Le balado de l’Armée canadienne

Le lieutenant-général Jocelyn Paul nous fait part de ses priorités et de sa vision pour rendre l’Armée canadienne plus agile, polyvalente et létale.

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Le contexte mondial de sécurité est en évolution constante et l’Armée canadienne doit s’adapter pour demeurer pertinente et efficace. Le lieutenant-général Jocelyn Paul parle de l’élargissement de la mission de l’Armée en Lettonie, des leçons retenues de la guerre en Ukraine, de l’acquisition d’équipement, de l’Arctique, du changement de culture, de l’entraînement et plus encore.

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© Sa Majesté le Roi du chef du Canada, représenté par la ministre de la Défense nationale, 2023

What is Le balado de l’Armée canadienne?

Le balado de l’Armée canadienne s’adresse aux soldats de l’Armée canadienne et traite de sujets qui les concernent. Les soldats constituent notre public cible principal, mais les sujets abordés pourraient s’avérer pertinents pour toute personne qui appuie nos soldats ou qui s’intéresse aux enjeux militaires canadiens.

[Musique commence]

Lieutenant-général Jocelyn Paul : On a présentement sur la planète, dans le système international, des gens qui manipulent complètement leur système politique, qui sont disposés à peu près n’importe quoi pour assouvir leur besoin d’expansion.

Capitaine Adam Orton : Salut, ici capitaine Adam Orton pour Le balado de l’Armée canadienne. Pour cette émission, on parle avec le lieutenant-général Jocelyn Paul, commandant de l’Armée canadienne. Il va nous parler de où nous en sommes, où on s’en va et comment on va s’y rendre. Bienvenue au balado monsieur.

Lgén Paul : Oui, bonjour! Bon matin à tous!

[Musique termine]

Capt Orton : Comme commandant de l’Armée, c’est sûr que faut être au courant de notre niveau de préparation. Est-ce qu’on est prêt à faire des opérations? Qu’est-ce que ça a l’air l’état de l’Armée en ce moment?

Lgén Paul : Écoutez, en termes de préparation opérationnelle, lorsque je regarde la situation au sein de l’Armée canadienne, je regarde toujours ça à travers quatre piliers. Le premier, c’est les gens. Le deuxième, c’est l’entraînement. Le troisième, c’est l’équipement. Et enfin, c’est le soutien logistique.

Donc en ce qui a trait aux gens, présentement on met énormément d’emphase sur ce qui s’appelle la rétention. Donc les effectifs sont en train de baisser présentement. L’an dernier, il y a environ 1200 membres de l’Armée de terre qui ont quitté notre institution. Et puis donc de s’assurer que on continue à recruter. De s’assurer qu’on est en mesure de garder en uniforme les gens qui ont décidé de servir il y a 6 mois ou il y a 30 ans. Donc tout ce qui touche la rétention, c’est essentiel. Donc s’assurer que nos unités, nos formations ont suffisamment de gens pour répondre à la tâche. Et puis, lorsque vous parlez de gens, lorsque vous parlez de rétention, vous parlez de leadership, vous parlez de comportement, et c’est la raison pour laquelle on attarde autant d’importance présentement, à tout ce qui s’appelle culture au sein de l’Armée canadienne. Au sein de notre institution, lorsque vous parlez des êtres humains, il y a deux choses je pense qui méritent d’être notées : Il y a tout ce qui touche le caractère et la personnalité, puis il y a ce qui touche les compétences professionnelles que les gens ont acquises. Donc, côté compétences professionnelles, l’Armée canadienne fait l’envie du reste de la planète. C’est la raison pour laquelle les gens veulent toujours des Canadiens pour entraîner des troupes à l’étranger.

Là où on a failli à la tâche, là où on a eu des problèmes au cours des dernières années, c’est vraiment lié au caractère, au tempérament, à la personnalité avec des gens qui ont eu une conduite qui était inappropriée à l’endroit de leurs frères et de leurs sœurs d'armes. On a beaucoup parlé d’agression sexuelle, mais ça va au-delà de cela. Ça va où des gens ont fait preuve d’intolérance à l’endroit de l’orientation sexuelle, à l’endroit des croyances religieuses, intolérance à l’endroit souvent là de gens qui proviennent de différentes communautés ethniques.

