de réduction de la pauvreté faisant parti de l'un des objectifs de développement durable canadien d’élimination de la pauvreté.
Quelque chose d’inattendu s’est produit au cours de la pandémie : en 2020, le taux du seuil de pauvreté a diminué; et de beaucoup.
Le taux de pauvreté est passé à 6,4 %, alors qu’il était de 10,3 % en 2019; donc plus d’un tiers. En une seule année, ce taux a diminué pratiquement autant qu’il l’avait fait au cours des quatre années précédentes.
Burton : Je suis Burton Gustajtis. Je suis économiste à Statistique Canada.
En général, la mesure du panier de consommation est une mesure absolue du faible revenu. Elle se fonde sur le coût d’un panier donné de biens et de services correspondant à un niveau de vie modeste de base d’une famille de quatre personnes.
Mélanie : La MPC est donc un panier d'achat rempli des articles dont vous auriez besoin : l’alimentation, l’habillement, les chaussures, le logement, le transport et d’autres articles de première nécessité.
Burton : Chacune de ces composantes, lorsque cela est pertinent, suit des normes établies par des experts de leur domaine particulier. La composante d’alimentation, par exemple, se fonde sur des aliments couramment consommés représentant un régime nutritif. On utilise pour cela le panier de provisions nutritif national de 2019 élaboré par Santé Canada et correspondant au Guide alimentaire canadien le plus récent.
Mélanie : Les experts de Statistique Canada analyse ce qui remplit votre panier d’achats et combien il en coûte, et c’est ce qui devient alors le seuil. Si votre revenu vous permet d’acheter ce panier d’items, vous vivez au-dessus du seuil de pauvreté. À l’inverse, vous êtes sous le seuil.
Que se passe-t-il pour les personnes qui ne correspondent pas nécessairement à la structure d’une famille de quatre?
Burton : Pour les différentes tailles de familles, nous avons recours à une méthodologie d’équivalence, qui est une méthode reconnue à l’échelle internationale d’ajustement des seuils de faible revenu, ainsi que des estimations de revenu pour différentes tailles de familles.
Mélanie : Est-ce comme une équation?
Burton : Oui. On l’appelle la méthode d’équivalence par racine carrée. Au fond, l’idée est que le coût augmente pour une famille, mais à un taux décroissant. Plus la famille est nombreuse, plus le coût du panier est élevé, pas selon un taux linéaire mais à un taux décroissant.
Mélanie : Je comprends. Pour chaque personne supplémentaire, on ne double pas les chiffres.
Burton : Oui, c’est ça! Exactement. Il augmente, mais pas à un coût constant.
Mélanie : Donc, en plus de prendre en compte les différentes tailles des familles pour déterminer différentes tailles de panier, la mesure tient également compte d’une composante régionale.
Burton : Le coût de ce panier est établi dans 53 régions dans l’ensemble des provinces.
Mélanie : Le coût de certains articles peut être différent selon l’endroit où l’on vit. Le même pain, par exemple, peut avoir un prix différent selon que vous l’achetiez à Halifax, ou en région rurale de l’Alberta ou à Montréal. La MPC tient donc compte de l’endroit où vivent les gens.
Le coût du panier change-t-il en fonction de l’inflation?
Burton : Oui, en effet. Il s’agit donc d’une mesure absolue de la pauvreté. Cela signifie que le contenu du panier est une constante pour une année de référence. Notre année de référence actuelle est 2018. Il est ensuite ajusté chaque année pour tenir compte de la variation inflationniste, des changements uniquement relatifs aux prix. Le contenu du panier reste constant, mais son prix est ajusté à l’aide de l’Indice des prix à la consommation.
Mélanie : La MPC est un seuil publié annuellement. Elle fluctue selon l'inflation qui elle est calculée mensuellement. Nous avons consacré un épisode entier à l’inflation et à l’IPC en janvier dernier, intitulé « Pourquoi devriez-vous vous préoccuper de l’inflation? » Écoutez-le pour en apprendre davantage!
La mesure du panier de consommation capture-t-elle pleinement la pauvreté au Canada?
