Signal nocturne

« Comment voulez-vous que je sois la même personne ?
J’ai tutoyé la mort »

En 2013, l’autrice et comédienne Audrey Talbot a été renversée par un camion alors qu’elle était à vélo, à l’angle de Masson et Molson, à Montréal. Elle a échappé de peu à la mort, passé sept mois à l’hôpital, subi de nombreuses chirurgies et a patiemment réappris à vivre seule. Sa présence sur scène relève aujourd’hui d’un miracle.

La pièce de théâtre Corps titan (titre de survie) raconte son histoire hors du commun. Accompagnée de son complice, le metteur en scène Philippe Cyr, elle en lit deux extraits à l’animateur et réalisateur Julien Morissette, dans le phare de Signal Nocturne. Un récit troublant, empli d’inspiration, de force et de courage.

Show Notes

« Comment voulez-vous que je sois la même personne ?
J’ai tutoyé la mort »

En 2013, l’autrice et comédienne Audrey Talbot a été renversée par un camion alors qu’elle était à vélo, à l’angle de Masson et Molson, à Montréal. Elle a échappé de peu à la mort, passé sept mois à l’hôpital, subi de nombreuses chirurgies et a patiemment réappris à vivre seule. Sa présence sur scène relève aujourd’hui d’un miracle.

La pièce de théâtre Corps titan (titre de survie) raconte son histoire hors du commun. Accompagnée de son complice, le metteur en scène Philippe Cyr, elle en lit deux extraits à l’animateur et réalisateur Julien Morissette, dans le phare de Signal Nocturne. Un récit troublant, empli d’inspiration, de force et de courage.



Transistor Média, basée à Gatineau (Québec), est une boîte de création, de production et de diffusion d'œuvres audios. En plus de ses balados, l’organisme tient annuellement le Festival Transistor et le Kino-radio.

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Creators & Guests

Host
Julien Morissette
Co-fondateur et directeur artistique de Transistor Média, Julien Morissette a réalisé et animé plus de 200 épisodes de balados comme Synthèses, Daniel Bélanger : Rêve encore, Signal nocturne, L'heure de radio McGarrigle et Les amours extraordinaires.

What is Signal nocturne?

Chaque vendredi sur le coup de 22 h 00, Julien Morissette reçoit des artistes de partout au Québec, issus de la littérature, du théâtre, du cinéma et de la création sonore et musicale. Découvrez des entrevues passionnantes, des textes inédits, des performances intimes et des conceptions sonores envoûtantes. Une production de La Fabrique culturelle de Télé-Québec, en collaboration avec Transistor Média.

ID INTRO
Ce balado est une présentation de La Fabrique culturelle de Télé-Québec, en collaboration avec Transistor Média

BLOC 1 - CITATION + THÈME__________________________________________

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 1]

Dans Walkie-Talkie, Stéphane Lafleur chante :

La nuit est pleine de mailles
On peut voère les étoiles
J'aligne mon antenne
Sur ton signal

Vous écoutez Signal nocturne.

BLOC 2 - TEXTE INTRO_______________________________________________

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 2]
Cet album là est sorti en 2016.
4 ans après Astronomie, qui les avait fait connaître à un plus large public que les radios étudiantes et les petites salles comme le Divan orange, le Petit Chicago ou le Téléphone rouge.
Toutes des salles qui ont disparu…

Bref, j’ai compris que le meilleur était encore à venir pour Avec pas d’casque, en découvrant leurs nouvelles chansons au compte-goutte : Nos corps en ré bémol dans une vidéo tournée au Quai des brumes ou Derviches tourneurs à la radio.

Ça fait au moins 6 ans que l’album est sorti et à chaque mois de décembre, j’me surprends à chanter « Il fait noir de bonne heure » quand le solstice approche.

Ou Loup-garou quand je marche dans la forêt.

Et y’a cette chanson, Audrey est plus forte que les camions, qui regorge d’images tellement puissantes. Les premières lignes sont hallucinantes :

Le vent garde son calme
La nuit nous traîne par les cheveux
Demain ne sait pas encore
Que nous arrivons

ou encore, un peu plus loin :

Le plan reste le même
Sucer la vie jusqu'à jouissance
Laisser la bête en nous
Faire son territoire

et ensuite :

Vidons de sa monnaie
La fontaine de Jouvence
Et nous vivrons vieux
Sur les vœux
De tout le monde

Je m’étais jamais vraiment demandé qui est Audrey, cette survivante qui avait réussi à vaincre les camions.

