Les premiers seize pour cent

Chuck Baresich, spécialiste de l'agro-robotique, croit que vous aurez un robot dans votre champ plus tôt que vous ne le pensez.  Que ferons-t-ils ? Comment ajouteront-ils de la valeur à votre exploitation ? Chuck nous brosse un tableau de cet avenir. Et que fait le gouvernement pour aider le secteur agricole à se préparer à l'arrivée de ces robots ? Marco Valicenti, directeur général de la Direction des programmes d'innovation, et Brett Maxwell, directeur à la Direction générale des politiques stratégiques, expliquent comment les programmes d'Agriculture et Agroalimentaire Canada permettent de favoriser cet avenir.

What is Les premiers seize pour cent?

Bienvenue à la série de balados d’Agriculture et Agroalimentaire Canada qui explore les idées les plus fraîches en alimentation et en agriculture. À chaque épisode, découvrez en profondeur un nouveau sujet : les nouvelles pratiques, les idées innovantes et leurs impacts sur l'industrie. Apprenez-en davantage sur le secteur agricole canadien auprès des gens qui font les percées et abattent les barrières! Producteurs et gourmets, scientifiques et hauts dirigeants, toute personne ayant un œil sur l'avenir du secteur, ce balados est pour vous!

Chuck : Je pense que mon rêve ou ma vision de la robotique est qu'on peut faire mieux d’une manière ou d’une autre. Est-ce qu'on peut améliorer la santé du sol en ayant une machine plus légère? Est-ce qu'on peut réduire les intrants si cela s’avère nécessaire? Est-ce qu'on peut éviter aux gens de travailler dans les champs par 35 degrés sous un soleil de plomb? Je pense que c’est le genre de vision et d’objectif qu’ont beaucoup d’entre nous dans ce domaine. Les agriculteurs sont très enthousiastes à ce sujet.
Marie France : Qui ne serait pas enthousiaste à ce sujet?
Kirk: Nous le sommes vraiment. Bienvenue aux Premiers seize pour cent. Je suis Kirk Finken.
Marie France : Et je suis Marie France Gagnon. Lorsque nous avons commencé à réfléchir à cet épisode, nous pensions à la robotique et à l’automatisation comme une solution à la pénurie de main d’œuvre.
Kirk : Mais après notre premier entretien avec Chuck Baresich, spécialiste de la robotique agricole, nous avons compris que cela englobait bien d’autres choses.
Marie France : Chuck et son frère cultivent le maïs et le soja dans le sud de l’Ontario. Ils ont également un service d’agronomie. En outre, Chuck est président et fondateur de Hagardy AgRobotics, un chef de file du secteur émergent de la robotique et de l’automatisation agricoles.
Chuck : Cette évolution vers l’adoption de la robotique sera beaucoup plus rapide que celle des tracteurs et des automobiles. Cela devrait prendre 10 ans ou moins, et pas 50 ans, à mon avis.
Kirk : Et s’il a raison, une question se pose...
Marie-France : ... oui. Que faisons nous ici, à Agriculture et Agroalimentaire Canada, pour être prêts à accueillir certaines de ces innovations? Comment soutenons nous le secteur dans cette courbe d’adoption? Dans la seconde partie de notre épisode, Marco Valicenti, directeur général de la Direction des programmes d’innovation, et Brett Maxwell, directeur à la Direction générale des politiques stratégiques, répondront à ces questions.
Kirk : Bien, entrons dans le vif du sujet. Alors, Chuck, pourquoi l’agriculture et la robotique?
Chuck : J’ai grandi dans l’agriculture et j’ai toujours voulu travailler dans ce secteur, mais j’ai aussi toujours aimé la technologie. J’étais en quelque sorte, vous savez, j’étais le gars qui avait une montre calculatrice. J’étais le gars qui aimait tous les trucs de science fiction, vous savez, mais je ne suis pas la personne qui achète le nouveau gadget juste pour avoir le nouveau gadget.
Cela ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si cette technologie améliore quelque chose. Est ce que cela nous permet de nous améliorer? C’est vraiment ce qui me motive : Est-ce qu'on peut apporter des améliorations?