Burton : C’est une bonne question. La pauvreté est un concept complexe. Elle ne se résume pas à un faible revenu comme l’exprime la mesure du panier de consommation. Il s’agit d’une notion multidimensionnelle. Il s’agit également de l’inégalité de la répartition du revenu, de se trouver en dessous du seuil de pauvreté, de se retrouver en situation de pauvreté et d’en sortir. Cela comprend aussi l’accès à l’éducation, des emplois bien rémunérés, l’intégration sociale. Il ne s’agit donc pas seulement d’un faible revenu.
Mélanie : La mesure du panier de consommation est un excellent outil; elle est facile à comprendre, elle tient compte des différences géographiques et permet certaines variations de la taille de la famille; elle est continuellement mise à jour (ou fait l’objet d’un changement de base; qui est le terme technique) par Statistique Canada et ses partenaires d’Emploi et Développement social Canada, afin d’améliorer l’outil et d’en aborder toute éventuelle faiblesse. La mesure du panier de consommation est utile, mais n’est pas la seule façon de faire le suivi de la pauvreté. Statistique Canada dispose d’un tableau de bord de la pauvreté en ligne appelé le Carrefour des dimensions de la pauvreté proposant 12 indicateurs différents que l’on peut consulter pour dresser un tableau plus complet.
Comme je l’ai mentionné au début de l’entrevue, le taux de pauvreté affichait une tendance à la baisse avant la pandémie. De 2015 à 2019, il a diminué, passant de 14,5 % à 10,3 %, ce qui représente une différence de 4,2 points de pourcentage en quatre ans. De façon notable pour 2020, le taux de pauvreté a encore diminué pour passer à 6,4 %, alors qu’il était de 10,3 % en 2019; ce qui représente un écart de 3,9 points de pourcentage, donc plus d’un tiers. En une seule année, ce taux a diminué pratiquement autant qu’il l’avait fait au cours des quatre années précédentes.
En réponse à la pandémie et aux fermetures et restrictions mises en place pour la gérer, le gouvernement du Canada a introduit de nouvelles mesures de soutien du revenu pour les particuliers ainsi que pour les entreprises, comme la Prestation canadienne d’urgence et la Prestation canadienne d’urgence pour les étudiants.
Burton : Les répercussions de la pandémie n’ont pas été ressenties de façon égale par tout le monde et de nombreuses familles ont souffert. Alors que bon nombre de familles n’ont pas souffert d’une perte d’emploi ou de revenu, ces pertes de revenus et d’emploi ont tendu à se concentrer parmi les familles et personnes à faible revenu. Pour faire face à ces pertes d’emploi et de revenu, un certain nombre de Canadiens se sont tournés vers les mesures de soutien du revenu existantes et nouvellement mises en place. Ces programmes ont fourni un soutien du revenu d’environ 82 milliards de dollars à 8,1 millions de familles et de personnes hors famille canadiennes en 2020. Le résultat général de cela a été que le taux de pauvreté a diminué de plus du tiers en 2020. Ces diminutions ont été universelles. Elles se sont appliquées à toutes les provinces, tous les types de famille, tous les groupes démographiques, même si je tiens à souligner que les écarts se sont maintenus entre les populations à risque et celles n’étant généralement pas confrontées à un risque de pauvreté; donc, même si la pauvreté a diminué pour tout le monde, les écarts entre les populations demeurent les mêmes.
Mélanie : Il est important de noter que ces variations du taux de pauvreté ont été attribuables aux soutiens gouvernementaux temporaires et on ne peut pas s’attendre à ce que ces changements soient permanents.
Nous avons entendu parler de la diminution impressionnante du taux de pauvreté et cela a fait réfléchir toute l’équipe du balado. À quoi ressemblerait le Canada si le taux de pauvreté atteignait zéro? Quelles seraient les répercussions sur les résultats en matière de santé? Sur les études? Globalement sur le bonheur et le bien-être des gens?
Cela a vraiment stimulé notre curiosité. Existe-t-il un moment et un endroit au Canada où le taux de pauvreté a été zéro? La situation la plus proche peut avoir été l’expérimentation Mincome. Nous avons voulu en savoir plus et nous avons consulté des experts.
Evelyn : Je m’appelle Evelyn Forget. Je suis professeure au Département des sciences de la santé communautaire de l’Université du Manitoba.