Donc, on a beaucoup de travail à faire dans ce dossier-là. Et c’est la raison pour laquelle le chef de la culture professionnelle a été mis en place comme commandement au sein des Forces canadiennes et c’est la raison pour laquelle le leadership senior de l’Armée, mais aussi des Forces canadiennes, s’est complètement investi dans ce dossier-là pour s’assurer que les gens se comportent entre eux de façon appropriée.

Ce qu’on veut, c’est du leadership qui est positif. On veut des leaders qui sont aussi en mesure de faire preuve de leadership émotionnel. On veut des leaders qui sont capables de faire preuve d’empathie à l’endroit de nos gens. Donc c’est le genre de qualité qu’on recherche. Et à travers tout ça, une fois qu’on est doté d’une culture qui est appropriée, bien c’est de continuer à se perfectionner et à s’améliorer en ce qui a trait à l’entraînement.

Le deuxième aspect qu’on regarde de façon étroite présentement, c’est tout ce qui s’appelle équipement. Donc s’assurer que les soldats de l’Armée canadienne ont les équipements requis pour être en mesure de survivre et de gagner sur un champ de bataille contemporain.

Et présentement, tout ce qui s’appelle doctrine au sein de l’Armée canadienne, je vous dirais que c’est confirmé sur les champs de bataille de l’Ukraine. On a un concept d’opérations dispersé depuis maintenant plusieurs années. Ce concept-là a été confirmé en Ukraine.

L’importance d’avoir des systèmes d’armes qui ont plus de portée, qui ont plus de capacité, l’importance d’avoir des senseurs qui vous permettent de voir ce qui se passe à 40, 50, 75, 100 kilomètres, c’est essentiel.

Donc présentement, au quartier général de l’Armée canadienne, on est excessivement focussé sur ce que j’appellerais l’armée de demain. Quels sont les systèmes d’armes que l’on doit acheter afin de s’assurer que nos gens puissent opérer sur un champ de bataille en Europe. Donc énormément d’emphase dans ce dossier-là.

Ensuite, l’entraînement. Est-ce qu’on s’entraîne suffisamment. Est-ce qu’on s’entraîne trop. Vous savez l’entraînement, il y a toujours deux volets. Il y a l’entraînement individuel, puis il y a l’entraînement collectif. Donc est-ce qu’on s’entraîne à trop haut niveau avant de partir pendant nos déploiements à l’étranger, ou on va continuer à s’entraîner sans arrêt. Donc s’assurer qu’on investit suffisamment de ressources dans l’entraînement pour qu’on puisse performer. Même chose du côté de l’entraînement individuel. Est-ce qu’un cours de recrue doit absolument avoir une période de 10 semaines. Est-ce qu’on ne peut pas le faire en 8 semaines. Est-ce qu’un cours de fantassin ou un cours d’artilleur de base doit avoir moins de semaines au niveau de son curriculum. Ce sont toutes des questions qu’on doit se poser. Et d’ailleurs, j’aime mentionner aux gens que présentement en Grande-Bretagne, l’Armée canadienne entraîne des soldats ukrainiens. Donc des civils qui arrivent en Grande-Bretagne sur des bases britannique et on les entraîne pendant environ 5 semaines et ensuite ils les retournent chez eux en Ukraine où ils vont sur le champ de bataille. Donc entre un système d’instruction individuelle ou entre le cours de recrue de base et le cours de métier souvent va s’écouler 18-20 et le 5 semaines qu’on offre aux ukrainiens, je pense qu’il y a peut-être quelques endroits où on pourrait aller chercher des économies tant financières que des économies de ressources de toutes sortes. Donc ça c’est quelque chose dont on discute énormément.

Et enfin, tout ce qui s’appelle le soutien logistique. Vous savez, si avec votre armée vous manquez d’essence puis vous manquez de munitions, vous n'avez pas de pièces de maintenance pour réparer vos véhicules, vous irez pas bien bien loin. Donc encore une fois quelque chose qui a été clairement illustré en Ukraine. Donc les Russes ont eu des problèmes énormes en termes de soutien logistique. Les Ukrainiens ont fait un travail aussi remarquable à s’attaquer aux échelons logistiques de l’armée russe. Ce qui a fait en sorte que la marche sur Kiev a été arrêtée comme on l’a tous vu l’hiver dernier à travers les médias.