Kirk : Ce n’est pas l’apparence qui compte, c’est la façon de cuisiner! Parlez nous de votre société de robotique
Chuck : Dans notre société de robotique, on essaie de rester très proches des agriculteurs. Et on passe du temps à déterminer ce dont ces agriculteurs ont réellement besoin. Qu’il s’agisse d’enlever les mauvaises herbes ou de transporter un bac à pommes, quelle que soit la tâche à accomplir. À partir de là, on examine les technologies existantes en tant que plateforme.
La première étape consiste à déterminer si on peut réellement le faire. On a diverses plateformes. Ça commence par le plus petit. On a un drone. Plusieurs produits très petits, de la taille d’une brouette, par exemple, ce genre de choses. Ensuite, on passe à des robots de taille moyenne comme le FarmDroid, le Nexus de Montréal ou le Niro. Euh. Ensuite, on a commandé deux robots à une société appelée Karachi. Il s’agit encore une fois de robots axés sur des tâches qui sont des plateformes génériques.
Ensuite, on va présenter cette solution. Il va s'agir d’une plateforme produite par une entreprise, qu'on la commande où qu'on l’achète. Il va s'agir d’un ensemble d’outils qu'on a modifier dans le cadre de notre entreprise.
En 2023, on va avoir 18 robots sur le terrain, ici en Ontario, dans le cadre de ce modèle.
Marie France : Incroyable! Dans certaines de vos présentations, vous parlez du travail que vous avez effectué dans le domaine de l’agriculture de précision, mais comment avez vous commencé à envisager d’intégrer l’automatisation dans votre exploitation?
Chuck : Eh bien, je suppose que l’une des définitions réelles est de savoir ce que signifie l’automatisation. Pour mon frère et moi, la main d’œuvre a toujours été un défi. L’une des raisons pour lesquelles on ne travaillait pas le sol est que cela demande moins de travail, moins de main d’œuvre. On a toujours cherché des moyens d’automatiser nos processus, qu’il s’agisse d’une direction automatique ou d’un contrôleur de débit sur le tracteur.
Quand vous y réfléchissez bien, vous vous demandez pourquoi vous êtes là sur le siège, car c’est le pulvérisateur qui s’occupe de la pulvérisation. Il se pilote lui même dans le champ. C’est l’ordinateur qui enregistre ce qu’il fait. Il télécharge ces données dans le nuage. Il fait tout cela de manière automatique. Et en réalité, vous n’êtes là que pour assurer la sécurité.
En 2020, en fait avant, en 2018 ou 2019, j’ai toujours suivi, vous savez, l’évolution de la robotique comme les robots réels de terrain. Et je ne parle pas de robots comme dans une étable à vaches laitières ou dans une serre ou ce genre de choses. Je pense aux robots qui sont dans la nature et qui sont en quelque sorte en liberté. Je me suis rapidement rendu compte qu’il n’y en avait pas beaucoup qui étaient prêts à être commercialisés, ce qui m’a vraiment surpris.

Kirk : Bien, donc un robot autonome par rapport à l’automatisation de votre pulvérisateur, par exemple. Quand avez vous vu pour la première fois un de ces robots dans la nature et, comme vous le dites, en liberté?

Chuck : La première fois que j’en ai vu un de près, c’était en 2019, à l’Outdoor Farm Show, lorsque Seed Master a amené son DOT à Woodstock et que j’ai pu le voir de mes propres yeux. J’ai pris l’avion pour la Saskatchewan environ un mois plus tard pour visiter l’exploitation. Cela m’a permis de voir ce robot presque dans son environnement naturel. C’était sale. Ils le remplissaient d’engrais. Il faisait froid et il y avait du vent. Je me suis alors demandé qu'est-ce que ça donnerait d’avoir un robot dans mon exploitation. Et j’ai réfléchi. J’ai dit : « Vous savez quoi, je pense que c’est une chose que je peux apprivoiser ». En 2020, on a obtenu notre DOT, qui s’appelle maintenant Raven OmniPower.
C’est à ce moment là qu'on a eu notre premier robot. Et c’était notre premier pas de l’automatisation vers un robot autonome en 2020, notre première grande plongée dans ce domaine.
Kirk : 2020, cela ne me semble pas si loin. Est ce que la technologie robotique est quelque chose de nouveau dans l’agriculture?