Mélanie : Pourriez-vous nous expliquer ce qu’a été l’expérimentation Mincome?
Evelyn : L’expérimentation Mincome a eu lieu au milieu des années 1970 au Canada, lorsque le gouvernement fédéral et les divers gouvernements provinciaux repensaient un grand nombre des programmes sociaux offerts dans le pays. Il s’agissait d’une expérimentation de revenu annuel garanti. On l’appelait alors une expérimentation de revenu annuel de base. Cela signifiait que tous les participants à l’expérimentation recevaient la promesse de bénéficier d’un certain montant d’argent convenu, s’ils n’avaient pas d’autre source de revenus. S’ils avaient une autre source de revenus, s’ils travaillaient, par exemple, et gagnaient un peu d’argent, la prestation était réduite, mais moins que proportionnellement. Ce revenu garanti agissait donc alors à la fois comme un supplément pour des travailleurs à faible revenu et comme un remplacement d’aide au revenu provinciale. Deux sites au Manitoba ont été choisis pour participer à l’expérimentation : Winnipeg et une petite ville du nom de Dauphin au Manitoba.
Mélanie : Les familles ont reçu de l’argent pendant trois ans, de 1975 à 1978, et l'un des objectifs était d’évaluer les répercussions de ce revenu annuel garanti sur le comportement de travail des bénéficiaires, afin de vérifier la théorie selon laquelle si l’on donne de l’argent à des gens, ils n’ont pas la même motivation pour travailler et ils réduisent leurs heures de travail voire abandonnent leur emploi.
Quels ont été les résultats de cette expérimentation?
Evelyn : Au cours des années 1980, plusieurs économistes de l’Université du Manitoba ont examiné les résultats du marché du travail : Derek Hum et Wayne Simpson. Ils ont découvert ce qui a été révélé par de nombreuses autres expérimentations de revenu de base et de revenu garanti : il n’y avait pas vraiment de grande répercussion sur le marché du travail; les personnes qui travaillaient avant l’expérimentation ont continué à travailler à peu de choses près. Les personnes qui ne travaillaient pas avant n’ont, en grande partie, pas commencé à travailler et n’ont pas arrêté. Donc, il n’y a pas eu de grand changement dans la participation au marché du travail du fait de l’expérimentation du revenu de base ou de l’expérimentation de revenu annuel garanti.
Mélanie : Il y a cependant eu deux exceptions notables.
Evelyn : En effet, deux groupes de personnes ont travaillé moins au cours de l’expérimentation. L’un de ces groupes était constitué de femmes vivant une première maternité. Si on réfléchit à la situation dans les années 1970. Les congés de maternité n’étaient pas ce qu’ils sont maintenant. Le congé parental d’un an n’existait pas et, la plupart du temps, les femmes avaient la garantie de quatre semaines de congé lorsqu’elles accouchaient. Un grand nombre de jeunes mères trouvaient que c’était une réponse plutôt dérisoire pour un accouchement. Je pense que, d’une manière prévisible, bon nombre de ces familles ont utilisé la prestation Mincome pour s’offrir des congés parentaux plus longs. L’autre groupe de personnes ayant moins travaillé a été, et les termes utilisés ici s’avèrent vraiment très importants...
Les termes employés dans le rapport étaient « young, unattached males », c’est-à-dire, les jeunes hommes n’ayant pas formé de famille. Ils n’étaient pas mariés, ils ne vivaient pas dans une relation engagée, ils n’avaient pas d’enfants et ils travaillaient moins. Cela a semblé alimenter de nombreux préjugés que les gens avaient, de nombreuses inquiétudes que les gens avaient en matière de revenu garanti. Ce que j’ai pu faire a été de retourner pour retrouver certains des dossiers scolaires de cette période. L’un des aspects que j’ai montrés est qu’il y a eu une jolie petite bulle de taux de diplomation d’études secondaires exactement pendant l’expérimentation Mincome. Cela signifiait que les personnes qui n’auraient probablement pas terminé leurs études secondaires ont pu les terminer, parce que leurs familles ont reçu l’aide Mincome.