J’avais pas fait le lien, en lisant les remerciements dans la pochette de l’album Effets spéciaux, que la Audrey Talbot en question était cette comédienne qui a joué dans d’innombrables spectacles jeunesse et qui était de l’équipe du iShow, un spectacle qui a tourné au Québec, en Ontario et en France.

Dire que Audrey Talbot a frôlé la mort est un euphémisme.
À vélo, elle a eu un accident terrible dans les rues de Montréal qui impliquait… un camion, vous l’aurez compris.
C’est un miracle que cette femme soit en vie, qu’elle soit remontée sur scène et qu’elle puisse raconter son histoire dans Corps titan (titre de survie), un spectacle puissant qui a été présenté sur scène pour la première fois à l’automne 2021.

Je ne me souviens pas d’avoir autant crié et pleuré en lisant un texte. C’est une œuvre importante dans laquelle on va plonger ensemble.

On va commencer par le matin de l’accident, tel que raconté par Audrey dans Corps titan (titre de survie)

BLOC 3 - PAIN AUX BANANES_________________________________________

AUDREY
Demain
Début d’un nouveau projet
Rencontre autour d’un brunch
Faire un pain aux bananes pour l’occasion.
J’allume le four à 350
Je prends les trois bananes noires dans le plat à fruits
Je les écrase à la fourchette dans un bol
Je beurre mon moule
Je mets le sucre pis le beurre dans un autre bol
Je fouette
J’ajoute les œufs pis la vanille
Je fouette
Je mets la purée de bananes
Je brasse
J’ajoute la farine
Je brasse plus doucement
En alternance avec le lait
Un peu de poudre à pâte
Je sacre le mélange dans le moule
Le moule dans le four
Dans une heure c’est prêt.
C’est ça, mon dernier souvenir :
Faire un pain aux bananes
Pis que ça me tente pas
C’est ça le dernier geste que je me souviens d’avoir posé dans mon ancienne vie :
Un geste banal, anodin, sans aucune puissance.
(temps)
J’étais dans quel état en me couchant ?
Y était quelle heure ?
À quoi je pensais ?
On le saura jamais.
Je suis maintenant pleine de trous
Pis y faut que j'apprenne à vivre avec.
À partir de ce moment-là de l’histoire, je peux juste présumer ce qui s’est passé.

La minuterie du four sonne : faisant écho à l’alarme d’un réveil-matin.

AUDREY
Je me réveille
Je regarde dehors pour connaître la température
Il fait vraiment beau !
J’ai le goût de mettre une robe pas de collants…
Mais on est encore juste en mai.
J’enfile une paire de jeans
Une camisole
Un chandail par dessus
Je choisis quand même de mettre des sandales
Pour me donner une petite puff d’été.
Je me brosse les dents
Me donne un coup de peigne
Mets mes lentilles
Du mascara
Je vérifie le contenu de mon sac à mains :
-porte-feuilles
-agenda
-téléphone
-clés
Je suis prête
Je mets mon jacket bleu de printemps pour la route
Je ramasse mon pain aux bananes
Pis je sors.
Je débarre mon vélo
Je prends Papineau
J’haïs ça, Papineau, mais c’est le chemin le plus direct
Pis faut que je passe en-dessous du viaduc
Mais j’en ai pas long à faire… tout est correct
Chu habituée
Chu prudente anyway.
Bon ! Je tourne à gauche sur Masson
Pis là, c’est all-the-way jusqu’à ma destination !
Y a deux cyclistes devant moi qui roulent côte à côte.
Je le sais qu’on s’entend pas quand on est un derrière l’autre pis que c’est gossant Mais là, c’est eux autres qui me gossent.
Y a personne derrière moi
J’en profite pour m’arrêter une seconde pour vérifier l’adresse de chez Anne dans mon agenda
5272, 8e Avenue
Je repars
Les deux autres ont pris de l’avance
Chu presque rendue.