Chuck : Dans de nombreux cas, on a été les premiers dans les technologies d’automatisation. Et ce qui est intéressant, c’est qu’en 2020. Oui, on a l’impression que c’est nouveau, mais en vérité, c’était l’un des seuls robots qu’il était possible d’obtenir, vous savez, il faut vous dire que nous découvrons tous ce domaine. J’ai grandi en regardant la Guerre des étoiles et j’ai toujours voulu avoir ma propre combinaison de R2 D2 et C 3PO. En grandissant dans cet état d’esprit, vous en venez à penser que la robotique est bien plus avancée qu’elle ne l’est en réalité, c’est à dire ce qui est possible en théorie par rapport à ce qui est possible dans votre esprit.
Marie-France : Cela nous ramène un peu sur terre. Vous avez donc une grande expérience de ces robots autonomes. Lorsque vous apportez ces systèmes dans les exploitations agricoles, quel est le premier défi à relever? Ou y en a t il qui vous ont surpris?
Chuck : Eh bien, je pense que l’une des premières choses que je n’ai pas réalisées, c’est l’intelligence générationnelle, la connaissance générationnelle. Et l’une des choses que, vous savez, beaucoup d’entre nous qui sommes dans le secteur agricole appelons l’intelligence des enfants de la ferme.
Et parce que vous avez grandi autour des machines et de l’exploitation agricole, vous faites certaines choses. Par exemple, les gens savent que le 5 mai, vous devez faire ça. Vous êtes employé, vous faites ceci et vous préparez cet équipement, et c’est comme cela que ça se passe.
La première étape avec une machine autonome consiste à communiquer ce que l’on a dans la tête à un logiciel ou à une machine. Et c’est déjà un défi. Mais le plus difficile est d’essayer d’écrire et de documenter ce que vous savez.
Comment savez vous que ce champ est prêt à être exploité? Comment savez vous à quelle vitesse conduire? Comment connaissez vous tous ces petits détails? N’est ce pas? Ces petits détails sont un véritable défi. La première étape consiste probablement à se demander si l’on comprend bien ce que l’on fait en tant qu’agriculteur et ce que font les employés. C’est probablement la première étape, et c’est probablement la plus difficile.

Kirk : D’après ce que vous me dites, il s’agit presque d’un changement existentiel que vous devez opérer pour vous demander si vous faites ce qu’il faut faire. Et comment l’expliquez vous en détail à ce nouvel ouvrier qui travaille dans votre ferme?
Chuck : C’est exact. Et lorsque vous aurez bien compris ce que vous faites, vous allez pouvoir commencer à vous demander lequel de ces travaux doit être effectué par une personne et lequel peut-être effectué par une machine.
Kirk : Pour ce qui est précisément de l’exploitation de grandes cultures. Pensez vous que l’automatisation est une solution viable au problème de pénurie de main d’œuvre? Ou est ce que je pose la mauvaise question?
Chuck : Je pense que tout le monde se pose cette question. Et je pense qu’il s’agit d’un défi commun. Et ce n’est pas un problème de main d’œuvre. Si vous demandez à un agriculteur : quel est votre plus gros problème? Il va vous dire que c’est la main d’œuvre. Pourquoi la main d’œuvre est elle un problème? La main d’œuvre est un problème, parce que j’ai des mauvaises herbes que je ne peux pas contrôler, par exemple. D’accord, c’est bien. Vous essayez d’en savoir plus. Vous demandez alors si c’est le coût de la main d’œuvre qui est en cause. Mais en réalité, le problème n’est pas que le coût de la main d’œuvre est trop élevé. En tant qu’agriculteur, je n’ai pas la certitude de pouvoir disposer d’une main d’œuvre suffisante pour faire ce qui doit être fait dans les délais voulus. La raison pour laquelle la main d’œuvre est un problème et l’automatisation est si attrayante, c’est que, dans la plupart des exploitations agricoles, on a besoin d’une main d’œuvre importante que pendant de courtes périodes. Vous savez, les exploitations agricoles, en particulier les exploitations de grandes cultures, ne sont pas des usines. Elles sont dehors, nous disposons d’un temps limité. Si vous êtes pomiculteur et que vous devez pulvériser une huile ou un produit dans votre verger pour protéger vos pommes contre les insectes, vous disposez d’un délai très court pour le faire. Et si ce n’est pas fait au moment voulu, vous n'allez pas pouvoir le faire demain. C’est fini pour la saison. Si vous ne disposez pas de la main d’œuvre nécessaire pour accomplir ce travail, le coût est alors très élevé.