Mélanie : Les gens ont pensé que ces jeunes hommes faisaient ce que tout le monde craignait : utiliser l'argent à d'autres fin qu'aux besoins essentiels, mais les constats d’Evelyn suggèrent que ce qui a pu se passer en fait est que les jeunes hommes, qui auraient abandonné leurs études secondaires pour aider à soutenir leurs familles, ont en fait ainsi eu l’occasion de terminer leurs études et d’obtenir leur diplôme.
Est-ce que l’expérimentation a eu une incidence sur le type d’emploi des gens?
Evelyn : Eh bien, je n’ai pas de données explorant spécifiquement les types d’emplois qu’occupaient ces personnes. Je dispose en revanche d’un grand nombre de rapports anecdotiques de gens ayant participé à l’expérimentation. Donc, j’ai pu, par exemple, parler aux gens ayant saisi l’occasion de maintenir les activités d’une petite entreprise ou de fonder de petites entreprises. J’ai trouvé que c’était un résultat vraiment intéressant. Une femme de Dauphin à qui j’ai parlé avait ouvert une petite boutique de disques vendant des tourne-disques et des disques au cours de cette période. Elle m’a confié se souvenir de la période Mincome comme d’une période où tout le monde avait un peu d’argent dans les poches. Mais il y avait beaucoup d’histoires de personnes utilisant l’argent de Mincome pour investir dans de petites entreprises déjà existantes. Un grand nombre de personnes à Dauphin, par exemple, étaient des agriculteurs ou avaient un lien d’une manière ou d’une autre avec l’agriculture. Mincome a donc stabilisé leurs revenus et leur a permis d’investir dans du nouveau matériel pour établir leurs entreprises.
Mélanie : En termes de santé, est-ce que cela a eu une incidence sur les gens, sur le plan de la santé physique ou mentale?
Evelyn : L’une des raisons pour lesquelles je suis retournée explorer les dossiers de Mincome était de savoir si la santé des gens s’était améliorée. J’étais particulièrement intéressée par la santé mentale, mais également par tous les aspects de la santé. J’ai été très chanceuse en fait, car le Manitoba venait d’adopter l’assurance-maladie universelle juste avant le début de l’expérimentation. J’ai donc pu faire le suivi de certains participants dans les dossiers du régime d’assurance-maladie et examiner ce qui était arrivé à leur santé. J’ai donc pu comparer les personnes ayant participé à l’expérimentation avec un groupe correspondant de personnes de même âge et de même sexe vivant dans des types d’endroits similaires n’ayant pas bénéficié de ce soutien du revenu. J’ai pu montrer que les taux d’hospitalisation ont diminué de façon relativement substantielle au cours de l’expérimentation. Globalement, le taux d’hospitalisation a diminué d’environ 8,5 %. C’est un constat relativement spectaculaire; une grosse réduction des taux d’hospitalisation. Lorsque j’ai examiné les choses d’un peu plus près pour savoir pourquoi les taux d’hospitalisation avaient diminué, deux catégories se sont vraiment distinguées : d’abord les accidents et les blessures; c’est une vaste catégorie qui comprend tous les types d’admissions en soins hospitaliers de courte durée. Vous savez, les personnes ayant eu des accidents de la route, des accidents de tout genre, etc. Mais l’autre catégorie était la santé mentale. Il y a eu une grosse réduction des hospitalisations associées à la santé mentale. Cela a été l’un des gros constats, je pense, au cours de cette expérimentation; cela a été sans aucun doute un résultat intéressant pour une expérimentation de revenu garanti.
Mélanie : Y a-t-il des leçons ou des implications que nous pouvons tirer de cela?
Evelyn : Je pense que nous trouvons des résultats similaires chaque fois que nous faisons des types d’expérimentations similaires. Je pense que la santé des gens s’améliore inévitablement lorsque leur revenu augmente. Je pense que ce n’est pas une surprise. Nous le voyons dans un grand nombre de types de programmes différents. Je pense que l’un des aspects devenant très évidents pour les gens est que la pauvreté entraîne de nombreux coûts dans l’économie et la société. Si on peut faire quelque chose réduisant le taux de pauvreté, cela peut améliorer le niveau de vie non seulement des gens recevant l’argent, mais de tous les gens vivant dans une ville, tous les gens qui vivent ensemble. Je pense donc que ces points sont très positifs. Mais les constats de base, je pense, sont ce que nous voyons chaque fois : que la pauvreté représente un coût. Nous ressentons ce coût et de façon très personnelle, dans notre santé, en termes de bien-être. Si vous donnez de l’argent à des gens, ils le dépensent en majeure partie dans des choses qui améliorent leur qualité de vie et celle de leur famille. Ils investissent dans les études, ils investissent dans un meilleur logement, une meilleure alimentation. Dans un sens, cela n’est pas surprenant.
