Là où la poussière se dépose

Patrice se lève, debout, il s’installe en avant de la scène, il est de biais par rapport au public. À la fin du tableau, Il se rend à la table basse pour lire un extrait du livre « L’habitude des ruines » de Marie-Hélène Voyer.

Entendu dans ce tableau : les bruits des camions sur la route, la ville, l’intérieur d’une maison de campagne, la radio.



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What is Là où la poussière se dépose?

Dans cette autofiction sonore, l’autrice Karina Pawlikowski et le réalisateur Julien Morissette nous invitent à pénétrer, par la petite porte de l’intimité, dans la transformation de leurs maisons.

PATRICE
Le camion loué tourne en rond dans le quartier,
Un quartier que j’étais sûr de mieux connaître.
Après la fusion, y’a plein de rues qui ont été rebaptisées.
Ça explique sans doute ma confusion.
Des noms nobles, historiques, géographiques… toujours en référence au vieux continent.
Rue Winston-Churchill.
Boulevard de l’Europe.
Impasse du Muscatel.
Rue Molière.
Parc Émile-Zola.
Et ma préférée : rue des Grands-Châteaux.

Salutations succinctes.
200$ comptant.
On n’a pas trouvé les instructions mais c’est assez simple à monter.
À l’arrière du cargo, le nouveau-vieux-lit-bateau quitte la banlieue pour la campagne.

Clé Allen.
Tournevis Phillips.
iPhone.
Airpods, parce que la petite Tivoli est restée dans la cuisine de l'autre maison.
Et le système de son est pas encore prêt,
Faut le calibrer.

À quatre pattes dans la chambre de ma fille, j’écoute.
Dans mes oreilles, l’autrice Marie-Hélène Voyer discute avec un animateur et une metteure en scène.
Le thème de leur échange : la laideur :
Marie-Hélène Voyer : Et c’est un autre symptôme… On est très fier de nos couchers de soleil…!

Brigitte Haentjens : Mais dans ton livre quand même, en fait, ce dont tu parles finalement, c’est de l'effacement de la mémoire, aussi c’est peut-être symptomatique aussi du pays dans lequel on est, qui n’a pas de pays.

Marie-Hélène Voyer : On efface pis on recommence comme dans cette émission de télé de déco la, comment expliquer à nos enfants à la suite de qui et de quoi ils s'inscrivent, comment et quel savoir faire on va leur léguer? Un savoir-faire de hangar en tôle, donc les Tim Hortons sont des hangar en tôle, les concessionnaires auto sont des hangar en tôle, nos supermarchés, etc.

Jean-Philippe Pleau : C’est fait pour avoir une durée de vie d’environ dix ans après ça on recommence, c’est ça que tu dis.

Marie-Hélène Voyer : Oui, c'est ça, on fabrique de la ruine.

La maison que j’essaye de rendre mienne est jaune.
Vraiment très jaune.
Les portes ont été peinturées en rouge, le toit est métallique,
Mais le bois est complètement jaune.
Pas un jaune « moutarde », plus comme un jaune « moutarde-Dijon ».
Tout le monde l’appelle « la maison jaune ».

Moi, je la trouve magnifique,
même si on m’a dit que le jaune est une couleur détestée.
Je google « least favorite color in the world ».
Je tombe sur un site qui s’appelle appartementtherapy.com
La réponse : Yellow.
La couleur la plus détestée des canadiens.
Je sais pas quelle valeur accorder à ça.
Tout de cette nouvelle maison me séduit.
Tout est chaleureux.
Même sa couleur.
Y'a peut-être la route qui est un peu proche de la porte avant,
mais sinon elle me sied à merveille.

D’ailleurs, tout le monde me le dit :
« Cette maison te va bien. Elle te ressemble. »
Un nouveau personnage à connaître, apprivoiser, élaborer.
C’est comme sacré, pour moi.
Entrer dans un lieu, le faire sien.
Ou peut-être plus s’inscrire dans ce qu’il a toujours été.

Prendre de nouvelles habitudes domestiques.
Pencher la tête avant d’entrer dans la chambre.
Rempoter la plante zèbre dans un pot de céramique.
(faut qu’elle arrête de crisser le camp à terre quand j’ouvre les fenêtres)
Pencher la tête avant de sortir de la chambre.
Comprendre la fonction des objets qui appartiennent à deux siècles passés.
Le mécanisme de la vieille sonnette.
L’efficacité des énormes trappes d’aération dans les planchers à l’étage.
La disposition des moellons dans le sous-sol.
Le trajet des cheminées.
Apprivoiser les bruits, les souffles, les résonances.
Comment le son voyage d’une pièce à l’autre,
Par les craques dans le plancher de bois,
Et les trappes d’aération, encore.

À quatre pattes dans la chambre de ma fille, j’écoute.

J’pense aux mots de Marie-Hélène,
elle écrit :
La vie ordinaire se campe pourtant le plus souvent dans des lieux de rien, loin de toute monumentalité. Nos maisons banales sont plus riches qu’elles n’y paraissent, car elles témoignent de l’assemblage complexe de nos unions et de nos ruptures, de nos espoirs et de nos vies, tantôt noueuse, tantôt hachurée, qui s’y dessine.
(Voyer, M. H. (2021). L’habitude des ruines : Le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec. Page 28. Lux Éditeur.)