PHILIPPE [témoin]
Je conduis mon camion : un camion-benne.
J’en suis un autre comme le mien, juste devant moi.
Je vois qu’il y a trois cyclistes à côté de nous. Deux côte à côte, puis une autre qui suit.
Elle me fait rire parce qu’elle arrête pas d’évaluer comment elle pourrait dépasser les deux autres.
Elle a l’air un peu impatiente.
Je me dis qu’elle a peut-être hâte de montrer la belle robe qu’elle porte à la personne qu’elle va rejoindre
Ou juste à son équipe au bureau où elle travaille.
Je dépasse De Lorimier
Je passe sous le viaduc
J’arrive coin Molson.
La lumière est verte, mais le camionneur devant moi veut tourner à droite. Faque j’attends derrière lui, parce que moi je continue pis que lui, il laisse passer les deux cyclistes qui vont tout droit
Y amorce son virage
Fuck ! Y voit pas l’autre cycliste qui est un peu derrière !
Elle est direct dans son angle mort !!
La fille comprend ce qui se passe : elle met un pied à terre.
Qu'est-ce tu veux qu’elle fasse ?!
Ça recule pas, un bicycle !!!
Y est trop tard
Je la vois passer en-dessous du camion
Dans sa belle robe-soleil

AUDREY
Je suis contente que la dernière image que le témoin principal garde de moi vivante, c’est une fille en belle robe. En réalité, je suis en jeans ce jour-là.

BLOC 4 - ENTREVUE 1________________________________________ _

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 3]
C’était Audrey Talbot, accompagnée de Philippe Cyr, metteur en scène de Corps titan (titre de survie), qui nous lisaient un extrait de la scène Pain aux bananes.

Avant Corps titan, Audrey n’avait pas une pratique d’écriture en tant que tel. Je lui ai demandé si c’est l’accident qui lui a donné l’élan d’écrire.

AUDREY TALBOT
Ouais, c'est les événements qui m'ont poussé à écrire. Jamais je me suis dit : "ah, un jour j'écrirai. J'aime écrire, pourtant c'est pas, mais c'est vraiment pas quelque chose qui m'avait appelé. Pendant longtemps, je l'ai, je l'ai refusé quand des gens m'en parlait : "Hey tu devrait tellement écrire à propos de ça, chaque fois que tu me raconte un petit extrait, un petit bout du parcours, j'suis ah bah voyons. Écris". J'faisais, heille bah voyons là. J'peux tu arrêter à un moment donné d'en parler...

JULIEN MORISSETTE
Ouais, passer à autre chose.

AUDREY TALBOT
D'en parler avec mon entourage, des amis, des gens qui sont curieux, ça me fait toujours plaisir, mais j'me disais : "hey vraiment là, me consacrer à ça pendant". Puis à un moment donné, ça c'est juste imposé.

JULIEN MORISSETTE
C'est un processus tellement unique de, tsé te réapproprier cette histoire là, mais d'en avoir perdu la mémoire ou les les souvenirs et de retourner pis tout ça quand même le personnage central de de cette aventure là. Ces contacts là avec les les ambulanciers et les intervenants de première ligne, les gens qui qui t'ont aidé dans ta rééducation, c'était comment, humainement, de replonger là-dedans avec eux?

AUDREY TALBOT
Les premiers que j’ai rencontrés, c’est deux ambulanciers.

JULIEN MORISSETTE
Hm hm.

AUDREY TALBOT
Puis bon, j'avais contacté Urgences santé pour pour savoir si je pouvais les rencontrer, si je pouvais savoir qui y étaient. Ça s'est, c'est toute sorte de processus qui sont très laborieux.

JULIEN MORISSETTE
Ouais.

AUDREY TALBOT
Que j'me disais : "bah, pas de problème, j'ai leur numéro d'employé". Ah non, là, ça prend des permissions. Puis OK, hm hm, fait que y'a, c'est des lourds processus. Puis, quand j'ai enfin pu entrer en contact avec eux, ben là ils me proposaient d'être dans une salle de conférence chez Urgences santé. Pis là moi, je m'imaginais mal aller là-bas, croiser plein de monde, puis de me retrouver dans un, dans un petit local. J'ai tenté le coup, je j'ai dit : "Est-ce que, est-ce que vous serez à l'aise de venir à la maison chez moi, juste prendre un café là, je je nous imagine mal dans un café. Puis on m'a conseillé aussi de de vous enregistrer pour que je puisse justement me référer à ce qu'on s'est dit. Peut être que ça va être, ça va être en fait, sûrement chargé, très, très chargé émotivement. Je vais peut être en perdre des bouts là, de savoir, hey, est-ce que c'est lui qui m'a dit ça ou est ce que j'ai pensé dire? Mon Dieu?".