Les gens qui reçoivent de l’argent lors de périodes de leur vie où ils sont vulnérables peuvent vraiment apporter des changements qui vont influer sur leur santé, sur leur vie pendant de nombreuses années ensuite.
Mélanie : Que se passerait-il si tout le monde vivait au-dessus de ce seuil de la MPC? Est-ce que cela résoudrait le problème? Maintenant, je ne vais pas mentir, (et je veux dire par là l’équipe du balado qui ne sommes définitivement pas des experts) nous nous sommes peut-être un peu emballés avec cette idée.
Nous avons demandé à notre spécialiste de Statistique Canada ce qu’il se passerait si l’on utilisait la mesure du panier de consommation dans un contexte Mincome et il a très aimablement expliqué certains enjeux.
Burton : Il s’agit d’un outil statistique visant à servir parallèlement à un concept de revenu, du fait de l’établissement du revenu disponible, comme les ajustements de type d’occupation et du fait que, comme vous l’avez mentionné, les coûts ne sont pas définis indépendamment pour différentes tailles de familles ou structures. Elle ne peut pas être utilisée de cette façon en vue de l’admissibilité à des programmes ou de versement d’une rémunération minimale ou pour un concept de revenu de base. Il s’agit d’un excellent outil de modélisation, de mesure de la pauvreté et de répartition du revenu, mais elle ne doit pas être considérée comme un outil universel pouvant résoudre tous ces problèmes.
Mélanie : Nous avons voulu en savoir plus sur la pauvreté et sur la raison de sa complexité ainsi que pourquoi la MPC ne devrait pas être utilisée comme outil universel.
Kevin : Je suis Kevin Milligan. Je suis professeur d’économie à la Vancouver School of Economics de l’Université de la Colombie-Britannique.
Mélanie : La mesure du panier de consommation est un excellent outil de production de rapports, mais on ne pourrait pas l’utiliser pour répondre à des besoins comme la PCU.
Kevin : Simplement pour vous donner un exemple, vous savez qu’actuellement un grand nombre de transferts de revenu se fondent sur le revenu familial et le contexte familial. On peut penser à l’Allocation canadienne pour enfants, au crédit pour taxe sur les produits et services, qui réduit le revenu que les Canadiens reçoivent et ce chèque, ce dépôt direct, que bon nombre d’entre nous, vous savez, avons reçu chaque trimestre lorsque nous étions étudiants. Ces programmes se fondent sur le barème de déclaration de revenus et nous venons de déclarer nos revenus en avril 2022. Ces prestations sont toutes ajustées rapidement en juillet 2022 pour les 12 mois entre juillet 2022 et juin 2023. Donc, si vous y réfléchissez, si je perds mon emploi demain, quand sera mise à jour mon Allocation canadienne pour enfants? Quand sera mis à jour mon crédit pour TPS? Tout est fondé sur mes impôts d’avril 2023, donc en juillet 2023, mon chèque sera mis à jour; ce qui peut ne pas être idéal, si mes besoins en revenu sont plus importants dès maintenant? Ce cycle selon lequel les choses se répètent est un gros défi auquel on est confronté. Maintenant, on peut faire valoir qu’il existe peut-être des façons de faire les choses plus rapidement. Nous pourrions ne pas tenir compte des changements lors du cycle de déclaration de revenus et le faire de d'autres façons. Donc, le type de défis auxquels l’on doit faire face est la façon de transmettre en réalité les chèques aux gens en fonction de leur situation actuelle? C’est l’un des nombreux défis auxquels nous sommes confrontés.