Donc s’assurer qu’on a suffisamment de pièces de maintenance, de mécaniciens, de logisticiens d'équipement, qu’on a suffisamment d’équipement aussi qui est prépositionné en Europe afin d’aider à la mise en place de la brigade multinationale que le Canada va mener en Lettonie. Donc, la logistique, quelque chose que trop souvent on passe sous silence, mais qui est essentielle.

Capt Orton : Donc en parlant d’équipement, se procurer de l’équipement c’est tout le temps un défi dans le monde militaire. Qu’est-ce qu’on regarde en ce moment pour du nouvel équipement?

Lgén Paul : On regarde différents types d’équipement à différents niveaux à court, à moyen et à long terme. Donc présentement, à court terme, par l’entremise de ce qu’on appelle un UOR, une requête opérationnelle urgente, on va acheter au cours du prochain 2 ans 3 systèmes d’armes.

Le premier c’est qu’on va avoir des armes antichar portable afin d’équiper le groupement tactique multinational en Lettonie. On va acheter également des systèmes de défense antiaériennes, ce qu’on appelle des MANPADS, donc des systèmes de défense portables. Et enfin on va acheter des systèmes de défense contre les drones. Et puis ces systèmes-là consiste essentiellement en des radars pour détecter des drones. Et aussi des capacités technologiques qui permettent pas de détruire les drones, mais de les rendre inutilisables par l’entremise de moyens électroniques pour la plupart du temps. Ces systèmes d’armes-là vont être achetés afin de faire en sorte que le groupement tactique canadien qui est présentement déployé en Lettonie soit en mesure de faire un meilleur travail d’un point de vue purement militaire.

Ensuite, il y aussi les systèmes d’armes qu’on va acheter à moyen terme puis c’est pas seulement des armes en passant, c’est aussi des systèmes de commandement et contrôle. Donc on se doit d’équiper l’Armée canadienne avec un système de commandement et contrôle qui est la fine pointe de la technologie qui va permettre d’intégrer des données numériques, qui va permettre d’intégrer des senseurs, qui va permettre d’intégrer de la voix, de la vidéo, etc, etc, etc. Et tout ça afin de nous permettre d’être en mesure de prendre connaissance de ce qui se passe rapidement sur le champ de bataille à travers nos senseurs, de processer l’information le plus rapidement possible et enfin de prendre les décisions les plus rapides possible sur le champ de bataille. On regarde certainement ces systèmes-là et puis on veut également équiper avec de l’équipement approprié nos bataillons d’infanterie légère afin qu’ils puissent faire le travail. Donc des véhicules légers, des choses qui sont faciles à projeter, mais quand vous dites léger, évidemment ça veut dire moins blindé, mais la réalité est que sur le champ de bataille contemporain, la meilleure défense souvent ce n’est pas nécessairement deux pouces de métal au-dessus de votre tête.

On a vu ce que les ukrainiens ont fait aux chars d’assaut russe et aux véhicules blindés russes n’est-ce pas. Ils en ont détruit des centaines et des centaines sur le champ de bataille. Parfois, le meilleur moyen de se protéger, c’est de se disperser. Donc d’être léger et d’aller chercher une espèce de couvert. Ça peut être un édifice, ça peut être un garage, un entrepôt, qu’importe. Donc de cacher sa signature thermique mais aussi électromagnétique.

Donc dans ce contexte-là, on est aussi intéressé à faire des investissements avec les bataillons légers afin qu’ils soient plus faciles à projeter et qu’on augmente également leur survie potentielle sur le champ de bataille.

Capt Orton : En ce moment, vous avez fait mention de la brigade multinationale en Lettonie, en ce moment, on a un groupement tactique: comment est-ce que cette nouvelle tâche-là va se dérouler pour l’Armée canadienne?

Lgén Paul : Donc, écoutez, la brigade multinationale que le Canada va avoir le privilège de commander à compter de 2024, va se mettre en place pendant plusieurs années. Donc, l’objectif initial, c’est d’avoir des premiers réellement sur le terrain en 2024.

Évidemment, on va construire sur le groupement tactique multinational qui est déjà en place là-bas. Donc on va avoir un quartier général de brigade qui va être multinational avec un paquet de pays qui vont être représentés. On va avoir des éléments de manœuvre, de l’infanterie. On va avoir des chars, des éléments de reconnaissance. On va avoir des systèmes de tir indirects qui vont être là. On va avoir des ingénieurs de combat, du soutien logistique. Donc une brigade multinationale dont on ne connaît pas préentement la forme exacte. Puis je m’explique.