Et dès que j'ai ouvert la porte... D'abord, ils sont arrivés ensemble. Là déjà ça, j'étais complètement séduite. J'me disais : "Ah mon Dieu, ces deux gars-là sont comme tout le temps ensemble". Alors qu'ils ne sont pas partenaires de travail et qu'ils se côtoient à l'occasion. Mais ils travaillent pas ensemble. Là j'étais déjà super touchée. Eux aussi y dissent : "Ben certainement. On est allés manger ensemble avant là".

JULIEN MORISSETTE
Ah wow.

AUDREY TALBOT
Puis tout ça, je, est-ce que je peux vous faire une accolade? Est-ce que c'est déplacé? Est-ce que c'est comme bizarre là? J'ai comme vraiment le goût de vous.... "Ben tellement". Fait que là, c'était comme si je retrouvais des vieux amis.

JULIEN MORISSETTE
Est-ce que les ambulanciers, physiothérapeutes, etc. sont venus voir le spectacle à sa première diffusion?

AUDREY TALBOT
Ben comme y'a pas eu tant de personnes qui ont pu assister aux aux représentations, ils sont pas tous venus, mais beaucoup, beaucoup d'entre eux sont venus quand même.

BLOC 5 - EXTRAIT DU SPECTACLE 1__________________________________

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 4]
Écoutons justement le témoignage de Carl, un des ambulanciers qui a sauvé Audrey, dans cet extrait diffusé en spectacle.

CARL [AMBULANCIER]
Cet événement-là m’a marqué. Pis je sais pas pourquoi. C’est pas le premier événement, c’est pas le premier euh… c’est pas le premier accident grave que je fais ! Mais le fait que… Je sais pas pourquoi. Chaque fois, à chaque fois que je vois un un un, que je fais un accident de vélo ou que… j’ai, j’ai, j’ai encore des des images de l’accident pis c’est c’est c’est hyper clair, pis c’est jamais comme ça ! Je me rappelle pas de l’appel… je me rappelle pas de l’appel que j’ai fait le matin ! J’ai une mémoire… je serais un très mauvais acteur là, j’oublierais toutes mes textes. Mais toi, pour une raison que j’ignore t’avais… t’étais tellement euh… t’étais tellement vulnérable, par terre… t’étais tellement… t’étais à un fil de mourir, vraiment. Pis… on s’attendait à ce que tu meures. On s’attendait à ce que tu fasses pas la route : que tu te rendes pas à l’hôpital littéralement.

C’est, c’est, c’est… Y a quelque chose de… y a quelque chose de de… d’extraordinaire mais presque poétique dans dans tout ça. Euh… je manque de mots pour pour essayer… pis je te dis, c’est pas la première fois que j’essaie de de de, de mettre sur… j’aurais… j’aurais aimé ça te l’écrire, tsé : j’arrive pas encore à expliquer ce qui fait que c’est c’est, c’est… c’est si… c’est si beau ce qui est arrivé…. malgré que c’est si horrible, là, tu comprends ? Pis c’est ça qui m’a marqué pis j’arrive pas encore à… j’arrive pas encore à me l’expliquer, pis à expliquer ce que… comment ce que… comment je me sens à travers ça. Mais une chose est sûre : quand je croise la rue Molson, quand je croise la rue Masson ben j’ai tout l'temps, tout l'temps, tout l'temps, tout le temps une pensée pour ça pis c’est encore super clair dans ma, dans ma tête pis ça va le rester tout le temps. J… On peut pas oublier ça, tsé.

BLOC 6 - ENTREVUE 2________________________________________ _

JULIEN MORISSETTE
On l'a mentionné un peu tout à l'heure, Audrey, mais on parlait de se réapproprier certains éléments dans Corps titan. Te réapproprier ton corps oui dans ce, dans cet apprentissage là, ce réapprentissage, mais aussi ton métier dans la pièce. Comment t'as vécu cette grande traversée là depuis ben le moment où te repris conscience et où tu as dû avoir une forme de rééducation jusqu'à présenter cette pièce en en 2021-2022?

AUDREY TALBOT
Hmm. Heille, ben oui, y'a tellement d'étapes là-dedans. Ben premièrement, lorsque j'étais quand réappropriation de plus de capacités possibles dans dans ma vie à venir. Ben le focus était que là-dessus. Et c'était très difficile, très ardu, mais j'me décourageait pas ça. Ça je m'en rappelle pas non plus pleinement. En fait, j'ai été hospitalisé pendant sept mois. J'me rappelle pas d'aucune conversation que j'ai tenu pendant ces sept mois là.