Mélanie : : La MPC ne tient pas compte de toutes les circonstances, comme la taille d’une famille. Une famille de 4 pourrait compter deux parents et deux enfants ou un parent et trois enfants. Ces deux types de familles ont des besoins très différents. Et ceci, avant même d’ajouter des spécificités tel que des besoins d’accessibilité à ce descriptif. Kevin élabore en disant ce qui suit :
Kevin : Notre système actuel est très fortement fondé sur nos besoins. Donc, si vous avez un handicap, vous avez un type de structure de revenus très différent. Et cela varie même en fonction des handicaps; cela dépend de votre contexte familial et de divers aspects de votre vie. Il existe donc toute une panoplie de programmes gouvernementaux. C’est assez complexe. Ils interagissent souvent maladroitement et ce n’est pas idéal, mais nous devons comprendre que leur raison d’être est qu’il existe une variété de besoins différents. Si nous remplacions entièrement ce panier, ces programmes d’inférence, par un programme universel, un genre de chèque général d’un type ou d’un autre ne dépendant pas des besoins individuels, si vous y réfléchissez, les gens pour qui cela serait le plus néfaste seraient ceux en ayant le plus besoin, car ce chèque universel ne tiendrait pas compte de tous les aspects de leurs besoins. Donc un gros défi dans l’approche du revenu de base est que si on essaie de veiller à ce que les gens ayant les plus gros besoins soient traités équitablement, qu’ils obtiennent le même type de transfert de revenus, on finit en fait par devoir tenir compte de tous les différents types de handicaps, toutes les situations familiales, tous les modèles de revenu et on finit en fait par recréer toute la complexité du système existant. Donc, ce que je sous-entends ici, c’est qu’il n’y a pas de solution magique parfois. Au fond, on pense au revenu comme s’il s’agissait d’une solution magique, que nous pouvons faire table rase de toute la complexité. Ce à quoi je demande à tout le monde de réfléchir est que la raison de cette complexité est que les gens ont des vies complexes. Cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas réduire la complexité et essayer d’améliorer les choses, de faciliter les points d’accès pour les Canadiens et Canadiennes à faible revenu afin qu’ils puissent accéder aux prestations. Mais cela sous-entend qu’il n’y a pas de baguette magique ici.
Je n’entamerais cependant pas cette discussion en pensant résoudre le problème en une journée.
Mélanie : Ne vous méprenez pas. Tout ceci n’est pas une critique de la mesure du panier de consommation. C’est un outil conçu à une fin particulière, qui ne fonctionne pas toujours si on l’envisage hors contexte et qu’on l’applique à une nouvelle fin pour laquelle il n’était pas conçu. La mesure du panier de consommation est un excellent outil pour mesurer un aspect clé de la pauvreté, mais elle n’est pas une mesure parfaite pour tous les domaines où des besoins existent dans le pays. Il s’agit seulement d’un indicateur et il en existe bien d’autres.
Quels sont certains des problèmes qui surviennent lorsqu’on utilise une seule mesure pour saisir une notion aussi complexe que la pauvreté?
Kevin : Les diverses mesures capturent différents aspects des choses. Une autre mesure existe appelée la mesure de faible revenu, qui examine la situation d’une famille par rapport à une famille typique, calcule le revenu familial médian au Canada, trace une ligne en fonction de cela pour effectuer des comparaisons. Cette mesure présente parfois un tableau différent, parce qu’elle compare en quelque sorte l’extrémité inférieure avec la moyenne. Ce qui est intéressant au sujet de cette mesure est que, dans les années 1990, le revenu médian d’une famille typique au Canada diminuait en fait. Cela signifiait que la mesure de faible revenu, reliée à ce revenu médian, étant en fait de plus en plus basse chaque année, de sorte qu’il était plus facile de sortir de la pauvreté. Nous avons donc assisté à une diminution des mesures de la pauvreté, des résultats en matière de pauvreté de ce fait, parce qu’il était plus facile de franchir ce seuil. Ça ne semble pourtant pas une bonne chose que le revenu de tout le monde diminue. Le faible revenu diminue à une vitesse légèrement différente de celle du revenu médian. Cela ne semble pas une bonne chose. C’est l’une des raisons pour lesquelles la mesure du panier de consommation dresse un tableau différent. Ce qui est intéressant est qu’elle ne compare pas le niveau inférieur avec le milieu. Donc, selon la situation médiane, la notion de pauvreté change. La MPC montre simplement ce dont on a besoin au Canada en 2022 pour vivre une vie acceptable et donc les gens de Statistique Canada et toutes les tables rondes et les discussions ont permis de créer le panier qui ne dépend pas de la situation du revenu médian. Elle ne fluctue pas de cette façon. Elle est donc un peu plus stable pour cet aspect et est sans doute une mesure de carence. Cela ne veut pas dire que la mesure de faible revenu n’est pas utile, mais je l’utilise simplement comme exemple. C’est une mesure utilisée dans des comparaisons de la pauvreté au niveau international, car ce qui se trouve dans un panier canadien de mesure du panier de consommation a du sens pour le Canada, mais peut-être pas pour l’Italie, ni pour le Japon. Ils auraient un panier de biens différent du fait de différentes cultures, de différentes économies. Les comparaisons internationales tendent donc à se concentrer sur quelque chose comme une mesure de faible revenu, qui compare l’extrémité inférieure avec la moyenne, car c’est quelque chose qui est plus facile à mettre en œuvre pour divers pays.