Kirk : Oui. En fait, ils peuvent avoir une récolte exceptionnelle de fraises. Ils ont travaillé dur pour s’assurer que tous les éléments jouent en leur faveur et ils n’ont personne pour les cueillir.
Chuck : C’est vrai. Lorsque vous voyez des équipements agricoles géants - on était jeudi dernier dans une exploitation au nord de Toronto - vous savez, cet agriculteur cultive moins que nous, mais son équipement est trois fois plus gros que le nôtre. Et si son équipement est si gros, ce n’est pas parce qu’il essaie d’en mettre plein la vue, il regarde son calendrier, et chaque fois qu’il le regarde, il est de plus en plus serré. Je dois faire ceci et cela. Et je n’ai que cette main d’œuvre pour le faire. Alors, comment est-ce que je vais y arriver tout en tenant compte des critères météorologiques? Les agriculteurs ont donc des équipements surdimensionnés pour respecter ce délai. Si vous pouviez supprimer les besoins en main d’œuvre et dire : bon, on peut mettre des robots ici qui peuvent travailler 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Marie-France : Oui, changer la façon de penser en ce qui concerne la taille de l’équipement et le calendrier. La récolte nécessite également une certaine gymnastique mentale. C’est très intéressant et cela nous amène à l’une des questions qui nous préoccupent toujours lorsque nous parlons de robots et d’automatisation. Les robots remplaceront ils les travailleurs agricoles?
Chuck : Je pense que lorsqu’on me parle de la main d’œuvre et des robots qui vont remplacer les travailleurs humains, le premier défi est que je ne connais aucun agriculteur qui a un surplus de travailleurs dont il veut se débarrasser. La plupart des agriculteurs n’en ont pas suffisamment. Et la question qui se pose est la suivante : puis je optimiser la valeur des travailleurs que j’emploie? Ainsi, dans notre entreprise, on a mis au point un robot autonome qui balaye les champs pour notre entreprise d’agronomie, parce que lorsque je regarde mes spécialistes des cultures et mes employés, je ne pense pas que les payer pour qu’ils se promènent dans un véhicule à quatre roues et sautent à travers un champ à huit milles à l’heure pendant huit heures par jour soit vraiment l’utilisation la plus efficace de leur formation universitaire. Je préférerais qu’ils parlent à un client, qu’ils regardent une carte des sols ou qu’ils fassent autre chose pendant que le robot effectue le balayage. Il s’agit donc de maximiser la valeur de l’employé, de lui faire faire le travail le plus productif possible plutôt qu’un travail quelconque.
Marie France J’ai l’impression, d’après la façon dont vous présentez les choses, ce qui est un peu contre intuitif, que les petites entreprises pourraient peut être bénéficier de ce changement beaucoup plus rapidement?
Chuck : Je pense qu’il faut commencer par regarder la taille de l’exploitation, de manière générale, quelle que soit la culture, l’intérêt pour la robotique est en fait plus marqué dans les petites et moyennes exploitations agricoles que dans certaines des plus grandes.
Quand on y pense, si vous êtes un grand producteur de céréales, disons en Saskatchewan, qui cultive 20 000 acres d’une culture ou quelque chose comme ça. Vous disposez d’un équipement tellement gros que la main d’œuvre est votre coût le plus bas. C’est peut être un défi, mais le coût de la main d’œuvre n’est pas très élevé pour cultiver ces cultures. De même, si vous êtes un grand producteur de légumes, par exemple, vous avez beaucoup investi, vous avez un service des ressources humaines, vous avez tout un système en place pour gérer la main d’œuvre. Cette main d’œuvre est un défi.
Maintenant, inversons la situation et disons que vous cultivez du maïs et du soja sur mille acres en Ontario et que vous n’avez personne pour utiliser votre remorque à grains à l’automne. N’est ce pas? Il est très, très difficile d’embaucher quelqu’un pour utiliser une remorque à grains, ce qui n’est pas un travail agréable, pendant trois semaines, pendant de longues heures. Comment formez vous cette personne? Où la trouvez vous? Combien la payez vous? Une telle personne commence donc à se demander si elle ne pourrait pas se procurer une machine capable de tirer cette remorque pendant qu’elle est dans la moissonneuse. Ce serait génial, non? Même chose si vous êtes un petit producteur de légumes qui n’est pas assez grand pour disposer d’un service de ressources humaines ou de personnes qui s’en occupent. Si un ou deux robots pouvaient venir vous aider à sarcler pendant que vous êtes dans les champs, ce serait très, très intéressant, parce que vous avez une taille où vous n’avez pas la masse critique pour atteindre ce niveau. C’est comme ça que je vois les choses.