Après. Ouais, à l'hôpital, c'est une première étape de soins très, très aigus, donc de beaucoup de douleur. Un début de physiothérapie? Puis, après ce transfert de, en centre de réadaptation, là vraiment accès les les ex- ouais accès le temps, les enjeux sur tout ce que je peux regagner. Cognitivement, faire de l'ergothérapie et redevenir habile. J'ai réappris à manger toute seule, à aller à la toilette toute seule, à me brosser les dents toute seule.

Donc c'est très accès sur, sur reprendre ses acquis physiques, cognitifs. Et de regagner son autonomie. De pouvoir rentrer à la maison. Et une fois, ça fait que après le centre de réadaptation j'suis est retourné habiter chez mes parents. J'étais encore en chaise roulante à ce moment là et la préparation de trois repas par jour était déjà quelque chose de trop difficile pour moi. Et de faire les courses lavage, tout ça était trop difficile. Alors, regagner tout ça, tout ça jusqu'à reprendre cette autonomie. Et de me dire pendant longtemps enfin, là, je suis revenue où j'étais avant. Fait que, tranquillement, pas vite. Là j'suis pas dupe là. Ça va recommencer là. J'vais voir mes amis, j'vais avoir des contrats, j'vais faire des shows, des tournées, des voix de temps en temps. J'vais faire des voyages, puis tout va ben aller.

Jusqu'à un moment donné, de, ouais de frapper un autre mur là. De de me dire : "Hein? Ben, non c'pas, c'est pas comme avant". Je suis tellement plus comme avant. Et là regard des autres qui change sur soi. Faire face à des nouvelles affaires que je connaissais pas avant de des regards de de pitié ou ou de vouloir tellement ben aider, tellement être là, d'en faire trop. J'imagine comme plein de gens peuvent se sentir comme ça à à différentes étapes de leur vie. Une personne qui devient plus âgée tout d'un coup : "As-tu besoin que je te tienne la main, as-tu besoin de mon bras?". Une femme enceinte qui va dire : "Heille non mais attend-attend-attend, j'vais t'ouvrir la porte, j'va". Puis c'est ça, certains certaines peuvent être froissées de ça, j'veux dire : "Heille, attend là, voyons là toi, j'suis capable encore". Fait que tout d'un coup, je me, j'me frôlais à ça. Pis à un moment donné tu te dis : "Ouais, OK, mais maintenant? J'suis qui d'abord, maintenant que j'peux pas, j'peux pas ignorer ça? C'est pas vrai que je suis revenue où j'étais avant. Mais là, je me suis rendue où? J'fais quoi? J'suis qui vraiment là-dedans? Pourquoi des fois, ça me tente vraiment beaucoup d'en parler. Pourquoi des fois, ça me tente tellement pas. Puis je me demande pourquoi les gens, hehe, pourquoi des fois j'me, j'me fâche que quelqu'un m'offre sa chaise si on est debout dans un lieu public? Pourquoi des fois, je m'insulte, qu'on me l'offre pas alors que ça fait 15 minutes qu'on est debout, puis que la personne avec qui je discute s'empresse de prendre le siège libre sans me l'offrir?".

JULIEN MORISSETTE
Ouais.

AUDREY TALBOT
Pis là j'me disais : "Ben voyons, juste me le demander là. As-tu besoin de t'asseoir toi ou?". J'pense que pour pouvoir. Vraiment, me réapproprier qui j'étais, puis qui j'avais envie de. De devenir ou enfin de, comment j'avais envie de poursuivre cette seconde vie. C'est là que j'ai pas eu le choix d'aller à la source de de l'évènement et de faire les les démarches pour rencontrer les gens qui étaient là en me demandant : "Ouais, c'est peut-être un peu vain, pis c'est ça leur job, pis y se rappelleront sûrement pas de moi là, tsé, ça fait déjà longtemps, voyons". Et là de me rendre compte qu'aucun d'entre eux n'a, n'avait pu oublier. Et c'était non seulement très clair l'évènement, mais tous les détails qui m'ont apporté sur cet événement-là. Ils se rappelaient tellement de tout. Ouais, pis là de repartir, je savais que c'était très grave. Évidemment, mon corps le portait...

JULIEN MORISSETTE
Ouais.

AUDREY TALBOT
Et le porte toujours, je je le savais. Mais de l'entendre là véritablement. C'est comme ça m'a fait vivre ce choc là aussi.