Mélanie : C’est la raison pour laquelle le Carrefour de la pauvreté de Statistique Canada présente 12 indicateurs différents. Un indicateur ne peut simplement pas dresser le tableau complet par lui-même.
J’ai l’impression d’avoir suivi une sorte de cours intensif en tant qu’analyste subalterne de politiques au cours de cet épisode.
Kevin : Exactement. C’est le type de travail que font constamment un grand nombre de gens à EDSC et au ministère des Finances pour essayer de concevoir ces systèmes de garantie de ressources et cela présente un excellent défi. C’est également très gratifiant, car lorsque l’on pense à ce que nous faisons, nous essayons aux meilleures de nos capacités d’aider des familles qui sont vraiment dans le besoin. J’utilise les enquêtes et produits de Statistique Canada pour faire le meilleur travail possible lorsque nous essayons de concevoir ces programmes; moi, à l’externe comme chercheur, et les fonctionnaires du gouvernement à l’interne. Mais oui, je pense que c’est fascinant parce que c’est si difficile. C’est un vrai défi. Si c’était facile, j’aurais fini à midi et ce serait merveilleux, mais ce sont ces défis et tenter de trouver des manières de les résoudre qui est enrichissant et un défi auquel j’aime travailler.
Mélanie : Il est difficile d’éradiquer la pauvreté, mais cela ne signifie pas que cela ne vaut pas la peine d’essayer. Le Canada dispose d’une stratégie de réduction de la pauvreté reflétant les objectifs liés au développement durable de l’ONU.
Comment l’éradication de la pauvreté pourrait-elle changer la vie d'une personne vivant dans la pauvreté?
Kevin : De deux façons. Je le formulerais en termes de disposer d’un revenu supérieur pour les personnes gagnant un faible revenu; je pense que cela changerait la situation de deux manières. L’une est, je pense, simplement la capacité d’acheter davantage de choses pouvant l’aider à maintenir son bien-être; comme une meilleure alimentation, de meilleures conditions de vie, un habillement adéquat, par exemple. L’autre aspect plus subtil, mais peut-être plus important, est lorsque l’on pense au stress que vit une famille lorsque son revenu n’est pas suffisant, lorsqu’elle ne pense pas que ses enfants puissent faire aussi bien que leurs voisins en termes de participations aux activités scolaires. Des recherches ont démontré que ce type de stress, d’avoir un budget serré, est relativement important pour le bien-être d’une personne ainsi que pour les répercussions à long terme d’une vie de pauvreté. Ce dont les gens se souviennent, s’ils ont grandi dans la pauvreté, est peut-être d’avoir eu faim certains soirs, mais plus souvent, vous savez, c’est la douleur du stress d’avoir eu un budget serré, que cela entraîne un mauvais comportement dans le ménage ou seulement de la honte et de l’embarras à l’école; ces souvenirs et les répercussions réelles de cela sont d’une certaine manière bien plus marquante que de se coucher le ventre vide.
Mélanie : Dans l’un des épisodes de la première saison, « Au bord de l’effondrement », notre invitée, Dre. Kelley, a parlé de l’incidence du stress sur les enfants. Écoutez-le pour en apprendre davantage.