Vous avez différents types de brigades au niveau doctrinaire. Il faut avoir des brigades d’infanterie, faut avoir des brigades d’infanterie légère, des brigades d’infanterie mécanisée, avoir des brigades blindées. Une brigade, c’est un regroupement d'unités qui peut compter à peu près n’importe quoi entre 2500 et 5000 personnes. Donc il y a énormément de latitude et cette latitude-là est basée sur le nombre d’éléments qui sont générés.

Donc, je vais aller en Europe, rencontrer mes homologues européens pour tenter de déterminer qu’est-ce que leur pays sont en mesure de contribuer à cette brigade-là. Donc on va avoir des discussions sur la génération de la force. Et je vous dirais qu'on devrait à ce moment-là avoir une bien meilleure idée de ce à quoi cette brigade multinationale-là va ressembler. Est-ce qu’on va avoir 3000 personnes? Est-ce qu’on va avoir 4000 personnes? Ça reste tout ça à être déterminé. Et cette brigade va avoir différentes catégories de gens qui vont travailler en son sein. Vous allez avoir des gens qui vont être mutés en Europe pendant 3-4 ans. Vous allez avoir des gens qui vont aller en Europe pendant un tour de 6 mois, de 9 mois peut-être d’un an. Et puis, vous allez aussi avoir des gens qui vont être appelés à augmenter les effectifs de façon spontanée. Donc des gens qui vont peut-être aller en Europe, pendant une période d’un mois, deux mois, trois mois et ensuite revenir au Canada. Donc, cette brigade-là peut avoir un certain nombre de personnes pendant l’automne, mais peut-être plus grosse aussi pendant l’été. Dépendamment des besoins d’entraînement. C’est une brigade qui ne sera pas constituée de gens uniquement à temps plein et qui sont uniquement déployés en Europe de façon permanente. Donc, Ça va être une espèce de mélange, différents types de gens. Et soit dit en passant, c’est ce que font la plupart de nos alliés en Europe. Les américains ont en Europe des formations où un certains pourcentage de la formation vit en Europe et un certain pourcentage de cette formation-là est cantonnée aux États-Unis prêt à être projeté à très court préavis pour aller renforcer le théâtre européens.

Donc c’est un peu ce qu’on va faire. Mais lorsque vous voulez faire ce genre d’approche-là, vous n’avez d’autre choix que d’avoir en majeure partie l’équipement qui est déjà prépositionné en théâtre. Donc c’est donc dire que au cours des prochains mois et je vous dirais des deux prochaines années, on va porter énormément d’attention à tout ce qui s’appelle équipement prépositionné en Europe pour faire en sorte que si des soldats sont déployés sont en mesure de prendre leur équipement qui est prêt à être utilisé immédiatement.

Capt Orton : En ce moment, l’Armée canadienne regarde à faire des mises à jour sur l’entraînement dans le domaine de l’Arctique. Est-ce qu’on regarde à prendre un emphase sur l’Arctique aussi en regardant de l’avant?

Lgén Paul : Je crois que l’Armée canadienne va faire plus d’entraînement en hiver et d’entraînement dans l’Arctique au cours des prochaines années. Nous avons une demande en ce sens. Nous avons une demande de nos alliés américains. Vous êtes pas sans savoir que la question de notre souveraineté dans le Grand Nord est quelque chose qui est excessivement importante. Non seulement pour le gouvernement canadien, mais aussi pour l’ensemble de la population. Donc il est impératif que les membres de l’Armée canadienne, les membres de l’Aviation royale et de la Marine royale canadienne soient en mesure de se déployer, de se déplacer dans le Grand Nord. Ceci étant dit, c’est une tâche qui a énormément de défis. Si vous voulez opérer dans le Grand Nord, en plein hiver, vous devez être entraînés en ce sens. Donc, c’est dans cet esprit-là que on va continuer à faire de l’entraînement dans le Grand Nord et certains types d’exercices vont prendre plus d’envergure au cours des prochaines années.