Kirk : L’adoption est un élément important. Comme pour toute nouveauté, il y a une résistance au changement. Pouvez vous parler de ce facteur?
Chuck : Je pense que l’un des défis est que, même si les agriculteurs sont ouverts au changement, il y a beaucoup de raisons, beaucoup d’inertie dans les pratiques existantes. Si je cultive du maïs et du soja, par exemple, si je commets une erreur dans ma culture de maïs sur quelques acres. Le coût est très faible. Mais pour d’autres cultures, cela représente des milliers et des milliers de dollars par acre. C’est leur moyen de subsistance. Et les processus qu’ils ont appliqués jusqu’à présent ont bien fonctionné, n’est ce pas? Ils ont obtenu de bons résultats. La résistance au changement vient donc de cette peur de l’incidence sur mes résultats.
Par ailleurs, ces exploitations agricoles ont beaucoup investi, disons qu’elles ont acheté des cultivateurs, des tracteurs et des pulvérisateurs coûteux et qu’elles ont investi massivement dans ce domaine. Le passage à un robot rend en quelque sorte obsolète tout ce dans quoi elles ont investi. Elles doivent maintenant investir de nouveau dans quelque chose de complètement différent. Il y a donc une résistance sur le plan financier.
Kirk : Pouvez vous nous donner un exemple de rendement du capital investi que vous avez obtenu lorsque vous avez modifié l’un des processus de votre exploitation?
Chuck : La plupart de mes travaux ont porté sur les cultures horticoles, le rendement sur le capital que j’ai obtenu sur les grandes cultures. Ma plus grande expérience concerne l’épandage de produits en vrac. De notre point de vue d’entreprise d’agronomie, lorsque nous épandions de la chaux ou du calcaire sur les champs, il s’agissait généralement d’un travail effectué par deux personnes.
Une personne se déplaçait avec le TerraGator pour procéder à l’épandage. L’autre personne se déplaçait avec le chargeur pour charger le TerraGator dans le champ. C’est ce qu'on fait maintenant avec le robot. Ainsi, la personne qui conduit le chargeur remorque le robot jusqu’au champ, le charge et le laisse faire l’épandage. Le coût de la main d’œuvre a donc été divisé par deux.
Et ce n’est pas tant le coût de cette main d’œuvre qui est en jeu. C’est en fait parce qu’en tant qu’entreprise d’agronomie, je ne peux souvent pas me permettre d’avoir deux personnes pour faire ce travail. Je ne les ai pas, et lorsqu'on effectue nos analyses de sol, on peut doubler le nombre d’acres par jour de ce qui est analysé. Donc, lorsqu'on a un court délai pour faire cela correctement, on double notre productivité. En matière de coût par acre, cela n’a peut être pas de sens, mais on peut accomplir plus de choses et c’est là que la valeur entre en jeu.
Kirk : Le rendement du capital investi se situe donc au niveau de la valeur ajoutée.
Chuck : Le rendement du capital investi pour le sarclage, par exemple, est bien meilleur. Si on prend un robot qui coûte, disons, 250 000 $ CAN et que ce robot peut s’occuper, disons, d’un champ de 50 acres, on aimerait souvent sarcler à la main ce champ de 50 acres. L’agriculteur peut dépenser 1 000 $ par acre sur ces 50 acres de ce champ. On envisage une période de récupération de cinq ou six ans pour certaines de ces machines. Tout cela ne semble pas si mal, mais ce que les agriculteurs n’ont pas encore vraiment compris, ou peut être que certains d’entre eux l’ont compris, c’est que parfois, lorsqu’ils payaient 1 000 $ par acre pour le sarclage, les mauvaises herbes étaient déjà si grandes qu’elles avaient endommagé les cultures. Mais si c’est le robot qui s’en occupe, les récoltes seront peut être meilleures. C’est très difficile à mesurer. Cette année, on a mis sur pied un projet visant à étudier cette question avec l’Université de Guelph.