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 5]
Écoutons un dernier extrait de Corps titan (titre de survie), tiré du tableau Retour sur terre.

BLOC 7 - RETOUR SUR TERRE________________________________________

AUDREY
Comment voulez-vous que je sois la même personne ?
J’ai tutoyé la mort
Si vous me reconnaissez, c’est peut-être parce que c’est douloureux d’affronter la
réalité : je suis trop différente pour être celle que vous avez connue.
En fait, je suis deux entités
Celle d’avant
Celle d’après
Et il faut que je trouve la façon de les faire cohabiter
De les amalgamer
Pour les faire s’entendre
Pour réussir à retrouver qui je suis
Alors je concentre mon énergie sur moi
J’en n’ai plus pour me manifester aux autres
Je voudrais leur dire que j’ai encore besoin de leur soutien
Mais j’aimerais qu’ils s’en souviennent eux-mêmes
Qu’on me tende la main
Qu’on m’aide encore
Même si je peux marcher toute seule
C’est pas évident de se relever
Il s’agit plus juste de me tenir debout
Faut maintenant que je puisse avancer
Dites-moi donc, quelqu’un ?
Par quel bout on prend ça, la vie ?

BLOC 8 - ENTREVUE 3________________________________________ _

JULIEN MORISSETTE
Est-ce que, est-ce que c'est tabou de parler de la mort de façon aussi frontale, comme on le fait dans, dans la Corps titan?

AUDREY TALBOT
Moi, je me suis donnée des pleins de permissions. Je me dis d'avoir été si.. Si proche, tellement en contact avec, avec des sphères, oui, qui sont inconnus pour bien des gens, j'veux dire : "non, non, j'ai le droit moi". Je, j'ai pas, j'ai pas à mettre de gants blancs. Moi, j'parle de ma propre mort et je, j'ai pas.

JULIEN MORISSETTE
Parce que t'as visité des sphères assez.. assez loin…

AUDREY TALBOT
Ouais. Pis comme des fois, j'ai j'ai envie de cette curiosité là des autres envers envers des choses qui peuvent être tabou ou qu'on se dise tabou entre nous dire : "Oh non, pose y pas la question, tsé quand même, c'est trop dur ou". En ayant envie que des gens me, approfondissent leurs réflexions, leurs questionnements en ma présence, ça fait en sorte que moi, j'ai envie de l'approfondir avec les autres, pis de me permettre. Je me disais : "ça, tout se demandent, tant qu'on dit ben si t'es à l'aise, hein tsé, moi, je suis curieuse de savoir toi là et comment ça s'est passé, ça ou". Puis ouais, ça ça me donne envie de connaître plus profondément, les humains. Ouais.

BLOC 9 - OUTRO _______________________________________________

JULIEN MORISSETTE [NARRATION 6]
Avant de vous dire au revoir, sachez que Corps titan (titre de survie) sera présenté en juin 2022 au Centre national des arts et en reprise au Théâtre d’aujourd’hui, à l’automne.

Je tiens à remercier le metteur en scène Philippe Cyr qui était là lors de l’enregistrement de l’entretien et qui a joué le rôle du témoin dans le premier extrait. Philippe est un artiste extraordinaire, je vous invite à suivre son travail de très près.

Merci également à Guy Warin et toute l’équipe du Théâtre français du CNA. Leur collaboration est précieuse.

Je salue également lees équipes qui travaillent à la production de Signal nocturne :

Pour Télé-Québec
-La coordonnatrice Nadine Deschamps
-La technicienne de production Erica Coutu-Lamarche
-La chef de contenu Ariane Gratton-Jacob
-L’édimestre Sophie Richard
-La directrice de La Fabrique culturelle et des partenariats, Jeanne Dompierre

Pour Transistor Média

-Tenaga Studio à la musique originale
-Antonin Wyss à la conception sonore, au montage et au mixage
-Sophie Gemme à la recherche
-Claire Thevenin, chargée de production
-Louis-Philippe Roy aux communications
-Stéphanie Laurin à la production exécutive
-Et moi-même, Julien Morissette, à l’animation et la réalisation

Abonnez-vous dès maintenant à Signal nocturne dans l’application de balado de votre choix ou écoutez-nous sur lafabriqueculturelle.tv, on vous propose un nouvel épisode chaque vendredi soir.

Je m’appelle Julien Morissette, bonne nuit.