Notamment, il y a une brigade, c'est-à-dire une division aéroportée, la 11e division aéroportée américaine qui est cantonnée en Alaska avec laquelle on va certainement faire plus d’entraînement au cours des prochaines années. Donc une emphase plus importante sur ce genre d’exercice-là qui permet non seulement à aguerrir nos troupes dans un environnement naturel qui est très très difficile, mais en plus qui permet au gouvernement du Canada de démontrer sa souveraineté sur ces territoires-là qui sont si importants pour la population. Donc oui plus d’emphase dans ce domaine-là et puis c’est aussi ce à quoi s’attendent nos alliés américains, mais aussi nos alliés de l’Otan. On est reconnu à travers le monde pour avoir ces habiletés-là et on doit continuer à les améliorer.

Et puis, en ce faisant aussi, ça nous permet d’offrir aussi du support, mais aussi d’être supporté par les Rangers canadiens. Vous savez, lorsqu’on fait de l’entraînement dans le bas de la région arctique au pays, nos meilleurs guides, nos meilleurs conseillers ce sont les Rangers qui vivent dans ces régions-là, qui vont montrer à nos jeunes hommes et nos jeunes femmes qui souvent sont nés dans grandes villes canadiennes dans le sud du pays comment être en mesure de survivre dans cet environnement qui n’est pas évident. Et puis vous savez lorsqu’on parle d’opérations militaires, en hiver ou en Arctique, la première chose qu’on doit faire comme soldat, c’est être en mesure de survivre et par la suite être prêt à se battre. Donc le meilleur moyen d’apprendre ce genre de chose-là, c’est certainement avec nos concitoyens qui vivent dans les régions là-bas.

Capt Orton : En regardant de l’avant, au QG certainement on entend parler du concept de modernisation qui est comme le projet de l’Armée de devenir moderne qui est vraiment un projet qui finit jamais. Qu’est-ce que ça a l’air pour l’instant pour nous le processus de modernisation?

Lgén Paul : Présentement, lorsque je regarde la modernisation de l’Armée canadienne, la chose la plus importante à régler au cours des prochaines années, c’est tout ce qui s’appelle commandement et contrôle, intelligence, surveillance, reconnaissance. Ce qu’on appelle, pour employer un acronyme militaire le C4/ISR. S’assurer que on a des senseurs un peu partout sur le champ de bataille dont les données peuvent être processées rapidement au quartier général afin d’aider les commandants à tous les niveaux, à prendre les bonnes décisions.

Si il y a une chose qui a été démontrée en Ukraine au cours des derniers mois, c’est que celui qui va gagner sur le champ de bataille, c’est celui qui a senti ce qui se passait sur le champ de bataille à travers ses senseurs en premier lieu, c’est celui qui est le plus rapide à processer ces données-là, et c’est celui qui est en mesure de prendre une décision plus rapide. C’est ce qu’on appelle en anglais le OODA LOOP. Donc, s’assurer qu'on est en mesure de prendre des décisions éclairées plus rapidement que nos opposants.

Mais pour faire ça, ça prend des radios, ça prend des senseurs, ça prend des ordinateurs, ça prend un réseau qui est en mesure de processer toutes ces données-là rapidement plutôt que de le faire de façon manuelle. Le temps où on passe de l’information à travers une présentation PowerPoint ou à travers un courriel, c’était bien, c’était correct il y a 15 ans.

Mais présentement, on se doit d’avoir des choses qui sont quasi instantanées. On doit avoir un Web de data que on peut accéder rapidement afin d’être en mesure d’extraire les données en un instant. Donc c’est un bond technologique que les Forces canadiennes, que l’Armée de terre du Canada doit faire.

Présentement, je vous dirais, on est à mi-chemin entre l’analogue et le digital. Là, il faut vraiment faire le saut vers l’avant dans le monde digital. On doit aussi garder la capacité de travailler avec de l’équipement un peu plus ancien. On se doit d’être en mesure d’utiliser des téléphones de campagne. On se doit d’être en mesure d’utiliser des estafettes en moto ou en jeep pour amener l’information. On se doit d’être en mesure de naviguer en campagne avec une boussole et puis une carte en papier. Ne sachant pas trop ce qui peut arriver peut-être avec la constellation de satellites. Si on allait embarquer dans un conflit de grande envergure, il y a de fortes chances que nos opposants s’en prennent à nos satellites. Donc est-ce qu’on pourrait vraiment continuellement avoir accès à nos signal GPS? Je ne suis pas convaincu.