Marie France : J’ai hâte de connaître les résultats de cette étude. Et sur le plan de l’héritage : Avez vous des conseils à donner aux producteurs intéressés par cette question?
Chuck : Je compare la situation à celle de 1910 à Detroit dans l’industrie automobile, où il y avait beaucoup d’acteurs, beaucoup de fabricants, beaucoup d’idées différentes. À cette époque, à Détroit, il y avait des voitures électriques, des voitures à l’éthanol, des voitures à essence et des voitures à vapeur. Et personne ne savait vraiment lesquelles allaient l’emporter. Je pense que les gens doivent être patients. Pour les agriculteurs en particulier, j’aime leur dire qu’ils doivent, dans une certaine mesure, se jeter à l’eau. Ils doivent regarder quelque chose et dire, euh. Qu’est ce que je peux faire pour démarrer? Parce que c’est comme si vous attendiez trop longtemps. Vous allez vous retrouver à la traîne.
Kirk : Plus tôt dans l’épisode, Chuck a mentionné que l’adoption de la robotique devrait avoir lieu dans les dix prochaines années. Marie-France, qu’en est il de notre Ministère? Comment nous préparons nous? Comment pouvons-nous rester à la fine pointe du progrès et soutenir les personnes de notre secteur qui souhaitent tenté l’expérience
Marie France : Ce sont de très bonnes questions, Kirk! Pour obtenir des réponses, nous nous tournons vers deux de nos collègues. Marco Valicenti, directeur général de la Direction des programmes d’innovation, et Brett Maxwell, directeur à la Direction générale des politiques stratégiques, sont ici pour expliquer ce que fait actuellement AAC en matière de politiques et de programmes.
Marie France : Marco, comment le gouvernement se prépare t il à ces futures perturbations, et à des technologies telles que la robotique?
Marco : Lorsque l’on pense à l’agriculture, on pense à la productivité, à la durabilité et à la croissance. Dans ce contexte, vous devez également vous pencher sur les perturbateurs qui peuvent avoir une incidence sur votre entreprise. Nous examinons ce continuum de politiques et de programmes. Nous y réfléchissons dans le contexte de la recherche fondamentale. Nous y réfléchissons dans le contexte de la recherche appliquée. Nous y réfléchissons dans le contexte de la démonstration que la technologie fonctionne à petite et à grande échelle. Nous réfléchissons à la mise à grande échelle de cette technologie afin qu’elle puisse être commercialisée et mise en place pour que le secteur puisse l’utiliser et être plus productif, plus efficace et plus compétitif. Nous avons donc des programmes qui s’inscrivent dans ce continuum de l’innovation.
Marie France : Et Brett, qu’en est il de votre côté? Comment vos analystes des politiques parviennent ils à garder une longueur d’avance?
Brett : Chaque jour, mon équipe discute avec des entreprises de technologie agricole, des entrepreneurs, des investisseurs que vous avez mentionnés, des forums, etc. Il y a quelques semaines, j’ai participé à l’Agritech Venture Forum, un groupe d’entrepreneurs et d’investisseurs qui échangent des informations et font des présentations sur les technologies agricoles qu’ils ont développées. Il faut donc aller à la rencontre de ce type de personnes, parler de leurs technologies et comprendre ce qu’est la technologie, ce qu’elle essaie de faire, quels sont les obstacles à sa mise en œuvre et à son adoption.
Je pense que l’autre élément clé est la collaboration avec d’autres ministères, parce qu'on est pas les seuls dans ce domaine.
Je pense que l’un des grands défis qu'on a avec les technologies agricoles est qu’il s’agit vraiment de, euh, - vous savez, beaucoup de technologies dont on parle quand on parle d’automatisation, de robotique - viennent d’intervenants non traditionnels, de personnes avec lesquelles on a pas l’habitude de traiter.
Marie-France : Quand nous avons interviewé Chuck Baresich, il a déclaré que l’adoption de la robotique allait être très rapide. Nos programmes gouvernementaux sont ils prêts pour une évolution aussi rapide?
Marco : C’est une excellente question. Nos programmes offrent la flexibilité nécessaire pour prendre en compte les nouvelles possibilités d’innover.