Quel est le coût de ne pas faire de notre mieux pour éradiquer la pauvreté?
Evelyn : Oh, je pense que le coût de la pauvreté est immense dans ce pays. Je pense que si l’on commence à étudier cela, il n’existe pas un seul enjeu social au Canada qui ne soit pas aggravé par la pauvreté. Si l’on considère le système de soins de santé, par exemple en 2010, une étude a été menée sur les hospitalisations, par exemple. Je parle en particulier de ce que l’on appelle les conditions propices aux soins ambulatoires. Il s’agit d’hospitalisations qui surviennent parce que les personnes n’ont pas reçu de soins primaires appropriés. En étudiant ces types d’hospitalisations en particulier, les auteurs ont relevé que 30 à 40 % des hospitalisations découlaient d’un statut socioéconomique inférieur; c’est-à-dire de la pauvreté. Si vous considérez l’éducation, une grande partie du financement de l’éducation est nécessaire pour aider les enfants à suivre lorsqu’ils changent d’école. Certains enfants changent d’établissement scolaire plusieurs fois par an. Pourquoi? L’une des raisons est que les parents ne peuvent plus payer le loyer, alors ils déménagent. On observe alors ce type de mobilité dans les familles et il est alors difficile pour les enfants de suivre; et il est plus difficile pour le système éducatif de payer pour les enfants. Si vous prenez l’exemple de l’incarcération, 80 % des femmes incarcérées le sont pour des délits relatifs à la pauvreté. 80 %! Le coût de l’incarcération est immense dans ce pays. Donc, nous payons pour la pauvreté, nous payons en termes de chaque programme social auquel on peut penser. Il ne s’agit pas seulement de l’argent que nous payons en termes d’assistance sociale provinciale ou d’autres types de programmes. Il s’agit de chaque programme social mis en place pour aider les gens.
Mélanie : Et pour peut-être aborder un point crucial, juste une question à laquelle on ne peut pas répondre : comment mesure-t-on la valeur d’interrompre le cycle de pauvreté pour une famille?
Evelyn : Je pense que c’est votre question rhétorique pour terminer. Oui, en effet, je n’ai pas de réponse à cela. Je n’ai pas de réponse à cela, car je pense que c’est en définitive une question morale. C’est une question d’éthique. Vous savez, dans un sens, je pense que cela amoindrit l’importance du problème. Si je dis que j’en bénéficie, si je ne vis pas, vous savez, à proximité de gens qui ont besoin d’aide et qui n’en reçoivent pas. Nous en tirons tous un bénéfice, je pense, mais nous en bénéficions, je pense, en termes très pratiques et monétaires. Mais nous en bénéficions en particulier, je pense, d’un point de vue social plus vaste en termes de type de cohésion, de type de société au sein de laquelle nous souhaitons vivre.
Mélanie : Si l’on veut en savoir plus sur la mesure du panier de consommation et la façon dont Statistique Canada calcule la pauvreté, que devrions-nous consulter?
Burton : Le Carrefour des dimensions de la pauvreté de Statistique Canada est une excellente ressource pour accéder aux plus récents renseignements sur la mesure du panier de consommation et au travail que nous faisons pour créer les seuils de la mesure du panier de consommation pour les territoires, sur les différents indicateurs de pauvreté relevés dans le document « Une chance pour tous : la première Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté ». Donc, je commencerais par là.
Mélanie : Vous venez d'entendre « Hé-Coutez bien! ». Merci à nos invités, Burton Gustajtis, Evelyn Forget et Kevin Milligan, de nous avoir partagé leurs expertises.
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Sources
«Carrefour des dimensions de la pauvreté. » 2018. Statistique Canada. Le 4 décembre, 2018. Carrefour des dimensions de la pauvreté.
Forget, Evelyn L. 2011. “The Town with No Poverty: The Health Effects of a Canadian Guaranteed Annual Income Field Experiment.” (disponible en anglais seulement) Canadian Public Policy 37 (3): 283–305 The Town with No Poverty: The Health Effects of a Canadian Guaranteed Annual Income Field Experiment. (disponible en anglais seulement)
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