Mais vous savez, nous, dans l’Armée de terre, notre responsabilité, c’est de s’assurer qu'on soit en mesure d’opérer dans des circonstances qui n’ont pas été prévues par personne. Donc, c’est pour ça qu’avoir une redondance au niveau de nos systèmes de communication, est à ce point-là important.

Et en passant, je veux dire on le voit présentement en Ukraine. Il y a beaucoup de guerre électronique. Les gens ont recours à des moyens excessivement ingénieux pour être en mesure de passer l'information.

Vous savez, dans le monde militaire, d’avoir des radios qui émettent à grande puissance, ça fait en sorte que l’ennemi peut vous repérer rapidement sur le champ de bataille et aussi vous détruire rapidement. Donc le C4/ISR auquel je faisais allusion tantôt est excessivement important.

L’autre chose qu’on doit faire aussi, c’est vraiment regarder quelles sont nos habiletés à engager des cibles beaucoup plus en profondeur. Il y a quelques années, la portée efficace, si on veut, d’une unité de l’Armée canadienne, un bataillon d’infanterie était dictée par la portée de ses canons ou la portée de ses drones. Donc aujourd’hui je vous dirais que un groupement tactique canadien ou une brigade canadienne doit être en mesure de surveiller et d’engager des cibles, des distances qui peuvent aller jusqu’au-delà de 100 kilomètres. Ce qui était impensable il y a quelques années. Et c’est la raison pour laquelle on se doit d’avoir des drones qui sont équipés avec la fine pointe de la technologie. On doit être en mesure d’engager des cibles ennemies à 80-90-100 kilomètres. Donc on doit aller chercher de la profondeur. On doit aller chercher de la précision. Et en ce faisant, on se doit évidemment d’acheter de l’équipement beaucoup plus moderne.

Mais aussi, je suis excessivement intéressé par de l’équipement qui nécessite moins de gens afin de les manipuler. Vous savez, un canon de M777, vous avez besoin d’environ 10 personnes pour le manier puis l’opérer. Si, sur le marché, on a des obusiers motorisés qui peuvent être utilisés par des équipages de 3-4-5 personnes, je suis excessivement intéressé.

Capt Orton : Donc, c’est sûr que si on a besoin de moins de personnel pour opérer de l’équipement, ça présente d’autres avantages à d’autres places?

Lgén Paul : Écoutez, on se doit d’optimiser nos ressources. On se doit de chercher des efficiences et les efficiences elles sont à plusieurs niveaux. Ce sont des efficiences fiscales donc permettre à l’état de sauver de l’argent, mais aussi des efficiences purement militaires.

Je m’explique : Si vous avez plus de gens qui sont disponibles pour faire autre chose parce qu’il y a moins d’individus qui travaillent sur l’obusier, bien ces gens-là peuvent faire du travail avec des drones. Ils peuvent faire de l’analyse d’imagerie. Vous savez, les gens vont être réutilisés à d'autres fonctions. Il y a beaucoup de fonctions présentement au sein de l’Armée canadienne où on n’a pas investi suffisamment. Je vais vous donner le meilleur des exemples : toute la question de la défense anti-aérienne, présentement avec la menace que l’on a en Europe, vous avez vu l’importance d’avoir une bulle de défense antiaérienne pour protéger les troupes qui sont au sol n’est-ce pas? Donc, pour des raisons fiscales, mais aussi parce que c’était la fin de la guerre froide il y a quelques années, le Canada s’est désinvesti de toutes les questions de défense antiaérienne. Donc, les économies en termes de gens que je fais avec des systèmes d’armes à la fine pointe de la technologie, me permettent de reprendre ces gens-là et de les investir dans des capacités telles que la défense antiaérienne, la défense contre les drones ennemis, etc.

Donc, je vous prie de me croire, il y a personne qui va perdre son travail, il y a personne qui va tomber au chômage. En fait, on a besoin d’avoir plus de gens qui rejoignent l’Armée canadienne présentement parce qu’il y a un paquet de capacités de niches que l’on a pas présentement que l’on s’apprête à réactualiser.

Capt Orton : Avec tout cela étant dit, en regardant de l’avant qu’est-ce qui vous pompe le plus pour qu’est-ce qui se passe avec l’Armée?