Ce qui offre une certaine latitude. Nous avons des conditions d’admissibilité et des modalités habituelles pour nos programmes. Mais en ce qui concerne l’arrivée de nouvelles technologies, nos programmes offrent cette latitude. Et nous avons quelques programmes, comme Agri innover, dans le cadre desquels nous recherchons des technologies, une première au Canada, une première dans le monde, qui vont vraiment, vraiment changer la donne et être des catalyseurs du changement dans le secteur.
Nous avons quelques priorités générales. Le gouvernement du Canada veut s’attaquer à la productivité, à la compétitivité, à la durabilité et aux technologies propres. Mais pour ce qui est des programmes proprement dits, nous voulons nous adapter aux nouvelles réalités que vous avez évoquées.
Kirk : Cela peut sembler un peu abstrait, mais comment l’innovation va t elle aider à surmonter certains des défis auxquels notre secteur est confronté?
Brett : On doit relever une sorte de triple défi en tant que secteur, à savoir que le fait d’être un grand producteur alimentaire mondial, on a été traditionnellement, selon les années, le quatrième ou le cinquième plus grand exportateur de produits alimentaires dans le monde. On a donc un rôle à jouer pour relever le défi de la sécurité alimentaire mondiale. Et puis, vous abordez l’aspect économique de la question. Je veux dire par là que l’agriculture est un moteur économique de ce pays. Il s’agit d’un secteur très important dans tout le pays, on ne doit pas l’oublier.
Brett : Et puis, bien sûr, mais la question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre se pose maintenant. L’année dernière, la FAO a publié un rapport ou une étude dans laquelle elle a effectué une analyse de scénario dans le cadre de ses perspectives économiques annuelles. Elle a examiné ce qu’il faudrait pour que nous puissions à la fois atteindre les objectifs de l’ONU en matière de faim zéro du point de vue de la sécurité alimentaire et atteindre simultanément les objectifs de Paris en matière de lutte contre les changements climatiques. Elle a constaté qu’il faudrait tripler le taux de croissance de la productivité actuelle du système alimentaire mondial, c’est à dire, en gros, tripler ce qu'on fait actuellement. On est à une époque où les systèmes alimentaires mondiaux sont les plus productifs et les plus avancés sur le plan technologique. Mais pour atteindre ces objectifs simultanément, on doit tripler le taux de croissance par rapport à la situation actuelle. Cela montre bien le défi à relever. Cela explique pourquoi les GES et les changements climatiques doivent être au centre de tout ce que l'on fait, et les programmes de Marco et l’approche stratégique que nous adoptons en témoignent. Mais cela témoigne également des grands défis qui nous attendent et pour lesquels, à mon avis, l’innovation dans le développement technologique sera le seul moyen d’atteindre ces objectifs.
Marie France : Les changements en matière de technologie et d’innovation se heurtent presque toujours à une certaine résistance. Au sein du gouvernement, nous avons également tendance à être un peu réticents à prendre des risques. Vous êtes responsable de programmes visant à soutenir l’innovation. Comment gérez vous la résistance et l’aversion au risque au sein du gouvernement et auprès des intervenants du secteur?

Marco : Deux points. Premièrement, je pense que vous avez parlé des relations au sein du gouvernement, avec d’autres ministères. Et je dirais que Brett et moi faisons équipe, j’ai envie de dire quotidiennement. Je rappelle simplement à mes collègues des autres ministères que l’agriculture et la technologie sont en pleine évolution. C’est un rythme qui change la donne et qui doit être pris en compte au même titre que les batteries des véhicules électriques et les minéraux critiques.
Avec, vous savez, nos estimés collègues ou nos collègues du CQC et de RNCan, etc. qui ont sans aucun doute un rôle à jouer en matière de technologie et qui se penchent en fait sur la technologie à usage multiple. Cette technologie a peut être été développée pour un secteur différent et pourrait éventuellement être adaptée au secteur agricole si elle était modifiée. Je pense que c’est dans ce domaine que nous voulons une mobilisation soutenue et être très actifs.
Il y a quelques réseaux qui commencent à s’implanter dans le secteur agricole, qu’il s’agisse du Réseau canadien d’automatisation et d’intelligence agroalimentaire, ou du Réseau canadien d’innovation en alimentation, bref, ce sont deux réseaux que nous mobilisons activement. Et il y a toute une série d’accélérateurs et d’incubateurs avec lesquels nous essayons d’échanger assez activement pour entendre ce qu’ils disent et ce qu’ils font avec la communauté agricole.