Lgén Paul : Je pense que l'Armée de terre est à un espèce de point tournant. Et puis je m’explique. Écoutez, une armée, ça se renouvelle constamment. Donc l’Armée d’aujourd’hui n’est pas mieux puis plus intelligente que l’Armée qu’on avait voilà 10 ans, ou voilà 30 ou 40 ans. Mais ce que je vois moi émerger à l’horizon, ce sont des capacités à la fine pointe de la technologie. Ce sont des capacités qui vont augmenter de façon importante, ce que une unité ou une formation canadienne peut faire sur le champ de bataille ou en opération. Et là où ça devient intéressant pour nous, c’est que on a une population de jeunes gens qui est excessivement bien éduquée. On a des jeunes hommes et des jeunes femmes qui sont à la fine pointe de la technologie. Et ça tombe bien parce que la plupart de ces nouveaux systèmes d’armes-là ont besoin de ce genre de connaissances-là d’un point de vue académique. Donc, je suis convaincu que les leaders de l’Armée canadienne de demain vont être dans un espace qui est excessivement différent du nôtre. Mais aussi, la chose qui est essentielle à mes yeux, c’est de s’assurer qu’on a une Armée canadienne qui est prête à affronter n’importe quel problème. Qui est en mesure de résoudre n’importe quel problème qu’on peut lui poser.

Je m’explique : Vous savez on vit dans une période d’extrême tension sur la scène internationale. Vous avez présentement dans le cœur de l’Europe une guerre de grande envergure qui n’a pas été faite depuis la deuxième guerre mondiale. Vous avez des zones de tension commerciale. Vous avez des zones de tension politique. Donc, c’est comme si on retournait essentiellement au années 50-60-70. C’est l’époque de la guerre froide. Sauf que présentement on a vraiment des pays qui ont été agressés par des pays voisins. Donc il y a énormément de tension dans le système international. Et Dieu sait dans quelle direction ça va aller.

Conséquemment, on se doit d’avoir un outil militaire qui est appelé à répondre à l’appel peu importe les circonstances lorsque le gouvernement canadien va nous demander d’agir de la sorte.

Capt Orton : L’histoire se répète tout le temps hein?

Lgén Paul : Vous savez, l’histoire se répète constamment. J’avais un ancien professeur qui m’avait déjà dit il y a plusieurs années : « Si tu veux une nouvelle idée, t’as juste à lire un vieux livre. » Mais le point c’est que on a présentement sur la planète dans le système international ce qu’on appelle des leaders autoritaires. Donc des gens qui manipulent complètement leur système politique. Ce sont des quasi dictateurs et ce sont des gens qui sont disposés à faire à peu près n’importe quoi pour assouvir leur besoin d’expansion, leur besoin d’influence. Et c’est exactement ce qu’on voit présentement avec la Russie. Écoutez, vous avez un pays souverain qui a agressé militairement un autre pays souverain qui est reconnu par toutes nos institutions internationales. Donc la situation, je pense, est grave. Et puis je crois que sans être alarmiste, on a une responsabilité collective d’être des réalistes. Et comme on ne sait pas ce qui peut se tramer dans la tête de certains de ces leaders autoritaires, malheureusement, on doit être prêt à répondre à l’appel advenant que le Canada soit à travers le temps évidemment impliqué dans un conflit. Chose qu’on ne souhaite certainement pas. Mais la réalité est que personne ne souhaitait que l’Ukraine soit envahie par la Russie et puis le président russe a décidé de le faire. Donc on a une expression en anglais qui dit : « Hope is not a method, right? » Donc on doit s’assurer qu’on est prêt en toute circonstance. Et soit dit en passant, c’est ça le rôle des Forces armées canadiennes. C’est ça le rôle de l’Armée de terre du Canada. C’est d’être en mesure de répondre à l’appel dans des circonstances que personne n’a vu venir.

[Musique commence]

Capt Orton : Bien merci beaucoup de votre perspective. C’est bien apprécié.

Lgén Paul : Merci infiniment! Bonne journée à tous!

Capt Orton : Ça c’était le lieutenant-général Jocelyn Paul, commandant de l’Armée canadienne. Si vous voulez en savoir davantage sur comment l’Armée va approcher le futur du commandement et du contrôle, jetez un coup d'œil à la saison 3.

Moi je suis capitaine Adam Orton pour Le balado de l’Armée canadienne. Prenez soin de vous.

[Musique termine]