Je pense que l’écosystème s’est amélioré et est devenu plus solide et que nous devrions tirer parti de ces partenariats, et pas seulement au niveau gouvernemental.
Kirk : Vous avez mentionné que certaines des personnes à qui vous vous adressez ne connaissent peut être pas le secteur et nos programmes. Alors, où trouver des fonds ou des ressources?
Marco: AgriGuichet est un outil essentiel pour nous. Parce que si on pense à ce que j’entends souvent, et je sais que c’est un problème lorsque nous essayons toujours de nous améliorer, c’est qu’il y a une myriade de programmes sur le marché. On pense au gouvernement fédéral, au gouvernement provincial, aux organisations à but non lucratif qui donnent peut être un peu d’argent, mais qui utilisent une approche différente pour mobiliser le secteur.
Alors, comment essayer de simplifier les choses avec un seul outil? Prenons l’exemple d’un entrepreneur, d’un producteur ou du vice président du développement commercial ou de l’innovation d’un fabricant de produits alimentaires. Écoutez, je cherche des mesures incitatives possibles pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, que ce soit dans les exploitations agricoles ou dans les usines de transformation. Vers quelles ressources faut-il se tourner? Avec quelques menus déroulants et quelques mots clés, AgriGuichet peut, en fonction de l’endroit où vous vous trouvez, restreindre la recherche en quelques frappes de clavier. Il suffit de quelques clics supplémentaires pour accéder au formulaire de demande.
Marie-France : Donc, entrepreneurs, producteurs et entreprises technologiques tournés vers l’avenir, prenez note : AgriGuichet doit faire partie de votre boîte à outils.
Kirk : Pour terminer notre épisode, mais aussi pour regarder vers l’avenir, écoutons ce que Chuck Baresich avait à dire sur ce que sont, selon lui, les principaux impacts de la robotique et de l’automatisation sur notre secteur.
Chuck : Je pense que l’une des choses les plus transformatrices qu'on va voir avec la robotique, c’est l’abandon de certains pesticides. On ne va pas tous les éliminer. Il y a des insecticides, des fongicides et d’autres choses qu’un robot ne peut pas traiter, pas à l’heure actuelle. Mais je pense que l’une des choses les plus transformatrices qu'on va voir est l’abandon des pesticides.
L’autre transformation qu'on va voir avec la robotique est un changement dans les cultures qu'on peut cultiver. Si l’on considère l’immigration au Canada, soit un million de personnes en un an, la palette alimentaire des nouveaux Canadiens est différente de celle à laquelle nous sommes habitués, et il s’agit en grande partie de légumes, de produits frais et de ce type de choses. Vous savez que l’Ontario est particulièrement bien placé pour cultiver certaines de ces cultures. Mais toutes ces cultures nécessitent davantage de main d’œuvre. Les agriculteurs, lorsque vous leur parlez, ils vous disent : cela ne me dérangerait pas de cultiver des échalotes ou cela ne me dérangerait pas de cultiver cette variété d’oignon ou autre chose. Mais ils n’ont pas la main-d’œuvre nécessaire. Ils n’ont pas les leviers ou autre. La robotique ouvre ces fenêtres pour dire : vous savez, peut être que vous pouvez le faire. C’est donc très transformateur.
Chuck : Je pense que le dernier élément, c’est que certains nouveaux Canadiens qui arrivent deviennent eux mêmes agriculteurs. Beaucoup de ceux qui veulent devenir agriculteurs ne se voient pas comme des producteurs de céréales sur 10 000 acres. Ils se voient comme des exploitants horticoles sur 20 ou 30 acres. Et la robotique ouvre la voie à ces nouveaux venus, qui vont pouvoir eux aussi se lancer dans l’agriculture. C’est un sujet fascinant. Je ne sais pas si cela va se réaliser dans cinq ans ou non, mais je pense que cela va se produire de plus en plus souvent.
Marie France : C’est fascinant. Bien que je garde l’espoir d’un téléporteur, j’ai hâte de voir cette innovation et ses effets en action.
Kirk : Même chose et en attendant d’être téléporté vous savez quoi faire?
Marie-France : Oui, je vais me lancer dans quelque chose de nouveau.
Kirk : Superbe.